Exil de Mardi-Gras

La bibliothèque libre.


Exil de Mardy-Gras, ou arrest donné en la Cour de Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, par lequel, nonobstant la garantie des Epicurois et Atheismates, opposition des esleuz de la Frelauderie, malades, pauvres, artisans, amoureux, dames, gueux et le fermier de la boucherie de Caresme, Mardy-Gras avec tous ses supposts est banny du ressort et empire de ladite Cour pour le temps et espace de quarante et un jours.

1603



Exil de Mardy-Gras, ou arrest donné en la Cour de Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, par lequel, nonobstant la garantie des Epicurois et Atheismates, opposition des esleuz de la Frelauderie, malades, pauvres, artisans, amoureux, dames, gueux et le fermier de la boucherie de Caresme, Mardy-Gras avec tous ses supposts est banny du ressort et empire de ladite Cour pour le temps et espace de quarante et un jours.
À Lyon, par les supposts de Caresme.
1603. In-8.
ADVERTISSEMENT AU LECTEUR AMY.


Benevole lecteur de Caresme, nous t’eussions peu donner avec plus d’apparat et de figures ce petit procès contre Mardy-Gras, mesmes y eussions peu mettre les plaidez, non en forme compendieuse d’un veu de procès, comme tu vois, mais en toute leur splendeur, avec leurs loys et paragrafes, et y adjouster encor la disposition dudit Mardy-Gras de ses biens, s’en allant en exil, comme il luy est permis par l’arrest, si le temps nous en eust donné le loisir ; mais tu recevras ceci en intention que s’il t’agrée de le faire en meilleure forme, ni plus ni moins que les procès d’amour, et en bref après Pasques. Vis cependant content et ne te despite pour chose que tu verras icy, mais prens le tout en bonne part et ayme-moy. Adieu.

Quatrain.

Lecteur, ne pense pas que, faute de sagesse,
Ay faict parler ainsi ce livre follement ;
Mais pense que je veux, sous tel deguisement,
Te forcer de l’Église à la divine adresse.

Arrest intervenu sur le procez intenté en la cour souveraine de Riflasorets, establie en la ville de Saladois,

Entre noble maistre Megrinas Caresme, prince du Jeusne et de la Penitance, seigneur souverain de la Discipline, frère germain de l’Aumosne, protecteur de la Charité, etc., demandeur en pocession de temps et autrement en excez, et le sindic des Penitantiates et Jeusnamites, et le procureur général du souverain ressort de Saladois, joint à luy, d’une part ;

Et hault et puissant prince Grossois Mardy-Gras, idole des Affamés, empereur des Yvrognes, roy des Gormands, seigneur souverain de la Desbauche, archiduc des Epicuriens, comte des Athées, marquis de Frelaudois, baron de Paillardise, sire de Paresse, captau1 de Feneantise, visconte des Bons-Compagnons, capitaine des Tirelaines, lieutenant general du grand empereur des Fausses-barbes, et ses supposts, Pensard, Crevard, Jambonois, Bodinois, Sossissois, Godivois et autres, etc., deffendeur autrement anticipé et appelant du conservateur des priviléges, droits, noms, raisons et actions, intelligences, executions, renommée, quatre-temps, vigiles et foires du grand et petit Caresme, et les desputés des cantons epicurois et atheismates, prenans la cause en garantie pour ledit hault prince Mardy-Gras, et les esleus de la Frelauderie, et les sindics des malades, fiebvreus, pulmoniques, catareux, sciatistes, gouteux, verolés, coliquistes, frigidistes, migranistes, pieristes ou gravelistes, chassieux et autres semblables ou soy-disants tels, et les chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité des Artisants, et les amoureux mignons, meneurs soubs bras, Narcisses des villes, Adonis de rues, courtisans de boutique, supposts de bal, muguetteurs2 de filles, senteurs de vesses, odorateurs de pets, rabats blancs aux sales chemises, cureurs de dents aux ventres creux, mesnagers d’amour, fondeurs de larmes, distilateurs de souspirs et autres, et les dames popines3, grasses, maigres, fardées, grelotées, et autres hujusdem generis, et les Cap-d’escouade des gueux et mendians, et les fermiers de la boucherie de Ceresme4, intervenans au procez, d’autre ;

Veu par la court souveraine de Riflasorets, establie en la ville de Saladois, le procès dont est question ; sommation faite par noble maistre Megrinas Caresme, prince de Jeune, etc., à haut et puissant prince Grossois Mardy-Gras, idole des Affamez, empereur des Yvrongnes, etc. ; à ce qu’attendu que les sept semaines avant Pasques pendant lesquelles, sans trouble, empeschement ny sedition dudit Mardy-Gras ni de ses supposts Pansard, Crevard, Jambonier, Boudinois, Saussissois, Godivois et autres, il devoit regner, devoient commencer le lendemain 12 de fevrier, an 1603, ledit Mardy-Gras et ses supposts eussent à vuider par tout le jour de toute la jurisdiction de la ville de Saladois et cour de Riflasorets, en datte du 12 desdits mois et an ; signé : Harant-Blanc, notaire royal.

Assignation donnée audit Mardy-Gras pardevant le conservateur des priviléges, droits et raisons, vigiles, quatre-temps et foires du grand et petit Caresme, à la requeste dudit Caresme, en date desdits jour, mois et an ; signé : Megrinet, sergent royal.

Acte de comparition dudit Caresme pardevant ledit conservateur, et deffaut donné audit Mardy-Gras ; signé : Matafan, greffier, en date du 13 desdits mois et an.

