Eugène Fromentin - Lettres et fragments inédits 1848-1876

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Eugène Fromentin - Lettres et fragments inédits 1848-1876
Revue des Deux Mondes6e période, tome 7 (p. 581-612).
EUGÈNE FROMENTIN

LETTRES ET FRAGMENS INÈDITS[1]
1848-1876

Une publication où les lettres de jeunesse sont reliées entre elles par un commentaire biographique a fait connaître au public, il y a trois ans, la formation d’Eugène Fromentin, d’abord poète, écrivain, en proie au romantisme sentimental dont vécut sa génération, puis s’en évadant peu à peu pour s’absorber dans l’art de peindre. Deux courts séjours en Algérie, en 1846 et en 1847-1848, lui ont révélé l’Orient ; il a trouvé sa voie. L’année 1848 s’écoule, de mai à octobre, dans les environs de La Rochelle, à Saint-Maurice et à Lafond. Là, les troubles politiques, les entraves mises par la famille au développement de la vocation artistique ont déterminé chez le jeune homme une crise de sensibilité qui a failli faire sombrer au port son talent méconnu. Mais la famille a cédé. Fromentin rentre à Paris, porteur d’une admirable floraison de dessins algériens, riche de souvenirs lumineux que le temps va lentement polir et qui fourniront la matière du Sahara et du Sahel.

C’est à ce tournant de sa vie que nous le retrouvons. Il a vingt-huit ans. Le Salon de 1848, où il expose cinq toiles d’Algérie, est pour lui une victoire. Il obtient une deuxième médaille.


A Mademoiselle Lilia Beltrémieux[2].

Chailly, 17 septembre 1849, lundi.

Mademoiselle Lilia,

Vous savez maintenant tout ce qui m’est arrivé d’heureux depuis quelque temps ; c’est beaucoup plus que je n’attendais ; je dirai même en toute sincérité de modestie que je n’espérais pas le moindre des petits succès qu’on m’a faits. J’en suis plus heureux pour mes amis et pour ma famille que pour moi-même, car j’ai le sentiment net et effrayant de ce qui me reste à faire pour atteindre, non pas seulement au succès, mais à la véritable estime de ce qu’on a trop tôt peut-être appelé mon talent. Songez qu’avec vous je parle à cœur ouvert, et que, si je ne m’exalte pas, je ne m’amoindris pas non plus. Il m’est prouvé que je puis faire quelque chose. Il m’est prouvé, de plus, que je puis, sans même y sacrifier le moindre de mes scrupules d’esprit, faire de la peinture plaisante et me créer par là une source de revenus suffisans. De ce côté-là, je suis donc à l’abri de certaines inquiétudes, et je serai dégagé bientôt vis-à-vis de mon père d’une part très lourde de responsabilité. Mais la place honorable qu’on m’a donnée à côté d’hommes très éminens, d’une longue expérience, d’un grand savoir, m’impose aujourd’hui des obligations fort sérieuses. J’en apprécie l’étendue sans exagération, sans illusion, mais je constate que la tâche est rude, car il faut me maintenir solidement, et par des travaux consistans, au rang où j’ai été porté par je ne sais quelle surprise heureuse.

Bref, — et ceci entre nous, car je m’étendrais avec tout autre moins complaisamment sur mes propres affaires, — voici le bilan de ma petite fortune : j’ai vendu mes tableaux, les journaux ont donné tous, avec plus ou moins d’éloges, quelque publicité à mon nom. J’ai une médaille, une commande du gouvernement pour l’année prochaine et des relations ouvertes de pair à pair avec la plupart des peintres qui, il y a trois mois, ne me connaissaient pas. J’aurai, de novembre dernier à novembre prochain, gagné de quoi boucher quelques dettes ; et j’ai la presque assurance de vendre à l’avenir une bonne partie de mes tableaux. Enfin, ma médaille me donne le droit d’exposer à l’avenir sans passer devant le jury d’examen. Ces résultats acquis, je vais reprendre ma besogne à deux mains, à peu près comme si, pour la première fois de ma vie, j’entrais dans cette laborieuse lutte avec la palette. Jusqu’à présent, j’ai un peu escamoté la peinture, et sauvé mon ignorance par une certaine verve de brosse : il est temps de peindre en peintre. C’est ce que je veux apprendre d’ici le Salon prochain.

Et vous, mademoiselle Lilia, que faites-vous ? Je n’oublie pas que nous avons commencé presque ensemble la peinture, et que plus d’une toile que vous gardez chez vous aura été témoin de nos communes douleurs.

Il serait dommage, grand dommage de ne pas travailler quand même et de ne pas faire de la peinture dans la mesure où cela vous est permis. C’est bien douloureux, mais c’est si bon aussi !…

A vous, votre ami dévoué,

EUGENE.


A la même.


Paris, 5 décembre 1849, mercredi soir.

Mademoiselle Lilia,

Vous ne doutez point du plaisir que me font vos lettres et de celui que j’ai à me rapprocher de vous et à causer comme au vieux temps où vous avez consolé tous mes exils…

Je suis heureux du choix que j’ai fait[3], puisqu’il vous a plu et qu’il est du goût de vos amis et de Mme Bahut[4] ; je crois comme vous (c’est dans cette idée que je l’ai prise) que cette étude vous servira. Ce n’est point de la peinture très naïve, elle a sa manière aussi, mais elle a du charme, elle est franche d’exécution et d’une couleur étrangère, je crois, à vos traditions d’atelier.

Vous savez mon opinion là-dessus. Je ne me rappelle pas précisément le ton bleu dont vous parlez, mais ce que vous m’en dites et ce que je sais de l’habitude du peintre me font croire qu’il ne faut point chercher ce bleu-là dans la pâte et que vous pouvez l’obtenir par des glacis. Décomposez-le, et voyez si ce n’est pas du vert glacé de bleu avec un élément quelconque comme des laques ou du brun pour en rompre la crudité, ou au contraire du bleu glacé d’un ton verdâtre. En tout cas, je crois qu’avec les bleus que vous avez, Prusse et cobalt, en les superposant à l’état dur sur une pâte solide quelconque, grise ou rose ou blanche, et en vous réservant au besoin de la glacer de laque jaune ou de la salir de légers tons opaques dans les parties grises, vous pouvez vous procurer tous les tons désirables. Il est possible que, n’ayant point le modèle très présent à la mémoire, les indications que je vous donne ne soient que du radotage. Pourtant voyez-y, et, en principe, pour certains tons indéfinissables, que la pâte se refuse décidément à copier, essayez de ce système qui est solide, et dont les ressources sont incalculables : une pâte solide en dessous, de manière à recevoir un glacis coloré ; agissez sur cette pâte par des glacis ou frottis légers, ou par des demi-pâtes transparentes. Vous remarquerez dans la peinture moderne, surtout celle de l’école Couture et Müller, l’usage très piquant du procédé que je vous indique. Je ne crois pas me tromper en affirmant que, soit dans la draperie en question, soit dans la partie sacrifiée du tableau, dans l’ombre du tambour de basque ou ailleurs, vous en trouverez au moins une explication.

Je suis heureux de vous voir en veine de courage. Mon opinion sur vous vous est connue ; j’estime que, même dans les conditions qui vous sont faites, conditions mauvaises, il faut le dire, mais qu’il faut subir, vous pouvez faire de très bonne peinture. Il vous manque deux choses : d’en voir et d’en faire d’après nature ; on s’habitue, vous le savez trop, à peindre avec sa palette, — je me trompe, avec la palette du maître, — et le jour où l’on se met en face de la nature, de deux choses l’une : ou l’on a le triste courage de la faire aveuglément passer par sa palette factice et empruntée et de l’assaisonner de tons extraordinaires, ou bien, on a la sincérité de la regarder d’un œil naïf et, comme elle contredit toutes vos habitudes, qu’elle déroute toute votre expérience, qu’elle ne s’accommode en rien des tons que vous lui prêtez de confiance, il arrive qu’on ne sait que choisir des traditions ou de la vérité, et qu’on hésite entre les deux partis, dans un embarras bien funeste au travail. Je crois que c’est là ce qui vous arrive : d’autres auraient fait bon marché du témoignage de leurs propres yeux et se seraient obstinés dans leur manière de voir. Vous avez un sentiment vrai, simple et précis des choses, qui vous sauve de l’égarement des routines, à la condition que vous pourrez devenir vous-même.

Un excellent moyen de passer d’une manière extra-nature à la nature, c’est d’étudier comme intermédiaire certaines peintures qui s’en rapprochent davantage. Dans ce sens, — car je reviens par-là à l’étude en question, — je crois que cette peinture de Müller peut vous révéler, à l’endroit du vrai, des choses que vous ignorez.

Si l’occasion s’en présente et que vous ayez besoin un jour de quelque autre chose à copier, je tâcherai de vous envoyer, à défaut d’un Meissonier, chose introuvable dans le commerce et d’ailleurs d’un loyer trop élevé, un Fauvelet ou un Guillemin. C’est de la peinture d’intérieur, fine, exécutée de près, propre à délier la main, à donner du soin et de la propreté d’exécution, et qui, en général, procède assez droit de la nature.

Je vous plains d’être seule, j’apprécierais pour vous le voisinage et la société assidue de vos amies de Notre-Dame ; je me reporte avec bonheur au temps où j’étais des vôtres. Je n’étais pas toujours gai, et il me semble que, dans les dispositions meilleures où je suis depuis quelques mois, vous auriez un hôte un peu moins soucieux.

