Enquête sur l’évolution littéraire/Les Néo-Réalistes/M. Paul Margueritte

La bibliothèque libre.
Bibliothèque-Charpentier (p. 258-261).


M. PAUL MARGUERITTE


L’un des Cinq. Celui d’entre eux qui se rapproche le plus des psychologues, et qui a le plus d’affinité avec le talent délicat et raffiné des Goncourt. Il se complaît à noter les douces tourmentes des âmes particulièrement sentimentales. Ses romans, si je n’en oublie, s’appellent : Tous Quatre, Pascal Géfosse, Amants, Confessions posthumes. Il a écrit des pantomimes pour le théâtre. Sa fine tête de Pierrot distingué le destinait à les jouer, et il en joua, avec beaucoup de succès, au Théâtre-Libre.

Je n’ai pas pu joindre M. Paul Margueritte. Mais le lendemain de ma visite chez lui, il m’envoya, très complaisamment, les notes suivantes. Je les donne telles quelles. Elles ne répondent peut-être pas directement au programme de mon enquête, mais elles sont une si parfaite marque de bonne amitié !

— Les symbolistes ? Vous leur avez fait une grosse réclame, gratuite et libérale. Tant mieux pour eux ! La vie littéraire est dure, la concurrence acharnée, la réclame coûte cher. La vôtre leur permettra, bien mieux ! les mettra en demeure de nous donner de beaux livres, et non plus des préfaces. J’avoue cependant que leur attitude — mis à part Mallarmé, de Régnier et Charles Morice, — m’a semblé peu noble. Leur mépris pour leurs aînés et leurs camarades est chose qui me passe. Il existe pourtant, en dehors d’eux, de grands poètes, comme Maurice Bouchor. Haraucourt et Rodenbach ne sont-ils rien, non plus ?

Parlons d’autre chose, voulez-vous ? Réclame pour réclame, mieux vaut en faire à ceux dont on ne parle pas assez, qu’à ceux dont on parle de trop. Laissons de côté mes sympathies et admirations personnelles pour MM. de Goncourt et Alphonse Daudet, pour Huysmans, Lavedan, Élémir Bourges, Bonnetain, Mirbeau, Hennique, Descaves, Jules Case et J. Rosny qui mérite une épithète à part, spécifiant tout ce qu’il apporte de neuf et d’humain. Tous ces écrivains sont connus et reconnus. J’ai mieux attirer votre attention sur deux manifestations très particulières et très différentes du jeune Roman, dans la personne d’Antony Blondel et de Jean Lombard.

Voilà Blondel, par exemple ! Qui, en dehors de quelques lettrés, connaît son Camus (d’Arras), son Bonheur d’aimer ? Il va publier chez Havard un livre : le Mal moderne. La critique, complaisante aux vantards, s’intéressera-t-elle à ce modeste ? Ses romans ont, à un degré rare, l’odeur, le goût et le sens de la vie. Aucune littérature ! les sentiments et les sensations mêmes dans leur fleur ! Nul n’a mieux dépeint la plante humaine et ses dépérissements, sa lente ascension vers le jour, son épanouissement difficile au bonheur, au succès, à l’amour. Richepin a qualifié Blondel : un Saint-Simon paysan, tant ses paysans fleurent la terre. Mais il a étudié depuis des types plus complexes, une casuistique d’âme plus raffinée.

Jean Lombard ! vous connaissez sans doute ses grandes fresques hallucinées, où grouillent, en un style polychrome et d’une barbarie voulue, les foules mortes de Rome sous Héliogabale, et de Byzance sous Constantin Copronyme. On dirait d’immenses tapisseries que l’air agite, et dont les personnages vivent et défilent, le long d’une spirale où on les voit réapparaître, en des retours d’attitude et des répétitions de geste. Lombard sait rendre l’ondoiement des masses, l’enchevêtrement des rouages politiques. Rosny et lui me semblent appelés à écrire le roman social, qui sera une des formes les plus intéressantes de la littérature de l’avenir.

Il est bien d’autres jeunes de valeur ! Camille de Sainte-Croix, tenez ! Deux de ses romans déjà, dans un style de belle race, ont confessé des dandysmes du cœur, des cas de conscience singuliers. Robert Godet, pénétrant et lucide analyste du Mal d’aimer ! Georges Beaume, et ses paysans du Languedoc ; les délicats et sincères romans de Jean Blaize, François Sauvy et Amédée Pigeon. Mais à quoi bon insister ? Ils ont tous publié un, deux ou trois romans ; ils travaillent et réussiront. Car, en définitive, il n’y a que cela qui compte, le livre, la chose faite bravement, simplement, honnêtement !