Essais d’Histoire religieuse/04

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Essais d’Histoire religieuse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 85 (p. 43-69).
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ESSAIS
D’HISTOIRE RELIGIEUSE

IV.[1]
LA CONVERSION DE SAINT AUGUSTIN.

L’église regarde la conversion de saint Augustin comme un des plus grands événemens de son histoire ; elle en a fait une fête, qui se célèbre tous les ans au mois de mai. C’est un honneur qu’elle n’accorde qu’à saint Paul et à lui, et en rapprochant ainsi le maître et le disciple, elle semble dire qu’elle leur doit presque autant à tous les deux : sa doctrine théologique, commencée par l’un, a été achevée par l’autre.

Pour nous, le principal intérêt que présente la conversion de saint Augustin, c’est qu’il nous l’a lui-même racontée. Elle occupe la plus grande partie de ses Confessions, et l’on peut même dire qu’elle en est presque l’unique sujet ; c’est là que vont l’étudier les dévots qui veulent s’édifier, et les profanes qui cherchent simplement à connaître l’histoire d’une âme et son passage de l’incrédulité a la lui. Mais il y en a d’autres récits ailleurs. Parmi les œuvres de saint Augustin, un certain nombre remonte à l’époque même où il traversait cette crise qui a décidé de sa vie. Nous avons de ce temps ou les années voisines, des dialogues philosophiques, des traités de grammaire, des lettres ; il y parle souvent de lui, de ses hésitations, de ses luttes, de ses progrès, et nous le voyons s’avancer pas à pas vers cette perfection de conduite et cette sûreté de doctrine à laquelle il aspire. Ce sont les mêmes événemens qu’il nous raconte dans ses Confessions, mais présentés un peu autrement ; non pas que les faits diffèrent, c’est la couleur générale qui est changée, et il faut bien reconnaître que ces divers récits, quoique au fond semblables, ne laissent pas la même impression.

Est-ce à dire que, dans ses Confessions, saint Augustin ait volontairement altéré la vérité ? Tout le monde, au contraire, est d’avis que la sincérité en est le plus grand mérite. C’est une qualité rare dans les ouvrages de ce genre, et je n’en connais aucun qui la possède au même degré. On n’y sent nulle part cette impertinente vanité qui nous fait trouver du charme à mettre tout le monde dans la confidence de nos erreurs même et de nos fautes ; il n’a point écrit son livre, comme c’est l’usage, pour le plaisir de se mettre en scène et de parler de soi ; sa pensée était plus sérieuse et plus haute. Il s’est souvenu que, dans l’église primitive, les gens qui avaient commis un péché grave venaient le confesser en public et en demandaient pardon à Dieu devant leurs frères, et il a voulu faire comme eux ; il imite ces pieux pénitens qui mêlaient à l’aveu de leurs fautes des gémissemens et des prières. Comme eux, il s’adresse tout le temps à Dieu avec des transports et des effusions qui finissent par nous paraître monotones : il lui rappelle toutes les erreurs de sa jeunesse, non pas pour les lui faire connaître : — qui les sait mieux que lui ? — mais pour apprendre au pécheur par son exemple, et en lui montrant de quel abîme il a lui-même été tiré, qu’on ne doit jamais perdre courage et dire : « Je ne peux pas. » Il fallait donc que la confession, pour être efficace, fût complète, avec faux-fuyans, sans réticences : la moindre tentative pour dissimuler ou pallier une faute serait un crime, puisqu’elle ôterait quelque mérite à la bonté de Dieu ; ce serait de plus un crime inutile, car Dieu, qui voit tout, aurait bien vite dévoilé et confondu le mensonge.

Ainsi saint Augustin a voulu être vrai, et, pour l’essentiel, il l’a été ; il nous fait l’histoire de sa jeunesse comme elle lui apparaissait au moment où il a écrit ses Confessions ; mais il ne faut pas oublier qu’il les a rédigées onze ans après son baptême. Il lui est alors arrivé ce qui nous arrive toujours quand nous jetons un regard en arrière : le présent, quoi qu’on fasse, prête ses couleurs au passé, et, après un certain intervalle, nous n’apercevons notre vie antérieure qu’à travers nos opinions et nus impressions du moment. Quand Saint-Simon écrivit la dernière rédaction de ses Mémoires, les événemens ne lui apparaissaient plus comme à l’époque où ils se passaient devant lui ; les voyant de plus loin et de plus haut, il les embrassait dans leur ensemble, avec leurs causes lointaines, qu’on aperçoit mal quand on est placé près d’eux, et les conséquences bonnes ou mauvaises qui en étaient sorties ; par suite, il en saisissait mieux qu’auparavant le véritable caractère. Il n’y a donc pas lieu de lui reprocher, comme on le fait, la diversité de ses jugemens ; peut-être n’en avait-il pas lui-même une conscience bien claire, tant il nous est naturel de transporter dans le passé nos opinions actuelles, de nous persuader que nous n’avons jamais changé, et de croire que nous jugions autrefois les hommes et les choses comme nous le faisons aujourd’hui. Il en est de même de saint Augustin, et s’il lui est arrivé de nous présenter d’une façon un peu différente les divers incidens de sa vie, suivant qu’il en était plus voisin ou plus éloigné, sa sincérité ne peut pas être mise en doute, puisqu’il les a dépeints à chaque fois comme il les voyait.

Il n’en est pas moins curieux de recueillir et de constater ces différences involontaires ; elles permettent de mieux connaître ses sentimens véritables aux diverses époques de sa vie, et nous font suivre de plus près les phases par lesquelles il a passé avant de se reposer dans une doctrine précise et définitive.


I.

Saint Augustin était né d’un de ces mariages mixtes que désapprouvaient beaucoup les chrétiens rigides, et qui étaient pourtant alors très fréquens. Son père, Patricius, païen de naissance, ne se convertit qu’à la fin de ses jours ; Monique, sa mère, sortait d’une famille chrétienne. De bonne heure, elle lui enseigna le christianisme ; son père, dès qu’il eut grandi, lui fit donner une éducation profane, il reçut donc, dès ses premières années, deux impulsions contraires, qui me semblent expliquer les indécisions et les contradictions dans lesquelles s’est passée sa jeunesse.

Les paroles de sa mère, lorsque, tout petit encore, elle essayait d’en faire un chrétien, durent le toucher profondément. Il aimait Monique avec passion. Une des plus belles pages des Confessions est celle où il nous raconte l’entretien qu’il eut avec elle à Ostie, quelques jours avant qu’elle ne mourût. Ils étaient seuls, accoudés à une fenêtre, et, en regardant le ciel, ils conversaient ensemble avec une ineffable douceur. Oublieux du présent, penchés vers l’avenir, ils cherchaient à deviner ce que serait la vie éternelle que Dieu promet à ses élus. Leur pensée montait toujours plus haut, de la terre au ciel, de l’homme à l’Être des êtres ; « et pendant que nous parlions, dit-il, et que nous étions tout ardeur et tout désir pour cette vie céleste, nos âmes, comme d’un bond, y touchèrent un moment. » Je me figure qu’il avait déjà éprouvé quelquefois dans son enfance des impressions semblables et « touché, d’un bond de son âme, à la vie céleste, » pendant que sa mère lui parlait du Christ. Elle devait trouver, dans ces occasions, de ces mots et de ces images dont le cœur se souvient toujours. il nous dit qu’avant été pris alors d’un mal subit qui lui fit craindre de mourir. il demanda avec instance à être baptisé ; mais comme on ne le trouvait pas au si malade qu’il croyait l’être, et que c’était l’usage de différer le baptême jusqu’à un âge plus avancé, ou aima mieux attendre. L’enfant guérit ; puis vinrent les années de l’adolescence, avec leurs entraînemens auxquels une nature fougueuse comme la sienne ne pouvait guère résister : l’ardeur des passions, la curiosité de l’esprit. le jetèrent dans d’autres chemins, mais il n’oublia jamais ces premières émotions religieuses : elles subsistèrent toujours au plus profond de lui-même, et nous les verrons se réveiller dans toutes les circonstances graves de sa vie.

Si Monique voulait qu’il devint un chrétien parfait, son père tenait surtout à en faire un homme instruit et bien élevé. Il s’épuisa pour lui donner l’éducation que recevaient les classes lettrées de l’empire. Ce petit bourgeois d’une ville obscure de Numidie avait confiance en son entant ; comme le père d’Horace, qui était un ancien esclave, comme le père de Virgile, qui n’était qu’un paysan, il lui fit apprendre tout ce qu’on enseignait aux fils des maisons les plus riches et les plus anciennes. Par malheur, ses ressources étaient très médiocres. Tant qu’on se contenta d’envoyer le jeune homme à l’école de Thagaste, sa ville natale, où même à Madaura, dans les environs, la fortune paternelle y suffit. Mais lorsqu’il fut question de le faire partir pour Carthage, il fallut avoir recours à la bourse d’un ami. il y avait alors, dans toutes les villes de l’empire, grandes ou petites, quelques importans personnages, qu’on s’empressait d’élever à toutes les dignités de l’endroit, dont on faisait des décurions, des duumvirs. des flamines, et qui, en échange de ces honneurs, étaient tenus de donner des jeux, de célébrer des fêtes, de bâtir des édifices, et surtout d’être généreux envers tout le monde. C’était Romanianus qui jouait ce rôle à Thagaste. Saint Augustin nous dit qu’on ne parlait que de lui dans la petite ville : il venait, à propos sans doute de quelque dignité dont il était revêtu, d’y donner de spectacles extraordinaires, notamment un combat d’ours. Aussi ses concitoyens, dans leur reconnaissance, avaient-ils placé sur sa porte une belle inscription qui devait raconter aux races futures que la municipalité de Thagaste, par une délibération solennelle, avait choisi Romanianus pour son protecteur. Patricius était un de ses cliens, peut-être même un parent pauvre, en sorte qu’il avait plus de droits qu’un autre à sa générosité. Aussi en reçut-il tous les secours nécessaires pour bien faire élever son fils. Saint Augustin lui en garda toute sa vie une grande reconnaissance, et plus tard, quand Romanianus, à force d’aider tout le monde, se fut lui-même ruiné, il trouva des moyens délicats de la lui témoigner.