Vous vous hâtez beaucoup trop, mon amie, de m’appeler d’un nom pour lequel il n’est pas trop de toute ma vie d’homme et que peut-être, en toute justice, je ne m’accorderai jamais. Je suis peintre de fait, et voilà tout. J’aime passionnément la peinture ; je crois, — le travail, la santé et le temps aidant, — pouvoir, dans une très petite mesure, faire quelque chose qui pourra s’appeler peinture, et qui ne ressemblera pas à celle de tout le monde.

Mais il faut attendre, attendre, se torturer beaucoup, s’expatrier encore, revoir encore le soleil, et vivre dans les lieux où mes souvenirs incomplets ont déjà de la peine à me transporter.

Je vous en prie, ne vous flattez pas, dans votre amitié pour moi, d’un succès qui n’est rien, sur mon honneur, et que je refuserais s’il avait toute la signification qu’on lui prête, car alors il serait démesurément injuste.

Quoi qu’il en soit, permettez-moi de ne point oublier ce que vous avez été pour moi dans mes mauvaises journées. Vous me prenez ce soir dans une heure de recueillement et de retour sur moi-même, dispositions trop rares au milieu du gaspillage que je fais et qu’on fait de ma vie. L’absorption du travail est telle que, le jour, je perds la notion du temps et le sentiment de mon existence. Je suis une machine à peindre, triste machine quand elle ne produit rien qui l’ennoblisse. Le soir, depuis deux mois bientôt, nous avons une surcharge de dérangemens de toute espèce, et nos veillées ont été dépensées de la façon la plus insipide et la plus odieuse pour des êtres intelligens.

Dieu merci, nous voici réduits à nous seuls, rentrés dans nos habitudes anciennes, et j’éprouve, depuis hier, un bonheur indicible à me retrouver sensible aux rêveries du coin du feu. Je ne vous parlerai de mon travail que lorsqu’il en sera temps, c’est-à-dire quand tout sera fait et quand je pourrai vous dire : « Voici. » — C’est difficile, peut-être au-dessus de mes forces ; on m’en tiendra compte…

Qu’il vous suffise de savoir qu’on me soutient, qu’on m’estime et que, dans mes accès d’ennui et mes jours de noir, je consulte l’opinion de mes amis pour me consoler.

Je vais employer toutes mes soirées d’hiver à dessiner. Il est bien temps que je fasse mon éducation. Pour un peu, je me remettrais aux ovales, aux yeux et aux bouches. Il faut, une fois pourtant, avoir le courage de se dire qu’on ne sait rien et se mettre à l’apprendre avant qu’il soit trop tard.

Le monde est si loin de nous ! Nous ne voyons personne ; je deviendrai tout à fait ours à ce métier-là. Mais j’y gagnerai peut-être de quoi me faire pardonner mon ignorance de ce qu’on appelle le savoir-vivre fort improprement…

Donc, on a peur, à ce qu’il paraît, mademoiselle Lilia, que la saison d’hiver ne soit pas très gaie à La Rochelle. Heureuses gens, que ceux dont un bal de plus ou de moins fait le bonheur ou, la peine ! Heureuses jeunes filles que celles dont un violon met le cœur en joie !…

A vous, qui n’êtes pas de celles-là, — et je ne saurais vous plaindre de ce privilège de nature, quoiqu’il ait ses duretés, — je vous souhaite un bon travail et des joies intérieures et les vives jouissances de l’esprit.

Puisque nous sommes autres que les autres (disons-le sans orgueil comme sans regret), profitons d’un bien qu’on ignore, qu’on ne saurait nous envier : la solitude.

Adieu et courage, je déraisonne. Il y a si longtemps qu’il ne m’est arrivé de causer avec moi-même et avec vous, que je m’y oublierais.

Je vous quitte pour achever un livre superbe, mais d’une exaltation dangereuse : les Lettres de Gœthe et de Mme Bettina d’Arnim

Il faut que je vous dise qu’hier soir, pour la première fois peut-être depuis la saison des veillées, je me suis donné cette fête de m’installer seul (Armand absent)[5] au coin de mon feu, dans mon fauteuil et de lire, jusqu’assez avant dans la nuit, un volume de cette correspondance ardente. C’était, à la fois, le début de mes veillées sérieuses et un essai que je voulais faire. L’essai a réussi ; j’ai été fier et heureux de me sentir les libres sensibles comme aux meilleurs jours de ma jeunesse, et de constater que le travail pratique et exclusif n’a pas encore endurci chez moi les fines enveloppes du cœur.

Il est bon de temps en temps, dès qu’on en doute, d’éprouver les qualités que l’âge et les occupations diverses pourraient bien altérer…

A bientôt… parlez-moi de votre travail à vous.

Votre bien dévoué.

EUGENE.


En 1850, Fromentin envoie à l’Exposition de La Rochelle, sa ville natale, deux tableaux qui ont eu du succès auprès de ses amis parisiens. Ils sont peu goûtés par les Rochelais et, notamment, par le père du peintre, le docteur Fromentin, qui en regrette l’excessive originalité.


A Monsieur Fromentin père.

Paris, lundi matin [août 1850].

Cher père,

Il y a dans tes observations une partie de critique très fondée et que j’accepte. Je sais parfaitement qu’il y a dans mon Camp excès de pâte un peu partout ; ce tableau a été fait sur un tableau manqué, enlevé d’abord en pochade, c’est-à-dire en pleine pâte, puis retravaillé et fini sans aucune précaution de faire disparaître les rugosités du travail. J’avoue que, ne travaillant pas pour la postérité dans ce moment, je m’occupe assez peu des soins matériels de la peinture, pourvu que mon impression soit rendue, et que je cherche mon but sans trop me préoccuper des moyens.

Du reste, le petit tableau, qui est fait dans un système tout contraire, doit te prouver que ce n’est point une recherche chez moi que cette exécution massive, mais un accident de mon travail. Je sais très bien aussi que tout n’est point arrêté, précisé comme le pourrait exiger l’œil curieux de détails de l’observateur ; cependant je crois que, devant un tel sujet, on ne se préoccupe pas assez de l’ensemble et qu’on ne se rend pas compte de ceci : qu’il y a dans une confusion pareille une mesure de laisser aller et d’imprévu qu’il faut garder sous peine de tuer la vie, de pétrifier le mouvement et d’isoler chaque objet dans une exécution trop rendue ; ceci n’est point une étude de nature morte.

Quant à la localité grise, j’y tiens pour la raison que je l’ai cherchée et que j’ai senti deux tableaux dans ce ton et sous ce soleil blanc.

On se fait une très fausse idée de la lumière, et je crois que communément on la voit jaune, ce qui est une erreur. La lumière pure du milieu du jour, quand elle n’est colorée ni par aucun nuage, ni par le brouillard, est blanche ; loin de colorer, elle a le propre de décolorer les objets. C’est dans le Midi surtout qu’on se rend compte de cette propriété de la lumière intense ; je m’attache depuis un an à poursuivre cet effet-là. On m’a su gré l’année dernière des intentions et des essais que j’ai faits en dehors des habitudes trop ordinaires ; j’y persiste.

Du reste, ceci n’aura de sens et de valeur qu’à la condition d’être fortifié par un ou deux exemples où, changeant d’heure, j’aurai donné à mes tableaux toutes les colorations possibles du soir. Bref, il faudra voir mon exposition dans son ensemble ; chaque chose sera fort discutable. Je ne suis pas arrivé, et je ne donne en rien dans ces petits essais la mesure d’un talent qui s’engendre petit à petit. Mais l’ensemble prouvera du moins une certaine dose de fécondité, de souplesse et d’audace. Elle prouvera surtout, et toutes les critiques autant que les éloges, que je ne ressemble pas à tout le monde, ce qui est déjà, au point où j’en suis, une qualité acquise.

Je cours à l’atelier, où m’attend un modèle. Adieu !…

EUGENE.


Fromentin va passer à La Rochelle les mois de janvier et de février 1851. C’est le premier voyage, dit-il, qu’il ait fait dans sa famille, depuis plusieurs années, sans troubles, sans discussions sur son avenir. Sa situation de peintre est acceptée. Mais il est attristé de se sentir, au foyer paternel où son cœur demeure tendrement fixé, un étranger par les préoccupations et les besoins de l’esprit. Il ne se consolera jamais de cette lutte fatale des puissances affectives contre les aspirations intellectuelles.


A Armand du Mesnil.


Lafond [près La Rochelle, février 1851], mardi soir.

Cher ami,

Chaque jour qui passe, — et, malgré tout, ils passent vite, — me ramené à toi.

Encore une semaine ou deux, au plus, et j’aurai repris ma place au foyer commun, ma place dans ta chambre, ma place dans toutes vos habitudes, où, depuis des années (nous comptons déjà par années) vous me l’avez marquée au milieu de vous. Ah ! on m’aime bien ici, on m’entoure, on me soigne, on m’enveloppe de tendresses. Je les sens, je les apprécie, je les savoure avec des larmes en dedans, des larmes amères que je ne trahis pas. Quand je me dépouille, et quand je reçois avec le cœur ce qui vient du cœur de ces êtres aimans et bien-aimés, je n’ai point à souffrir ni d’eux ni de moi, et je me sens bien véritablement au niveau de leur tendresse.

