Enthousiasme (Le Normand)/12

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Éditions du Devoir (p. 153-166).


XII

LE BILLET DE VINGT DOLLARS


— Tu auras à la fin quelque mésaventure…

— Mais pourquoi ?

— Je ne veux pas t’offenser, Linette, mais tu es étourdie comme une…

— Comme une linotte, c’est ce que tu veux dire ? Eh bien, tu vas me payer cette injure. Donne-moi tout de suite vingt dollars.

— Tu n’y vas pas de main morte…

— Il y a des annonces épatantes dans les journaux. Vente de laine extraordinaire, ce matin. Si tu ne veux pas que ton premier-né arrive au monde dans l’extrême dénuement, j’ai besoin de laine, de beaucoup de laine…

— Si tu en achètes pour vingt dollars, elle aura le temps de se miter sûrement, avant que tu ne la tricotes… Aussi, je te conseille d’avoir envie d’acheter autre chose…

— Des couches, des piqués, j’en ai assez pour des jumelles Dionne. Ma mère est prudente. Elle prétend que si la situation continue à être désespérée comme service, avec autant de linge, je pourrai attendre d’un jour à l’autre, d’une bonne à une autre bonne, sans m’éreinter sur la planche à laver.

— La planche à laver ? Mais ne m’as-tu pas fait acheter la plus belle des lessiveuses ?

— Sur la lessiveuse, alors.

— Mais tu prétends qu’elle lave toute seule, encore, rince, relave et re-essore et étend…

— Non, elle n’étend pas, j’ai exagéré…

— Pas possible !

— Oui ! Au moins, moi, j’ai une qualité. Je l’avoue, moi, quand je commets des fautes…

— Ce moi est-il une insinuation malveillante ?

— Probablement.

— Alors, tu n’auras pas ton vingt dollars.

— Ah ! chou, ne dis pas une monstruosité pareille.

— En tous cas, tu ne l’auras pas, si tu ne te lèves pas pour me faire mon déjeuner.

— Mais, je me lève. Un, deux, trois, go !

Linette saute d’un tel bond, que toutes les couvertures la suivent à terre.

— Oh ! là là, moi qui voulais me contenter d’abrier mon lit, et maintenant, il est tout défait. Ah ! chou, tu as raison. Je ne suis qu’une étourdie il m’arrivera des aventures.

— Et je me demande quelle sorte d’enfant nous aurons.

— Un bel enfant. Ça, je te le garantis. Je regarde de belles images depuis trois mois, et je vais continuer encore six mois… Et puis, je te regarde, aussi, et tu es beau. N’oublie pas le vingt dollars.

Elle l’embrasse en passant, lui tire les oreilles, lui secoue les cheveux et disparaît en coup de vent.

Dix minutes après, il la retrouve dans la salle à déjeuner. Le café sent bon. Le pain est en train de griller, et il sent un peu trop bon, il brûle. Il le sauve du désastre, ils se mettent à table, et elle lui raconte ses projets.

— Ne téléphone pas à midi. Personne ne répondra. Je dîne en ville avec Jeanne. Je vais d’abord à la laine, puis je la rencontre aux Délices, et nous remontons ici de bonne heure pour commencer à tricoter.

— Ton vingt dollars de laine…

— Tu sais bien que je n’en achèterai pas tant que ça…

— Alors, pourquoi vingt dollars ?

— Pour mon bas de laine, ce n’est pas la même chose…, mon bas de laine, mon compte de banque si tu veux…

— ?

— Oui, la vente, c’est le prétexte. J’ai une amie qui m’a éduquée, avant mon mariage. Elle m’a dit : « Ne refuse jamais un cadeau de ton mari, même s’il t’en fait, quand il n’en a vraiment pas les moyens ». Puis, elle m’a dit : « Demande-lui de l’argent, chaque fois que tu auras un prétexte, et demande-lui-en trop ». Elle a ajouté : « Les hommes ne connaissent pas ça, et c’est quand ils sont jeunes mariés qu’il faut les entraîner à être généreux ». Oui, et elle m’a recommandé de me faire une réserve avec les surplus, et que tu serais le premier plus tard à me remercier, parce que, dans les mauvais jours, je pourrais te sauver, empêcher la saisie de notre mobilier, ou que nous allions en prison, ou au moins, que nous crevions de faim. Car elle m’a dit : « On ne connaît jamais l’avenir ».