Les Confessions nous font connaître dans le détail l’éducation de saint Augustin. Elles nous disent qu’il commença par profiter assez mal de la peine qu’on prenait pour l’instruire. Tout occupé des plaisirs de son âge, il n’écoutait que d’une oreille fort distraite les leçons de ses premiers maîtres, qui alors, comme aujourd’hui, enseignaient à lire, écrire et compter. Le calcul lui sembla surtout fort désagréable, et il nous dit qu’il ne répétait qu’avec dégoût cet odieux refrain : « Un et un font deux, deux et deux font quatre. » On voulut ensuite lui apprendre le grec : c’est par là que commençait alors une éducation sérieuse, comme elle débute chez nous par le latin ; mais il n’y trouva pas plus d’agrément qu’au calcul ; aussi ne l’a-t-il jamais su que très imparfaitement. Ce fut, dans une éducation si solide et si étendue, une lacune fâcheuse et qu’il a dû plus d’une fois regretter. Combien son esprit n’aurait-il pas gagne à lire Platon dans la beauté du texte ? il n’a jamais pu l’entrevoir et le deviner que dans des traductions souvent médiocres. Cependant, à mesure qu’il avançait dans l’étude de la grammaire, il y prenait plus de goût. La poésie surtout le charma ; il prit le plaisir le plus vif à lire Virgile, et s’est accusé plus tard comme d’un crime des larmes que la mort de Didon lui fît verser. La rhétorique lui parut encore plus agréable, et il en pratiqua les exercices avec une telle supériorité qu’il passa dès lors auprès de ses maîtres et de ses condisciples pour un jeune homme de grande espérance.

Il fréquentait en ce moment les écoles de Carthage, et, comme il le dit lui-même, tout l’essaim des plaisirs bourdonnait autour de lui. Carthage était une ville de bruit et de joie, où la jeunesse venue pour s’instruire trouvait mille occasions de s’amuser. On y célébrait encore les fêtes païennes. Les processions de la Mère des dieux ou de la Vierge céleste, l’Astarté des Phéniciens, parcouraient les rues et les places, avec leur cortège de prêtres eunuques, de femmes perdues, de musiciens qui chantaient des chansons d’amour. On y était surtout passionné pour le théâtre, où l’on allait applaudir des pièces obscènes, qui mettaient sous les yeux des spectateurs les histoires légères de l’Olympe. Augustin ne résista pas plus que les autres à ces excitations, et se livra au plaisir avec toute la fougue de son tempérament et de son âge. « Rien ne me plaisait, dit-il, que d’aimer et d’être aimé. » Ces désordres étaient si ordinaires que personne ne parut s’en étonner ; il semble même que son père en ait éprouvé une joie secrète. En vrai païen qu’il était, il ne pensait qu’à surprendre chez son fils les signes de la puberté naissante pour le marier au plus vite, et avoir sans retard des petits-enfans. Les amis de la famille, même ceux qui étaient chrétiens, ne se montraient pas trop scandalisés de ces folies de jeunesse, « Laissez-le faire, disaient-ils : il n’est pas encore baptisé. » Seule, Monique pleurait en silence et redoublait ses exhortations. Mais, se voyant peu écoutée, et n’osant pas demander trop de peur de ne rien obtenir, elle bornait ses prières à recommander à son fils de ne point porter le trouble dans les familles et de ne détourner jamais de son devoir une femme mariée.

C’est pourtant alors qu’au milieu de sa vie dissipée il reçut la première secousse qui commença sa conversion. Elle lui vint d’un auteur profane. La rhétorique était en ce moment son unique étude, et il lui donnait toutes les heures que ne prenaient pas les plaisirs. Il est donc probable qu’il n’était guère occupé que d’ouvrages concernant l’art oratoire, quand un jour, on ne sait comment, il tomba sur un dialogue philosophique de Cicéron, l’Hortensius. « En le lisant, nous dit-il, je me sentis devenir tout autre. Toutes ces vaines espérances que j’avais jusque-là poursuivies s’éloignèrent de mon esprit, et j’éprouvai une passion incroyable de me consacrer à la recherche de la sagesse, et de conquérir par là l’immortalité. Je me levai, Seigneur, pour me diriger vers vous ! »

L’Hortensius est perdu, et il nous est difficile de savoir ce qui put causer une si vive émotion à ce jeune homme de dix-neuf ans ; les quelques fragmens qui nous restent de l’ouvrage, et qui nous ont été presque tous conservés par saint Augustin, nous apprennent qu’il contenait un magnifique éloge de la philosophie. Cicéron, dans son admirable langage, exhortait les Romains à l’étudier, non-seulement en faisant voir tout le bien qu’elle peut faire à la vie présente, mais en leur montrant aussi les grands horizons qu’elle ouvre sur la vie future." Celui qui lui donne tout son temps, disait-il, ne risque pas d’être dupe. Si tout finit avec nous, qu’y a-t-il de plus heureux que de s’être consacré, tant qu’on a vécu, à ces belles élu. Si notre vie se commue de quelque manière après la mort, la recherche assidue de la vérité n’est-elle pas le meilleur moyen de se préparer à cette autre existence, et une âme à qui ces méditations et ces contemplations apprennent à se détacher d’elle-même ne s’envolera-t-elle pas plus vite vers cette demeure céleste, qui vaut mieux que toutes les habitations de la terre ? » Cicéron était bien malheureux alors : il venait de perdre sa fille qu’il adorait ; il assistait à la ruine du régime politique qu’il avait servi ; n’étant plus jeune et n’ayant plus le droit de compter sur l’avenir, il lui fallait mettre son espérance ailleurs ; aussi, quand il comparait les misères de la vie terrestre aux consolations que l’autre peut donner, sa parole devait-elle avoir des accens personnels et pénétrans. Augustin en fut touché jusqu’au fond de l’âme. Il nous le dit aussi bien dans ses Confessions que dans ses ouvrages antérieurs ; mais ici déjà la différence des temps et des situations se montre. Devenu chrétien fervent, à l’époque où il écrivait ses Confessions, il lui répugnait d’avouer que sa conversion avait commencé par la lecture d’un auteur profane. Il s’en est vengé en maltraitant celui qui lui avait pourtant rendu un si grand service. « c’est un certain Cicéron, dit-il, dont on loue beaucoup plus l’esprit que le cœur. » L’injustice est criante ; mais il parle autrement dans ses Dialogues ; là, Cicéron est un grand homme, un sage dont on ne cite le nom qu’avec respect. Il le nomme : « notre ami Tullius ; » il rappelle qu’avant lui il n’y avait pas de philosophie romaine, et qu’il l’a du premier coup portée à sa perfection : a quo in latina lingua philosophia inchoata est et perfecta : ce sont là, soyons-en sûrs, les sentimens véritables que lui laissa la lecture de l’Hortensius.

Le voilà donc, à ce qu’il semble, conquis à la philosophie ; il ne lui reste plus qu’à marcher dans la voie que l’Hortensius lui a ouverte, à passer de l’étude de Cicéron à celle des sages de la Grèce, qui furent ses maîtres, à tirer une doctrine de leurs ouvrages et à y conformer sa vie. Ce n’est pas pourtant ce qui arriva. Un premier élan l’avait porté vers les philosophes, un second l’entraîna plus loin. L’Hortensius, sans qu’il s’en aperçût peut-être, ranima dans son âme de plus anciens souvenirs qui n’y étaient qu’assoupis. Monique aussi lui parlait autrefois de la vie éternelle, mais d’une manière bien différente ; et quand il songeait aux peintures merveilleuses qu’elle lui en avait faites, et qui ravissaient sa jeunesse, toutes ces espérances d’immortalité, si incertaines et si froides, que les sages proposaient à l’homme, ne le contentaient plus. À mesure que se réveillaient en lui les émotions pieuses de ses premières années, les systèmes des philosophes lui semblaient vides et incomplets. « Il y manquait, nous dit-il, le nom du Christ, ce nom que j’avais puise avec le fait sur les genoux de ma mère, et que je gardais au fond de mon cœur ; et je compris que toute doctrine où ce nom ne serait pas, quelque vérité qu’elle contînt, avec quelque élégance qu’elle fût exposée, ne pourrait jamais me satisfaire. »

Il lui fallait donc retourner au christianisme. C’est dans cette pensée qu’il se mit à lire les Écritures ; mais, dès les premières pages, il s’arrêta : pour un homme nourri de rhétorique comme lui, c’était une lecture trop rebutante. Quand on a été tout à fait charmé des littératures classiques, il arrive qu’on ne peut plus comprendre qu’elles. Le moule dans lequel elles jettent la pensée paraît si simple, si naturel, qu’il semble impossible qu’elle s’exprime autrement. On se laisse prendre à ces larges périodes si savamment construites, avec leurs incises qui se balancent, à ces développemens réguliers où les phrases s’enchaînent entre elles, où une idée mène à l’autre, et l’on finit par croire que le bon sens et la raison ne peuvent pas employer d’autre langue. Il est naturel que des gens habitués dès l’enfance à cette façon d’écrire aient eu peine à souffrir ce qu’il y a ait de brusque, de heurté, d’incohérent dans les littératures orientales. En face d’œuvres extraordinaires, inégales, démesurées, ces élèves des rhéteurs, qui tenaient surtout à la proportion et à la mesure, se trouvaient tout dépaysés. Ajoutons que la forme en était encore plus mauvaise que le fond n’en semblait étrange. Les premiers qui, longtemps avant saint Jérôme, traduisirent les livres saints en latin, n’étaient pas des écrivains de profession ; c’étaient des chrétiens scrupuleux, qui ne cherchaient d’autre mérite que d’être des interprètes fidèles. Préoccupés surtout de calquer leur version sur le texte, ils créaient des mots nouveaux, ils inventaient des tours bizarres, ils torturaient sans pitié la vieille langue pour qu’elle pût s’accommoder au génie d’un idiome étranger. Qu’on se figure ce que devait souffrir un admirateur de Virgile, un élève de Cicéron, jeté brusquement au milieu de cette barbarie ; Augustin en fut révolté, et laissant là des ouvrages qui blessaient toutes les délicatesses de son goût, il s’empressa de reprendre ses auteurs chéris et de revenir à ses anciennes études.