Mais…, mais l’esprit a des besoins, mais il a pris des habitudes, mais les idées à répandre et qui ne trouvent que résistance, et les idées à recevoir, d’où viennent-elles et quelles sont-elles ? — Oh ! l’incomparable bonheur que tu as eu, cher ami, d’entraîner ta mère avec toi dans ton milieu, de la mêler à ta vie, de la confondre dans tes amitiés, de la rendre témoin, complice en quelque sorte, de ta vie bonne ou mauvaise ! Vous n’avez pas chacun vos joies et chacun vos souffrances. Vous ne faites pas deux et trois et quatre, comme nous faisons, nous. Et, n’est-ce point assez qu’il y ait entre nos pères et nous les différences qui viennent de l’âge, du caractère et des tempéramens, sans que des hasards de position, des conjonctures extérieures, des convenances seulement quelquefois, créent encore entre nous des séparations si profondes,… Il y a longtemps que j’en souffre et je puis dire avec certitude, aujourd’hui, que les divisions qui se sont produites entre nous à l’époque de mon émancipation et à propos de mes idées, quand j’ai voulu les affranchir, n’ont pas eu d’autre cause. Elles sont l’effet du milieu différent, du point de vue opposé.

Je ne me sais aucun gré de la générosité de certains sentimens que je me connais ; de la simplicité que je veux mettre en pratique dans ma vie ; d’une certaine indépendance de caractère ou d’opinions qui, traitée d’étourderie par ici, est une réelle qualité quand elle s’applique avec réflexion dans les actes. J’en suis redevable moins à ma nature qui est commune à bien d’autres, qu’aux conditions propices dans lesquelles il m’a été donné par le hasard de me développer et de vivre ! Aussi, en vérité, je n’accuse personne, et je ne me glorifie point de me sentir, en quelque manière et par les côtés vraiment estimables de l’esprit, supérieur à d’autres que je vois ; mais, ne pouvant mettre ce prix à notre réconciliation, à notre union complète, de m’ensevelir avec eux dans leur existence, je regrette avec désespoir de ne pouvoir les faire entrer dans la nôtre.

Rien de nouveau, d’ailleurs, et ceci est le résumé de mes impressions, plutôt que le résultat de faits produits. Ma pauvre mère est bien malheureuse, elle sent tout cela, elle se l’explique, elle en souffre ; ceci fait précisément, encore plus que l’absence, le réel et secret tourment de sa vie. Qu’y faire ?

Je l’aurais avec moi, qu’il me faudrait bien peu de temps pour l’initier tout à fait et l’amener à moi, — mais ?…

Je t’écrirai demain, je suis resté seul ce soir après le départ du salon de ma mère, de mon père et de Charles qui dîne et couche ici le mardi. Et, tout en fumant une cigarette au coin du feu, j’ai voulu causer, ne fût-ce qu’une demi-heure. Il fait depuis deux jours un vrai temps d’hiver, sec, magnifique et froid. Je ne suis pas fâché, étant venu dans cette saison, d’en avoir au moins les véritables sensations. J’ai passé ce soir, ayant sur le bras mon très inutile fusil, une heure au coucher du soleil dans les grands espaces, coupés de potagers, de prés, de vignes et dallées d’ormeaux qui entourent les clôtures, cherchant les abris contre l’air du nord et m’épanouissant aux derniers rayons tièdes du couchant. Je me suis retrouvé sensible, ému, gonflé comme autrefois ; je n’ai rien perdu de mon expérience de campagnard. J’ai été particulièrement heureux de me trouver l’oreille aussi délicate, aussi prompte à reconnaître les bruits ; c’est incalculable ce qui se perçoit d’émotions par l’oreille dans ce grand silence de la campagne, surtout en hiver. — Autrefois je me disais : Ah ! si j’étais poète ! C’est une bêtise et je ne me le dis plus. J’ai appris depuis que ces menues impressions ne sont point faites pour être converties en hémistiches ou en tableaux.

Mais je n’ai plus de papier sous la main, bonne nuit, chers, et à demain.

EUGENE.


En 1852, Eugène Fromentin épouse Mlle Marie Cavellet de Beaumont, nièce de son ami du Mesnil. Les jeunes gens vont s’installer quelques mois sur le littoral de la Méditerranée, à Saint-Raphaël. Puis Fromentin part de nouveau pour l’Algérie, où il va faire un troisième séjour, qui sera le dernier. Il y passe quelque temps, avec sa femme, à Mustapha d’Alger. De là, il pousse seul une pointe jusqu’à, Laghouat et Aïn-Mahdy, origine de son livre Un Été dans le Sahara. Il part, en plein mois de mai, avec un officier, chef du bureau arabe de Laghouat, une escorte et un convoi de Mzabs (Arabes du fond du désert).


A Madame Eugène Fromentin.

Laghouat, 8 juin 1853.

….. Tu recevras un croquis de notre maison, cela vaudra mieux que des descriptions qui ne pourraient te la faire comprendre[6]. Ce qu’il faut que tu saches seulement, c’est qu’il n’y a ni porte extérieure, ni porte aux chambres. Nous avons simplement une couverture en manière de portière à la nôtre. Nous sommes à l’étage, car toutes les maisons de Laghouat en ont un, même assez élevé. On y monte par un escalier de pierre ou de bouc, vrai casse-cou qu’il faut beaucoup de précautions pour escalader ou descendre sans danger. Notre chambre, par extraordinaire, est blanchie, mais le plancher est de boue, tantôt en poussière comme une route, tantôt en boue liquide ; aux heures où l’on peut abattre la poussière, nous y vidons un bidon d’eau. Il y a un châssis à la fenêtre, tendu d’une toile d’emballage qui n’amortit pas assez le jour, mais qui, du moins, laisse jour et nuit circuler un peu d’air. Je dis toujours notre, car M. Casins, le peintre, partage ma chambre… M. Bellemare en occupe une pareille sur la terrasse et porte à porte. M. Casins couche sur deux tréteaux, moi sur mon lit de cantine, sans matelas, bien entendu, mais sur la toile du fond on m’a prêté deux petits draps ; j’ai ma couverture de cheval pliée en deux, moitié dessous moitié dessus, je suis sérieusement très bien…

Je t’ai dit nos habitudes ; elles sont réglées sur les habitudes du climat. A quatre heures et demie, je m’éveille à la diane, Martin fait le café maure ; le café pris, nous partons. Nous déjeunons à l’heure où sonne la retraite ; à deux heures, sonne de nouveau la diane du milieu du jour ; mais je suis déjà au travail à ce moment-là. Seulement, il faut suivre l’ombre étroite des petites rues ; au surplus, la chaleur est jusqu’à présent tolérable et ne dépasse guère nos étés de France. Les soirées sont fraîches, les matinées le sont aussi.

Au soir. — Je ne te reviens que pour un moment, car nous avons dîné plus tard, je tombe de besoin de dormir. La soirée est fraîche, excepté dans nos chambres. Du vent, mais une nuit sans nuage, jamais je n’ai vu tant d’étoiles. Les palmiers font autour de la maison le bruit de la mer, bruit qu’accompagnent toute la nuit les innombrables murmures des grillons et des grenouilles. Le désert est ce que je l’ai vu, peut-être un peu plus fauve, un peu plus morne ; passant du gris au brun clair, et terminé à l’extrême limite par une ligne à peine discernable de couleur violette. Les montagnes, de forme bizarre, sont d’un ton superbe. La terre est nue ; les arbres y poussent, on le sent, dans un sol ingrat ou négligé ; ce qu’il y a d’orge est trop maigre et trop pauvre pour s’appeler des moissons. La ville est belle et admirablement située. Elle s’enveloppe de l’Est à l’Ouest entre deux rochers qu’elle couronne à ses deux extrémités de tours et de remparts. Les fortifications du couchant, battues en brèche par notre artillerie, ont été depuis abattues et remplacées déjà par des travaux de défense française. La Casbah Dar Ofâh, maison du rocher, est bâtie sur un rocher blanc, blanche elle-même ; c’est le seul monument qui soit crépi et blanchi à la chaux. Le reste est en terre grise uniformément, rose le matin, dorée le soir, noirâtre à midi, suivant qu’elle est frappée par le soleil levant, par le soleil couchant, ou éclairée par-dessus par le soleil perpendiculaire.

À cette dernière heure, le terrain, gris, comme les murs, mais semé partout, à fleur de terre, de saillies blanches du rocher sur lequel est bâtie la ville, le terrain étincelle de soleil dans les étroits corridors des rues.

Du sommet de la ville, l’horizon du Sud est immense, sans ondulations, très distinct jusqu’à ses limites, et je l’ai toujours vu tranché crûment, comme une raie violette, sur le fond couleur d’argent du ciel. A l’Est, à l’Ouest et au Nord, la vue s’arrête à des montagnes rocheuses, tantôt roses, tantôt fauves, rayées dans leur hauteur de larges bandes de sable jaunâtre apporté sur les pentes par le vent du Sud. Tout cela est très grave, plein de grandeur, et d’une forme et d’un aspect qui ne permet pas d’oublier qu’on touche au pays de la soif et qu’on est sur la limite du grand désert. On parle ici des Chambas et des Touareg comme on parle à Alger des Sahariens, nos voisins. Nous avions avec nous dans notre suite le Chambi qui a fourni à M. Daumas les renseignemens pour son livre, celui-là même dans la bouche duquel il a mis le récit du voyage[7].

Il n’y a que très peu de haïks de couleur, encore sur le dos des petites juives et en loques. Les Ouled-Nayls elles-mêmes, qui forment en partie la population féminine de Laghouat, portent le haïk et le voile blancs, c’est-à-dire exactement couleur de boue, avec des parties graisseuses et couleur de suie qui les rendent à peine aussi clairs que les terrains. Il y a des petites filles charmantes de tournure, même au milieu de leur indigence. Jusqu’à présent, je n’ai fait que des dessins du pays même ; je l’aurai sous toutes ses faces, et avec une exactitude qui peut avoir son double intérêt. Demain, nous aurons enfin, je crois, après de nombreuses recherches, l’occasion de dessiner des figures.

