Essais sur les principes des finances/4

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CHAPITRE QUATRIEME.

De l’impôt sur les consommations.


Nous avons dit que pour assurer les avantages dont ce genre d’impôt est susceptible, il falloit l’établir de maniere qu’en exemptant d’abord le premier ordre des denrées de nécessité, le droit commençât par porter foiblement sur le second, pour s’élever ensuite par des quotités progressives jusqu’aux derniers degrés du superflu.

Quel rang chaque denrée doit-elle occuper dans cet ordre graduel ? Comment faut-il la soumettre à l’impôt ? Quelle est la proportion marquée par la balance du commerce, entre l’impôt & les valeurs ? C’est-là que sont posées les bornes où je dois indispensablement m’arrêter, par deux raisons.

L’une, que je n’ai promis que des principes.

L’autre, que l’application des principes aux détails, par des solutions justes & précises à chacune de ces trois questions, supposeroit un ensemble de connoissances générales & particulieres qu’un homme isolé ne peut acquérir par ses propres recherches ; & qu’il pourroit à peine se procurer dans les cabinets des Ministres, qu’on ne lui ouvriroit peut être qu’avec difficulté.

Car tout ce qui tient à l’intérieur de l’administration, fait partie de ce qu’on nomme le Secret de l’état, qu’il importe d’autant plus de cacher soigneusement à la curiosité des particuliers, que la possibilité seule de le pénétrer, fournissant à quiconque se vanteroit de l’avoir fait, un prétexte spécieux de dogmatiser, chaque jour verroit éclôre une foule de systêmes nouveaux, à qui leur absurdité même attireroit des partisans ; parce qu’en fait d’économie politique, le commun des lecteurs ne voit rien au-delà du côté séduisant qu’on lui présente, & adopte sans examen l’idée qui l’éblouit le plus. Delà mille opinions aussi fausses que bisarres, qui après avoir servi de matiere à des discussions oiseuses, pourroient ensuite dégénérer en esprit de parti ; mais dont l’effet le plus infaillible est de mener par la critique au dégoût du gouvernement sous lequel on vit ; & de relâcher de plus en plus les nœuds de l’amour mutuel qui unit les Peuples à leur Souverain.

Dès qu’il est question d’asseoir & de régler l’impôt, les observations particulieres les mieux faites, ne peuvent conduire à des inductions fixes & générales. Ce que la théorie prendroit pour des rapports analogiques, cacheroit souvent à ses yeux des différences essentielles. Chaque objet a sa forme ses nuances, ses intérêts particuliers, qu’il faut étudier de près, saisir & concilier avec l’ensemble. D’où il est évident que sans la connoissance pratique des détails, de l’action des causes, de la réaction des effets, toutes les ressources combinées du génie, de la science des principes, & de l’art de raisonner, ne serviroient peut-être qu’à faire faire de plus grands pas vers l’erreur.

Ce que peut donc encore se permettre un Écrivain, qui cherchant la vérité de bonne foi, ne rougit point de s’arrêter dans le labyrinthe qu’il parcourt, dès que le fil de l’évidence lui échappe ; c’est d’ajouter à ce qui a été déja dit de l’impôt sur les consommations.

1o. Qu’il est essentiel d’en simplifier la perception, pour pouvoir économiser proportionnellement à son degré de simplicité, sur les frais qu’elle nécessite.

2o. Qu’autant que peuvent le comporter la nature des denrées, le genre d’industrie qui les produit ou les façonne, la gradation à observer sur les différentes qualités d’une même espéce, & les lieux où s’en fait la consommation ; il importe que la perception de chaque droit soit réglée par des principes uniformes : car plus les différentes perceptions auront entre elles de rapports & d’analogie, plus vous pourrez en réunir ensemble ; moins par conséquent la totalité de vos frais d’exploitation sera dispendieuse, & moins vous aurez de préposés à soudoyer.

3o. Que par-tout où l’intérêt du droit se trouve en contradiction avec celui du commerce, en tant qu’il facilite & multiplie les échanges ; c’est toujours en faveur de ce dernier que doit pencher la balance : parce que de la multiplicité des échanges, dépend l’augmentation de la richesse commune ; & que tout sacrifice qui a cet objet pour but, se retrouve au centuple dans les améliorations qu’éprouvent les autres branches de l’impôt.

Il reste encore d’autres réflexions sur lesquelles je pourrois m’étendre, mais que l’ordre auquel je me suis astreint, & la crainte de fatiguer par des répétitions trop fréquentes dans des matieres aussi séches, m’obligent de renvoyer aux Chapitres suivans, où elles trouveront plus naturellement leur place ; & d’où il sera facile de les rapprocher de chaque objet, pour en faire l’application.