Mais il n’y revint pas tout à fait comme il était parti, et de cet ébranlement qu’il avait ressenti à la lecture de l’Hortensius, il lui resta quelque chose. D’abord il avait fait connaissance avec la philosophie antique. Elle était en ce moment fort négligée dans les écoles, au point qu’Augustin, pour l’avoir étudiée avec quelque soin, passa pour un prodige. Cette étude lui rendit de très grands services ; elle en fit, dans les controverses théologiques, un dialecticien si terrible que ses rivaux refusaient de combattre avec lui, et qu’il lui était plus difficile de les joindre que de les vaincre. Elle éveilla son esprit sur des questions importantes, lui fournit des solutions nouvelles et lui permit souvent de faire profiter la théologie chrétienne des découvertes des anciens philosophes. Mais en même temps qu’il s’éprenait de la philosophie, il s’était aperçu qu’elle ne pouvait pas lui suffire. Son âme ne réclamait pas des théories, mais des croyances ; il lui fallait une religion. Ne se sentant pas la force d’aller jusqu’à celle de sa mère, et ne pouvant pas n’en avoir aucune, il s’arrêta à mi-chemin dans l’hérésie, et devint manichéen. On ne sait trop ce qui l’attira de ce côté. La façon dont les manichéens expliquent l’origine du mal, en supposant que ce monde est l’œuvre de deux principes, un bon et un mauvais, lui parut plus tard ridicule, et il ne nous semble pas qu’elle ait jamais pu séduire un si bon esprit ; mais il trouvait chez eux cet avantage qu’ils ne prétendaient pas imposer leurs doctrines. La rigueur du dogme catholique épouvantait ce raisonneur ; il voulait avoir le droit de se faire ses opinions et de ne se rendre qu’à l’évidence. Du reste, il nous dit qu’il ne fut jamais un manichéen très résolu. Il resta sur les limites de la secte, refusant de s’engager trop avant et toujours prêt à reprendre sa liberté.

Quant à sa vie privée, il est probable qu’elle n’a pas beaucoup changea cette époque, et qu’après la lecture de l’Hortensius comme avant, elle lut toujours fort dissipée. Nous voyons pourtant qu’il cesse alors de passer d’un amour à l’autre, et qu’il choisit une maîtresse à laquelle il se fait un devoir de rester fidèle. C’est ce que le bon Tillemont appelle « se régler dans son dérèglement. » Voici comment il parle lui-même de cette liaison : « En ce temps-là, j’avais une femme qui ne m’était pas unie par le mariage, et que m’avaient fait rencontrer mes amours vagabonds et coupables. Pourtant je ne connaissais qu’elle et je lui y gardais ma foi. Mais je ne laissais pas de mesurer par mon exemple toute la distance qu’il y a entre la sagesse d’une légitime union, dont le but avoué est de propager la famille, et ces liaisons voluptueuses où l’enfant naît contre le vœu de ses parens, quoique aussitôt après sa naissance il nous soit impossible de ne pas l’aimer. » Cette femme, qui lui inspira un attachement sérieux, devait appartenir à ce monde léger des affranchies, que leur condition semblait condamner à ces unions irrégulières. Après avoir été sa compagne fidèle pendant plus de dix ans, à un moment où il songeait à se marier, elle le quitta, sans doute pour ne pas le gêner dans ses nouveaux desseins. Mais ce qui prouve qu’elle n’avait pas seulement partagé son lit et qu’il l’avait initiée aussi aux luttes de sa pensée et de son âme, c’est qu’en le quittant elle se tourna vers Dieu, et fit vœu d’achever ses jours dans la continence et dans la retraite. Il en avait un fils, Adeodatus, « le fils de son péché, » comme il l’appelle, qu’il aimait tendrement, et dont il ne voulut jamais se séparer.

La vie recommença donc pour lui comme auparavant. Mais en reprenant avec la même ardeur ses études de rhétorique et de philosophie, il sentait bien qu’il ne possédait pas le repos définitif, que ce n’était qu’une halte, et qu’il lui faudrait un jour se remettre en marche vers la vérité. Les succès d’école qu’il obtenait ne l’empêchaient pas d’être inquiet, mécontent, et d’éprouver au fond de l’âme une sorte de regret vague de l’idéal un moment entrevu ; il est probable que, de cet abri provisoire où il s’était arrêté, il regardait devant lui, et, comme les ombres de Virgile, « tendait la main avec amour vers la rive opposée. »


II.

À vingt ans, Augustin cessa d’être élève pour devenir professeur. Il enseigna d’abord la grammaire dans sa petite ville, à Thagaste. Mais bientôt, comme il avait la conscience de son talent, il chercha un plus grand théâtre, et voulut s’établir à Carthage. L’excellent Romanianus, quoiqu’il fût fort triste de le voir partir, paya le voyage et fournit aux premiers frais de l’installation. À Carthage, Augustin ouvrit une école de rhétorique ; quelques-uns de ses élèves de Thagaste l’avaient suivi ; ils en attirèrent d’autres, et le jeune maître ne tarda pas à se faire une grande réputation. Carthage était toujours la ville dont Apulée disait, deux siècles auparavant : (i Il n’y a ici que des lettrés. Les enfans apprennent tous l’éloquence, les jeunes gens la pratiquent, les vieillards l’enseignent. » On y avait un goût très vif pour tous ces agrémens et ces artifices dans lesquels se complaisait la rhétorique. Un bon discours improvisé sur un sujet scabreux, choisi par quelqu’un de l’assistance, y paraissait un spectacle presque aussi amusant que les courses de char et les combats de gladiateurs. Apulée s’était fait un si grand renom d’éloquence par ces tours de force que la ville émerveillée lui avait élevé une statue. Il est probable qu’Augustin donna des conférences de ce genre et qu’il s’y fit applaudir comme son prédécesseur. Nous savons même qu’il prit part à un concours de poésie et qu’il fut couronné par le proconsul. Mais ces succès ne parvinrent pas à le fixer à Carthage ; il s’y déplut, au bout de quelque temps, et voulut en sortir. Est-ce seulement, comme il le dit, parce que les écoliers avaient des habitudes trop turbulentes, ou voulait-il aller chercher ailleurs des triomphes plus retentissans ? Toujours est-il qu’un beau jour, à l’insu de tout le monde, et même de sa mère, qui l’avait accompagné jusqu’au port, sans se douter de rien, et qu’il éloigna sous un prétexte au dernier moment, il s’embarqua sur un navire qui partait pour Rome.

À Rome, il ne semble pas avoir obtenu autant de succès qu’à Carthage. Les maîtres y étaient plus nombreux, plus célèbres, et, dans une aussi grande ville, les réputations ne pouvaient pas se faire aussi vite. D’ailleurs, il s’aperçut bientôt que les écoliers, pour être un peu moins remuans que ceux de Carthage, ne valaient pas mieux. Il avait ouvert chez lui une école privée et ne pouvait vivre que des rétributions de ses élèves ; or ils avaient coutume d’être assidus tant qu’on ne leur demandait rien, et de disparaître dès qu’il fallait payer. Aussi fut-il heureux d’apprendre que les magistrats de la ville de Milan, ayant besoin d’un professeur d’éloquence pour leurs écoles publiques, s’étaient adressés à Symmaque, l’un des plus grands orateurs de ce siècle, qui était alors préfet de Rome, pour lui demander d’en choisir un parmi les jeunes maîtres qu’il connaissait. Augustin fut présenté à Symmaque par un manichéen de ses amis : — Les païens et les hérétiques s’entendaient en général fort bien ensemble. — Symmaque, pour avoir une idée de son talent, le fit déclamer devant lui sur un sujet qu’il lui proposa, et l’épreuve lui ayant paru satisfaisante, il le fit partir pour Milan, dans une voiture de la poste impériale, comme un personnage. À Milan, Augustin s’acquitta pendant deux ans des fonctions ordinaires des rhéteurs : il enseignait l’art oratoire aux jeunes gens, et de temps en temps, aux fêtes publiques, il prononçait des panégyriques du prince ou des premiers magistrats de l’empire. « j’y débitais, nous dit-il, beaucoup de mensonges, sûr d’être applaudi par des gens qui savaient très bien la vérité. »