Acte contenant l’appel dudit Mardy-Gras en la cour souveraine de Riflasorets, en datte desdits jour, mois et an, lettres royaux d’anticipation sur l’appel intenté par ledit Mardy-Gras ; signé : Vinagret, controlleur en la chancellerie ; ensemble assignation donnée sur lesdites lettres d’anticipation audit Mardy-Gras, à la requeste dudit Caresme, à ce qu’il vint proposer ses causes d’appel en la cour, le lendemain, jour d’audiance, suyvant les coustumes et reglements de ladite cour de Saladois ; signé : Megrinet, sergent royal, en datte desdits mois, jour et an.

Plaidez des parties sur l’appel par lequel Harent-Soret, advocat dudit Caresme, auroit remonstré et requis que ledit Mardy-Gras eust à se desister de son appel, et, en outre, fut condamné à l’amende, et les parties renvoyées pardevant ledit conservateur, leur juge compétent. Et, au contraire, Pansardois, advocat dudit Mardy-Gras, auroit dit sa partie avoir bien appelé dudit conservateur, parce que ledit conservateur pourtoit son objet sur le front, estant conservateur de Caresme, et non de Mardy-Gras, et lequel ses officiers ne creignoient guères, homme qui pourteroit plus de faveur à Caresme qu’à luy, et qu’un tel juge luy estant grandement suspect, requeroit qu’il fut admis en son appel, et ledict Caresme debouté de sa demande et du renvoy de ladite cause, et qu’il pleut à la Court evocquer le principal ; en ce faisant, ordonner que toutes parties viendroyent le lendemain plaider en l’audience, et où ledict Caresme proposeroit sa demande. Arrest par lequel la Court a evocqué le principal et ordonné que toutes parties viendroyent plaider le lendemain, despens reservez en fin de cause, en date du 14 desdits mois et an ; signé : Harent-Soret et Pansardois, advocats.

Autre arrest, intervenu le mesme jour sur les requestes faites par le sindic des Penitentiates et Jeunamites, du procureur-general du souverain ressort de Saladois, des esleuz de la Frelauderie, du sindic des malades, fievreux, pulmoniques, catarreux et autres nommez en l’instance, et des chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité ; des artisans et des amoureux mignons, Narcisses de villes et autres, et des dames, et des caps-d’escouades5, des gueux et mandians, et les fermiers de la boucherie de caresme, par lequel ledit sindic des Penitentiates et Jeunamites et ledit procureur-general sont receus parties au procès contre ledit Mardy-gras, et est permis à iceluy Mardy-gras de faire appeller le deputez des quantons epicurois et atheismates, lesquels il dit avoir garands en cause, et aux esleuz de la Frelauderie, sindic des malades, chefs de la noble confrairie de pauvreté, amoureux, dames, cap-d’escouade des gueux et mandians et fermiers de la boucherie de caresme d’intervenir audit procès, en datte du quatorzième desdits mois et an ; signé : Lentillin, greffier.

Significations faites desdits arrests respectivement aux parties ; signé : Goulas Fripet, Magret, huissiers en la cour, en datte desdits jour, mois et an.

Plaidez de Haren Soret, advocat en la cour, pour ledit Caresme, disant que, le onziesme de ce mois, il auroit fait sommer hault et puissant prince Grossolois Mardy-Gras, soy-disant idole des affamez, empereur des yvrongnes, etc., par Haran Blanc, notaire royal, à ce que, suyvant les bonnes et louables coustumes, traditions des Pères, ordonnance de l’Eglise, par tout le jour dudict onziesme dudict mois de febvrier audit temps6, ledit jour finissant inclusivement et precisement au signe que la cloche des cordeliers sonneroit de la minuit passée, ou en tout cas à une heure après minuict, à cause de certaines pretensions et procez intentés par les bons compaignons Fausses-Barbes, Tire-Laines, Gueux et Mandians, lequel procez est encores indecis, et auquel ledit Haran Blanc, pour ses parties, n’entend en rien prejudicier, ledit Mardy-Gras eust à vuider de tout le ressort de ladite Court souveraine de Saladois, laissant à sa partie la possession vuide et paisible dudit pays, sans fracas de marmites, belemens de veaux, d’agneaux, de chèvres, chevreaux, brebis, moutons, mugissement de bœufs, grougnement de pourceaux, caquelinement de coqs, coquassement de poules, piolemens de poulets, pipiemens de pigeons, tintamarres de poiles, chauderons, pots, marmites, cramails, poilons, cuillères ; massacre de perdris, faisans, grives, beccasses, tourterelles, alouettes, coqs d’Inde, levraux, canards privez et sauvages et estourneaux ; mangement de saucisses, goudiveaux, pastez, bœufs, moutons, agneaux, saucissons à l’italienne et autres entretiens et fauteurs dudit Mardy-Gras, partie adverse, par tout le terme et espace de sept sepmaines devant Pasques (ledit temps commençant depuis ledit jour onziesme de ce mois de febvrier 1603 jusques au 30 exclusivement de mars, audit temps).

À laquelle sommation tant s’en faut que ledit Mardy-Gras, partie adverse, eust obey, et, en ce faisant, aimablement promis vuider dudit pays audit terme, qu’au contraire, ayant trouvé le jour d’après, à midy, sa partie reniant et blasphemant le nom de Dieu, et ayant une grande chaine de goudiveaux et saucissons au col, armé d’une marmitte à la teste, de deux chauderons derrière et devant, une poile ceinte à son flanc, une cuillère sur le cul en guise de pougnart, une lichefrite pour cuissards7, avoit bravé ledit Caresme, sa partie, disant qu’en despit de luy, pendant ledit temps de sept semaines, il regneroit et auroit plus de fauteurs et courtisans que sa partie, qui n’estoit qu’un cague-foireux, visage de prunes cuittes, hypocrite, mangeur de pate-nostre, encoffreur d’amandres pelées, et autres injures, par lesquelles il avoit taxé grandement l’honneur de sa partie. Et en outre avoit ledit Mardy-Gras commandé à Pansard, Crevard, Socissois, ses supposts, de battre sa partie et luy chier sur le nez, tellemant qu’en riant il leur avoit dit : Esconchiez maistre Caresme ; et l’avoyent fait, comme ledit Caresme sa partie verifieroit très bien.