— Et ton amie, est-ce que ça lui a réussi sa méthode ? sa réserve ?

— Ah ! elle, elle n’en pas, ce n’est pas la même chose, elle n’en a pas besoin.

— Elle connaît l’avenir, elle ?

— Non, mais elle n’est pas mariée !

— Où a-t-elle pris son expérience ?

— Dans les ménages des autres.

— En écorniflant ?

— Oh ! non, ce n’est pas une femme comme ça. Elle ne se mêle que de ce qui la regarde.

— Oui, apparemment.

— La preuve, c’est que tu ne l’as pas même encore vue, celle-là…

— Elle ne vient jamais ?

— Elle vient, mais l’après-midi, quand tu n’y es pas. Elle ne veut pas troubler notre lune de miel.

— Ah ! c’est beau, c’est charitable.

— Oui, elle m’a dit : « Tu sais, ce temps-là, ça dure si peu. S’il fallait que toutes tes amies les vieilles filles t’en volent une parcelle, ce serait trop d’valeur ! »

— Alors, elle sape la confiance que tu as en moi ?

— Oh, non ! Qu’est-ce que tu penses. D’ailleurs, je l’ai bien avertie, que nous, notre lune de miel, elle durerait éternellement. Hein, mon chéri ? C’est vrai ?

— Espérons-le.

Elle l’embrasse, le dépeigne de nouveau.

— Linette, cesse ! Bon, me voici encore en retard. Je me sauve.

— Mon vingt dollars !

— Sous ta brosse, sur la coiffeuse.

— Ah ! merci ! Tu es un ange. Bonjour, chou…

— Ne m’appelle pas Chou…

— Bonjour, Jules…

— Bonjour, Linette.

Le mari parti, Linette se précipite, fait sa chambre, range la vaisselle, court d’un bout de l’appartement à l’autre en chantant, vidant les cendriers, remettant, tout en place, car c’est une linotte, mais qui a de l’ordre. Et pour tout l’or du monde, elle ne partirait pas pour magasiner, laissant tout en plan.

Et puis, elle fait sa toilette. Car son état a beau être intéressant, elle est encore coquette et élégante. Son trousseau tout neuf lui offre une abondance de manteaux, de blouses, de tailleurs, de robes, de chapeaux. Choisir est long. Ajuster aussi. Puis se mettre du rouge sur les joues, — oh, à peine, — et de la poudre, et placer son chapeau…

Aussi chic qu’un mannequin et l’air aussi heureux, Linette part enfin. À dix heures, le tramway n’est plus rempli, heureusement, elle s’y installe commodément, et examine, autour d’elle et ensuite regarde dehors. Linette n’a pas le tempérament bien poétique, mais elle est sensible aux beautés de la nature. Et ce tramway 65, à un moment donné, quand il enjambe le dos de la montagne et laisse voir l’horizon au delà du grand fleuve et la ville plus basse, réussit toujours à éveiller son enthousiasme. Si bien qu’il faut qu’elle le dise à quelqu’un. Elle se tourne vers sa voisine et s’exclame :

— Est-ce assez beau !

Le fait est qu’il y a eu un dégel, puis la neige est tombée et s’est collée à la glace qui givrait les branches, et tous les arbres sont devenus de grands candélabres de cristal. Le ciel est au-dessus d’un bleu foncé, incroyable. Le soleil brille et dore le tout. Trouvez-moi, pense Linette, un paysage plus splendide dans un autre pays… et elle répète :

— Est-ce assez beau !

La voisine souriant encore sans répondre, elle risque :

Is it n’t grand !

Ce sont les mots qu’il fallait. La conversation s’engage.

Converser avec Linette, c’est écouter. Elle est plus qu’affable, et l’autre, celle qu’elle appelle en elle-même l’Anglaise, étant jeune et jolie, l’inspire. Au coin de Sainte-Catherine, ni l’une, ni l’autre ne quittant le 65, il devient évident qu’elles vont toutes les deux à la vente de laine, et effectivement, c’est bien cela.