À ce moment, il avait rompu avec les manichéens, et, dans cette rupture, la science profane avait encore joué un rôle. Voici comment il s’était séparé d’eux. Ils avaient un évêque, nommé Faustus, qui jouissait, dans la secte, d’une grande renommée, et passait pour un théologien accompli. Augustin, qui ne le connaissait pas, souhaitait beaucoup le rencontrer pour lui soumettre quelques doutes qui l’empêchaient d’accepter entièrement la doctrine de Manès. Il lui paraissait notamment très difficile de croire à certaines fables cosmologiques, que contenaient les livres des manichéens, sur le ciel, sur les astres, sur le soleil et la lune ; elles étaient en contradiction avec les données de la science grecque, et il semblait à Augustin que c’étaient les Grecs qui avaient raison. Aussi lui tardait-il d’obtenir de Faustus quelque explication qui pût mettre sa conscience à l’aise. Il ne put le joindre que vers la fin de son séjour à Carthage, et cette rencontre lui causa un très grand désenchantement. Aux premières questions qu’il lui posa, l’évêque lui répondit sans détour qu’il était inutile de lui en demander davantage, qu’il ignorait les sciences exactes et qu’il avait accepté les opinions de ses maîtres sans les vérifier. En réalité, ce n’était qu’un rhéteur habile, qui connaissait quelques discours de Cicéron et quelques traités de Sénèque et s’en servait à propos ; son savoir n’allait pas plus loin. Augustin lui sut gré de sa franchise, mais il jugea que, puisque le plus renommé des manichéens était incapable de dissiper ses doutes, il était inutile d’en interroger d’autres. Une fois la doctrine ébranlée dans ses bases scientifiques, le reste Jie résista guère, et quelques réflexions suffirent pour lui en montrer le néant.

Il n’était donc plus manichéen, mais il n’était pas catholique. Il flottait entre les croyances, indécis, incertain, et quoique avec un penchant secret qu’il s’avouait à peine, n’osant encore rien affirmer. Cette situation le gênait et il avait hâte d’en sortir. Sa nature n’était pas de celles qui trouvent le repos dans le doute. Il a dit quelque part « qu’il aimait à aimer ; » il aimait aussi à croire, et son esprit avait besoin d’opinions arrêtées autant que son âme avait besoin d’amour.

C’est dans cette disposition qu’il lut pour la première fois Platon, que venait de traduire un professeur célèbre de Rome, Victorinus. Cette lecture lui fit plus d’impression encore que celle de l’Hortensius, et elle eut pour lui plus d’importance. Il nous dit qu’elle lui permit de se faire une idée plus juste de la nature de Dieu. Jusque-là, il n’avait pu le concevoir que sous une forme matérielle ; il se le figurait, a la façon de certains philosophes, ou comme un souffle, ou comme une flamme, qui anime tout l’univers. Le sens du spirituel et du divin lui manquait: Platon le lui donna. Depuis, il a fait bien des progrès dans cette voie ; sa doctrine s’est de plus en plus spiritualisée, ou, si l’on veut, subtilisée ; il s’est plu aux recherches les plus délicates, les plus vaporeuses sur l’essence de l’âme et sur celle de Dieu. Quoi. pie son ferme bon sens l’ait souvent retenu à terre, il a séjourné aussi bien souvent dans le monde des spéculations métaphysiques, et y a entraîné les esprits après lui : n’oublions pas que c’est à la suite de Platon qu’il s’y est élancé.

Mais nous allons voir se renouveler ici ce qui nous a déjà frappés plus haut ; il lui arriva comme à l’époque où il lisait lHortensius. Platon le ravit sans le contenter, ses théories lui en rappelèrent d’autres qui lui semblaient encore plus belles ; elles éveillèrent en lui le souvenir des premiers enseignemens qu’on lui avait donnés, et, pour la seconde fois, l’élan, qui lui était communiqué par la sagesse antique, le porta plus loin qu’elle. Nous avons vu que ce qui avait détourne des ouvrages philosophiques de Cicéron, c’est qu’il y trouvait pas le Christ. Le Christ était dans Platon ; Augustin n’eut pas de peine à le reconnaître dans ce logos divin qui sert d’intermédiaire entre l’homme et Dieu, et qui est la même chose que le Verbe du quatrième évangile. Mais la doctrine platonicienne ne nous présente le Verbe que dans tout l’éclat de sa puissance : c’est un Dieu triomphant, qui crée le monde et le gouverne, et ce que cherchait Augustin, c’était le Verbe fait chair, revêtant la condition des hommes pour être plus près d’eux, acceptant les misères de l’humanité pour les consoler. Cette notion d’un Dieu pauvre, humble, persécuté, les philosophies antiques ne pouvaient pas la lui donner. « Vous l’avez cachée aux sages, disait-il à Dieu dans sa prière, et révélée aux petites gens, afin que ceux qui sont accablés et chargés vinssent à vous. » — Cette fois, il voyait nettement où son âme devait s’adresser pour trouver enfin le repos,

À Milan, où sa conversion devait s’achever, Augustin connut saint Ambroise. C’était alors le plus grand personnage de l’église d’Occident, et peut-être l’un des plus importans de l’empire. Il dépassait les autres évêques par son talent, ses vertus, l’affection qu’il inspirait à son peuple et le respect que les princes lui témoignaient. Sa naissance, ses relations, ses habitudes, le rattachaient à l’ancienne société ; il tenait à la nouvelle par ses croyances et sa dignité, et pouvait ainsi faire une sorte d’union entre elles. Dès que le jeune professeur d’éloquence fut arrivé à Milan, il s’empressa d’aller voir l’évêque dont on parlait partout : il avait bien des conseils à lui demander, bien des doutes à lui soumettre. Par malheur, il ne put pas l’entretenir autant qu’il l’aurait voulu. Saint Ambroise recevait tout le monde, à toutes les heures du jour, et naturellement on abusait beaucoup de sa facilité ; c’était toute la journée un flot de fidèles qui venaient voir leur évêque pour entendre de lui quelque parole d’édification. Augustin y alla comme les autres, mais la foule était si grande qu’il n’eut le temps que de dire un mot. Dans la suite, il y retourna souvent, sans être plus heureux. Il lui est arrivé plus d’une fois de traverser le cabinet où saint Ambroise travaillait et où il admettait tout le monde ; il y venait avec la pensée de lui parler, mais quand il le voyait silencieux, immobile, les yeux fixés sur le texte des Écritures, tandis que son esprit cherchait à en pénétrer le sens, il n’osait pas troubler ses méditations ; comme les autres, il regardait ce spectacle, et s’en allait tristement sans rien dire. « C’est ma seule douleur, disait-il plus tard dans ses Soliloques, de n’avoir pas pu lui découvrir, autant que je l’aurais souhaité, toute mon affection pour lui et pour la sagesse. » Il est clair que saint Ambroise, distrait comme il l’était par des occupations si graves, ne distingua guère ce jeune homme qui se mettait si obstinément devant ses yeux ; il ne sut pas deviner, dans les courts entretiens qu’ils eurent ensemble, le grand avenir auquel il était réservé. Peut-être cet esprit si net, si ferme, si décidé, fait pour l’action et le gouvernement, eut-il quelque peine à comprendre les éternelles hésitations d’un homme qui, depuis plus de treize ans. cherchait sa voie sans la trouver, et s’arrêtait à chaque pas sur ce chemin de la vérité, où lui-même avait marché si vite[2].

Ne pouvant pas voir saint Ambroise en particulier autant qu’il le désirait, Augustin ne manquait pas de se rendre tous les dimanches à l’église, pour l’entendre parler à son peuple, et il en sortait toujours charmé. Ce n’était pas seulement le talent de l’orateur qu’il admirait, mais la façon dont il présentait et expliquait les Écritures aux fidèles. La méthode qu’il suivait, nouvelle pour les Occidentaux, était familière aux docteurs chrétiens de l’Orient, et leur venait, comme tant d’autres choses, des philosophes grecs. Quand les stoïciens entreprirent de raccommoder les religions populaires avec la philosophie, ils furent fort embarrassés de beaucoup de vieilles légendes que les esprits sensés trouvaient immorales ou ridicules. Pour s’en tirer, ils imaginèrent de dire qu’on ne devait pas les prendre à la lettre, qu’il fallait les traiter comme des allégories qui, sous un air frivole, cachaient des enseignemens profonds. De cette façon, ils parvinrent, à force de finesse et de subtilité, à leur donner une assez bonne apparence. C’est ainsi que, par exemple, Hercule, Thésée et les autres héros de la force brutale, dompteurs de géans et vainqueurs de monstres, devinrent des symboles du sage qui lutte contre les vices et les passions, et qu’on en fit des saints du stoïcisme. Plus tard, Philon-le-Juif eut l’idée d’appliquer le même système aux récits de l’Ancien-Testament, et Origène, qui le trouva commode, l’introduisit dans les écoles chrétiennes d’Alexandrie ; de là il passa en Occident avec saint Hilaire et saint Ambroise. Quand on se rappelle la disposition d’esprit d’Augustin à ce moment, on n’a pas de peine à comprendre qu’il ait été fort satisfait de cette manière d’expliquer les livres saints. Bien que sa foi commençât à s’affermir, il devait encore être quelquefois blessé des légendes singulières de la Bible, dont Porphyre et Julien s’étaient si finement moqués. Assurément, la nouvelle méthode d’interprétation ne les supprimait pas, puisqu’il était entendu qu’il fallait en accepter la réalité avant d’y chercher un sens mystique. Un vrai croyant devait donc regarder d’abord comme certain qu’Isaac fut trompé grossièrement par Jacob et qu’il le bénit, sans le savoir, au détriment de son frère Ésaü ; mais ce qu’il y a d’un peu naïf sans cette histoire disparaît dès qu’on aperçoit les explications qu’on peut en donner. Ce fils aîné que son cadet supplante, avec l’approbation du père, n’est-ce pas une image des juifs remplacés par les gentils, de la loi nouvelle qui se substitue à l’ancienne, de l’église détrônant la synagogue, c’est-à-dire une sorte de prédiction de la conquête du monde par l’Évangile ? Devant ces grandes perspectives la pauvreté de la légende primitive s’efface, et quand elle est ainsi cachée sous les interprétations qui la recouvrent, on a moins de peine à l’accepter. C’était un service important que ce système rendait aux esprits scrupuleux, indécis, à qui la Bible toute nue aurait causé quelque répugnance. En même temps, quand on était, comme Augustin, un bon élève des rhéteurs, un lettré délicat et subtil, cette façon de retourner un texte en tous sens, d’y trouver sans cesse des significations nouvelles, d’en tirer des allusions, des allégories, des images dont les autres ne s’étaient pas avisés, pouvait sembler un des exercices les plus agréables de l’intelligence. Il en fut, quant à lui, si charmé, qu’en voyant l’usage ingénieux qu’on faisait des livres saints, il se sentit plus de goût pour eux et se remit à les lire. Seulement, il avait trop présumé de lui-même en abordant Isaïe, dont saint Ambroise lui avait conseillé la lecture ; il n’était pas encore de force à en saisir la beauté ; mais les Épîtres de saint Paul lui plurent beaucoup, et, depuis ce moment, il en a fait son livre de prédilection.