Jeudi soir, 9 juin. — Il est neuf heures… Il fait un temps admirable, la journée a été une des plus belles peut-être que j’aie vues en Afrique. Je voudrais avoir quarante bras et des journées sans nuit et un cerveau à l’épreuve de toute fatigue. C’est décidément bien beau !…

De Laghouat, Fromentin pousse une pointe extrême jusqu’à Tadjenioût et Aïn-Mahdy. De retour à Blidah, il envoie à du Mesnil les notes relatives à la première partie de son voyage. Si elles lui paraissent dignes de voir le jour, qu’il s’efforce de les faire publier par un journal.


A Armand du Mesnil.


Blidah, mercredi soir (3 août 1853).

Ma mère vient de nous écrire deux petits billets, d’une tendresse et d’une joie de me savoir ici à nous arracher le cœur. Quelles créatures nous avons là dans ces deux femmes de mères, mon vieux chéri ! Laisse un peu encore et nous allons les serrer là dans nos bras !

Je ne voulais pas te le dire, mais, en somme, il faut que tu le saches : si je ne m’abuse, mes dessins et mes études de Laghouat, tout cela sent la sueur et l’épuisement et est du dernier faible. C’est fichu ! il faut avoir la tête en état quand on veut s’en servir, et travailler sous 70 degrés de soleil, au moins (le chiffre est exact), c’est d’un entêté. J’ai bien fait ce que j’ai pu, c’est certain, mais je ne pouvais plus assez.

Tu verras que mes souvenirs valent mieux et, en somme, c’est toujours avec mes souvenirs, beaucoup plus qu’avec mes notes, que j’ai produit. Et d’ailleurs, si faible que ce soit, il y a du positif. Mais c’est laid, je t’en réponds. Le travail de plume que je fais résume tout cela et me prépare à en tirer un autre parti.

J’ai commencé aujourd’hui à coller quelques dessins. J’ai mon esquisse en tête, et mes notes, et le reste, — et le temps fuit, et l’argent, et tout.

Si tu savais dans quel désarroi d’emménagement de logement, nous avons été, et si tu nous voyais campés sur quatre planches assemblées au beau milieu d’une chambre où il n’y avait rien que des punaises, avec quatre chaises et deux tables prêtées par les Fournier ! Il n’y a que nous pour vivre ainsi sur un pied. On dirait que Marie a passé toute sa vie au bivouac.

Bonne nuit, cher. L’important, c’est que nous nous portions bien, et que nous vous chérissions. Bonne nuit, ma mère bien-aimée, mille tendres baisers pour vous deux. A demain.

EUGENE.


Au même.


Blidah, 29 août 1853.

Cher bien-aimé frère, voici non pas la suite, mais le commencement logique des Notes

Il y aurait trois parties : 1° de Médéah à Laghouat ; — 2° Laghouat ; — 3°, et comme accessoire, Aïn-Mahdy. Aïn-Mahdy tout seul ne signifie rien, il nécessite pour l’intelligence des choses une foule de détails qui ne sont bien placés qu’au début ; venant après, il peut se simplifier beaucoup et gagner par là. D’ailleurs, c’est à faire, il faut attaquer cela avec plus d’entrain. Appuyé sur autre chose, il y a le contraste à faire mieux saillir, c’est glacé.

Je crois que tu seras plus content de ceci ; je sens tout ce qu’il y manque, mais pour le moment, je n’ai pu faire mieux. C’est un peu trop coupé par tableaux. Venant de moi, je n’ai pas craint de trahir cette intention réelle de procéder en peintre. Il y a, je crois, pourtant, un peu plus d’enveloppe, et surtout une ardeur de plus. Je désire que certaines parties te remuent un tout petit peu le cœur, comme elles me l’ont fait à moi en l’écrivant.

Tu verras s’il n’y a pas trop je, — j’ai pourtant veillé à ce que le moi ne fût pas embêtant, — si quelquefois, il n’y a pas un peu de flon-flon : j’ai une peur affreuse de la fanfare à propos de trop peu, comme des gens qui parlent trop haut ; — si enfin le début de Médéah ne fait pas hors-d’œuvre ; je ne crois pourtant pas, à cause de l’à-propos.

Je t’abandonne enfin les fautes de français, les répétitions de mots, etc. Nettoie cela du mieux possible. Je voudrais que tu n’eusses montré Aïn-Mahdy à personne avant que je l’aie recommencé.

Tu verras, en tout cas, que la partie que je t’envoie, devant inévitablement et dans tous les cas paraître la première, s’il y a chance que cela paraisse, il y a beaucoup de choses qui deviennent double emploi dans Aïn-Mahdy et qu’il faudrait supprimer.

Je ne réponds point à ta lettre, tendre ami, elle m’a prouvé que tu étais triste ; laisse-moi voiries causes… je sais ce que j’en tirerai. Tu vois que je travaille, et ceci nulle part ailleurs je ne le pourrais faire dans des conditions pareilles de repos.

J’ai suspendu mes dessins pour faire cette partie de mes Notes ; j’ai la tête un peu fatiguée. Demain je me mets à mon esquisse. Aussitôt après, et en même temps le soir, j’achève l’Itinéraire et je te l’envoie. Nous verrons après Laghouat, qui est important.

Je suis plus sévère que toi, à moins que tu n’appelles un beau sobre une chose qui, à la relecture, m’est démontrée froide et indigente.

Adieu, cher, adieu, tendre, adieu, mon frère bien-aimé ; patience encore, je ne dors pas, mais je te le répète : à Paris, à La Rochelle d’abord, je tombe dans un tourbillon ; laisse-moi achever ici dans le repos ces notes, mon esquisse, mes dessins de voyage, que je ne ferais jamais ailleurs, je le sais, je le sens, de la même manière et avec la complète possession de moi. Laisse-moi voir les courses, la seule occasion que j’aie de voir un spectacle brillant après tant de choses mornes, et nous irons aussitôt après prendre enfin nos vacances avec vous.

Je suis crevé de fatigue. Adieu, adieu, chère et tendre mère, il fait chaud, il fait beau. Si je n’étais pas si bête, je mettrais un peu dans ce que je produis de la flamme qui me brûle le ventre. Adieu, vous deux que nous chérissons, je vous embrasse mille, mille, trois mille fois.

EUGENE.


Fromentin rentre en France au commencement d’octobre 1853.

Chargé de notes et de croquis, riche en souvenirs, il produit désormais fiévreusement. Le Salon de 1859 lui apporte une première médaille et la croix de la Légion d’honneur. Il publie, en 1857. Un été dans le Sahara, et, en 1859, Une année dans le Sahel, qui révèlent chez l’artiste un écrivain descriptif de premier ordre. Ces deux livres ont un grand retentissement dans le monde des Lettres. Du 15 avril au 15 mai 1862, Eugène Fromentin donne enfin, à la Revue des Deux Mondes, son roman de Dominique, peu goûté du grand public, mais vivement admiré des meilleurs juges, de George Sand, de Flaubert, d’Edmond Scherer, de Sainte-Beuve. L’œuvre, commencée en 1859, a été remaniée plusieurs fois avant sa publication.


A Monsieur Gaston Romieux[8].


Vendredi soir 30 mai 1862.

Vous m’avez fait un bien grand plaisir, cher ami. Même en faisant la part de l’amitié dans ce que vous me dites, il est évident que vous êtes content ; et vous ne sauriez imaginer combien j’en suis heureux. Quand mon livre a été fini, livré, en voie de publication, il y a deux ou trois amis à qui j’ai beaucoup pensé ; vous êtes de ce tout petit nombre d’esprits sensibles, aimans, aimés, dont je me disais : qu’en penseront-ils ? Quelques sympathies comme les vôtres, chaudement exprimées, la certitude que mon livre s’adressera tout juste aux lecteurs de mon choix pour qui je l’ai vraiment écrit, qu’il est émouvant puisqu’il émeut, et qu’il n’est pas dénué d’intérêt, malgré ses lenteurs : voilà le seul et vrai succès dont je jouis pleinement. Le reste, je ne m’en préoccupe guère, et le succès général, on ne le sait jamais. Et vos visées plus lointaines m’ont touché, mais m’ont fait rire[9].

Du Mesnil avait raison, cher ami : à l’époque où je vous en parlais et où vous me voyiez bien découragé, mon livre était détestable, et bien plus encore qu’il n’avait eu le courage de me le faire entendre. Après en avoir désespéré, je me suis dit que tout travail manqué peut se refaire, j’ai pris mon cœur à deux mains, et j’ai récrit d’entrain, en deux mois, sans m’arrêter, depuis la première ligne jusqu’à la dernière, un volume qui ne ressemble pas plus au premier que la nuit ne ressemble au jour. Vous aviez donc raison tous deux, lui de m’avertir, vous de m’encourager. J’aurais fait une égale bêtise, ou de céder à la tentation de le publier tel quel, ou d’y renoncer. Il y avait un livre à faire avec la donnée choisie, mais il fallait le refaire, et je m’applaudis maintenant d’avoir attendu et d’avoir persévéré.

