Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre premier/Chapitre XII

La bibliothèque libre.


CHAPITRE XII.

Comment les races se sont séparées physiologiquement, et quelles variétés elles ont ensuite formées par leurs mélanges. Elles sont inégales en force et en beauté.

Il est bon d’éclairer complètement la question des influences cosmogoniques, puisque les arguments qui en sortent sont ceux dont je me contente ici. Le premier doute à écarter est le suivant : Comment les hommes, réunis sur un seul point par suite d’une origine commune, ont-ils pu être exposés à des actions physiques totalement diverses ? Et si leurs groupes, quand les différences de races ont commencé, étaient déjà assez nombreux pour se répandre dans des climats distincts, comment se fait-il qu’ayant à lutter contre des difficultés immenses, telles que traversées de forêts profondes et de contrées marécageuses, de déserts de sable ou de neige, passages de fleuves, rencontres de lacs et d’océans, ils soient parvenus à réaliser des voyages que l’homme civilisé, avec toute sa puissance, n’accomplit encore qu’avec grand-peine ? Pour répondre à ces objections, il faut examiner quelle a pu être la première station de l’espèce.

C’est une notion fort ancienne, et adoptée par de grands esprits des temps modernes, tels que Georges Cuvier, que les différents systèmes de montagnes ont dû servir de points de départ à certaines catégories de races. Ainsi les blancs, et même quelques variétés africaines, qui, par la forme de la tête osseuse, se rapprochent des proportions de nos familles, auraient eu leur première résidence dans le Caucase. La race jaune serait descendue des hauteurs glacées de l’Altaï. À leur tour, les tribus de nègres prognathes auraient, sur les versants méridionaux de l’Atlas, construit leurs premières cabanes, tenté leurs premières migrations ; et, de cette façon, ce que les temps originels auraient le mieux connu, ce seraient précisément ces lieux redoutables, de difficile accès, pleins de sombres horreurs, torrents, cavernes, glaces, neiges éternelles, infranchissables abîmes ; tandis que toutes les terreurs de l’inconnu se seraient trouvées, pour nos plus antiques parents, dans les plaines découvertes, sur les grandes rives des fleuves, des lacs et des mers.

Le motif premier qui semble avoir conduit les philosophes anciens à émettre cette théorie, et les modernes à la renouveler, c’est l’idée que, pour traverser les grandes crises physiques de notre globe, l’espèce humaine a dû se rallier sur des sommets où les flots des déluges ne pouvaient l’atteindre. Mais cette application agrandie et généralisée de la tradition de l’Ararat, bien que convenant peut-être à des époques postérieures aux temps primitifs, à des temps où les populations avaient déjà couvert la face du monde, devient tout à fait inadmissible pour les temps où précisément l’espèce a dû naître dans le calme au moins relatif de la nature, et, soit dit en passant, elle est tout à fait contraire aux notions d’unité de l’espèce. De plus, les montagnes ont toujours été, dès les temps les plus reculés, l’objet d’une profonde crainte, d’un respect superstitieux. C’est là que toutes les mythologies ont placé le séjour des dieux. C’est sur la cime nuageuse de l’Olympe, c’est sur le mont Mérou que les Grecs et les Brahmes ont rêvé leurs assemblées divines ; c’est sur le haut du Caucase que Prométhée souffrait le châtiment mystérieux d’un crime plus mystérieux encore ; et, si les hommes avaient commencé par habiter ces hautes retraites, il est peu probable que leur imagination les eût ainsi relevées si fort que de les porter jusque dans le ciel. On vénère médiocrement ce que l’on a vu, connu, foulé aux pieds : il n’y aurait eu de divinités que dans les eaux et les plaines. Je suis donc induit à admettre l’idée contraire, et à supposer que les terrains découverts et plats ont été les témoins des premiers pas de l’homme. Du reste, c’est la notion biblique (1)[1], et du moment où le premier séjour se trouve ainsi établi, les difficultés des migrations sont sensiblement diminuées ; car les terrains plats, généralement coupés par des fleuves, aboutissent à des mers, et il n’est plus besoin de se préoccuper de la traversée bien autrement difficile des forêts, des déserts et des grands marécages.