Que manquait-il pour que la conversion fût complète ? Le cœur était gagné depuis longtemps ; l’esprit venait de capituler ; seule la chair résistait encore. Une première fois, se croyant assez fort pour en avoir raison, il s’était séparé de la femme qui l’avait suivi d’Afrique, qui partageait sa vie depuis tant d’années, et qui était la mère d’Adeodatus. Mais, après son départ, il avait succombé de plus belle et formé une nouvelle liaison. Ce n’était plus passion, mais habitude, et les habitudes sont de tous les liens les plus difficiles à rompre. Changer brusquement la vie qu’on a menée depuis sa jeunesse, cesser tout d’un coup de faire ce qu’on a toujours fait, renoncer à des occupations qui ont commencé quelquefois par être des gênes et qui finissent par devenir des besoins, il n’y a rien de plus malaisé. Le combat contre ces petites choses tyranniques, contre ces dernières révoltes de la chair, dura plus qu’il n’aurait voulu ; il l’a décrit en termes saisissans dans ses Confessions : « Des sottises de sottises, des vanités de vanités, mes vieilles amies, me retenaient encore. Elles me tiraient par mon manteau de chair, me disant tout bas : Tu vas donc nous quitter ? Encore un moment, et nous ne serons plus avec toi ! Encore un moment, et ceci et cela te seront à jamais interdits ! Et par ces mots ceci et cela, qu’entendaient-elles ? Puisse la miséricorde de Dieu en effacer pour toujours le souvenir ! Quelles misères, quelles hontes elles me mettaient devant les yeux ! Je ne les écoutais plus qu’à demi, et elles n’osaient pas me parler en face. Seulement, pendant que je m’éloignais, elles venaient murmurer à mon oreille et me tirer par derrière. C’en était assez pour me retenir, et je ne me sentais plus capable de faire un pas, quand j’entendais ces anciennes habitudes me dire : Pourras-tu vivre sans nous ? ».

La lutte, pourtant, touchait à sa fin. Après tant d’émotions, d’incertitudes, de combats, Augustin en était à ce point d’attente impatiente et de surexcitation fébrile où les moindres circonstances prennent une signification particulière. Il nous raconte qu’un jour, étendu sous un arbre, dans le petit jardin de sa maison, il pleurait et gémissait, se reprochant sa lâcheté, s’exhortant à faire un dernier effort et à briser ses dernières chaînes, lorsqu’il entendit une voix d’enfant qui, de la maison voisine, répétait en chantant cette sorte de refrain : « Prends et lis ; prends et lis. » Ces mots lui parurent un avertissement du ciel, et ouvrant au hasard les Epitres de saint Paul, qu’il avait sous la main, il tomba sur le passage suivant : « Ne vivez pis dans les festins et dans l’ivresse, dans l’impudicité et la débauche ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à contenter votre chair par les plaisirs des sens. » L’apôtre semblait parler pour lui. « Aussitôt, nous dit-il, il se répandit dans mon âme comme une lumière qui lui donna le repos, et tous les nuages de mes doutes se dissipèrent en même temps. »

Cette fois il était vaincu : sa résolution fut prise de quitter définitivement le monde. Comme on approchait des vacances de septembre[3], il annonça qu’il ne remonterait pas dans sa chaire à la rentrée. Un de ses amis, Vérécundus, professeur à Milan comme lui, possédait dans les environs une maison de campagne appelée Cassusuacum. Il la mit à la disposition d’Augustin, qui s’y retira pour se préparer au baptême.


III.

Jusqu’ici nous avons suivi fidèlement le récit des Confessions ; c’est le seul où saint Augustin nous ait conservé le souvenir de sa jeunesse. Mais pour l’époque où nous arrivons, nous sommes plus riches. Il a beaucoup écrit pendant son séjour à Cassisiacum, et ses ouvrages, que par bonheur nous possédons encore, vont nous donner le moyen de savoir exactement comment il y passait sa vie.

Quand on songe qu’il s’y était enfermé pour se préparer au baptême, on est d’abord tenté de croire qu’il y a uniquement vécu dans la solitude et la pénitence, et l’on imagine un de ces couvens rigoureux où le temps s’écoule entre les abstinences, les larmes et la prière. Il n’en est rien. Nous connaissons fort mal la maison de Vérécundus, mais elle ne nous fait pas l’effet d’un couvent. Tout ce qu’on nous en dit, c’est qu’elle était voisine de Milan et située vers le sommet des montagnes. Il est donc vraisemblable qu’elle s’élevait sur les premiers contreforts des Alpes, en face des belles plaines et des lacs enchantés de la Lombardie. Saint Augustin ne paraît pas avoir été touché du pays charmant qu’il avait sous les yeux, et nulle part il n’a pris la peine de le décrire. Mais on sait qu’en général les chrétiens se méfiaient de la nature, la grande inspiratrice du paganisme, et qu’ils avaient autre chose à faire que d’en contempler les beautés. Je me figure qu’absorbés par la recherche de la perfection morale, quand ils se trouvaient en présence d’un beau paysage dont la vue pouvait les distraire de leurs méditations, ils se disaient, comme Marc-Aurèle : « Regarde en toi-même. » Il ne faudrait donc pas conclure du silence de saint Augustin que la villa où Vérécundus allait se reposer des fatigues de l’enseignement eût rien de triste et d’austère.

D’ailleurs saint Augustin n’y était pas arrivé seul ; il y avait mené avec lui une assez nombreuse compagnie : sa famille d’abord, c’est-à-dire sa mère, son fils, un de ses frères, ses cousins, puis quelques jeunes gens, ses élèves chéris, dont il n’avait pas voulu se séparer en quittant le monde, deux surtout qui étaient devenus ses amis les plus chers, après avoir été ses meilleurs disciples, Alypius, qui le suivait depuis Thagaste, et Licentius, le fils de son ancien protecteur, Romanianus. Tout ce monde était jeune, bruyant, agité. On vivait en commun, sous la direction d’Augustin ; Monique était naturellement chargée du ménage, mais on verra qu’elle ne s’y tenait pas confinée, et qu’elle était admise aussi dans les entretiens les plus savans. Augustin, quoiqu’il eût rompu avec le monde, ne laissait pas d’avoir quelques affaires sérieuses à traiter. Il semble que Vérécundus, en abandonnant sa maison à son ami, l’avait chargé d’y tenir tout à fait sa place. Le domaine devait être assez important : Augustin s’en occupait comme s’il en eût été vraiment le maître ; il surveillait les ouvriers, il tenait les comptes, et ces travaux de propriétaire et de bon agriculteur lui prenaient une partie de son temps ; le reste était donné à l’étude[4]. Mais voici qui est fait pour nous surprendre : cette étude n’est pas uniquement celle des livres saints, la seule, à ce qu’il semble, qui dût convenir à un pénitent. Dans le tableau qui nous est tracé de l’emploi des journées à Cassisiacum, il n’est guère question que des sciences profanes, surtout de la rhétorique et de la grammaire. Nous voyons qu’on y lit avec le plus grand soin les auteurs classiques ; une fois on explique tout un livre de Virgile avant le dîner, et l’on achève les autres les jours suivans. Il semble vraiment qu’Augustin ne fasse autre chose que de continuer, pour quelques élèves de choix, son métier de professeur. Cependant il nous dit qu’il en était bien las, bien ennuyé, pendant les derniers mois de son séjour à Milan, qu’il lui tardait de descendre de cette chaire qu’on le félicitait d’occuper, et que, quand le terme de l’année scolaire fut venu, il avait été heureux d’annoncer aux magistrats « qu’ils auraient à se pourvoir d’un autre vendeur de paroles. » Si les exercices de l’école lui paraissaient si futiles, s’il a mis tant d’empressement à les fuir, on a grand’peine à comprendre que le premier usage qu’il fait de la liberté, dès qu’il l’a reconquise, consiste à reprendre des occupations pour lesquelles il vient de témoigner tant de dégoût.