Parquoy demandoit et requeroit, concluant au nom de sa partie, que ledit Mardy-Gras fut condamné, suyvant les bonnes coustumes, traditions de Pères, commandemens de l’Eglise, non seulement à vuyder du ressort de ladite court souveraine de Saladois, mais encore, pour reparation des injures faites à sa partie (lesquelles, en cas que partie adverse les voulsit denier, il offroit verifier), ledit Mardy-Gras fut dès ce jourd’huy banny du pays, et inhibition et deffenses à luy faites d’y revenir qu’à minuit du 29 de mars precisement, audit temps 1603 ; faire amende honorable, la hart de fèves au col, le bourreau à sa queue, un cierge d’abstinence en sa main, pesant dix livres ; en outre, estre condamné à dix mille livres soreloises envers les pauvres de l’hospital, quatre-vingt mille lenticuloises envers sa partie, et à tenir prison jusques à plain payement, et à tous despens, dommages et interests. Signé : Harant Soret.

Dire des Penitentiates et Jeusnamites.

Autre plaidé de Pain-Sec, advocat plaidant pour le sindic des Penitentiates et Jeusnamites, disant que c’estoit une grande vilennie et un grand deshonneur à la Court souveraine de Riflasorets voir ledit Mardy-Gras, un vrai gourmand, paillard, yvrogne et epicurien, n’estre pas content embourber au peché de gueule, d’yvrongnerie, et, par consequent, de tous les autres vices, tout le long de l’année, les nobles, le peuple et toute sorte de gens, mais encores oser braver et troubler en la possession de son rang le venerable Caresme, le règne duquel avoit esté introduit par les saints Pères et par la constitution de l’Église, pour matter nostre chair et la rendre plus souple à la discipline, plus capable de raison, et par ainsi plus propre à obeyr aux commandemens de Dieu ; que ledit Mardy-Gras estoit un presumptueux, scandaleux, et que l’on n’oyoit jamais que ses bravades et menasses par lesquelles il se jactoit8 de perdre, mettre à mort, estouffer et aneantir du tout le saint Caresme, qui estoit le seul frain du vice, la terreur de la licence de la chair, père du jeune, de la charité et de l’obeyssance que Dieu requiert de nous et de toutes autres disciplines chrestiennes ; qu’on ne voyoit que tous les jours courir par les rues de toutes les villes du ressort de Saladois, et par tous les chemins du plat païs, armées de perdris, levraux, chappons, coqs d’inde, poules, venaison, chair salée, saucisses et autres gens d’armes propres pour assieger, faire force, et faire mourir ledit Caresme.

Partant, concluoit ledit Pain-Sec, au nom de ses parties, que ledit Mardy-Gras fut envoyé en exil dès ce jourd’huy, inhibé et deffendu à toute sorte, qualité, condition, sexe de personnes, de le recevoir ny à luy de comparoistre jusques au trantième de mars exclusivement 1603, que la grand messe soit dite par toutes les églises ; signé : Pain-Sec.