Il y a deux genres de migrations : les unes volontaires ; de celles-là il ne saurait être question dans les âges tout à fait génésiaques. Les autres sont imprévues et plus possibles et plus probables encore chez des sauvages imprudents, maladroits, que chez des nations perfectionnées. Il suffit d’une famille embarquée sur un radeau qui dérive, de quelques malheureux surpris par une irruption de la mer, cramponnés à des troncs d’arbres et saisis par les courants, pour donner la raison d’une transplantation lointaine. Plus l’homme est faible, plus il est le jouet des forces inorganiques. Moins il a d’expérience, plus il obéit en esclave à des accidents qu’il n’a pas su prévoir et qu’il ne peut éviter. On connaît des exemples frappants de la facilité avec laquelle des êtres de notre espèce peuvent être transportés, malgré eux, à des distances considérables. Ainsi l’on raconte qu’en 1696, deux pirogues d’Ancorso, montées d’une trentaine de sauvages, hommes et femmes, furent saisies par le mauvais temps, et, après avoir vogué quelque temps à la dérive, arrivèrent enfin à l’une des îles Philippines, Samal, distante de trois cents lieues du point d’où les pirogues étaient parties. Autre exemple : Quatre naturels d’Ulea, se trouvant dans un canot, furent emportés par un coup de vent, errèrent pendant huit mois en mer, et finirent par arriver à l’une des îles de Radack, à l’extrémité orientale de l’archipel des Carolines, ayant ainsi fait involontairement une traversée de 550 lieues. Ces malheureux vivaient uniquement de poisson ; ils recueillaient les gouttes de pluie avec le plus grand soin. Cette ressource venait-elle à leur manquer, ils plongeaient au fond de la mer et buvaient de cette eau, qui, dit-on, est moins salée. Il va sans dire qu’en arrivant à Radack, les navigateurs étaient dans l’état le plus déplorable ; cependant ils se remirent assez promptement, et recouvrèrent la santé (1)[2].

Ces deux citations suffisent pour rendre admissible l’idée d’une rapide diffusion de certains groupes humains dans des climats très différents, et sous l’empire des circonstances locales les plus opposées. Si, cependant, il fallait encore d’autres preuves, on pourrait parler de la facilité avec laquelle les insectes, les testacés, les plantes, se répandent partout, et certainement il n’est pas nécessaire de démontrer que ce qui arrive pour les catégories d’êtres que je viens de nommer est, à plus forte raison, moins difficile pour l’homme (2)[3]. Les testacés terrestres sont entraînés dans la mer par la destruction des falaises, puis emportés jusqu’à des plages lointaines au moyen des courants. Les zoophytes, attachés à la coquille des mollusques, ou laissant flotter leurs bourgeons sur la surface de l’Océan, vont, où les vents les emportent, établir de lointaines colonies ; et ces mêmes arbres d’espèces inconnues, ces mêmes poutres sculptées qui, dans le XVe siècle, vinrent s’échouer, après tant d’autres inobservées, sur les côtes des Canaries, et servant de texte aux méditations de Christophe Colomb, contribuèrent à la découverte du nouveau monde, portaient probablement aussi, sur leurs surfaces, des œufs d’insectes, que la chaleur d’une sève nouvelle devait faire éclore bien loin du lieu de leur origine et du terrain où vivaient leurs congénères.

Ainsi nulle difficulté à ce que les premières familles humaines aient pu habiter promptement des climats très divers, des lieux très éloignés les uns des autres. Mais, pour que la température et les circonstances locales qui en résultent soient diverses, il n’est pas nécessaire, même dans l’état actuel du globe, que les lieux se trouvent à de longues distances. Sans parler des pays de montagnes, comme la Suisse, où, dans l’espace d’une à deux lieues de terrain, les conditions de l’atmosphère et du sol varient tellement que l’on y trouve confondues, en quelque sorte, la flore de la Laponie et celle de l’Italie méridionale ; sans rappeler que l’Isola Madre, sur le lac Majeur, nourrit des orangers en pleine terre, de grands cactus et des palmiers nains à la vue du Simplon, personne n’ignore combien la température de la Normandie est plus rude que celle de l’île de Jersey. Dans un triangle étroit, et sans qu’il soit besoin de faire appel aux déductions de l’orographie, nos côtes de l’ouest présentent le spectacle le plus varié en fait d’existences végétales (1)[4].