Il est vrai qu’à cet enseignement de la grammaire et de la rhétorique il joint celui de la philosophie, qui, depuis la lecture de l’Hortensius, avait toutes ses préférences. Mais il faut remarquer que, malgré son affection pour elle, il ne lui sacrifie pas les autres études : ici, comme il arrivait alors dans les écoles, elle ne vient qu’après le reste et aux momens perdus. C’est une récompense et une distraction que le maître accorde à ses élèves lorsqu’il est content d’eux. Elle lui sert aussi à mesurer les progrès qu’a faits leur intelligence et à savoir s’ils sont devenus capables de penser tout seuls. Quand il croit devoir leur permettre ce divertissement, après un repas léger qui leur laisse toute la vivacité et la liberté de l’esprit, il les amène, s’il fait beau, dans la campagne, sous un grand arbre ; si le temps est mauvais, on descend dans la salle de bain, qui est spacieuse et commode ; on fait alors venir un sténographe (notarius) qui doit recueillir toute la conversation pour empêcher qu’elle ne s’égare: il ne faut pas qu’on soit tenté de retirer les concessions qu’on a faites et de revenir sur le chemin qu’on a parcouru ; ne serait-il pas fâcheux, d’ailleurs, « que le vent emportât toutes les belles choses qu’on va dire ? » Augustin pose ensuite une question, et la discussion commence.

Tous y prennent part à leur tour ; Monique même dit son mot à l’occasion. et ce mot est toujours si sensé, si juste, que saint Augustin se demande pourquoi l’on refuse aux femmes le droit d’agiter ces problèmes. « Il y a eu, dit-il à sa mère, des femmes philosophes dans l’antiquité, et je n’en connais pas dont la philosophie me plaise autant que la tienne. » Les jeunes gens sont chargés d’animer et d’égayer l’entretien. L’un d’eux, Licentius, est poète, poète accompli, nous dit Augustin, qui le juge avec trop de complaisance. « c’est un genre d’oiseaux, ajoute-t-il, qui voltige sans cesse et ne reste jamais à la même place. » Licentius changeait donc souvent d’opinions et de goûts, ce qui désespérait son maître. Il venait précisément d’écrire un poème sur Pyrame et Thisbé, dont il était fort satisfait ; mais dès que la discussion commence, la philosophie lui fait oublier les Muses : « Elle vaut mieux que Pyrame, s’écrie-t-il ; elle est plus belle que Thisbé ; elle a plus de charmes que Vénus et Cupidon ! » Et il ne songe plus qu’à disputer. Il se jette alors avec ardeur dans la lutte, il se défend, il attaque ; il est spirituel[5], incisif, provocant, si bien que la querelle entre les jeunes amis devient quelquefois assez vive, et que le maître est obligé d’intervenir. En général, c’est lui qui, vers la fin, prend la parole ; il résume le débat et il en tire les conclusions. À ce moment, le ton s’élève ; on voit se dessiner les conséquences des idées qu’on a discutées en se jouant, et d’ordinaire, la conversation, légère et capricieuse, s’achève dans un grave discours.

Un ami des lettres classiques, quand il lit les ouvrages où sont rapportés ces entretiens, ne se trouve pas dépaysé ; il lui semble qu’il parcourt des lieux qui lui sont connus. Saint Augustin, en les écrivant, avait Cicéron devant les yeux ; et au-delà des dialogues philosophiques de Cicéron, dont il était ravi, il entrevoyait ceux de Platon, qui les ont inspirés. C’est ce qui s’aperçoit dès le début. Quand il conduit le matin ses disciples causer de la vie heureuse et de la Providence sous un grand arbre, dans un pré, on voit bien qu’il songeait à ce platane du Phèdre, qui entendit Socrate parler si merveilleusement de la beauté, et à celui de Tusculum, sous lequel Crassus, Antoine et leurs amis, étaient venus un jour s’asseoir, entre deux orages politiques, pour s’entretenir de l’éloquence. Ces entretiens l’ont charmé ; ce n’est pas assez dire qu’il en garde le souvenir ; il semble qu’il y assiste encore, et tous ses efforts tendent à les reproduire le plus fidèlement possible. Il veut surtout que ses personnages, comme ceux de Cicéron, s’expriment en périodes cadencées, dans un style élégant, semé de métaphores classiques. Point de mots ou de tours nouveaux, si ce n’est ceux qui échappent sans qu’on le veuille, quand on est habitué à entendre mal parler autour de soi ; point ou presque point de ces phrases raboteuses et de ces figures incohérentes qui vont devenir nombreuses dans les Confessions et ailleurs. Non-seulement il cherche à les faire bien parler, il veut qu’ils évitent toute apparence de pédantisme ; quoique au fond ces questions lui tiennent au cœur plus qu’il ne veut le dire, il affecte quelquefois de les traiter avec une sorte de légèreté. Quand la nuit le force d’interrompre la discussion : « Voici le moment, dit-il à ses jeunes gens, d’enfermer vos jouets dans leur coffre ; » on les reprendra le lendemain. Ce n’est pas qu’il ne s’y rencontre souvent des passages sérieux, où l’émotion d’un cœur troublé se découvre, quelque effort qu’il fasse pour la contenir. Nous venons de voir que d’ordinaire le ton devient plus grave vers la fin. Mais il tient à ne pas nous laisser sur ces impressions ; la question traitée et le débat fini, la compagnie se sépare avec un sourire: Hic quaum arrisissent finem fecimus[6].

On voilà quel point, dans ses Dialogues, le style, la composition, la forme enfin, sont imités de Cicéron ; le fond paraît l’être plus encore. Quand on lit les titres que saint Augustin leur a donnés (Contra Academicos, De vita beata, De ordim), on se croit à Tusculum, parmi les contemporains de César. Sont-ce là vraiment les sujets qui préoccupaient les esprits sous Gratien ou sous Théodose, en plein christianisme, à la veille de l’invasion ? Il est difficile de le croire. Passe encore pour des études sur l’ordre du monde, sur la Providence, sur l’origine du mal : ces questions sont de tous les temps, et elles ont troublé f)lus d’une fois le sommeil d’Augustin ; mais était-ce bien la peine alors d’attaquer les académiciens, et avait-on véritablement quelque danger à craindre d’eux ? Saint Augustin nous dit lui-même qu’à ce moment les vieilles écoles étaient désertes, et qu’à l’exception de quelques cyniques vagabonds, qui amusaient la foule en attendant qu’ils fussent remplacés par les moines mendiant, et des quelques platoniciens ou pythagoriciens qui cachaient sons ce nom honorable un goût malsain pour les sortilèges et les maléfices, il n’y avait presque plus de philosophes. Puisqu’ils étaient si peu nombreux, si mal écoutés, si près de disparaître, pourquoi se mettre en peine de les combattre ? Est-ce à dire pourtant qu’il n’eut aucune raison de le faire et qu’il entreprit une œuvre inutile ? Je ne le crois pas. En vérité, c’est moins à une secte particulière qu’il en veut qu’à une tendance générale de l’esprit antique, qui, malgré la diversité des temps, pouvait encore survivre chez quelques personnes. Les Grecs, on le sait, étaient plus curieux de problèmes que de solutions. En toute chose, le plaisir qu’ils prennent sur la route les rend moins impatiens d’arriver au but. La philosophie leur semble plutôt un moyen d’exercer leur intelligence que de conquérir la vérité. Aristote l’appelle « l’activité libre d’une âme sans besoin. » À l’époque de saint Augustin, cette définition n’était plus de mise : les âmes alors avaient besoin de croyances solides, et comme la philosophie avait peine à les leur donner, elles les demandaient à la religion. C’est ce qui les amenait de tous les côtés au christianisme. Si l’on avait pu se contenter de cette demi-obscurité où nous laissent les discussions des sages et s’y endormir en paix, on aurait eu moins de raison de devenir chrétien. On peut donc dire que saint Augustin, en consacrant trois livres entiers à soutenir, contre les académiciens, que ce n’est pas la recherche, mais la possession de la vérité, qui nous rend heureux, n’a pas perdu tout à fait son temps. Il avait l’air de discuter des idées passées de mode et d’attaquer une école disparue ; en réalité, il défendait sa foi. C’est ce qu’il a fait aussi dans son traité de la Vie heureuse. Ce titre nous rejette au milieu de la philosophie grecque et romaine ; toutes les sectes anciennes se sont posé le problème du bonheur, et chacune a essayé de le résoudre à sa façon. Varron prétend qu’il est susceptible de deux cent quatre-vingt-huit solutions différentes, qui presque toutes ont été défendues par quelque sage. Saint Augustin le reprend à son tour, et d’abord il semble qu’il ne fait guère que suivre la route commune. Quand il nous dit que le bonheur consiste dans la sagesse et la sagesse dans une sorte d’équilibre de l’âme, je crois entendre parler un philosophe d’autrefois ; mais bientôt le chrétien se montre. Cet équilibre, ajoute-t-il, ne peut être obtenu que si l’on connaît et l’on possède Dieu. Nous voilà ramenés ainsi à la solution chrétienne : c’est en Dieu que resplendit la vérité, et l’âme ne sera pleinement heureuse que par celui qui peut seul rassasier la soif qu’elle a de savoir, illa est igitur plena satictas animorum hœc est beata vita, pie perfecteque cognoscere a quo inducaris in veritatem. À ces mots, la bonne Monique se reconnaît : c’est bien la vie heureuse comme elle se la figure, comme la lui montrent ces livres sacrés dont elle fait sa lecture ordinaire, celle à laquelle on arrive « conduit par la foi, porté par l’espérance, soutenu par la charité ; » et, dans sa joie, elle entonne l’hymne de saint Ambroise :


Fove precantes, Trinitas.


