Essai sur la nature du commerce en général/Partie III/Chapitre 8

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Des raffinements du crédit des Banques générales



Partie III, Chapitre 7 Partie III, Chapitre 8




La Banque nationale de Londres, est composée d’un grand nombre d’Actionaires qui choisissent des Directeurs pour en régir les opérations. Leur avantage primordial consistoit à faire un partage annuel des profits qui s’y faisoient par l’intérêt de l’argent, qu’on prêtoit hors des fonds qu’on déposoit à la Banque ; on y a ensuite incorporé des fonds publics, dont l’État paie un intérêt annuel.

Malgré un établissement si solide, on a vu (lorsque la Banque avoit fait de grosses avances à l’État, & que les porteurs de billets de banque appréhendoient que la Banque ne fut embarrassée qu’on couroit sus & que les Porteurs alloient en foule à la Banque pour retirer leur argent : la même chose est arrivée lors de la chûte de la Mer du Sud, en mil sept cent vingt.

Les rafinemens qu’on apportoit pour soutenir la Banque & modérer son discrédit, étoient d’abord d’établir plusieurs Commis pour compter l’argent aux Porteurs, d’en faire compter de grosses sommes en pieces de six & de douze sols, pour gagner du tems, d’en païer quelques parties aux Porteurs particuliers qui étoient-là à attendre des journées entieres pour être païés à leur tour ; mais les sommes les plus considérables à des amis qui les emportoient & puis les rapportoient à la Banque en cachette, pour recommencer le lendemain le même manége : par ce moïen la Banque faisoit bonne contenance & gagnoit du tems ; en attendant que le discrédit se ralentit ; mais lorsque cela ne suffisoit pas, la Banque ouvroit des souscriptions, pour engager des Gens accrédités & solvables, à s’unir pour se rendre garans de grosses sommes & maintenir le crédit & la circulation des billets de banque.

Ce fut par ce dernier rafinement que le crédit de la Banque se maintint en mil sept cent vingt, lors de la chûte de la Mer du Sud ; car aussi-tôt qu’on sut dans le public que la souscription fut remplie par des Hommes riches & puissans, on cessa de courir à la Banque, & on y apporta à l’ordinaire des dépôts.

Si un Ministre d’État en Angleterre, cherchant à diminuer le prix de l’intérêt de l’argent, ou par d’autres vues, fait augmenter le prix des fonds publics à Londres, & s’il a assez de crédit dit sur les Directeurs de la Banque, pour les engager (sous obligation de les dédommager en cas de perte) à fabriquer plusieurs billets de banque, dont ils n’ont reçu aucune valeur, en les priant de se servir de ces billets eux-mêmes pour acheter plusieurs parties & capitaux des fonds publics ; ces fonds ne manqueront pas de hausser de prix, par ces opérations : & ceux qui les ont vendus, voïant ce haut prix continuer, se détermineront peut-être, pour ne point laisser leurs billets de banque inutiles & croïant par les bruits qu’on seme que le prix de l’intérêt va diminuer & que ces fonds hausseront encore, de les acheter à un plus haut prix qu’ils ne les avoient vendus. Que si plusieurs particuliers, voiant les Agens de la Banque acheter ces fonds, se mêlent d’en faire autant croïant profiter comme eux, les fonds publics augmenteront de prix, au point que le Ministre souhaitera ; & il se pourra faire que la Banque revendra adroitement à plus haut prix tous les fonds qu’elle avoit achetés, à la sollicitation du Ministre, & en tirera non-seulement un grand profit, mais retirera & éteindra tous les billets de banque extraordinaires qu’elle avoit fabriqués.

Si la Banque seule hausse le prix des fonds publics en les achetant, elle les rabaissera d’autant lorsqu’elle voudra les revendre pour éteindre ses billets extraordinaires ; mais il arrive toujours que plusieurs particuliers voulant imiter les Agens de la Banque dans leurs opérations, contribuent à les soutenir ; il y en a même qui y sont attrapés faute de savoir au vrai ces opérations, où il entre une infinité de rafinemens, ou plutôt de fourberies qui ne sont pas de mon sujet.

Il est donc constant qu’une Banque d’intelligence avec un Ministre, est capable de hausser & de soutenir le prix des fonds publics, & de baisser le prix de l’intérêt dans l’État au gré de ce Ministre, lorsque les opérations en sont menagées avec discrétion, & par-là de libérer les dettes de l’État ; mais ces rafinemens qui ouvrent la porte à gagner de grandes fortunes, ne sont que très rarement menagés pour l’utilité seule de l’État ; & les opérateurs s’y corrompent le plus souvent. Les billets de banque extraordinaires, qu’on fabrique & qu’on répand dans ces occasions, ne dérangent pas la circulation, parcequ’étant emploïés à l’achat & vente de fonds capitaux, ils ne servent pas à la dépense des familles, & qu’on ne les convertit point en argent ; mais si quelque crainte ou accident imprévu poussoit les Porteurs à demander l’argent à la Banque, on en viendroit à crever la bombe, & on verroit que ce sont des opérations dangereuses.