Quelle ne devait pas être la valeur des contrastes, sur l’espace le plus resserré, dans les époques redoutables au lendemain desquelles se reporte la naissance de notre espèce! Un seul et même lieu devenait aisément le théâtre des plus grandes révolutions atmosphériques, lorsque la mer s’en éloignait ou s’en approchait par l’inondation ou la mise à sec des régions voisines ; lorsque des montagnes s’élevaient, tout à coup, en masses énormes, ou s’abaissaient au niveau commun du globe, de manière à laisser des plaines remplacer leurs crêtes ; lorsque, enfin, des tressaillements dans l’axe de la terre et, par suite, dans l’équilibre général et dans l’inclinaison des pôles sur l’écliptique, venaient troubler l’économie générale de la planète.

On doit ainsi considérer comme écartée toute objection tirée de la difficulté du changement de lieux et de température aux premiers âges du monde, et rien ne s’oppose à ce que la famille humaine ait pu, soit étendre fort loin quelques-uns de ses groupes, soit, en les conservant réunis tous dans un espace assez resserré, les voir subir des influences très multiples. C’est de cette manière que purent se former les types secondaires dont sont descendues les branches actuelles de l’espèce. Quant à l’homme de la création première, quant à l’Adamite, puisqu’il est impossible de rien savoir de ses caractères spécifiques, ni combien chacune des familles nouvelles a conservé ou perdu de sa ressemblance, laissons-le, tout à fait, en dehors de la controverse. De cette façon, nous ne remontons pas plus haut dans notre examen que les races de seconde formation. Je rencontre ces races bien caractérisées au nombre de trois seulement : la blanche, la noire et la jaune (1)[5]. Si je me sers de dénominations empruntées à la couleur de la peau, ce n’est pas que je trouve l’expression juste ni heureuse, car les trois catégories dont je parle n’ont pas précisément pour trait distinctif la carnation, toujours très multiple dans ses nuances, et on a vu plus haut qu’il s’y joignait des faits de conformation plus importants encore. Mais, à moins d’inventer moi-même des noms nouveaux, ce que je ne me crois pas en droit de faire, il faut bien me résoudre à choisir, dans la terminologie en usage, des désignations non pas absolument bonnes, mais moins défectueuses que les autres, et je préfère décidément celles que j’emploie ici et qui, après avertissement préalable, sont assez inoffensives, à tous ces appellatifs tirés de la géographie ou de l’histoire, qui ont jeté tant de désordre sur un terrain déjà assez embarrassé par lui-même. Ainsi, j’avertis, une fois pour toutes, que j’entends par blancs ces hommes que l’on désigne aussi sous le nom de race caucasique, sémitique, japhétide. J’appelle noirs, les Chamites, et jaunes, le rameau altaïque, mongol, finnois, tatare. Tels sont les trois éléments purs et primitifs de l’humanité. Il n’y a pas plus de raisons d’admettre les vingt-huit variétés de Blumenbach que les sept de M. Prichard, l’un et l’autre classant dans leurs séries des hybrides notoires. Chacun des trois types originaux, en son particulier, ne présenta probablement jamais une unité parfaite. Les grandes causes cosmogoniques n’avaient pas seulement créé dans l’espèce des variétés tranchées : elles avaient aussi, sur les points où leur action s’était exercée, déterminé, dans le sens de chacune des trois variétés principales, l’apparition de plusieurs genres qui possédèrent, outre les caractères généraux de leur branche, des traits distinctifs particuliers. Il n’y eut pas besoin de croisements ethniques pour amener ces modifications spéciales ; elles préexistèrent à tous les alliages. C’est vainement qu’on chercherait aujourd’hui à les constater dans l’agglomération métisse qui constitue ce qu’on nomme la race blanche. Cette impossibilité doit exister aussi pour la jaune. Peut-être le type mélanien s’est-il conservé pur quelque part ; du moins, il est certainement resté plus original, et il démontre ainsi, sur le vu même, ce que nous pouvons, pour les deux autres catégories humaines, admettre, non pas d’après le témoignage de nos sens, mais d’après les inductions fournies par l’histoire.

Les nègres ont continué d’offrir différentes variétés originelles, telles que le type prognathe à chevelure laineuse, celui du nègre hindou du Kamaoun et du Dekkhan, celui du Pélagien de la Polynésie. Très certainement des variétés se sont formées entre ces genres au moyen de mélanges, et c’est de là que dérivent, tant pour les noirs que pour les blancs et les jaunes, ce qu’on peut appeler les types tertiaires.