Mais elle ne s’est reconnue qu’à la fin, et elle a écouté tout le reste de la conversation, où la sagesse antique occupe tant de place, sans y rien comprendre.

C’est donc au christianisme que toutes ces discussions philosophiques nous amènent ; avec un peu de bonne volonté, on l’aperçoit toujours dans le lointain, au bout de toutes les avenues, mais il faut avouer qu’on ne le voit pas du premier coup. On dirait qu’au lieu de le mettre en pleine lumière, Augustin cherche par momens à le voiler. Comprend-on, par exemple, que le nom du Christ, ce nom sans lequel, nous dit-il, rien ne pouvait lui plaire, n’y soit jamais prononcé ? C’est à peine si une fois ou deux il cite en passant les Écritures. Mais, en revanche, il y est partout question de la philosophie. C’est « dans le sein de la philosophie » qu’il s’est jeté après tous ses égaremens ; elle est pour lui « le plus sûr et le plus agréable de tous les ports, » et il invite ses amis à s’y réfugier avec lui. Sans elle, il ne peut y avoir aucun bonheur dans la vie. Elle promet de révéler à ceux qui l’étudient ce qu’il y a de plus important à connaître et de plus difficile à découvrir, c’est-à-dire les mystères du monde et la nature de Dieu, et il a confiance en ces belles promesses, il est sûr qu’un jour elle les tiendra. Ce jour, sans doute, est encore très loin pour lui, il lui reste beaucoup à faire: c’est à peine s’il commence à entrevoir la vérité ; « mais il n’a que trente-trois ans, et il ne désespère pas, à force de travail et de peine, en méprisant tous les biens que les hommes recherchent et en s’enfermant pour jamais dans ces études sévères, d’atteindre plus tard les limites de la sagesse humaine. » Voilà ce qu’il se promet pour l’avenir ; quant au plus grand événement de sa vie passée, sa conversion, comme elle avait fait beaucoup de bruit dans le monde, il faut bien qu’il en dise un mot ; mais il a soin de lui donner aussi, en la racontant, une teinte philosophique. Il fait allusion à la scène qui se passa dans le jardin de Milan, ou, comme il dit, à cette flamme qui le saisit tout d’un coup, et à la lecture du fameux passage de saint Paul ; mais comprend-on qu’il ajoute « que la philosophie lui apparut alors si grande, si belle, qu’à cette vue l’ennemi le plus résolu de la sagesse, l’homme le plus enfoncé dans les intérêts ou les divertissemens du monde, aurait renoncé aux plaisirs et aux affaires pour se jeter dans ses bras ? « Il s’agissait bien de philosophie en en moment ! Nous sommes, comme on voit, fort éloignés du récit des Confessions. Est-il possible d’admettre que cet homme qu’elles nous montrent terrassé par la grâce, pleurant et gémissant sur ses fautes, abîmé dans sa douleur, soit le même qui entretient ici paisiblement ses élèves de problèmes de morale et de la métaphysique, qui se met sous la direction de la philosophie avec une confiance si sereine, et promet de lui consacrer sans réserve toute son existence ? Et puisque les deux personnages diffèrent entre eux, pouvons-nous savoir, du pénitent ou du philosophe, lequel est le véritable ?

Peut-être convient-il de répondre qu’ils sont vrais tous les deux. Saint Augustin se trouvait à un de ces momens où, suivant le mot du poète, on sent plusieurs hommes en soi. Sa conversion était trop récente pour que ses sentimens nouveaux eussent tout à fait effacé ses anciennes habitudes. Dans cette âme toute frémissante de la lutte qu’elle venait de soutenir, le pénitent l’avait définitivement emporté, mais le philosophe vivait encore. C’est lui surtout qu’on retrouve dans les Dialogues. Comme il voulait les faire paraître, et qu’il espérait même en tirer quelque gloire, il les a un peu accommodés au public auquel ils étaient destinés. Par la nature même des sujets qu’ils traitent, ces livres ne pouvaient convenir qu’à des lettrés qui avaient reçu une bonne éducation et qui connaissaient les écrivains antiques ; or ces gens-là, nous le savons, étaient très mal disposés pour le christianisme. Ils en voulaient surtout à la religion nouvelle, lorsqu’elle enlevait au monde un de ceux sur lesquels le monde se croyait en droit de compter. Augustin n’ignorait pas la colère qu’avaient ressentie ses amis, ses élèves, ses admirateurs, en le voyant renoncer à des fonctions qui lui promettaient tant de gloire. Il éprouvait donc le besoin de les désarmer ; il tenait à leur montrer que le christianisme n’était pas aussi contraire qu’ils croyaient à la sagesse antique ; il voulait surtout leur présenter sa conversion sous un jour qui leur permît de la comprendre. Il la leur raconte comme il pourrait le faire de celle du jeune débauché Polémon conquis à la tempérance et à la vertu par la parole de Xénocrate ; et quand il conseille à ses amis d’imiter son exemple, on croirait entendre Sénèque prêchant la retraite à Lucilius. Ainsi, des deux hommes, il a soin, pour ne pas les effaroucher, de ne leur en montrer qu’un ; mais celui qu’il montre existait réellement en lui. Soyons sûrs que la philosophie tenait encore beaucoup de place dans ses études ; il se l’est reproché plus tard, mais au moment où nous sommes, il n’était pas si scrupuleux et s’y abandonnait sans remords. On peut donc admettre que, dans le tableau qu’il fait de sa vie à Cassisiacum, il ne nous ait pas tout dit ; mais tout ce qu’il nous dit est vrai. Les incidens qu’il rapporte se sont passés comme il les décrit ; les discours qu’il prête à ses personnages sont parfaitement authentiques, puisqu’ils ont été recueillis par un sténographe[7]. Voilà bien ce qu’on faisait, ce qu’on disait toute la journée, dans cette réunion de jeunes gens dont il était l’âme ! Sans doute on peut croire que, lorsqu’il avait quitté cette jeunesse, qu’il n’était plus préoccupé de lui plaire et de l’instruire, le soir, dans sa chambre, sur ce lit qu’il baignait de ses larmes, il devait avoir d’autres pensées[8]. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’en revenant le matin à ces études de grammaire et de philosophie dont il avait pris congé avec tant d’éclat, il ne semble pas le faire de mauvaise grâce. Nulle part il ne laisse entendre que ce sont des occupations vaines ou dangereuses auxquelles il se résigne malgré lui. Au contraire, il paraît y prendre plaisir. Il s’intéresse le premier aux questions qu’il pose à ces jeunes gens, et l’on sent qu’il est fort satisfait d’intervenir dans leurs débats.

Le plaisir qu’il paraît y prendre nous remet dans l’esprit un passage très curieux de ses Confessions. Il y raconte que, quelques années auparavant, avec une dizaine d’amis, tous épris de littérature et de science, il avait eu l’idée de former une sorte d’association, ou, comme nous dirions aujourd’hui, un phalanstère. Ils devaient se réunir loin du monde, dans quelque endroit isolé, et mettre en commun ce qu’ils possédaient. Tous les ans, deux d’entre eux auraient été nommés pour gérer les affaires de la société: les autres, débarrassés des soucis vulgaires, libres et maîtres d’eux-mêmes, n’auraient eu qu’à vivre de la vie de l’esprit, et se seraient livrés sans partage à la méditation et à l’étude. Ce projet, qui souriait beaucoup à saint Augustin, et que des difficultés d’organisation liront alors échouer, il semble l’avoir repris dans la villa de Vérécundus, et peut-être ne s’y trouva-t-il si heureux que parce qu’il y réalisait un rêve de sa jeunesse. Cette retraite, on le voit, était plutôt une communauté de sages qu’un couvent de moines.

Il y passa tout l’hiver, et ne revint à Milan que vers les fêtes de Pâques. C’est là qu’il reçut le baptême, le 25 avril 387, avec Alypius son ami et son fils Adéodatus, des mains de saint Ambroise.

IV.

Cette époque de la vie de saint Augustin, qui va de sa conversion à son baptême, est en général peu connue. Les Confessions n’en disent presque rien ; entre les dissipations de sa jeunesse et l’éclat de son âge mûr, elle risque de disparaître. Je crois pourtant qu’il était utile de l’étudier et de lui rendre son véritable caractère.

C’est une sorte de période intermédiaire que d’autres grands docteurs de l’église ont aussi traversée, par exemple saint Cyprien ; il y en a même, comme Arnobe, qui n’en sont jamais sortis. Tous ces gens-là venaient des écoles où ils avaient passé leur jeunesse dans l’étude des chefs-d’œuvre de l’antiquité ; plusieurs d’entre eux étaient ensuite devenus maîtres, et en enseignant aux autres ce qu’on leur avait appris, ils s’y étaient plus étroitement attachés. Le christianisme avait donc trouvé chez eux la place occupée, et il n’y pénétrait que par force. De là, le plus souvent, des luttes violentes entre les anciennes admirations et les croyances nouvelles ; de là aussi quelquefois, dans les momens de fatigue ou d’apaisement, des alliances entre elles, des compromis, des essais pour les faire vivre ensemble, et mettre, s’il se pouvait, le présent et le passé d’accord.