Quant à vos observations, sachez que j’y attache un prix véritable. Excès d’analyse et çà et là de l’afféterie : c’est bon, j’y aurai l’œil quand il s’agira de publier le livre, mais cette légère indication ne suffit pas pour m’éclairer. Je suis encore trop près du travail pour en avoir la conscience nette et le juger d’un œil assez clairvoyant. Savez-vous, cher ami, le service que vous devriez bien me rendre, si j’osais vous imposer cette corvée ? Souvenez-vous des points incriminés, que vous avez certainement notés au passage ; tachez de les retrouver, pointez les chapitres, les pages, les lignes, et indiquez-les-moi. J’examinerai, et soyez sûr que vos sévérités me profiteront. J’ai si grande envie de faire bien ! J’enregistre ainsi certaines observations soit de fond, soit de forme, et, le moment venu, je les utiliserai pour améliorer. Le volume ne paraîtra qu’à l’automne, et d’ici là, j’espère, nous nous verrons.

Il m’importait beaucoup de ne pas faire un four. Un roman après deux livres de voyage, un livre d’homme, après des essais littéraires qu’on pouvait tolérer d’un peintre, c’était une grosse entreprise et pleine de danger. Le danger est paré. La réussite est-elle assurée ? Vous le dites. Et je suis obligé de m’en rapporter aux bruits recueillis par mes amis.

Merci encore, votre lettre m’a fait battre le cœur d’un petit mouvement de vanité permis et de joie très légitime. Imaginez-vous que depuis cinq ou six jours, je n’ai pas eu une minute de liberté le soir, pour vous en remercier. Ce soir encore, il est tard, je suis las, je pense et j’écris tout de travers ; mais je n’ai pas voulu me coucher avant de vous avoir écrit ; et, stupide ou non, ce petit mot vous arrivera sans délai. Piochons, il n’y a que cela de positif, et soyons sévères l’un et l’autre, l’un pour l’autre. Plus je lis, plus je m’efforce, plus je suis convaincu que le très bien est le fruit d’un excessif travail.

Adieu, cher ami. Je vous embrasse et suis à vous de tout cœur.

EUGENE.

P. -S. — Écrivez-moi, n’est-ce pas ? Et rendez-moi le service de me faire la note des passages à châtier.


Pendant deux ans, Fromentin, tout à sa peinture, n’écrit plus rien. Il prend seulement quelques notes sur l’île de Ré, en vue d’une publication qui n’aura pas lieu.

De 1864 date le Programme de critique, probablement ébauché en 1861, qu’a publié M. Louis Gonse dans son livre sur Eugène Fromentin. Y faut-il voir le fragment d’un rapport destiné au jury de peinture ? Une conférence publique en projet ? Les premiers développemens d’une étude critique ?…

Après un aperçu général et rapide de la situation des peintres à cette époque, l’auteur fait l’historique du romantisme dans la peinture. Il recherche les origines d’Eugène Delacroix et l’influence exercée sur lui par les œuvres de Gainsborough et de Constable. L’étude s’arrête, par malheur, au moment où des considérations générales elle va descendre aux faits concrets et aux jugemens particuliers. Elle ne fut jamais achevée.

Voici la note qui suivait, dans l’original, le Programme de critique :


C’est bel et bien de renier ses maîtres ; mais il faut en trouver d’autres. Le génie n’a pas de chemin de Damas.

Que fait la littérature ? elle renie Lemercier, Ducis, etc., elle renie Mérope et Jean-Baptiste et elle va chercher Ronsard. Elle choisit Bernardin, Rousseau, elle découvre Chénier, Manon Lescaut. Elle accueille le révolutionnaire Beaumarchais.

Le roman : les Anglais. — Pour le théâtre : Calderon, Shakspeare, Gœthe, Schiller, — ailleurs, — dans un autre temps.

La peinture est éclairée par Gainsborough, comme les poètes par Wordsworth, Burns, Shelley, Byron, Walter Scott.

Tout cela est bien, voilà l’école en marche. Ils sont jeunes, ils ont du talent, ils sont nombreux. Pas d’école, mais un bataillon. Pas de doctrine, mais un accord de nouveautés. Chacun pour soi, chacun chez soi (pas d’atelier, sinon l’atelier de M. Ingres et des ateliers de juste milieu).

Mais après ? les fils, les héritiers, la descendance de cette école ?

Quand ces jeunes gens deviennent des hommes, puis des vieillards, que deviennent, que sont les jeunes gens ?

Ici, plus d’atelier… De belles œuvres diverses^ frappantes, marquées d’un tempérament très personnel.

Tout cela est-il communicable ?

Ignorance… de Decamps. Déguisement de ses impuissances. On invente un métier, on se complique, ne pouvant plus peindre simplement. On invente les procédés, les points de vue, etc.


Il convient de rattacher au Programme de critiquevdeux notes manuscrites de Fromentin non datées. Elles paraissent s’y rapporter étroitement, soit qu’elles en annoncent le plan primitif, soit qu’elles se bornent à exprimer des vues, — en ce qui touche les écoles de peinture italiennes et françaises, — analogues aux jugemens portés sur les Flamands et les Hollandais dans les Maîtres d’autrefois :


Il n’est pas difficile de prouver que, même dans ses grands tableaux, dits d’histoire, Delacroix n’est qu’un peintre de genre.

Que dire de Delaroche dont le triomphe est le Duc de Guise ? Que dire de la Jeanne Grey ? des Enfans d’Edouard ? Souffriraient-ils à être faits petits ? En quoi diffèrent-ils du genre, sinon par la dimension ? La différence est donc dans la mesure, non dans l’idée.

Qu’est-ce que le genre, sinon l’anecdote introduite dans l’art, de quelque genre qu’elle soit ; le fait au lieu de l’idée plastique, le récit, quand il y a récit, la scène, l’exactitude du costume, la vraisemblance de l’effet, en un mot, la vérité, soit pittoresque, soit historique, — toutes choses étrangères au grand art.

L’histoire religieuse, l’Ancien ou le Nouveau Testament, par l’élévation de l’idée qui touche à la foi, par leur contact avec le fond des croyances, par leur éloignement légendaire, par le mystérieux des faits, s’élèvent au-dessus de l’anecdote et rentrent dans l’épopée.

Mais à quelle condition ? A la condition d’être imprégnés de foi, comme dans Fra de Fiesole, ou coulés dans le moule d’une forme sublime, comme dans Léonard, Raphaël, André del Sarto, ces païens.

L’art est païen, — c’est triste à dire, mais c’est vrai. La pensée qui préside aux plus hautes conceptions de la Renaissance est-elle chrétienne ou païenne ? Qu’était-ce que Léon X, sinon un Médicis sur le trône de Saint-Pierre ?

Et cela est si vrai que, prenez la Sainte Famille, prenez la Charité, prenez la Vierge au Voile, et considérez. Il y a deux choses là-dedans intimement liées par les combinaisons propres au génie : un sentiment purement humain dans une forme d’une élévation sans pareille. Le sentiment, c’est la mère, chaste plutôt que vierge, tendre, recueillie en elle-même. L’Enfant est un enfant ; saint Joseph est un père grave, caressant et protecteur. La scène est familière. Mais la forme est telle que cela devient tout simplement l’idéal de la grâce, de la majesté, et de la grandeur humaine.

Si je ne me trompe, c’est, ici comme dans toutes les œuvres de ceux qui ont été épris de la beauté plastique, l’apothéose de l’homme…

Jamais le sujet n’a été serré de plus près par les maîtres. Du moment que l’art arrive à une mise en scène plus importante, de deux choses l’une : ou il se transfigure entre les mains des coloristes décorateurs vénitiens, et par l’absence de toute couleur vraie et le mépris de la chronologie, il devient une fantaisie épique comme les Noces de Cana, ou bien il a l’intention de rester vrai, et subitement il se rapetisse dans des hommes encore robustes pourtant comme Carrache (Annibal) et dans des œuvres telles que la Résurrection.

Entre les mains des coloristes, des metteurs en scène, il devient un prétexte, un thème à développer dans le sens du tempérament de chacun. Quand Titien fait l’Ensevelissement, qu’y voit-il ? un contraste, un corps blanc, livide et mort, porté par des hommes sanguins et pleuré par de grandes Lombardes aux cheveux roux. L’idée, petite comparativement au fait, devient plastique. Il en a fait un chef-d’œuvre de peintre.

Les exemples abondent. Je me fais fort de réduire ainsi, tableau par tableau, l’art à la juste mesure de son objet, de son but, de ses moyens d’expression et de ses procédés…

Pourquoi pas de fond aux tableaux de l’Ecole espagnole ? Pourquoi fond noir à ceux italiens ? — C’est le fond d’or de la peinture antérieure approprié au modelé, à la couleur, à l’enveloppe, abstraction de tout ce qui n’est pas la figure humaine.

Du sujet dans l’art moderne. — (Scènes ? ) de David. Le contemporain ne fait que continuer, en la transformant en romantique, la routine de David. Chercher dans l’art ancien quelque chose de comparable à Jeanne Grey.

La logique apportée dans le sujet entraîne la couleur locale ; tout se tient.

Protester.

A ce moment-là le sujet avait un intérêt d’apologue, de moralité, toutes sortes de finesses en-dessous.

Et vous qui soutenez le tableau de Glaize et les premiers-Paris socialistes, de quel droit niez-vous les pamphlets, les harangues révolutionnaires des Horaces, des Léonidas, des Brutus ? Le jour où le sujet est entré dans les préoccupations d’art, l’art a descendu à examiner historiquement, à prouver en théorie.

Qu’est-ce que Caravage ? N’est-ce pas le clair-obscur et le drame introduits dans l’art épique et le rapetissant ? C’est un empiétement du genre, voilà tout.