Autre plaidé de Pansardois, advocat dudit Mardy-Gras, par lequel premierement il soustient qu’il n’est point un scandaleux ny seditieux, comme le sindic des Jeunamites et Penitentiates faussement, souz correction de la Court, a fait plaider par Pain-Sec, son avocat, ains que ce sont toutes impostures et injures, desquelles il demande reparation telle que la Cour sage verra estre propre pour reparer l’honneur d’un tel prince et grand seigneur comme il est, homme d’honneur, homme de bien, homme sans scandale, et homme qui practique honnestement avec tout le monde, affable à un chacun, bien venu partout, mangeant son bien avec allegresse, sans apporter difference, distinction, escritures, poix, mesures, hauquet, lardons, figure, negociation, transportement ny quadrature aux viandes, lesquelles Dieu a donné à l’homme pour s’en servir en ses necessitez et en son appetit, ayant creé les viandes et le temps pour l’homme, et non l’homme pour le temps ou les viandes ; que la gourmandise et friandise se pouvoit mieux exercer souz le règne de Caresme que souz le sien, l’empire duquel s’estendoit sur les carpes de Saône, truites, brochets, estourgeons, saumons, saules, cabots, rougets, lamproyes, alouzes, eguilles marines, escrevices et autres sortes de poissons de mer, d’estangs, de fleuves, de rivières et de mareschages, dans la saulse desquels gisoit l’esguillon de la friandise ; et que c’estoit luy qui estoit le paillard, provocquant ordinairement le monde à luxure9 ; que luy seul estoit le père de Venus, fille de la mer, id est, expliquant la fable, fille de la saleure, dans laquelle principalement et particulierement consistoit ledit Caresme ; que mesme il n’estoit autre chose que salure : ce qui mesme se verifioit par les registres des eglises du mois d’octobre, novembre et décembre, pendant lequel temps il s’y baptisoit plus d’enfans desquels la conception venoit à estre en fevrier, mars et avril, durant lesquels estoit le règne de Caresme, qu’en autre ; mesmes qu’il estoit très certain qu’audit temps de fevrier, mars et avril les maquereaux avoient plus de practique, ce qu’il offroit verifier par les depositions d’eux-mesmes ; qu’il estoit le soustien des affamez, le medecin des malades, le restaurateur des catarreux, pulmoniques, verolez, critiques, languissans, gouteux, sciatistes, pierreux, migranistes, coliqueux, fievreux et autres, lesquels sans luy, souz le règne de ce maistre truand Caresme, seroient pour mourir ; et, en ce que ledit Caresme a fait plaider par Harent-Soret, son advocat, qu’il n’avoit point voulu obeyr à la sommation, au contraire l’avoit outragé d’injures et fait outrager par ses supposts, disoit, ne nyant le cas, qu’il avoit très bien fait : le premier pour double raison, parce qu’il le vouloit jetter de la republique, qui y estoit si necessaire, et, en outre, que le sindic des quantons epicurois et atheismates luy avoit fait requeste de n’obeyr à ladite sommation, et qu’ils luy en seroient à garand, et, à ces fins, les avoit fait appeller selon que la cour les voyoit comparoistre par Cameleon, leur advocat ; le second parce que, lors de ladite sommation, iceluy Caresme l’avoit injurié, l’appellant seditieux, ce qui l’avoit esmeu à juste colère, voyant ce petit pendard de Caresme, gentilhomme de quarante jours, prince de sept semaines, roi de trois tigneux et un pelé, oser l’injurier, à luy roy des roys, prince des princes, commandant à tant d’empires, de royaumes, de duchez, de comtez, de republiques, de communautez, de provinces, de villes, d’hommes ; partant, concluoit qu’il devoit estre relaxé de la demande en excez dudit Caresme, et, en outre, attendu qu’il estoit si necessaire en la republique, devoit estre maintenu en la possession de son règne ; et, en tout cas, que la cour voulsist, suyvant le reglement des autres années, le dechasser ; concluoit contre ledit sindic des quantons epicurois et atheismates, ses garands, des dommages et interests et de despens qu’il avoit encouru pour la provision qu’il avoit faicte, pour se maintenir en la republique selon sa qualité, mesmes des impositions qu’il avoit faictes extraordinaires pour maintenir la guerre contre ledit Caresme et les sindics des Jeusnamites et Penitentiates, ses adversaires jurez, et autrement en la meilleure forme que faire se pouvoit. Signé : Pansardois, advocat en la Cour.

Dire des Epicurois.

Autre plaidé de Cameleon, aussi advocat en la Cour, pour ledit sindic des Epicurois et Atheismates, prenans la cause et garantie pour ledit Mardy-Gras. Au nom de ses parties dit, que, sesdites parties ayant veu le grand froid qui avoit couru ceste année et le temps auquel estoit succedé le règne de Caresme, par le moyen de quoy les rivières estans glacées et les jardins sechez pour le trop de froidure, qu’il ne s’y pouvoit pescher aucune sorte de poisson frais, et que la mer n’en pouvoit debiter à cause des rivières gelées ; que les charriages annuels qui souloyent donner à foison de poisson salé estoyent empeschez à cause des chemins gelez, et qu’il n’y pouvoit naistre aucune herbe, comme espinars, borraches, bugloses, cardons, pastenades, eschervices, laitues, pimpinelle, chicorée, endives, cerfeuil, roquette, blanchette, œil de chien et autres sortes d’herbes qui peuvent faire passer la melancolie, par leur gout crud ou cuit, de l’absence et exil du très-illustre prince Mardy-Gras, ils avoyent, de peur de mourir de fain en telle necessité et extremité de famine, heu recours à la benignité et faveur dudit Mardy-Gras, lequel ils auroyent prié, ainsi que Pansardois, advocat, a très bien remonstré, de n’obeir point à la sommation dudit Caresme, et, ayant pitié d’eux, ne les desemparer, qui seroient par son absence pour mourrir de fain, luy promettant, en cas qu’il en fut inquieté, de prendre la cause pour luy et luy en estre à garand. Laquelle chose ils font et remonstrent à la Court que, à correction, il n’y peut eschoir bannissement contre ledit Mardy-Gras comme les années passées, attendu ce qu’ils ont jà remonstré à la Cour, le temps auquel est survenu le règne de Caresme, les chemins glacez, les rivières inutiles, les pêches trop froides ; concluant, veu le grand interest que la republique a de la presence dudit Caresme, pour ceste année seulement, ayant pitié d’eux, qui seront pour mourrir si ledit Mardy-Gras est banny, qu’il plaise à la Cour debouter ledit Caresme de sa demande contenant le bannissement dudit Mardy-Gras, lequel sera maintenu en son règne, avec despens. Signé Cameleon.

Dire du Procureur general.