On a relevé un fait bien digne de remarque, dont on prétend se servir aujourd’hui comme d’un critérium sûr pour reconnaître le degré de pureté ethnique d’une population. C’est la ressemblance des visages, des formes, de la constitution et, partant, des gestes et du maintien. Plus une nation serait exempte d’alliage et plus tous ses membres auraient en commun ces similitudes que j’énumère. Plus au contraire elle se serait croisée, et plus on trouverait de différences dans la physionomie, la taille, le port, l’apparence enfin des individualités. Le fait est incontestable, et le parti à en tirer est précieux ; mais ce n’est pas tout à fait celui que l’on pense.

La première observation qui a fait découvrir ce fait, a eu lieu sur des Polynésiens ; or, les Polynésiens ne sont pas une race pure, tant s’en faut, puisqu’ils sont issus de mélanges différemment gradués entre les noirs et les jaunes. La transmission intégrale du type dans les différents individus n’indique donc pas la pureté de la race, mais seulement ceci : que les éléments, plus ou moins nombreux, dont cette race est composée, sont arrivés à se fondre parfaitement ensemble, de manière à ce que la combinaison en est, à la fin, devenue homogène, et que chaque individu de l’espèce n’ayant pas, dans les veines, d’autre sang que son voisin, il n’y a pas moyen qu’il en diffère physiquement. De même que les frères et sœurs se ressemblent souvent, comme provenant d’éléments semblables, ainsi, lorsque deux races productrices sont parvenues à s’amalgamer si complètement qu’il n’y a plus dans la nation de groupes ayant plus de l’essence de l’une que de l’autre, il s’établit, par équilibre, une sorte de pureté fictive, un type artificiel, et tous les nouveau-nés en apportent l’empreinte.

De cette façon, le type tertiaire, dont j’ai défini le mode de formation, put avoir de bonne heure le cachet faussement attribué à la pureté absolue et vraie de race, c’est-à-dire la ressemblance de ses individualités, et cela fut possible dans un délai d’autant plus court que deux variétés d’un même type furent relativement peu différentes entre elles. C’est pour ce motif que, dans une famille, si le père appartient à une nation autre que celle de la mère, les enfants ressembleront soit à l’un, soit à l’autre de leurs auteurs, et auront peine à établir une identité de caractères physiques entre eux ; tandis que, si les parents sont issus tous deux d’une même souche nationale, cette identité se produira sans aucune peine.

Il est encore une loi à signaler avant d’aller plus loin : les croisements n’amènent pas seulement la fusion de deux variétés. Ils déterminent la création de caractères nouveaux, qui deviennent dès lors le côté le plus important par lequel on puisse envisager un sous-genre. On va en voir bientôt des exemples. Je n’ai pas besoin d’ajouter, ce qui s’entend assez de soi, que le développement de cette originalité nouvelle ne peut être complet sans cette condition que la fusion des types générateurs sera préalablement parfaite, sans quoi la race tertiaire ne pourrait passer pour véritablement fondée. On devine donc qu’il faut ici des conditions de temps d’autant plus considérables, que les deux nations fusionnées seront plus nombreuses. Jusqu’à ce que le mélange soit complet et que la ressemblance et l’identité physiologique des individualités aient été établies, il n’y a pas sous-genre nouveau, il n’y a pas développement normal d’une originalité propre, bien que composite ; il n’existe que la confusion et le désordre qui naissent toujours de la combinaison inachevée d’éléments naturellement étrangers l’un à l’autre.

Nous n’avons qu’une très faible connaissance historique des races tertiaires. Ce n’est qu’aux débuts les plus brumeux des chroniques humaines que nous pouvons entrevoir, sur certains points, l’espèce blanche dans cet état qui ne paraît, nulle part, avoir duré longtemps. Les penchants essentiellement civilisateurs de cette race d’élite la poussaient constamment à se mélanger avec les autres peuples. Quant aux deux types jaune et noir, là où on les trouve à cet état tertiaire, ils n’ont pas d’histoire, car ce sont des sauvages (1)[6].

Aux races tertiaires en succèdent d’autres que j’appellerai quartenaires. Elles proviennent de l’hymen de deux grandes variétés. Les Polynésiens nés du mélange du type jaune avec le type noir (2)[7], les mulâtres, produits par les blancs et les noirs, voilà des générations qui appartiennent au type quartenaire. Inutile de faire remarquer, une fois de plus, que le nouveau type unit d’une manière plus ou moins parfaite des caractères spéciaux aux traits qui rappellent sa double descendance.