Le tableau historique, invention moderne, aboutit aux tableaux de bataille. C’est le théâtre ou le récit dans l’art.

L’art n’est pas un récit, c’est une exposition par la forme et par le fond d’une seule idée grande et belle.

Poussin ? — Examiner à fond. En quoi il est moderne, en quoi Cornélien. Il y a chez lui des intentions, des finesses, qui touchent aux concetti et sont tout près d’êtres petites : Serpent du déluge, Enfant qui mord son pouce, Groupe de la Manne, Arcadie. C’est le côté spirituel, le trait ou le pathétique ou la leçon, chose inconnue des anciens. Ce n’est pas naïf dans le sens grand, simple, fort, bestialement plastique des anciens. C’est un raisonnement. Le grand art raisonne-t-il par syllogismes ?

Il conçoit, il rêve, il voit, il sent, il exprime. Mécanisme plus simple et plus naturel.

Lesueur, moins grand, moins penseur, est plus près peut-être d’être naïf. Il est moins philosophe, moins docteur, moins raisonneur et moins raisonnable. C’est plus une âme émue par les visions du beau.

A examiner et à discuter.

Autre degré du trait mesquin : la Didon de Guérin, la Clytemnestre.

L’art moderne n’est que la monnaie de celui-là. Progrès incontestable dans le faire, décadence croissante dans la conception.


A la fin de juin 1870, toujours tourmenté de chercher du nouveau dans son art, Fromentin part pour Venise avec sa femme, ses amis, le paysagiste Charles Busson, et Paul Bataillard[10]. Tous passent par la Suisse. Du Mesnil doit les rejoindre quelques jours plus tard.


A Armand du Mesnil.

Venise, ce 13 juillet 1870, mercredi, 3 heures.

Cher ami, pardonne-moi de ne pas t’avoir encore écrit. Il y a six jours que nous sommes à Venise. Je voulais, dès le lendemain, te donner des nouvelles du voyage, mais je comptais sans la complication de l’installation, l’entraînement de cette vie toute de surprise et de curiosité, d’extrême chaleur, les mauvaises nuits, les siestes de l’après-midi et les mille incommodités propres aux saisons caniculaires. Nous sommes venus deux mois trop tard, ou trop tôt ; il fait trop chaud, c’est incontestable. Ici, comme en France, on attend un orage, qui menace et n’éclate pas ; un peu de pluie rendrait la vie bien facile et ferait gagner bien du temps.

Je donnerais beaucoup pour que le temps changeât avant ton arrivée. Note que c’est bien l’êté qui convient à Venise. De sorte que, pour bien faire, il faudrait la visiter en juillet, mais n’agir et n’y travailler qu’en automne, cercle vicieux dont nous ne sortirons qu’en la voyant bien, en souffrant pas mal, et en n’y faisant rien du tout.

C’est un lieu admirable, — tu en jugeras, — moins encore au premier coup d’œil qu’au second ; ce serait extraordinaire si on n’y était préparé par tout ce qu’on a vu, lu, su. J’ai commencé par trouver cela conforme à ce que j’attendais. L’Orient m’avait déjà bien renseigné sur ce que le ciel et les choses ont de légèrement asiatique. A la réflexion, à l’usage, en l’examinant en soi, sans comparaison, c’est, par son architecture, par son art, par les souvenirs, par le luxe dans le détail, le goût dans le grandiose, un ensemble unique et exquis et qu’on n’admirera, qu’on ne goûtera surtout jamais trop.

Tâche, je t’en prie, que nous voyions cela ensemble. Je te mènerai aux bons endroits, t’épargnerai beaucoup de temps, et j’ai déjà fait un petit travail d’élimination, de choix, je dirai de découverte, dont j’aimerais bien à te faire profiter.

Tu verras surtout combien il est bon de vérifier les jugemens de l’opinion des foules. Il y a telle grande renommée qui ne grandit pas beaucoup à l’examen minutieux de ses œuvres. Telle autre, au contraire, prend des proportions tout à fait imprévues. Tu verras ici des hommes énormes, dont nous ne connaissons en France que le nom ; ceci est extrêmement instructif et passionnant. Somme toute, je crois que, si tout va bien, nous serons ravis.

Les dernières nouvelles de France nous ont beaucoup préoccupés ; celles de ce matin (journaux italiens) sont un peu plus rassurantes.

Je te parlerai du trajet de Bâle à Milan : la Suisse de Lucerne nous a véritablement enchantés, et il y a dans le haut Saint-Gothard, d’Andermalt à Aïrolo, deux ou trois spectacles de nature incomparables. J’ai vu des choses autrement belles, rien ne m’a jamais plus frappé. Si, par hasard, vous prenez cette route, je te recommande, une heure avant le col, la haute vallée et le village de l’Hôpital. (Note que personne n’en parle, aussi quelle surprise ! )

Adieu, je succombe et je ruisselle. Marie dort, Busson m’a dit de t’embrasser, il est à dormir.

Nous attendons quatre heures pour remonter dans notre gondole, je me sens idiot. Nous nous unissons, cher vieux frère, pour l’embrasser du fond du cœur, et nous vous attendons.

EUGÈNE.


Au moment où cette lettre parvenait à son destinataire, la guerre avec la Prusse éclatait. Nos désastres, les horreurs de la Commune, bouleversèrent Eugène Fromentin. Il se remit enfin au travail…

En 1875, il parcourt, au mois de juillet, la Belgique et la Hollande. Il y étudie les musées et les églises, il en rapporte des notes[11] d’où sortiront, dès janvier 1876, les Maîtres d’autrefois.


A Armand du Mesnil.


Saint-Maurice, près La Rochelle, ce vendredi (septembre 1815).

Cher ami,

Depuis le jour où je l’écrivais, j’ai travaillé et beaucoup écrit. Je ne sais pas trop ce que cela vaut. Il y a des jours où je suis content, il y en a d’autres, comme aujourd’hui, où je trouve tout cela bien médiocre. J’ai été, comme tu me conseillais de le faire, devant moi et un peu de droite à gauche. J’ai environ cent soixante-quinze ou cent quatre-vingts pages écrites. Il faudra que le volume soit très gros pour que je puisse y tailler un volume moyen. Note qu’à part Rembrandt, qui est fait (sauf grande révision), et Rubens, où je suis, je n’ai pas encore dit un mot des choses que je sais le mieux et de celles qui probablement seront les meilleures parties du livre, si je les réussis ; de sorte que je ne peux prévoir jusqu’où tout cela va m’entraîner.

A ne considérer ce premier jet que comme une ébauche, il y aura du moins dans cette ébauche des parties très avancées. Si tu étais là, en une demi-heure de lecture je saurais à quoi m’en tenir sur la qualité du ton, sur la manière de dire les choses, et sur la valeur des idées principales. Jusqu’à ce que tu y aies mis le nez, je travaillerai un peu en aveugle.

Je me suis interrompu la semaine dernière et je viens de consacrer ces huit jours à la peinture. Demain je vais reprendre la plume, mais le fil est rompu, et je sens que j’aurai encore de la peine à m’y remettre.


Parmi les amis de jeunesse d’Eugène Fromentin, il en est un qu’il avait perdu de vue dès avant sa maturité, Léon Mouliade. Ce jeune Vendéen, l’Olivier d’Orsel de Dominique, avait exercé une influence passagère, mais appréciable, sur la formation de Fromentin dans les dernières années de collège et un peu après. Il avait, depuis cette époque, lente de faire sa carrière dans une grande administration, et Fromentin l’avait perdu de vue.

Or le hasard remet un jour en présence ces deux vieux camarades.


A Monsieur XXX.


(Saint-Maurice), octobre 1875.

… Imaginez-vous qu’hier j’ai revu ici, chez moi, entrant comme un revenant, mon vieil ami de jeunesse, l’Olivier de Dominique. Il y avait vingt-sept ans que nous ne nous étions vus. Nous ne nous sommes [reconnus ni l’un ni l’autre, bien qu’il me cherchât et qu’il se nommât. J’ai été heureux, lui aussi, et très émus tous les deux. Il a quitté la Vendée, vendu toutes ses terres, et s’est retiré pour mourir en paix, m’a-t-il dit, au fond de la Bretagne, en Finistère, en pleine forêt, dans un château qu’il a reconstruit, mais auquel il laisse son nom celtique et son titre de manoir.

Il n’y est pas tout à fait seul. — Il n’a jamais été tout à fait seul, mon Olivier. Toujours le même ; mais c’est la même solitude morale. Au fond, le même ennui, la même douceur élégante et désabusée, finalement la même idée fausse de la vie. Il est devenu gourmet, il a la goutte, ne monte plus guère à cheval, et tire des bécasses dans son parc, une béquille d’une main, un fusil de l’autre. Il m’a raconté bien des drames récens, et parait, selon son habitude de grande réserve, avoir oublié nos drames anciens…


A Monsieur Charles Busson.


Saint-Maurice, ce 5 novembre (1875).

Cher ami,

Ici, rien de brillant. Nous partons dans huit ou dix jours, et c’est déjà bien tard. Deux mois sur trois, j’ai écrit ; j’ai un gros cahier, dont je n’apprécie pas très nettement ni la nouveauté, ni la valeur, ni le vrai mérite : j’ai peur que ce soit bien médiocre. J’attends, pour me fixer, mon arrivée à Paris et des yeux frais. Dans tous les cas, il y a certainement le rudiment d’un livre, si le livre n’y est pas ; et cela se retouche, se reprend et se rature avec moins d’inconvéniens qu’un tableau.