Autre plaidé de Craquelin10 Popelin11, procureur general au ressort de la Cour souveraine de Saladois, disant que ledit Mardy-Gras et ses garands ne sont que des vrays imposteurs, seditieux et athées, puisque ils n’ont honte à la face de la Court de vouloir que les coustumes louables et de toute ancienneté introduites, seul ciment de la republique, fondement de l’obeyssance, liaison de l’estat et colonnes et assurances des royaumes, pour un appetit desordonné, une gourmandise temporelle, soyent abastardies et ostées du tout de la republique, et qu’il y va de l’honneur de la Cour si, ayant esgard aux demandes dudit Mardy-Gras et de ses garands, elle permet qu’iceluy règne avec Caresme, deux extrèmes si extremement contraires et tellement adversaires que l’un ne peut regner avec l’autre. Partant, conclut que, en ce qui concerne la demande en possession de temps dudit Caresme, iceluy soit maintenu en son royaume temporel de sept semaines et en la possession du temps de quarante-cinq jours, suyvant les anciennes ordonnances, edicts des saincts Pères et constitutions de l’eglise ; et, ce faisant, soit enjoint audit Mardy-Gras dès maintenant vuider de la Cour souveraine de Saladois et de tout son ressort, avec tous ses supposts, et laisser la possession du royaume paisible audit Caresme, suyvant le reglement pris de tout temps, et ne comparoistre jusques au 30 de mars prochain precisement à la minuict, à peine, s’il est trouvé pendant ledit temps à luy ordonné pour son bannissement, sans autre forme de procez soit condamné à estre pendu et estranglé ; et en ce que concerne la seconde demande en excès, attendu que cela provient plus tost d’une imprudence et vaine gloire que de mauvaise volonté, les parties soyent mises hors de cour et de procez sans despens ; et, en ce que touche la garantie que ledit Mardy-Gras demande contre les sindics des quantons epicurois et atheismates, laquelle mesme ils ont prins pour ledit Mardy-Gras, il soit dit n’y avoir lieu d’aucune garantie, laquelle soit cassée et annulée, parce qu’il est notoire que ledit Mardy-Gras est en mauvaise foy, prenant la promesse de ladite garantie, attendu qu’il sçavoit bien icelle ne valoir rien, ex eo ipso qu’elle estoit contra bonos mores et antiquas consuetudines reipublicæ, ædicta patrum et mandata ecclesiæ, sauf audit Mardy-Gras estre donné tel terme que la cour advisera pour vendre, donner, aliener et autrement disposer des preparatifs qu’il avoit fait pour sa demeure pretendue. Signé Craquelin-Popelin, procureur général.

Dire des esleus de la Frelauderie.

Autre plaidé de Genevrard, advocat en la cour, parlant pour les esleuz de la Frelauderie, et disant qu’il a un grand interest pour ses parties à ce que les conclusions du procureur general ne soient suyvies, et qu’en ce faisant que ledit Mardy-Gras soit du tout dechassé de la republique et de tout le ressort de la cour, attendu que notoirement c’est contrevenir contre leurs anciens priviléges, que la cour leur a tousjours maintenus souz la liberté de conscience, en laquelle ils ne peuvent estre forcez ; joint que la cour sçait très bien qu’ils sont fondez sur la prescription de temps, prescription de dix, de vingt, de trente, de quarante, cinquante et cent ans, et mesmement extra viventium memoriam, pour autant que ce temps est escheu depuis qu’ils se sont soustraits et emancipez de l’obeissance dudit maistre truand de Caresme et de ses autres foires, comme Vigiles, Quatre-Temps, mesmes qu’ils ont publié une assemblée pour se soustraire des autres foires appellées le Vendredy et Samedy ; laquelle assemblée finie, ils sont resolus de presenter à la cour requeste aux fins que ils soient du tout distraits et absouz desdites foires appellées Vendredy et Samedy, lesquelles toutesfois, propter scandala, ils promettent bien de garder pour ceste fois seulement, sans tirer là consequence ; soutenant pour toutes conclusions, veues les causes jà alleguées pertinentes et peremptoires, qu’il n’y a lieu que les conclusions dudit procureur general soient gardées en ce que touche et concerne le particulier de la Frelauderie, par ainsi qu’il leur soit permis de vivre à leur poste sans recognoistre ledit Caresme, et en ce faisant qu’ils puissent heberger ledit Mardy-Gras. Signé Genevrard.

Dire des malades.

Autre plaidé de Plaintignard, advocat aussi en la cour, plaidant pour les sindics des malades, fievreux, pulmoniques, catarreux et autres, disant qu’en ce que concerne aussi le particulier de ses parties, les conclusions dudit procureur general ne peuvent avoir lieu, d’autant que la cour sçait très bien et experimente elle-mesme plusieurs fois que le Caresme n’engendre que catarres, ventositez, cruditez, frigiditez, mal d’estomac, humiditez, alterations, rumes et autres telles maladies, lesquelles, par le moyen dudit Caresme, ont esté semées dans le monde pour opprimer les mortels, et qu’eux, estans opprimez et vexez de telles maladies auxquelles le Caresme est extremement contraire, ils ne peuvent pour leur regard recognoistre le royaume d’iceluy, s’ils ne veulent tout manifestement en mesme temps bastir leurs sepulchres ; joint que ladite cour sçait très bien que les dispenses ne leur sont jamais esté deniées, soit au ressort de la cour ou dans le sevère et rigoureux commandement de la rude inquisition ; parquoy conclut pour ses parties qu’il luy soit permis avec dispenses (lesquelles ils prendront et recevront), propter scandala, comme les années passées, ne recognoistre point le règne de Caresme, et en ce faisant puissent heberger ledit Mardy-Gras. Signé Plaintignard.

Dire de la confrairie de pauvreté et des Artisans.

Autre plaidé de Mequaniquois, aussi advocat en la cour, plaidant pour les chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité des artisans, disant qu’il ne peut escheoir lieu pour les conclusions dudit procureur general, en ce que concerne le particulier et general de ses parties, d’autant que la cour sçait très bien la necessité de ses parties, qui vivent du jour à la journée sans pouvoir faire provision comme les riches, et puis la grande cherté qu’il y a au règne de monsieur Caresme, car, estans chargez d’une multitude d’enfans, souz le règne de monsieur Mardy-Gras avec deux sols ils peuvent mieux paistre et entretenir leur affamée famille que souz le règne de Caresme avec trente sols ; non pas que pourtant ils ne desirent recognoistre ledit Caresme et les saintes constitutions de l’Eglise, et ce qu’ils monstrent bien en ce qu’ils ont tousjours rejetté les seductions des ennemis dudit Caresme, qui leur vouloient faire secouer son joug par offre de leur donner cinq, dix, quinze, vingt, trente, quarante et cinquante sols la semaine d’aumosne ; que mesme ils en ont seduit plusieurs, à quoy ils resisteront si Dieu plaist, moyennant aussi qu’il plaise à la cour avoir esgard à leur necessité ; partant demande au nom de sesdites parties que veu qu’ils seroient pour mourir de faim s’ils estoient contraints de vivre souz les loix dudit Caresme, qu’il leur soit permis, partim pouvoir heberger ledit Mardy-Gras, et partim vivre souz le règne dudit Caresme. Signé Mequaniquois.