Elles descendent donc ensemble, au coin du grand magasin. Elles montent dans le même ascenseur, toujours causant, et elles arrivent au rayon pour constater qu’une armée de femmes l’a déjà envahi : Les balles de laine volent de l’une à l’autre. On se pousse, on se bouscule, on s’excuse, ou l’on proteste et s’injurie. Elles font le tour de cet amas de fourmis collées en triple rang au comptoir. L’Anglaise semble vouloir abandonner l’impossible entreprise. Limette a plus de vigueur, elle la retient, lui demande ce qu’elle veut, lui commande de tenir sa bourse, ses gants, et elle se faufilera pour deux.

L’Anglaise veut du vert bouteille. C’est beaucoup moins demandé que du rose et du bleu pour bébés. Linette part, s’insinue aimablement entre deux femmes, puis deux autres et la voilà au premier rang. Bientôt, elle a six balles de vert bouteille qu’elle serre sur son cœur, et elle se glisse en sens inverse, presque aussi difficilement, car tout le monde veut entrer dans le vide qu’elle vient de créer.

Elle arrive à l’Anglaise, lui remet les balles, lui accroche une vendeuse, lui laisse encore sa bourse, et repart pour excursionner à son compte, cette fois.

La cohue a encore augmenté. Elle réussit à se faufiler mais dans un grand parterre de laine rouge. Qu’est-ce qu’il aurait l’air, son petit, dans cela, son mari a beau être libéral ! et nous avons beau être en guerre… Elle ressort, et avant de se glisser ailleurs, vient voir si son amie d’occasion tient toujours bon. L’autre est là, appuyée à une table. Et en s’approchant, Linette voit sous cette table des boîtes blanches, et curieuse, se penche, en ouvre une ; c’est de la laine du plus beau bleu du monde. Garçon ou fille, il faudra que son héritier s’en contente. Elle s’en prend vingt balles, attrape une vendeuse qu’elle connaît et dit :

— C’est pour mettre à mon compte et envoyer.

Elle donne son nom, son adresse, se hâte, et quand elle se retourne, elle voit qu’un peloton de femmes s’est détaché de la grande table et s’est jeté sur les boîtes qu’elle a découvertes et les vide.

Une vendeuse dit : « Mon Dieu, c’était la réserve ! »

Mais il n’y a pas à protester, le mal est fait. Il faut tout laisser partir. Dix futures mamans la supplient. Et après tout… c’était pour vendre.

Ouf ! Elles se sentent dépeignées, froissées, les deux amies d’occasion, mais elles ont obtenu ce qu’elles désiraient. Linette veut aller se refaire une beauté au salon des dames. L’autre aussi. Une fois devant les miroirs et les lavabos, autant aller ailleurs aussi. Encore une fois, elles s’offrent mutuellement de tenir les bourses…

Linette attend poliment que l’autre, à son tour, sorte de la cabine. Et c’est alors que se produit le drame.

En éclair, pendant que l’autre est enfermée, lui revient la prédiction de son mari : « Tu finiras par avoir des mésaventures ». Elle pense soudain qu’elle a laissé une parfaite étrangère tenir sa bourse tout l’avant-midi, sa bourse où il y avait un vingt dollars tout neuf fiché sur le dessus, — elle ne se rappelle même pas où elle l’a mis, — et beaucoup de monnaie. Elle ouvre vite son sac, elle ne voit plus le gros billet. Elle ouvre la bourse de l’autre. Un vingt dollars est sur le dessus d’un beau désordre. Elle s’en empare sans hésiter, referme le sac, et attend son amie d’occasion, décidée à disparaître ensuite sans laisser de trace !

Tout cela en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. L’autre sort. Linette, comédienne, consulte sa montre, s’exclame. Elle sera en retard. Elles se quittent en se remerciant mutuellement. Linette est bouillante d’indignation quand elle arrive aux Délices. Et elle raconte son aventure à Jeanne du premier au dernier mot.

— Mais de quoi avait-elle l’air ? d’une personne bien ?