Je ne me suis guère distrait, j’espère cependant n’être pas trop fatigué…

Je vais rentrer à Paris, comme on sort d’un puits de mine, ayant pendant trois mois oublié les bruits de la vie et perdu l’habitude de mes semblables. Si j’étais plus content de moi, je sortirais de mon trou avec un vrai plaisir, mais… Que de mais désolans dans notre malheureuse carrière de travail et d’efforts !…

Est-il vrai, comme l’a dit un journal, un seul, il y a une quinzaine, que Lehmann soit nommé aux Beaux-Arts en remplacement de Pils ? Comme choix, il vaut bien les autres candidats (Baudry excepté). Comme signification, c’est, je pense, une fière revanche du vieil Institut ; et la revanche ne s’arrêtera pas là, n’est-ce pas ?


Au même.


Saint-Maurice, ce mardi 16 novembre (1875).

Enfin ! Nous serons à Paris demain soir mercredi, à moins d’incident, par l’arrivée de dix heures moins un quart. Je laisse ma chère mère navrée, et c’est le seul chagrin qui gâte mon départ.

Je suis loin d’être content de moi, mais j’ai fait ce que j’ai pu.

Quant au livre, il n’a pas avancé d’une ligne depuis vingt-cinq jours ; j’ai donné ces trois dernières semaines à la peinture : il le fallait. On me dit que tu es impatient. Je ne le suis pas moins. Tu me fixeras sur bien des points qui me tourmentent : il y a du pas mal, mais c’est faible d’idées ; le livre est tout à composer, et bien des morceaux sont à refaire, notamment Rembrandt. De plus, que d’erreurs et combien d’inexactitudes à corriger ! Enfin, il est loin d’être complet, bien entendu. Non seulement, il y manque des parties de fond, comme la suite des Flamands et des Primitifs ; mais la plupart des idées un peu neuves qu’il faut y introduire, les leçons qu’il convient d’en tirer, les applications au présent, rien de tout cela n’y est. Et c’est là l’indispensable moralité sans laquelle mon travail n’aura ni valeur, ni à-propos, ni nouveauté. Enfin tu verras.

Cela me donne envie de poursuivre, et ce serait à mon avis dommage de ne pas tenter davantage. Voilà, je crois, l’opinion que tu en auras également, d’après certains morceaux, qui, sans être tout à fait venus, promettent.

Il me tarde donc autant et plus qu’à toi, cher, que nous soyons tous les deux dans le huis-clos, appliqués à cet examen, que je redoute et que j’attends.

Après trois mois et plus d’éloignement, je te dis maintenant : à tout à l’heure.

À toi, cher vieux frère.


A Monsieur Charles Busson.


Paris, ce mercredi (décembre 1875).

Si je ne vous ai pas écrit depuis notre retour, quoique j’en aie eu le désir souvent, c’est que j’ai vraiment employé mes jours minute par minute. De peinture point. Sauf trois petits tableaux livrés sur six, les autres sont tels que je les avais rapportés de Saint-Maurice. J’avais hâte d’en finir avec mon livre, et, Dieu merci ! le voilà terminé. Il commencera à paraître dans la Revue des Deux Mondes le 1er janvier prochain ; vous voyez que je n’ai pas perdu de temps.

Malheureusement, vu la grosseur du travail, cela va durer de numéro en numéro jusqu’en mars, ce qui est bien long.

Je suis content, autant qu’on peut l’être d’un livre qui manque d’ordre et n’est point complet. Le titre que j’ai choisi : les Maîtres d’autrefois, et le plan de l’ouvrage, se prêteraient à beaucoup d’extension ; et ce sera peut-être le cadre de travaux futurs, si Dieu me prête vie, courage, loisirs et esprit. Je crois qu’il y aura des gens ennuyés, et c’est ma seule ambition. Je ne suis ni rancunier, ni méchant, mais si je pouvais inspirer à quelques-uns des doutes sur eux-mêmes, convaincre d’autres qu’ils sont des imbéciles, et enfin faire entrevoir qu’un homme du métier n’est pas de trop pour parler de certaines choses, je serais payé de ma peine.

J’attends ce soir même les premières [épreuves ; c’est vous dire que le gros travail de composition est fini, mais que le fastidieux travail des corrections ne le sera pas de longtemps…


Les Maîtres d’autrefois, enfin mis au point, paraissent dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier au 15 mars 1876, en volume au mois de mai. L’ouvrage est très lu, très commenté dans la presse, dans les salons et surtout dans les ateliers. Il obtient un vif succès. Aussi l’auteur caresse-t-il de nouveau à ce moment l’idée qui lui était chère d’étudier la plume à la main les Maîtres du Louvre. Il s’agirait de raconter une promenade autour du grand Salon carré. Fromentin s’en ouvre à quelques amis.

Les fidèles de l’écrivain et du peintre accueillent avec enthousiasme les Maîtres d’autrefois[12].

Au printemps de la même année, Eugène Fromentin expose des tableaux d’Egypte qui semblent d’une exécution un peu triste. On y sent la fatigue.

Au mois de juin, une vacance s’étant produite à l’Académie Française, Fromentin se décide, au dernier moment, à se présenter on concurrence avec quatre candidats. Malgré le patronage du comte d’Haussonville, de M. Caro et l’appui du comte de Falloux, il n’obtient que douze voix. C’est Charles Blanc, critique d’art, inspecteur des Beaux-Arts, qui est élu.

L’affaire de l’Académie terminée, l’auteur des Maîtres d’autrefois respire. Comme il arrive après une série d’efforts, il sent tout d’un coup la fatigue accumulée. Il éprouve un besoin impérieux de se détendre. Le 27 juin, il accompagne sa femme à Vichy où elle va prendre les eaux. De là, il cause avec du Mesnil, et c’est un dialogue intéressant.


A Armand du Mesnil.


(Vichy, juillet 1876).

Tu connais la vie de Vichy et tu sais comment elle se distribue entre l’établissement thermal et le casino, l’allée bitumée, les kiosques et le grand parc. C’est régulier, paisible, absolument monotone et tout à fait machinal… Je lis, je fais les cent pas sur le bitume… L’occasion serait excellente pour ruminer quelque chose si je savais penser, nourrir un projet, composer dans ma tête, inventer sans le secours de la plume. Mais tu sais que j’en suis incapable. Toute méditation qui n’est pas une improvisation me fatigue, m’écœure et amène le sommeil ou quelque chose d’approchant. Je me résigne donc à ce repos total, qui m’humilie et ne me plaît guère, et de temps en temps j’avale un verre d’eau de l’Hôpital. Sauf une course à la Montagne Verte le premier jour, nous ne sommes pas sortis de Vichy.


Du Mesnil répond : « Si, de-ci de-là, tu te sens la tête inoccupée, rêvasse à quelque sujet de livre, mais dispense-toi, en effet, de préparer quoi que ce soit qui ressemble à un plan, à une composition. Pour le Sahel, le Sahara et les Maîtres d’autrefois, tu as ou pour point de départ et assiette de ton travail des lettres et notes de voyage. Si tu devais nous donner quelque chose sur l’Egypte, tu trouverais le même secours dans tes albums ; mais, si tu veux faire de l’esthétique générale, quelque analyse philosophique ou psychologique, je te connais, cela se cristallisera tout à coup et la plume posée sur le papier. A cet égard, je l’avoue, je ne’ suis pas très, pressé de te voir aborder l’idée dont lu m’as dit un mot ; je placerais volontiers l’Egypte entre deux… »


A Armand du Mesnil.


(Vichy, juillet 1870).

Marie ne s’ennuie pas, et, chose extraordinaire, moi non plus. Je suis seulement dans une stupidité sans exemple, et je m’y résigne. J’ai trouvé ici deux ou trois volumes de Heine qui font mes délices et un peu mon tourment, car il m’est bien difficile d’admirer quelque chose dans cet ordre-là sans avoir le désir d’en faire autant et le chagrin de ne le pouvoir. Je parle de son livre de Lutèce et du volume de la France, qui sont des œuvres de toute force quand on les lit avec un peu d’ardeur.

Même vie : promenade après la douche au bord de l’Allier, théâtre et casino le soir.

Je corrige en ce moment les épreuves de Dominique[13]


Armand du Mesnil réplique : « Heine, dont tu me parles, est, en effet, très séduisant : il a de la pénétration, il gouaille et il est ému, il a une manière de dire, de voir et de faire voir qui est à lui. C’est du Voltaire et du Diderot fondus, avec un accent emprunté à cette Allemagne d’autrefois que nous avons aimée, l’Allemagne d’avant la Prusse. Quant à en faire autant, c’est autre chose. Tu n’as imité personne ni dans ta peinture, ni dans tes livres, et tu n’as rien à prendre à personne ; c’est ce dont tu dois te bien persuader. Ne cherche nulle part ni un style ni des inspirations : tu es toi, et tu aurais tout à perdre en voulant te transformer ici ou là. Tiens cela pour certain et permets-moi d’insister là-dessus. Tu sais ce que tu vaux, mais, par instans, il semblerait que tu l’oublies et que tu te préoccupes de chercher de nouveaux titres ; c’est un souci que tu peux t’épargner. Ton dernier livre est excellent, je ne m’y suis pas trompé dès la première heure ; c’est le livre d’un homme qui sait voir profond, qui sait penser, qui dit juste avec abondance, avec variété, sans rien de lâche ni de superflu, qui sait colorer sans brusquerie de ton ; c’est le livre d’un homme comme il faut, d’un peintre et d’un écrivain. Quand, en peinture, dans un certain domaine, on a des imitateurs et qu’on n’a pas encore trouvé de rivaux : quand on a écrit Dominique, le Sahel, le Sahara et les Maîtres d’autrefois, on peut avoir légitimement l’ambition de ne pas s’en tenir là ; mais, comme dans ces divers ouvrages on a marqué son incontestable originalité et sa valeur, encore une fois il est inutile et il pourrait être dangereux de se déplacer. Je conclus plus fermement que jamais : garde Ion talent et tes outils. »


À Armand du Mesnil.


