Ennéades (trad. Bouillet)/III/Livre 8/Notes

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet


LIVRE HUITIÈME.
DE LA NATURE, DE LA CONTEMPLATION ET DE L’UN.

Ce livre est le trentième dans l’ordre chronologique.

Il a été traduit en anglais par Taylor : (Five Books of Plotinus, p. 199-245) et en allemand par Creuzer (Studien herausgegeben von C. Daub und Fr. Creuzer, vol. I, p. 30-103).

M. Barthélemy-Saint-Hilaire a traduit en français le § 7 (De l’École d’Alexandrie, p. 225).

§ I. rapprochements entre plotin et les philosophes antérieurs.

Dans ce livre, Plotin s’est inspiré de Platon et d’Aristote : d’Aristote principalement quand il traite de la Nature et de la Contemplation (Voy. p. 212, 214, 216, 223, 234, notes), de Platon quand il traite de l’Un et du Bien (p. 219, 237, notes). Il paraît avoir aussi emprunté quelques idées à Philon (Voy. p. 231, 232, notes).

Les analogies que la doctrine de Plotin offre dans ce livre avec celle d’Aristote ont été déjà signalées par M. Ravaisson :

« Aux yeux de Plotin, comme à ceux d’Aristote, tout dans la Nature tend à penser. Non-seulement tout tend à penser, mais encore tout pense, autant qu’il peut, et les animaux raisonnables, et les brutes, et les plantes mêmes, avec la terre qui les porte. Selon Aristote [comme selon Plotin], non-seulement l’intelligible et l’intelligence ne font qu’un, mais encore, comme, dans l’acte de la sensation, la chose sentie, la chose sentante et la sensation même se confondent, de même et davantage encore la chose pensée, la chose pensante et la pensée même ne font qu’un, etc. » (Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. II, p. 398, 407).

M. Ravaisson a également indiqué dans le même ouvrage les différences qui existent entre la théorie d’Aristote et celle de Plotin :

Tout en s’élevant sur les traces de l’auteur de la Métaphysique, à la conception de l’identité complète de l’être et de la pensée, Plotin persiste toujours visiblement à distinguer jusque dans l’intelligence absolue l’acte d’avec la substance, et à considérer la pensée comme une manifestation, une forme d’existence, par delà et avant laquelle se trouve toujours l’être… Aristote a considéré l’être en soi, identique avec l’intelligence, comme exempt de tout mouvement et de toute différence. À l’exemple de Platon, Plotin fait de la différence et de l’identité, du mouvement et du repos, des attributs inséparables de l’être. C’est ce qu’il nomme, par une fausse analogie avec les catégories d’Aristote, les premiers Genres de l’être. À l’exemple de Platon, il tente donc de s’élever, dans la recherche du premier principe, au delà de l’être comme de l’intelligence. De l’âme, à la fois unité et multitude, il a remonté à un principe qui n’est encore à ses yeux qu’une unité multiple ; il aspire enfin à l’unité absolue… Tandis que, suivant Aristote, c’est par l’acte auquel elles tendent que les choses sont unes, et que, par conséquent, c’est dans l’être dont l’acte est la mesure que se trouve la raison de l’unité ; pour Plotin, comme pour Platon et les Pythagoriciens, c’est l’unité qui est la raison de l’être. De là, si les deux doctrines s’accordent, se côtoient dans leur marche, et souvent même coïncident l’une avec l’autre, elles se séparent enfin d’une manière décisive sur la nature du premier principe. » (Ibid., p. 412, 414, 422.) On peut rapprocher de ce jugement de M. Ravaisson sur la doctrine de notre auteur celui du P.Thomassin (Voy. p. 221, 222, 235, notes) et celui de M. Steinhart (p. 211, 223, 237, notes).

§ II. rapprochements entre plotin et synésius, saint denys l’aréopagite, saint augustin.

Nous avons indiqué dans les notes plusieurs rapprochements intéressants avec Synésius (p. 233). saint Denys l’Aréopagite (p. 225, 228), et saint Augustin (p. 227, 228, 233).

Nous ajouterons ici deux nouveaux rapprochements entre Plotin et saint Augustin :

Pour expliquer comment le Bien se communique à tous les êtres, à chacun selon sa capacité, Plotin dit (p. 227) : « Partout où vous approchez du Bien, ce qui peut en participer en vous en reçoit quelque chose. Supposez qu’une voix remplisse un désert et les oreilles des hommes qui peuvent s’y trouver : en quelque endroit que vous prêtiez l’oreille à cette voix, vous la saisirez tout entière en un sens, non tout entière dans un autre sens. »

Saint Augustin développe parfaitement cette idée dans sa Lettre clxxxvii (De præsentia Dei, § 6) :

« Si quemlibet sonum, quum corporea res sit ac transitoria, surdus non capit, surdaster non totum capit, atque, in his qui audiunt, quum pariter ei propinquant, tanto magis alius alio capit quanto est acutioris, tanto autem minus quanto est obtusioris auditus, quum ille non magís minusve insonet, sed in eo loco in quo sunt, omnibus æqualiter præsto sit : quanto excellentius Deus, natura incorporea et immutabiliter viva, qui non sicut sonus per moras temporum tendi et dividi potest, nec spatio aerio tanquam loco suo índiget, ubi præsentibus præsto sit, sed æterna stabilitate in se ipso manens, totus adesse rebus omnibus potest et singulis totus, quamvis in quibus habitat habeant cum pro suæ capacitatis diversitate, alii amplius, alii minus, quos ipse sibi dilectissimum templum gratia suæ bonitatis ædificat ! »

Nous reviendrons sur cette lettre de saint Augustin dans le tome suivant, au sujet du livre v de l’Ennéade VI, qui a pour titre : L’Être un et identique est partout présent tout entier. Nous ajouterons seulement ici que saint Augustin reproduit la même comparaison dans une autre lettre, en l’appliquant cette fois au Verbe :

Verbum Dei sic intellige, per quod facta sunt omnia, non ut ejus transire aliquid cogites et ex futuro præteritum fieri. Manet sicuti est, et ubique totum est. Venit autem quum manifestatur, et quum occultatur abscedit. Adest tamen sive occultum, sive manifestum, sicut lux adest oculis et videntis et cæci ; sed videnti adest præsens, cæco vero absens. Adest et vox audientibus auribus, adest etiam surdis : sed istis patet ; illas latet. Quid autem mirabilis quam id quod accidit in vocibus nostris verbisque sonantibus, in re scilicet raptim transitoria ? Quum enim loquimur, ne secundæ quidem syllabæ locus est, nisi prima sonare destiterit ; et tamen, si unus adest auditor, totum audit quod dicimus ; et si duo adsint, tantumdem ambo audiunt, quod et singulis totum est ; et si audiat multitude silens, non inter se particulatimm comminuunt sonos tanquam cibos, sed omne quod sonat, et omnibus totum est et singulis totum. Itane jam non illud est potius incredibile, si, verbum hominis transiens quod exhibet auribus, Verbum Dei permanens non exhiber et rebus, ut, quemadmodum hoc simul auditur a singulis etiam totum, ita illud simul ubique sit totum ? » (Lettre cxxxvii.)