— Très bien. C’est une Américaine. C’est tout ce que j’en sais. Non, mais l’hypocrite ! Et moi qui ai presque déchiré mon beau manteau, à me faire tirailler pour lui trouver sa laine ! Et mon dévouement m’aurait coûté vingt piastres, si je n’avais pas eu cette idée lumineuse… J’en suis absolument bouleversée…

— Bah ! puisque tu l’as ! Mangeons. Ça va passer.

— Et ce beau Jules, qui, pas plus tard que ce matin m’a prédit des aventures. Il ne savait pas si bien dire ! Il trouve que j’ai vraiment trop de façon. Trouves-tu qu’il a tort ? Mais c’était si amusant d’être sur le même banc du 65 et de s’en aller à la même vente. Et puis, elle me plaisait cette Anglaise, pour une fois. Je me disais : Qui sait ?…ça me fera peut-être une amie et ça me permettra de pratiquer mon anglais…

Elles dînèrent, parlèrent d’autre chose, et Linette qui était en vérité un peu linotte, oubliait déjà l’incident.

— Mais tu n’as pas ton colis ? Où est ta laine ?

— Si tu penses que j’étais pour traîner ça, je l’ai fait envoyer.

— Comment pourrais-je alors, te monter ton gilet cet après-midi ?

— Ah ! c’est vrai. Eh bien, nous ferons autre chose. J’en avais acheté tellement ! La vendeuse me connaissait. Elle ne devait pas m’en vendre autant. Mais elle a consenti à inscrire cela sur deux factures, comme si j’étais deux personnes, ce que je suis en réalité, à peu près… Mais que je suis fatiguée ! Tu n’as pas vu la bataille, toi ! Tu n’as pas idée de ce que c’était. Quand j’y pense…

Elles reprirent le 65. En approchant du séminaire de philosophie, Linette fit admirer à Jeanne le magnifique point de vue :

— C’est ici que je n’ai pas pu m’empêcher de parler à ma voisine. Regarde-moi ce ciel, ces arbres, ce soleil ! Ah ! je sais, j’ai trop d’enthousiasme.

Le trajet fut vite fait. Elles montèrent à l’appartement, jetèrent leurs manteaux et leurs chapeaux sur le lit.

Puis, Linette s’approcha de la coiffeuse pour se regarder, prit la brosse à cheveux et poussa un cri affreux…

Un vrai cri de terreur.

Jeanne fut tout de suite auprès d’elle.

— Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait !

— Mais calme-toi. Qu’y a-t-il ? Tu n’es pas malade ?

— Non, mais je te dis que c’est épouvantable. Là, là, regarde.

Jeanne ne vit d’abord que les objets de toilette en argent bien poli, mais en suivant le regard affolé de son amie, elle aperçut le billet de vingt dollars tout neuf, resté où Jules l’avait déposé le matin. Linette avait pourtant cru le mettre dans sa bourse !

— Que faire ! Je ne sais ni son nom, ni son adresse. Et si je les savais, comment aller lui dire que je l’ai prise pour une voleuse ? Et elle, peut-être a-t-elle remarqué mon nom et mon adresse quand je les ai donnés à la vendeuse, et elle va m’envoyer un agent de police ! Mon Dieu, mon Dieu, que vais-je devenir ?

— Au premier abord, il est certain que le problème parait insoluble… Réfléchissons.

— Moi, je ne vois pas d’autre chose à faire qu’à attendre l’agent de police…

— Réfléchis, je te dis. Voyons, si la même chose t’était arrivée, si en ouvrant ta bourse, tu n’avais plus vu le vingt dollars, qu’est-ce que tu aurais pensé ?

— Qu’est-ce que j’aurais pensé ! Mais c’t’histoire, tu le sais, ce que j’ai pensé et ce que j’ai fait ! C’est parce que j’ai pensé qu’elle me l’avait volé que je l’ai ce malheureux billet !

— Oui, je sais. Mais elle, elle a sorti de l’argent pour payer sa laine verte. Elle ne l’a pas fait marquer comme toi. Alors, elle peut ou croire que tu as pris son vingt dollars, ou qu’elle l’a échappé en sortant un deux dollars pour payer sa laine.