Du moment qu’une race quartenaire est encore modifiée par l’intervention d’un type nouveau, le mélange ne se pondère plus que difficilement, ne se combine plus que lentement et a grand-peine à se régulariser. Les caractères originels entrés dans sa composition, déjà considérablement affaiblis, sont de plus en plus neutralisés. Ils tendent à disparaître dans une confusion qui devient le principal cachet du nouveau produit. Plus ce produit se multiplie et se croise, plus cette disposition augmente. Elle arrive à l’infini. La population où on la voit s’accomplir est trop nombreuse pour que l’équilibre ait quelque chance de s’établir avant des séries de siècles. Elle ne présente qu’un spectacle effrayant d’anarchie ethnique. Dans les individualités, on retrouve, çà et là, tel trait dominant qui rappelle d’une manière sûre que cette population a dans les veines du sang de toute provenance. Tel homme aura la chevelure du nègre, tel autre le faciès mongol ; celui-ci les yeux du Germain, celui-là la taille du Sémite, et ce seront tous des parents ! Voilà le phénomène offert par les grandes nations civilisées, et on l’observe surtout dans leurs ports de mer, leurs capitales et leurs colonies, lieux où les fusions s’accomplissent avec le plus de facilité. À Paris, à Londres, à Cadix, à Constantinople, on trouvera, sans sortir de l’enceinte des murs, et en se bornant à l’observation de la population qui se dit indigène, des caractères appartenant à toutes les branches de l’humanité. Dans les basses classes, depuis la tête prognathe du nègre jusqu’à la face triangulaire et aux yeux bridés du Chinois, on verra tout ; car, depuis la domination des Romains principalement, les races les plus lointaines et les plus disparates ont fourni leur contingent au sang des habitants de nos grandes villes. Les invasions successives, le commerce, les colonies implantées, la paix et la guerre ont contribué, à tour de rôle, à augmenter le désordre, et si l’on pouvait remonter un peu haut sur l’arbre généalogique du premier homme venu, on aurait chance d’être étonné de l’étrangeté de ses aïeux (1)[8].

Après avoir établi la différence physique des races, il reste encore à décider si ce fait est accompagné d’inégalité, soit dans la beauté des formes soit dans les mesures de la force musculaire. La question ne saurait rester longtemps douteuse.

J’ai déjà constaté que, de tous les groupes humains, ceux qui appartiennent aux nations européennes et à leur descendance sont les plus beaux. Pour en être pleinement convaincu, il suffit de comparer les types variés répandus sur le globe, et l’on voit que depuis la construction et le visage, en quelque sorte, rudimentaire du Pélagien et du Pécherai jusqu’à la taille élevée, aux nobles proportions de Charlemagne, jusqu’à l’intelligente régularité des traits de Napoléon, jusqu’à l’imposante majesté qui respire sur le visage royal de Louis XIV, il y a une série de gradations par laquelle les peuples qui ne sont pas du sang des blancs approchent de la beauté, mais ne l’atteignent pas.

Ceux qui y touchent de plus près sont nos plus proches parents : telles la famille ariane dégénérée de l’Inde et de la Perse, et les populations sémitiques les moins rabaissées par le contact noir (2)[9]. À mesure que toutes ces races s’éloignent trop du type blanc, leurs traits et leurs membres subissent des incorrections de formes, des défauts de proportion qui, en s’amplifiant, de plus en plus, chez celles qui nous sont devenues étrangères, finissent par produire cette excessive laideur, partage antique, caractère ineffaçable du plus grand nombre des branches humaines. On n’en est plus à écouter la doctrine reproduite par Helvétius dans son livre de l’Esprit, et qui consiste à faire de la notion du beau une idée purement factice et variable. Que tous ceux qui pourraient conserver encore quelques scrupules à cet égard consultent l’admirable essai de M. Gioberti (1)[10], il ne leur restera rien à contester. Nulle part on n’a mieux démontré que le beau est une idée absolue et nécessaire, qui ne saurait avoir une application facultative, et c’est en vertu des principes solides établis par le philosophe piémontais que je n’hésite pas à reconnaître la race blanche pour supérieure en beauté à toutes les autres, qui, entre elles, diffèrent encore dans la mesure où elles se rapprochent ou s’éloignent du modèle qui leur est offert. Il y a donc inégalité de beauté dans les groupes humains, inégalité logique, expliquée, permanente et indélébile.