Vichy, ce (vendredi 21 juillet 1876).

Merci de ta lettre, cher tendre ami.

Dans mon privé, j’ai pris mon parti de ma totale stupidité ; et, non seulement je n’aurai pas écrit une ligne, mais je n’aurai pas trouvé la matière d’une ligne à écrire. Ne crains pas que je m’égare dans les recherches étrangères à ma nature et à mes habitudes. Sur ce point, ma stérilité fait ma force ; je ne dirai jamais que ce qui me sera inspiré par un besoin, subit ou latent, de vider mon fond. Et ce qui fait mon supplice aujourd’hui, c’est que pour le moment le sac est vide. Il est possible qu’il se remplisse à mon insu. Je m’en apercevrai peut-être un peu plus tard.


Le 19 août, Eugène Fromentin rentrait à Saint-Maurice, prêt à reprendre de plus belle la lourde palette du peintre. Il se sentait épuisé. Il avait éprouvé, les deux ou trois années précédentes, des troubles qui annonçaient la fermentation d’un sang appauvri. Un petit bouton à la lèvre, qui prit bientôt la forme d’un anthrax charbonneux, l’emporta le 27 à l’âge de cinquante-six ans, après quatre jours de fièvre. Aucun de ses amis, ni du Mesnil, ni Bataillard, ni M. Busson, n’avait eu le temps d’accourir.

Durant les heures d’agonie, l’intelligence se battait encore, par momens, contre les idées et les images qui l’assaillaient. Sa peinture et ses livres ne cessaient de poursuivre le malade, on s’en apercevait à ses gestes et à quelques mots espacés.

Pourtant la fin fut douce. Fromentin mourait dans la petite maison du village qui lui était cher, entouré de ses proches, dont il prononça jusqu’à la fin les noms. Il apercevait, en fermant les yeux à la terre, la lueur d’un autre monde pour lequel la piété maternelle l’avait tendrement préparé.

N’était-ce pas la mort qu’il souhaitait, lorsqu’il s’écriait dans une page du Sahel : « Pourquoi la vie humaine ne finit-elle pas comme les automnes d’Afrique, par un ciel clair, avec des vents tièdes, sans décrépitude ni pressentimens ? »


PIERRE BLANCHON.

  1. Ces documens sont dus à l’obligeance communication de Mme Alexandre Billotte, fille d’Eugène Fromentin, qui a bien voulu nous autoriser à les publier.
    Les Lettres de Jeunesse d’Eugène Fromentin, biographie et notes par M. Pierre Blanchon, ont paru à la librairie Plon en 1909. — Le même éditeur va publier un volume de Corres-pondance et Fragmens inédits du maître, également commentés par M. Blanchon. Cette publication continuera la première et mènera le lecteur jusqu’à la mort de Fromentin.
  2. De la forêt de Fontainebleau, où Fromentin est allé passer, une partie du mois de septembre. — Mlle Lilia Beltrémieux, sœur de l’ami que l’artiste avait perdu en 1847, était professeur de peinture à La Rochelle.
  3. Cette lettre suivait l’envoi d’une étude du peintre Müller que Mlle Beltrémieux devait copier (Jeune fille au tambourin). — Louis Müller, né en 1815, élève de Gros et de Cogniet, entra à l’Institut en 1864.
  4. Élève d’Eugène Delacroix, Mme Babut, fixée à La Rochelle, avait formé à la peinture Mlle Beltrémieux.
  5. M. Armand du Mesnil, dont Fromentin épousera la nièce en 1852, et qui, après avoir été directeur de l’enseignement au Ministère de l’Instruction publique, puis conseiller d’État, survivra près de trente ans à son ami. Mme du Mesnil mère habitait avec son fils. — Voyez sur Armand du Mesnil les Lettres de Jeunesse d’Eugène Fromentin, p. 62.
  6. Un Été dans le Sahara, p. 115 et suivantes.
  7. Le général Daumas a publié le Sahara algérien et le Grand Désert.
  8. M. Gaston Romieux (1802-1872), négociant rochelais, collectionneur d’art, écrivain et poule, produisit des œuvres élégantes. Sa famille a bien voulu autoriser la publication des lettres qu’il avait reçues d’Eugène Fromentin.
  9. Probablement l’Académie française. Fromentin s’y présentera en 1876.
  10. M. Charles Busson, né à Montoire (Loir-et-Cher), en 1822, élève de Rémond et de François, est mort en 1908. Il avait bien voulu, ainsi que Mme Busson et Mme Sautai, née Busson, nous communiquer la correspondance échangée entre Fromentin et lui. — Paul Bataillard, ancien élève de l’École des Chartes, disciple et ami de Michelet et d’Edgar Quinet, fut emprisonné au Deux-Décembre. Champion enthousiaste de l’indépendance de la Roumanie et spécialiste de l’étude des Bohémiens, il mourut en 1891, archiviste de la Faculté de Médecine de Paris. — Voyez sur lui les Lettres de Jeunesse d’Eugène Fromentin, p. 45.
  11. Les lettres écrites de Belgique et de Hollande ont paru dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1908.
  12. Edouard Pailleron (11 janvier 1876) : » Bravo !… c’est extrêmement bien, vous savez. Et, comme il faut toujours qu’il y ait un mieux, dans le bien, Rubens est, jusqu’à présent, le véritable capo di latte. Encore ! Encore ! » — M. Hébert admire aussi l’étude sur Rubens : « C’est excellent, et nous fait aimer notre art en le montrant ce qu’il est : tissu d’âme. » — Edmond Scherer qui, depuis Dominique, demeurait fidèlement, attaché à Fromentin, avoue : « J’ai éprouvé une véritable jouissance à tenir réunis entre mes mains ces articles que j’ai tant goûtés, que j’ai lus avec une sorte d’excitation cérébrale si particulière et si agréable ; Savez-vous ce que j’aimerais ? J’aimerais avoir quinze jours devant moi pour vous relire et pour décrire, dans un article, les procédés de style au moyen desquels vous avez transformé la critique de la peinture. La première fois que je vous ai lu, je me disais à chaque page : Oh ! le beau travail qu’il y aurait à faire sur cette manière d’écrire ! »
    Gustave Flaubert à Eugène Fromentin.

    6 juillet 1870.
    « Mon cher ami,
    « Vous avez bien fait de m’envoyer votre livre, car je l’ai lu avec un plaisir infini. Si vous pouviez voir mon exemplaire, les nombreux coups de crayon mis sur les marges vous prouveraient qu’il est pour moi une œuvre sérieuse. Comme c’est intéressant ! et que cela est rare un critique parlant de ce qu’il sait ! Je n’ai pas l’outrecuidance d’apprécier vos idées en fait de peinture, ni les discuter, bien entendu, parce que : 1° je ne suis pas du bâtiment, et que 2° je n’ai pas vu les tableaux dont vous parlez. Je me borne donc à ce qui est de ma compétence : le côté littéraire, lequel me paraît considérable. Je ne vous reproche qu’une chose, un peu de longueur, peut-être. Votre livre eût gagné en intensité si vous eussiez enlevé quelques répétitions, la littérature étant l’art des sacrifices. Deux figures dominent l’ensemble : celle de Rubens et celle de Rembrandt. Vous faites chérir la première, et devant la seconde on reste rêveur. Voici la première fois que je rencontre des phases telles que celles-ci (a) : « Dans le grand blanc, le cadavre du Christ est dessiné par un linéament mince et souple, et modelé par ses propres reliefs, sans nul effort de nuances, grâce à des écarts de valeurs imperceptibles. » Une merveille de précision et de profondeur ! Le passage (pages 186-191) mériterait d’être inscrit sur les murs pour l’édification de tous ceux qui se sentent artistes. Il faut être d’une certaine force pour comprendre ce que vous dites sur l’insignifiance du sujet (p. 201 et suiv.). Rien n’est plus juste ! mais c’est une vérité qui aura bien du mal à s’établir dans les caboches épicières et utilitaires de nos contemporains. Quel esthéticien vous faites ! Page 225 : « On se convaincrait… et qu’il y a de très grandes lois dans un petit objet, etc. » Et page 225 : « L’individualisme des méthodes n’est, à vrai dire, que l’effort de chacun pour imaginer ce qu’il n’a point appris. La soi-disant originalité des procédés modernes cache au fond d’incurables malaises. » Sentences classiques ! Un peintre doublé d’un écrivain pouvait seul écrire la page 351 sur le clair-obscur : « C’est la forme mystérieuse par excellence, etc. » Quant à vos descriptions de tableaux, on les voit ! Enfin, mon cher ami, vous avez fait un livre qui m’a charmé, et, comme j’ai la prétention de m’y connaître, je suis sûr qu’il est bon. Merci du cadeau. Je vous serre les mains fortement. Tout à vous.
    « Gustave FLAUBERT. »
    Croissot, près Rouen, 19 juillet 1876.

  13. Nouvelle édition du roman, à la librairie Plon.