Endehors/Le Trône et l’hôtel

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Chamuel (p. 32-37).


Le Trône et l’Hôtel


La fameuse crânerie du jeune duc d’Orléans était restée trop longtemps sans faire parler d’elle. Depuis ce hardi retour en France au cours duquel, sous le fallacieux prétexte de demander un fusil — il réclama une gamelle : depuis Clairvaux, où il fut joué de la trompette, le Premier Conscrit de France n’avait plus fait le moindre bruit.

Aujourd’hui, il se rattrape ; et c’est un potin du diable.

Tous les journaux sont pleins d’échos concernant un procès qui va bientôt se dérouler à Londres, procès en adultère où se trouvent mêlés les noms de M. Armstrong, de Mme Melba et de Louis-Philippe, duc d’Orléans.

— Ah ! ah ! dit un vieux légitimiste, sapredienne ! il y a du bon ; il faut qu’un petit-fils d’Henry IV ait les défauts de son aïeul. Vert galant. Très bien. Vive le Roy !


Se rappelle-t-on cette photographie représentant le duc en redingote, une énorme fleur à la boutonnière, le chapeau gris sur l’oreille, et un sourire bébête ou polisson avec des yeux en coulisse vers une jeune personne qu’il tient par-dessous le bras — et qu’il a l’air de traiter par-dessous la jambe.

Ce gros garçon avec sa face imberbe, son air allumé, et son chapeau mis de travers, donne l’illusion d’un cocher de l’Urbaine qui serait ivre.

Quant à la jeune personne, ce n’est pas Mme Melba, c’est la princesse Marguerite, la douce fiancée qui, accompagnée de la duchesse de Chartres, allait longuement visiter dans sa cellule le conscrit de Clairvaux, c’est une riche pauvrette qui doit être très désillusionnée…


Et, en lisant ce qui s’écrit sur les joyeuses frasques du royal Collignon, on est entraîné à se souvenir de cette petite Marguerite que le duc, de ses doigts courts, effeuillait avec ostentation, en une pose pour la galerie.

Un peu… beaucoup… passionnément… pas du tout !

Vainement des journaux illustrés et d’indescriptibles chromos s’employèrent à nous édifier en reproduisant de touchantes scènes de famille dans un décor de prison.

Rien qu’à la coupe de sa figure, j’aurais parié cent contre un que le petit-fils d’Henri IV avait sa place toute marquée parmi les jocrisses de l’amour.


Par exemple, comme jocrisse, il est distingué.

Presque toutes les capitales d’Europe ont été témoins des mésaventures du duc d’Orléans. C’est, à Vienne, où il fut fort mal reçu en se présentant au théâtre avec sa bonne amie gloutonnement décolletée. C’est à Saint-Pétersbourg, où son admiration pour Mme Melba était si encombrante, qu’un soir où elle jouait dans Roméo et Juliette, on dut le faire sortir de la salle du spectacle tellement il y manifestait incongrûment.

Mais le dernier coup dépasse les autres. Il frappe seul. Voilà qu’il va falloir payer cinq cent mille francs au mari dont on a ravi ce que l’on nomme couramment l’honneur.

Un curieux type aussi, ce mari, ce M. Armstrong qui s’est enrichi en Australie dans l’élevage des moutons. Longtemps il accepta sans trop protester la situation de bélier que lui faisait sa femme de concert avec Philippe ; puis, un vilain jour, lassé sans doute du sans-gêne de l’excellent petit prince qui paraissait prendre plaisir à s’afficher constamment avec Mme Armstrong-Melba, l’ancien éleveur se dressa, justicier, avec dans la main du papier timbré. Il évalue l’incident à un demi-million tout rond et, devant les tribunaux anglais, le réclame au correspondant de son épouse infidèle.

Dans une toute récente lettre adressée au duc de Luynes, monseigneur Philippe d’Orléans appelle ce dernier coup : le coup fatal du lapin !


C’est que l’héritier de la couronne est à peu près sûr de son affaire. Jocrisse aura beau se rebiffer, il devra casquer quand même. Il y a des juges à Londres qui cotent l’outrage matrimonial. De l’autre côté de la Manche, c’est à la bourse qu’on frappe Don Juan.

Qu’y faire ?

Le digne cadet d’Orléans avait bien songé à nier. Un vieux jurisconsulte de son entourage disait même, hier, dans un journal, qu’on ne réussirait peut-être pas à prouver le délit.

Encore une illusion qui s’est, aujourd’hui, forcément dissipée. Les pièces nécessaires à l’ouverture du procès ont été déposées ; la demande de divorce et de dommages-intérêts est solidement basée sur des faits. Tout a été dûment constaté. On cite le nom d’un hôtel de Vienne et l’hôtel Métropole, à Londres.


Maintenant, quant à conclure en flétrissant le libertinage des seigneurs, ce serait vieux jeu. Il faudrait monter sur les grands chevaux que j’ai rarement à ma disposition.

L’historiette est plutôt banale, il n’en ressort point d’enseignement.

À moins qu’en féal souvenir de toutes les maisons meublées dont les noms figurent au procès, on modifie l’orthographe d’un très antique cliché qui s’use : le cliché du Trône et de l’Autel.

Mettons l’Hôtel. — Et service compris, Monseigneur…