Y a-t-il aussi inégalité de forces ? Sans contredit, les sauvages de l’Amérique, comme les Hindous, sont de beaucoup nos inférieurs sur ce point. Les Australiens se trouvent dans le même cas. Les nègres ont également moins de vigueur musculaire (2)[11]. Tous ces peuples supportent infiniment moins les fatigues. Mais il y a lieu de distinguer entre la force purement musculaire, celle qui n’a besoin pour vaincre que de se déployer à un seul moment donné, et cette puissance de résistance dont le caractère le plus remarquable est la durée. Cette dernière est plus typique que la première, qui rencontrerait au besoin des rivales, même dans les races les plus notoirement faibles. La pesanteur du poing, si on voulait la prendre comme unique critérium de la force, trouve chez des peuplades nègres fort abruties, chez des Nouveaux-Zélandais très débilement constitués, chez des Lascars, chez des Malais, quelques individus qui peuvent l’exercer de manière à contre-balancer les exploits de la populace anglaise ; tandis qu’à prendre les nations en masse, et en les jugeant d’après la somme de travaux qu’elles endurent sans fléchir, la palme appartient à nos peuples de race blanche.

Parmi ces peuples même, pour la force comme pour la beauté, l’inégalité se rencontre encore dans les différents groupes tout aussi bien, quoiqu’à un degré inférieur. Les Italiens sont plus beaux que les Allemands et que les Suisses, plus beaux que les Français et que les Espagnols. De même les Anglais présentent un caractère de beauté corporelle supérieur à celui des nations slaves.

Quant à la force du poing, les Anglais priment toutes les autres races européennes ; tandis que les Français et les Espagnols possèdent une puissance supérieure de résistance à la fatigue, aux privations, aux intempéries des climats les plus durs. La question a été mise hors de doute pour les Français, lors de la funeste campagne de Russie. Là où les Allemands et les troupes du Nord, habituées cependant aux rigueurs de la température, s’affaissèrent, presque en totalité, sous la neige, nos régiments, tout en payant un horrible tribut aux rigueurs de la retraite, purent cependant sauver le plus de monde. On a voulu attribuer cette prérogative à la supériorité de l’éducation morale et du sentiment guerrier. L’explication est peu satisfaisante. Les officiers allemands, qui périrent par centaines, avaient tout autant d’honneur et une conception aussi élevée du devoir que nos soldats, et ils n’en succombèrent pas moins. Concluons donc que les populations françaises possèdent certaines qualités physiques supérieures à celles de la famille allemande et qui leur permettent de braver, sans mourir, les neiges de la Russie comme les sables brûlants de l’Égypte.