Dire et Apposition des Amoureux.

Autre plaidé de Mignotis, aussi advocat en la cour, plaidant pour les amoureux mignons, meneurs souz bras, Narcisses de villes, Adonis de rues, courtisans de boutiques, supposts de bal, muguetteurs de filles, senteurs de vesses, odorateurs de pets, rabats blancs aux sales chemises, cureurs de dents aux ventres creux, mesnagers d’amour, distillateurs de souspirs, fondeurs de larmes et autres semblables, disant que, pour le regard aussi de ses parties, il auroit un notoire grief si les conclusions du procureur general estoient suyvies par la cour, attendu qu’elle sçait bien que, pour passer ce Caresme, à cause des glaces qui ont fermez la debite de la mer, l’opulence des rivières et l’abondance des vivres, il n’y a que de vieille moulue et de vieux harans sorets et blancs, lesquels ils seroient contraints manger, et d’iceux imbiber leurs accoustremens, leurs mains, leurs cheveux, leurs nez, leurs bouches, d’où ils seroient contraints de recevoir une odeur punaise, laquelle les priveroit du doux entretien de leurs dames, du baiser de leurs favorites, du toucher de leurs amantes, et enfin du doux propos, gratemains, meneries12, happallages13, metonimies14, passement de ponts, sautement de boue, montement d’escaliers, levemens de gans, prises de manchons, serremens de doigts, baisement de mains, ostentation de lèvres, et autres petites faveurs que l’amour, la privauté, la bien-sceance, la raison, le genre, l’espèce, la difference, le cognatis15, et autres entretiens d’amour pouvoient permettre à ses parties avec toutes sortes de dames, damoiselles, filles, pucelles, vierges, damoiselles de boutiques, de chambre, de tablier, de cuisine, de garderobes et autres, d’où ils recevroient de grands dommages et interests ; partant conclut à ce que ils ne soient contrains de vivre souz le règne de Caresme, mais d’heberger ledit Mardy-Gras. Signé Mignotis.

Dire et opposition des Dames.

Autre plaidé pour les dames, comparant par Fardois, leur procureur, et par Mignardin, leur advocat, disant que, pour lesdites dames ses parties, il a un notable interest à s’opposer aux conclusions prises par le dit procureur general, pour une seule raison assez valable, et qu’il alleguera seulement, pour n’ennuier la cour, outre ce qu’il desire faire son profit et affermir son dire de tout ce qui a esté plaidé par l’advocat dudit prince Mardy Gras et par les advocats des atheismates et epicurois, et des artisans et des amoureux. C’est que la cour sçait très bien que toute leur grandeur, leur gloire, leur honneur, leur valeur, leur recherche, le desir qu’on leur a, l’affection qu’on leur porte, la cour, reverences, bonnetades, alongemens de pieds, baisemens de mains, ris en sucrez, avancemens de reins, guignemens de teste, toussemens, souspirs, tourdemens de col16, croisemens de bras, pas de perdrix, gemissemens de torterelles, arquebusades d’amour, assiegemens de marguerites, presens, offres de bouquets, chatouillemens d’espingles, discours, alarmes, derouillement de dragée17, bals de festes et de jours-ouvriers, compagnies de sale, de chambre, d’anti-chambre, de magasin, de cuisine, de boutique, d’arrière-boutique, de cave, de tablier, de sale, de soleil, d’ombre d’arbres, de tournoy, de cheval, de pié, de coiffure, d’empois, de pigner, d’envoys de lettres, de poulets, d’ambassades et d’assistemens en toute sorte d’affaires, de negoce, de besoin que l’on leur peut faire (sans prejudice des recherches que la mauvaise condition du temps faict touchant l’argent qu’on demande juxta illud sine ipso factum est nihil, et qui n’a point d’argent n’a point d’amy, et que l’argent faict chanter les aveugles, et que ubi divitiæ ibi nuptiæ, et que sine Cerere et Baccho friget Venus, et autres tels proverbes qu’aporte la mauvaistié du siècle), gist principalement en la beauté, et que la beauté ne se peut entretenir sans la bonne condition des viandes, laquelle ne peut estre aux harans sorets et merluches, et in alias hujusmodi, pleines de flegmes et catarres, lesquelles, au lieu de les rendre belles, les pourroient provoquer à la toux, et par consequent rendre hydeuses, et que mesmes, en l’esmotion de catarres et de toussement, se pourroit perdre l’albastre que les dames (aydans à la nature et ce qui leur est permis, juxta illud cumulata juvant), appliquent, approprient, engluent, lissent, aplanissent, accommodent, adjoustent et emplastrent sur leurs joues, mains, sourcils, lèvres, teint, cheveux et autres parties du corps, lesquelles (cependant que les couvertes sont au corps de garde d’Amour) font la sentinelle dehors ; partant conclut, au nom des dames ses parties, qu’il leur soit permis, attendu ce que dessus, de ne recevoir le règne de Caresme, mais qu’elles puissent heberger Mardy-Gras.

Dire des Gueux.