— C’est vrai, par exemple. Et alors ?

— Alors, elle a dû retourner au magasin et s’informer si quelqu’un d’honnête avait ramassé le billet…

— Quelqu’un d’honnête, pas moi ! Alors ?

— Téléphone à la vendeuse que tu connais et demande-lui si ma supposition tombe juste…

— Ah ! J’suis trop énervée. Téléphone, toi. C’est la vendeuse numéro treize. Et si l’autre a laissé son adresse, c’est toi qui iras le lui porter et mon honneur sera sauf ! ouf !

Elle pousse maintenant sur Jeanne.

— Va, vite. Téléphone. Et pendant ce temps-là, moi, je vais prier saint Antoine, pour qu’il lui fasse retrouver son vingt piastres !

Jeanne avait bien deviné. Une dame était en effet venue demander si l’on avait trouvé un billet de vingt dollars. Elle avait laissé son adresse. Rue de l’Oratoire. Et c’était à deux pas, quel bonheur ! Jeanne vint avec tous ces délicieux renseignements.

— R’habille-toi. Prends le fameux billet. Vas-y tout de suite, ou je meurs. Ah ! quelle Providence, que tu sois revenue avec moi. Sans ça, qu’est-ce que j’aurais fait, dis ? Mettons-le dans une enveloppe, au cas où elle ne serait pas là. Avec un mensonge, mais lequel ? Mais tu n’as pas besoin de mensonge. C’est normal de ne pas remettre le vingt dollars, au magasin, et de prendre la chance que ce soit toi qui en hérites, s’il n’est pas réclamé. Pas de mensonge, alors, rien que des amitiés. Et si elle va te trouver chic de ne pas demander de récompense. Ouf ! quel soulagement. J’fais du café en t’attendant. Et que nous serons heureuses tout à l’heure, moi, surtout !

Jeanne revint. Elle avait vu la jeune femme qu’elle avait trouvée charmante. Celle-ci avait expliqué qu’elle tenait deux bourses et un manchon, lorsqu’elle avait payé sa laine…

— J’ai failli dire : votre laine verte ! raconta Jeanne, et qu’elle avait alors fait tomber le vingt piastres qui était sur le dessus.

— Tu parles ! C’est saint Antoine qui lui a mis ça dans la tête ! Que je suis contente. Que je suis contente. Sans compter que tu l’as trouvée charmante ? et qu’elle reste à deux pas. Je ne suis plus déshonorée, je pourrai renouer amitié et pratiquer mon anglais…

— Mais un conseil, ma vieille. Ne raconte pas ton aventure à ton mari. S’il t’avait prédit des aventures, ne va pas lui donner raison.

— Mais pourquoi ! Le pauv’chéri, y sera si heureux d’avoir raison !…

Sa terreur évanouie, Linette trouve d’ailleurs son histoire si cocasse, qu’elle la raconte à trois de ses amies, entre cinq et six heures. Quand Jules arrive, elle court à la porte, l’embrasse avec effusion en l’appelant :

— Prophète de malheur, prophète de malheur !

— Pourquoi, s’il vous plaît ?

— Parce que c’est la vérité.

— Parce que tu m’avais prédit des mésaventures et que…

— Et que tu en as à me raconter ? Rien de nouveau.

— Eh bien, tu te trompes. C’est du nouveau, de l’extraordinaire. Écoute plutôt.

Elle le fit passer par les affres de la peur, du désespoir, de la honte, presque de la prison, et puis, l’amena à la béatitude de la délivrance.

— Pour du nouveau, Linette, c’est du nouveau. Tu m’en fais voir de toutes les couleurs.

— J’t’en fais voir ! Mais c’est moi qui en ai vu de toutes les couleurs ? C’est moi que tu dois plaindre ! Ah ! Jules, songe que sans l’ingéniosité de Jeanne et de saint Antoine, je gardais jusqu’à la fin de mes jours ce vingt dollars sur la conscience ! Ah ! Jules, je jure sur ce que j’ai de plus cher au monde, de ne plus jamais parler à des inconnus, jamais, jamais !

— Et qu’est-ce que tu as de plus cher au monde ?

— Toi, toi !