Voilà précisément ce qu’entreprenait saint Augustin, en se retirant à Cassisiacum : la lecture des Dialogues nous montre qu’il veut concilier l’homme ancien et l’homme nouveau, le professeur et le chrétien. Le matin, après avoir fait la prière, on se met à expliquer Virgile ; on cite saint Matthieu et Platon ; on chante les Psaumes et on célèbre Pvrame et Thisbé ; on cherche dans saint Paul des argumens pour se livrer avec plus d’ardeur à la philosophie. Gardons-nous de croire que ce mélange singulier révèle seulement la confusion d’une âme qui se connaît mal, et où se mêlent, sans qu’elle s’en aperçoive, des tendances contraires: c’est un système arrêté. Saint Augustin nous a raconté comment, après de longues luttes et de cruels déchiremens, il s’était décidé à croire sans preuve. Cependant, il ne lui suffit pas de croire, il veut comprendre. La foi ne lui paraît solide que si elle s’appuie sur la raison ; mais la raison a besoin d’être exercée pour atteindre la vérité, et c’est dans les écoles qu’elle s’exerce, par l’étude des sciences profanes, par l’usage de la dialectique, par la connaissance de la philosophie. Malheureusement, toutes ces sciences sont suspectes au christianisme. Saint Paul a pris soin de prémunir les fidèles contre les séductions des philosophes ; Tertullien les regarde comme les pères de toutes les hérésies, et il s’emporte contre ce a misérable Aristote » qui a mis en régie l’art de tromper ; Minucius Félix appelle Socrate « le bouffon d’Athènes, » et traite ses disciples de corrupteurs et de débauches qui font leur propre procès quand ils attaquent les vicieux. Il semble que la conclusion naturelle de ces violences était d’interdire à la jeunesse chrétienne de fréquenter les écoles où l’on apprend ces sciences périlleuses, où on lit, où l’on admire ces livres empoisonnés ; mais aucun docteur de l’église n’a osé le faire. Tertullien lui-même recule devant cette conséquence, et, malgré sa mauvaise humeur, il tolère l’enseignement profane, parce qu’il ne lui paraît pas possible de s’en passer. Saint Augustin ne le tolère pas seulement, il le recommande: « La pratique des études libérales, dit-il dans un de ses Dialogue !, pourvu qu’on la maintienne dans certaines bornes, anime l’esprit, lui donne plus de facilité et plus de force pour atteindre la vérité, fait qu’il la souhaite avec plus d’ardeur, qu’il la cherche avec plus de persévérance, qu’il s’y attache avec plus d’amour. » Et ailleurs: « Si je puis donner un conseil à ceux que j’aime, je leur dirai de ne négliger aucune des connaissances humaines[9]. » Sans doute, l’apôtre a dit : « Prenez garde qu’on ne vous surprenne par la philosophie ; » mais il veut parler de celle qui ne songe qu’aux intérêts de la terre. Il y en a une autre qui se préoccupe du ciel et qui ne mérite pas d’être condamnée. « Prétendre qu’on doit fuir toute espèce de philosophie, ajoute saint Augustin, qu’est-ce autre chose que de dire qu’il ne faut pas aimer la sagesse ? « Il est donc résolu à continuer de l’étudier, et il se donne la tâche, pour le reste de sa vie, de lire avec soin Platon et d’en tirer tout ce qui n’est pas contraire aux enseignemens de l’Évangile. C’est ainsi qu’il pourra se faire une philosophie à la fois profane et chrétienne.

Tel était son dessein, et il a cherché d’abord à le réaliser. Pendant l’année qu’il passa encore en Italie, et au début de son séjour en Afrique, nous le voyons occupé d’écrire des livres de grammaire, de rhétorique, de dialectique, etc., son traité sur la musique, et celui qu’il a intitulé : Du maître. Mais sa vie prenait déjà une autre direction. Dans les dernières lettres qu’il adresse à Nébridios on sont que son ardeur pour les recherches philosophiques n’est plus la même. les livres saints, auxquels il avait tant résisté, le charmaient tous les jours davantage. En faisant connaissance avec la véritable vie monastique, il comprit ce qu’avait d’artificiel et d’incomplet pour une âme comme la sienne ce repos studieux (liberale otium) dont il avait joui dans la villa de Vérêcundus. Enfin il devint prêtre, et presque aussitôt évêque ; dès lors, comme il le dit lui-même, devant des devoirs plus sérieux, il laissa échapper de ses mains tous ces divertissemens d’homme de lettres, omnes illæ deliciæ fugere de manibus.

Ainsi saint Augustin n’a pas persisté longtemps dans le rôle qu’il s’était donné d’unir ensemble la religion et la philosophie. Mais qu’importe ? Ses efforts n’ont pas été perdus. Le travail, interrompu en apparence, se continua lentement et sans bruit, dans son esprit comme dans celui des autres, et à la longue le résultat fut atteint. Pendant ces tristes années du Ve siècle, où l’empire achevait de mourir, un grave problème se posait. La vieille religion une fois vaincue, il s’agissait de savoir si sa défaite entraînerait l’anéantissement du monde ancien, si la victoire du christianisme ressemblerait à celle de l’islam, qui n’a jamais pu s’assimiler aucun élément étranger et n’a rien laissé debout autour de lui. Heureusement, le goût des lettres et des arts, la culture gréco-romaine, avaient trop profondément pénétré les nations de l’Occident pour être déracinés même par une religion triomphante. Ces deux forces contraires, sentant qu’elles ne pourraient pas se vaincre, ont bien été obligées de s’accorder, et notre civilisation est le fruit de cet accord. Il nous faut donc être reconnaissans à tous ceux qui de quelque manière ont mis la main à l’œuvre. Nous leur devons ce bienfait que non-seulement l’antiquité s’est conservée dans nos bibliothèques comme un objet de belles études, mais que nous la sentons vivante en nous, qu’elle est entrée dans notre façon de voir et de penser, dans notre esprit et dans notre âme. Un des meilleurs ouvriers de ce grand ouvrage est assurément saint Augustin ; voilà ce qui donne de l’intérêt aux Dialogues philosophiques quelque faibles et pâles qu’ils paraissent à côté des Confessions et de la Cité de Dieu ; c’est par là que cette retraite de Cassisiacum, qui semble d’abord n’être qu’une crise passagère dans l’existence d’un homme, prend une certaine importance dans l’histoire même de l’humanité et mérite l’étude que nous venons de lui consacrer.


GASTON BOISSIER.

  1. Voyez la Revue du 15 février et du 1er  juillet 1886 et du 1er  août 1887.
  2. Si saint Augustin fit peu d’attention au jeune professeur, il paraît avoir été plus frappé de sa mère, qui était venue le rejoindre à Milan. L’évêque avait remarqué l’ardente piété de Monique, et il en parlait avec attendrissement à son fils.
  3. Vers cette époque, un édit de Théodose et de Valentinien II régla définitivement les vacances pour les tribunaux de l’empire et vraisemblablement aussi pour les écoles. C’étaient d’abord deux mois à la fin de l’été « pour éviter les chaleurs de la saison et cueillir les fruits de l’automne, œstivis fervotibus miligandis et autumnis fœtibus decerpendis, » puis quinze jours à Pâques et trois jours au premier de l’an. Dans l’année, on avait congé tous les dimanches, à l’anniversaire de la naissance de l’empereur et de son avènement, et pour la fête de Rome. Il est remarquable que, quand tant de choses ont changé depuis quinze siècles, les congés soient restés à peu près les mêmes.
  4. Quelques heures pourtant étaient occupées à écrire des lettres, et c’est alors qu’a commencé cette admirable correspondance de saint Augustin, que nous avons conservée, et qui jette tant de lumière sur l’état des esprits à ce moment.
  5. Il fait même, à l’occasion, des calembours : facilius est errorem definire quam finire.
  6. Il faut avouer que l’imitation est poussée quelquefois jusqu’à un point qui ne laisse pas de surprendre. Il arrive à Cicéron, qui, comme on sait, était fort vaniteux, de profiter de la forme du dialogue pour se décerner à lui-même toute sorte d’éloges, sous le nom d’un des interlocuteurs. Saint Augustin fait comme lui. À la fin de son traité Contre les académiciens, il a placé une tirade admirative d’Alypius qui s’achève par ces mots : « Nous suivons un guide qui, avec l’aide de Dieu, nous fera connaître tous les mystères de la vérité. » La modestie de saint Augustin a dû souffrir de transcrire ces complimens ; mais il fallait bien imiter Cicéron.
  7. Saint Augustin ne le dit pas seulement dans son dialogue Contre les académiciens, il le répète dans son traité Du maître. Là il affirme qu’il a reproduit les raisonnemens de son fils Adéodatus, qui, à seize ans, parlait déjà comme un sage et dont la force d’esprit lui faisait peur.
  8. Ces pensées, il les a conservées dans l’ouvrage intitulé : Entretiens avec moi-même (Soliloquia). Ces entretiens nous montre l’autre côté de l’homme. Il faut les lire avec les Dialogues pour connaître saint Augustin tout entier dans la retraite de Cassisiacum.
  9. Il est vrai que, dans le livre intitulé les Rétractations, où, à la fin de sa vie, il passe en revue et juge tous ses ouvrage », il trouve qu’en ce passage il est allé trop loin « et qu’il accorde trop d’importance à des sciences que beaucoup de saints personnages ont ignorées. » Cependant, même à ce moment, et quoiqu’il eût beaucoup changé, nous ne le trouvons pas trop sévère pour les ouvrages de sa jeunesse, où la philosophie profane tient tant de place.