Autre plaidé de Pedouillas, plaidant pour les gueux, dit qu’il plaise à la cour voir ses parties, pauvres, sans support, tueurs de poux à la centeine, crieurs de misericorde sans besoin, feigneurs de jambes rompues, representateurs de faux estropiemens, bruslures, playes, hydropisie, mal de saincts, imposteurs de danses18, deguiseurs de folies, faineans, bannis de la republique des arts, exilez de la monarquie du travail, preneurs d’où il y en a ; et puis le peu de charité qui règne aujourd’huy est telle que, si la viande ne pourrit, le pain ne moisit, et l’argent ne regorge au garde-mangeoir, en la depense et en la bourse du justicier, du gentil-homme, de l’ecclesiastique, du riche bourgeois et de l’artisan commode, ses pauvres parties sont pour mourir de faim, principalement en ce Caresme, qui est survenu en un temps qu’il ne se peut pescher aucun poisson propre à faire poutage, seule esperance de ses allanguies parties ; partant conclut selon le chapitre : Necessitas non habet legem. Ainsi signé : Pedouillas.

Dire du fermier de la boucherie de Caresme19.

Autre dire et plaidé de Faux-Poix, advocat, remonstrant, au nom du fermier de la boucherie de Caresme, que ceste année l’on luy a haussé le chevet de la ferme plus qu’on ne souloit, et laquelle il a accepté à haut pris en intention et tenant pour certain que Caresme ne comparoistroit nullement, ou que, s’il comparoissoit, ce seroit seulement pro forma, sans que monsieur Mardy-Gras feut chassé, et que, s’il estoit chassé, ce seroit notoirement sa ruyne et de ses petits enfants, lesquels sont en grand nombre ; partant conclut que Mardy-Gras ne soit point debouté, ou en tout cas qu’il luy soit rabatu du pris de la ferme. Signé Faux-poix.

Arrest par lequel est ordonné que les pièces seront mises pardevers la cour et au conseil du 14 febvrier an 1603. Signé Lantillin, greffier. Requestes, repliques, dupliques et autres pièces servant à la decision du procez, bien et meurement digerées,

Dit a esté que :

La cour souveraine des Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, a annullé, cassé, et annulle et casse la garantie par les Epicurois et Atheismates prise pour Mardy-Gras, comme estant plaine de mauvais dol contre les edicts des SS. Pères et constitutions de la vraye Eglise ; en ce faisant, a banny et bannit ledit Mardy-Gras du ressort et empire de la cour pour le temps et espace de quarante et un jours, lequel temps, pour certaines causes à ce mouvantes la cour, commencera depuis la minuict du 16 de ce mois de febvrier, appellé le dimanche des Brandons, tirant à la minuict du 17 dudit mois, jusques à la minuict precisement du 30 de mars prochain, sans avoir esgard au dire du sindic des penitentiates et jeusnamites ; a inhibé et deffendu audit Mardy-Gras de comparoistre pendant ledit temps en aucun lieu du ressort de ladite cour, sur peine d’estre procedé contre luy corporellement et autrement, selon qu’il est contenu aux saintes constitutions de Caresme, sans toutesfois prejudicier aux priviléges des Frelaudois en ce que concerne leur liberté de conscience alleguée, en laquelle, veu la misère du temps, pour certaines bonnes causes et raisons de peu des scandales, et jusques à ce qu’autrement en soit ordonné, la cour a maintenu et maintient lesdits Frelaudois. Bien leur enjoint de fermer la porte purement et simplement audit Mardy-Gras et ses supposts le Vendredy et Samedy, sur peine d’estre injuriés, querellés et appellez de leur nom ; particulierement l’enjoint à ceux qui ont encore quelques rays20 du soleil de la vraye recognoissance illuminant leur ame.

Et en ce que concerne les remonstrances des malades, fiebvreux et autres, ou soy-disants tels, leur a permis et permet ladite cour heberger quelques supposts de Mardy-Gras pendant leur maladie, à la charge d’obtenir dispense par le rapport des medecins, sur peine que, si le rapport des medecins n’est vray, lesdits medecins, et non iceux soy-disans malades, porteront à Pasques la penitence de l’excès commis contre la majesté de Caresme ;

Defendant très expressement à toute sorte, qualité, condition et sexe d’autres personnes, d’heberger ny recognoistre ledit Mardy-Gras ny ses supposts, sur les peines contenues aux saintes constitutions de Caresme, ledit temps pendant, sans prejudice toutesfois aux amoureux qui auront le moyen, de peur de la puanteur des harans et merluches, se pouvoir musquer les gands, la barbe et les cheveux et autres parties de leur corps ; et à ceux qui n’ont le moyen, de garder la maison, la boutique, et n’aller aux assemblées et bals ; ensemble aux dames a permis et permet de manger la matinée le petit œuf frais sortant du cul de la poule (si tant est qu’elles en treuvent) pour entretenir leur enbonpoint ; et en cas qu’elles n’en treuvent, leur donne licence, ladite Cour, feindre des mal d’estomach et dire qu’elles sont malades ; pour jouyr, ce faisant, des priviléges de la maladie ; et où leur petit adjutorium de beauté coulast de leur visage, pouvoir saluer et parler avec tous ceux qui les accosteront sans tirer le masque21, ou se venir à l’obscur dans quelque chambre, et jamais ne se laisser voir en autre posture ; n’entendant en ceste deffense, ladite cour, avoir compris les pauvres artisans et les gens ausquels, suyvant le chapitre necessitas et de mortua charitate, permet de se pourvoir comme ils pourront, et manger quant ils en auront et de ce qu’ils trouveront, et ce à la charge qu’ils diront le tout à leurs confesseurs à Pasques, et que, si quelqu’un voit leur marmite bouillir, ils diront et soustiendront que c’est poutage d’huille ou de beure, ou fait de legumes ; et a debouté et deboute ladite cour le fermier de la boucherie de ses oppositions, mettant toutes les parties, au reste, hors de cour et de procez respectivement sans despens ; et, civilisant l’action en excès pretendue par ledit Caresme contre ledit Mardy-Gras, auquel a permis et permet pouvoir disposer pendant ledit temps qu’il doit partir de la quantité de meubles, biens, ustensils et autres sortes de provisions qu’il avoit fait, croyant de devoir regner. Dit aux parties en la cour souveraine de Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, ce 15 febvrier 1603.

