Essai sur les mœurs/Chapitre 32

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CHAPITRE XXXII.

État de l’empire d’Occident à la fin du ixe siècle.

L’empire d’Occident ne subsista plus que de nom. (888) Arnould, Arnolfe, ou Arnold, bâtard de Carloman, se rendit maître de l’Allemagne ; mais l’Italie était partagée entre deux seigneurs, tous deux du sang de Charlemagne par les femmes : l’un était un duc de Spolette, nommé Gui ; l’autre Bérenger, duc de Frioul, tous deux investis de ces duchés par Charles le Chauve, tous deux prétendants à l’empire aussi bien qu’au royaume de France. Arnould, en qualité d’empereur, regardait aussi la France comme lui appartenant de droit, tandis que la France, détachée de l’empire, était partagée entre Charles le Simple, qui la perdait, et le roi Eudes, grand oncle de Hugues Capet, qui l’usurpait.

Un Bozon, roi d’Arles, disputait encore l’empire. Le pape Formose, évêque peu accrédité de la malheureuse Rome, ne pouvait que donner l’onction sacrée au plus fort. Il couronna ce Gui de Spolette. (894) L’année d’après, il couronna Bérenger vainqueur ; et il fut forcé de sacrer enfin cet Arnould, qui vint assiéger Rome, et la prit d’assaut. Le serment équivoque que reçut Arnould des Romains prouve que déjà les papes prétendaient à la souveraineté de Rome. Tel était ce serment : « Je jure par les saints mystères que, sauf mon honneur, ma loi, et ma fidélité à monseigneur Formose, pape, je serai fidèle à l’empereur Arnould. »

Les papes étaient alors en quelque sorte semblables aux califes de Bagdad, qui, révérés dans tous les États musulmans comme les chefs de la religion, n’avaient plus guère d’autre droit que celui de donner les investitures des royaumes à ceux qui les demandaient les armes à la main ; mais il y avait entre les califes et les papes cette différence que les califes étaient tombés du premier trône de la terre, et que les papes s’élevaient insensiblement.

Il n’y avait réellement plus d’empire, ni de droit, ni de fait. Les Romains, qui s’étaient donnés à Charlemagne par acclamation, ne voulaient plus reconnaître des bâtards, des étrangers, à peine maîtres d’une partie de la Germanie.

Le peuple romain, dans son abaissement, dans son mélange avec tant d’étrangers, conservait encore, comme aujourd’hui, cette fierté secrète que donne la grandeur passée. Il trouvait insupportable que des Bructères, des Cattes, des Marcomans, se dissent les successeurs des Césars, et que les rives du Mein et la forêt Hercynie fussent le centre de l’empire de Titus et de Trajan.

On frémissait à Rome d’indignation, et on riait en même temps de pitié, lorsqu’on apprenait qu’après la mort d’Arnould, son fils Hiludovic, que nous appelons Louis, avait été désigné empereur des Romains à l’âge de trois ou quatre ans, dans un village barbare nommé Forcheim, par quelques leudes et évêques germains. Cet enfant ne fut jamais compté parmi les empereurs ; mais on le regardait dans l’Allemagne comme celui qui devait succéder à Charlemagne et aux Césars. C’était en effet un étrange empire romain que ce gouvernement qui n’avait alors ni les pays entre le Rhin et la Meuse, ni la France, ni la Bourgogne, ni l’Espagne, ni rien enfin dans l’Italie, et pas même une maison dans Rome qu’on pût dire appartenir à l’empereur.

Du temps de ce Louis, dernier prince allemand du sang de Charlemagne par bâtardise, mort en 912, l’Allemagne fut ce qu’était la France, une contrée dévastée par les guerres civiles et étrangères, sous un prince élu en tumulte et mal obéi.

Tout est révolution dans les gouvernements : c’en est une frappante que de voir une partie de ces Saxons sauvages, traités par Charlemagne comme les Ilotes par les Lacédémoniens, donner ou prendre au bout de cent douze ans cette même dignité qui n’était plus dans la maison de leur vainqueur. (912) Othon, duc de Saxe, après la mort de Louis, met, dit-on, par son crédit, la couronne d’Allemagne sur la tête de Conrad, duc de Franconie ; et après la mort de Conrad, le fils du duc Othon de Saxe, Henri l’Oiseleur, est élu (919). Tous ceux qui s’étaient faits princes héréditaires en Germanie, joints aux évêques, faisaient ces élections, et y appelaient alors les principaux citoyens des bourgades.

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