  1. (1) (1) Gen. II, 8 et passim : « Plantaverat autem Dominus Deus paradisum voluptatis a principio, in quo posuit hominem quem formaverat. — 10. Et fluvius egrediebatur de loco voluptatis, ad irrigandum paradisum. — 15. Tulit ergo Dominus Deus hominem, et posuit eum in paradiso voluptatis, ut operaretur et custodiret illum. »
  2. (1) Lyell’s, Principles of Geology, t. II, p. 119.
  3. (2) M. Alexandre de Humboldt ne pense pas que cette hypothèse puisse s’appliquer à la migration des plantes. « Ce que nous savons, dit cet érudit, de l’action délétère qu’exerce l’eau de mer dans un trajet de 500 à 600 lieues sur l’excitabilité germinative de la plupart des grains, n’est d’ailleurs pas en faveur du système trop généralisé sur la migration des végétaux au moyen des « courants pélagiques. » (Examen critique de l’Histoire de la géographie du nouveau continent, t. II, p. 78.)
  4. M. Alexandre de Humboldt expose la loi déterminante de cette vérité lorsqu'il dit (Asie centrale, t. III, p. 23) : « La première base de la climatologie est la connaissance précise des inégalités de la surface d'un continent. Sans cette connaissance hypsométrique, on attribuerait à l'élévation du sol ce qui est l'effet d'autres causes, qui influent, dans les basses régions, dans une surface qui a une même courbure avec la surface de l'océan, sur l'inflexion des lignes isothermes (ou d'égale chaleur d'été). » En appelant l'attention sur cette grande multiplicité d'influences qui agissent sur la température d'un point géographique indiqué, le grand érudit berlinois conduit l'esprit à concevoir sans peine que, dans des lieux très voisins, et indépendamment de l'élévation du sol, il se forme des phénomènes climatériques très divers. Ainsi, il est un point de l'Irlande, dans le nord-est de l'île, sur la côte de Glenarn, qui, contrastant avec ce qui est possible aux environs, nourrit des myrtes en pleine terre, et aussi vigoureux que ceux du Portugal, sous le parallèle de Kœnigsberg en Prusse. « Il y gèle à peine en hiver, et cependant les chaleurs de l'été ne suffisent pas pour mûrir le raisin. Les mares et les petits lacs des îles Fœroë ne se couvrent pas de glace pendant l'hiver, malgré leur latitude de 62°... En Angleterre, sur les côtes du Devonshire, les myrtes, le camelia japonica, le fuchsia coccinea et le boddleya globosa passent l'hiver sans abri en pleine terre... À Salcombe, les hivers sont tellement doux, qu'on y a vu des orangers en espaliers portant du fruit et à peine abrités par le moyen des estères (p. 147-148). »
  5. (1) J'expliquerai en leur lieu les motifs qui me portent à ne pas compter les sauvages peaux-rouges de l'Amérique au nombre des types purs et primitifs. J'ai déjà laissé entrevoir mon opinion, à ce sujet, au chapitre X de ce volume. D'ailleurs, je ne fais ici que me rallier à l'avis de M. Flourens, qui ne reconnaît aussi que trois grandes subdivisions dans l'espèce : celles d'Europe, d'Asie et d'Afrique. Ces dénominations me semblent prêter le flanc à la critique, mais le fond est juste.
  6. (1) M. Carus donne son puissant appui à la loi que j’ai établie au sujet de l’aptitude particulière des races civilisatrices à se mélanger, lorsqu’il fait ressortir la variété extrême de l’organisme humain perfectionné et la simplicité des corpuscules microscopiques qui occupent le plus bas degré de l’échelle des êtres. Il tire de cette remarque ingénieuse l’axiome suivant : « Toutes les fois qu’entre les éléments d’un tout organique, il y a la plus grande similitude possible, leur état ne peut être considéré comme l’expression haute et parfaite d’un développement complet. Ce n’est qu’un développement primitif et « élémentaire. » (Ueber die ungl. B. d. versch. Menschheitst f. bœb. geist. Entwick., p. 4.) Ailleurs, il ajoute : « La plus grande diversité, c’est-à-dire inégalité possible des parties, jointe à l’unité la plus complète de l’ensemble, apparaît partout comme la mesure de la plus haute perfection d’un organisme. » C’est, dans l’ordre politique, l’état d’une société où les classes gouvernantes, habilement hiérarchisées, sont strictement distinctes, ethniquement parlant, des classes populaires.
  7. (2) C’est probablement par suite d’une faute de typographie que M. Flourens (Éloge de Blumenbach, p. XI) donne la race polynésienne comme « un mélange de deux autres, la caucasique et la mongolique. » C’est la noire et la mongolique que le savant académicien a certainement voulu dire.
  8. (1) Les caractères physiologiques des différents ancêtres se représentent dans les descendants suivant des règles fixes. Ainsi l’on observe dans l’Amérique du Sud que les produits d’un blanc et d’une négresse peuvent, à la première génération, avoir les cheveux plats et souples ; mais, invariablement, à la seconde, le lainage crépu apparaît. (A. d’Orbigny, l’Homme américain, t. I, p. 143.)
  9. (2) Il est à remarquer que les mélanges les plus heureux, au point de vue de la beauté, sont ceux qui sont formés par l’hymen des blancs et des noirs. On n’a qu’à mettre en parallèle le charme souvent puissant des mulâtresses, des capresses, des quarteronnes avec les produits des jaunes et des blancs, comme les femmes russes et hongroises. La comparaison ne tourne pas à l’avantage de ces dernières. Il n’est pas moins certain qu’un beau Radjepout est plus idéalement beau que le Slave le plus accompli.
  10. (1) Gioberti, Essai sur le Beau, traduction de M. Bertinatti, p. 6 et 25.
  11. (2) Voir, entre autres, pour les indigènes américains, Martius et Spix, Reise in Brasilien, t. I, p. 259 ; pour les nègres, Pruner, der Neger, eine aphoristische Skizze aus der medicinischen Topographie von Cairo, dans la Zeitsch.dl. deutsch. morgenl. Gesellsch., t. I, p. 131 ; pour la supériorité musculaire des blancs sur toutes les autres races, Carus, Ueber die hungl. Befæhigung, etc., p. 84.