Signé Lentillin, greffier.




1. Pour captal, mot de la langue d’Oc qui se prenoit dans le sens de chef et seigneur. On connoît, au temps des guerres de du Guesclin, le fameux captal de Buch. Alain Chartier l’appelle souvent captau de Buch.

2. Le même mot que muguet, tant employé depuis Étienne Pasquier (V. Lettres, t. 1, p. 23) jusqu’à La Fontaine et Molière. Selon le P. Labbe (Etymologie des mots françois, Paris, 1661, in-8, p. 351), c’étoit un dérivé des mots ' musqueter et musqueterie, dus à la mode de se parfumer de musc qui infecta tout le XVIe siècle, et dont parle Marot dans son épigramme à Guill. Cretin :

Mais vous, de haut savoir la voye,
Sçaurez par trop mieulx m’excuser
D’un grand erreur, si fait l’avoye
Qu’ung amoureux de musc user.

3. C’est-à-dire mignonne de visage et de taille et d’une grande propreté dans l’ajustement. On disoit plus souvent poupin et poupine. Au XVIIe siècle, c’étoit un mot qui vieillissoit.

4. Dans toutes les villes, un boucher affermoit, à ses risques et périls, le droit de vendre de la viande pendant le carême aux malades à qui leur état plus ou moins grave avoit fait accorder par l’Église la permission d’en manger. Si la santé publique étoit satisfaisante, c’étoit un homme ruiné ; s’il arrivoit quelque bonne épidémie, il faisoit sa fortune. À une lieue d’Orléans se trouve une jolie maison qui s’appelle la maison du rhume, parcequ’elle fut bâtie par un de ces fermiers de la boucherie de carême avec les bénéfices qu’une bienheureuse grippe lui avoit fait faire.

5. C’est-à-dire chefs d’escouade.

6. Pour : audit an.

7. Cette description du costume de Mardi-Gras rappelle tout à fait certains tableaux de mascarades allemandes et hollandoises peintes par Van Boons, et dont le Magasin pittoresque a reproduit quelques unes des plus curieuses figures, t. 3, p. 65.

8. Se vantoit, du latin jactare.

9. Il a été reconnu que le poisson, en raison du phosphore qu’il contient tout formé, principalement dans les laites, possède une grande vertu prolifique. Brillat-Savarin, dans sa méditation VIe, s’étend sur cette particularité, sur ses causes, sur ses effets, et ajoute : « Ces vérités physiques étaient sans doute ignorées de ces législateurs ecclésiastiques qui imposèrent la diète quadragésimale à diverses communautés de moines, telles que les Chartreux, les Récollets, les Trappistes et les Carmes déchaux réformés par sainte Thérèse : car on ne peut pas supposer qu’ils aient eu pour but de rendre plus difficile l’observance du vœu de chasteté, déjà si anti-social. » (Physiologie du goût, édit. Charpentier, p. 109.)

10. Le craquelin, pâtisserie sèche qui se mange encore dans quelques provinces, s’appeloit ainsi parcequ’elle craquoit sous la dent.

11. Ou poupelin. V., sur la manière dont on faisoit cette pièce de four au XVIIe siècle, notre édition du Roman bourgeois, p. 51, note.

12. Dérivé singulier du verbe mener. L’on entend ici cette douce chose du commerce amoureux qui consiste à se faire partout le compagnon, le meneur de celle qu’on aime. Mme de Staal (Mlle de Launay) dans ses charmants Mémoires, (édit. Colnet, t. 1, p. 15,) fait une très fine remarque sur les indices qu’une femme peut tirer de ces meneries pour s’assurer du degré d’amour qu’un homme a pour elle. Elle parle de M. Brunet, qui, les jours qu’elle sortoit de son couvent pour aller chez mesdemoiselles d’Épinay, s’empressoit toujours de la reconduire. « Je découvris, dit-elle, sur de légers indices, quelque diminution de ses sentiments… Il y avoit une grande place à passer, et, dans les commencements de notre connoissance, il prenoit son chemin par les côtés de cette place. Je vis alors qu’il la traversoit par le milieu : d’où je jugeai que son amour étoit au moins diminué de la différence de la diagonale aux deux côtés du carré. »

13. Hypallage, figure de langage qui consiste à employer des mots recherchés.

14.

Grand mot que Pradon croit un terme de chimie,

comme dit Boileau, Épit. VII, v. 54, et qui est, on le sait, la figure de rhétorique qui consiste à prendre la cause pour l’effet, le contenant pour le contenu, et vice versa.

15. Amitiés de cousin et de cousine.

16. Contorsions du col que l’on fait pour regarder en sournois, ou en amoureux, ce qui est tout un.

17. Offres de dragées propres à dérouiller la gorge.

18. C’est-à-dire qui font semblant d’être atteints de la maladie dite danse de Saint-Guy.

19. Voy. une des notes précédentes.

20. Rayons.

21. Sur cet usage des masques que les femmes portoient alors partout, v. notre tom. 1, page 307.