Expédition d’Alger

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DU TERRITOIRE
ET
DE LA VILLE D’ALGER.
RÉSULTAT PROBALE
D’UNE EXPÉDITION CONTRE CETTE VILLE.

L’expédition d’Alger paraît résolue ; les avis à ce sujet sont extrêmement partagés. Au moment où la guerre éclata, on pensa beaucoup trop précipitamment qu’il serait facile à la France d’obtenir la réparation de l’outrage qu’elle avait reçu, soit en interceptant les communications de cette ville avec la mer par un blocus rigoureux, soit en renouvelant l’attaque glorieuse de lord Exmouth. L’expérience a démontré que le premier moyen n’était rien moins que suffisant. Les pirates barbaresques ont échappé plus d’une fois à la surveillance de notre marine. Quant au second, un examen plus approfondi des localités, a constaté que le siége d’Alger, du côté de la mer, devait être regardé comme à peu près impossible. Le bombardement si énergique de lord Exmouth n’eut réellement d’autre résultat que l’incendie de la flotte ennemie. Mais cette flotte, composée en grande partie de petits bâtimens construits à peu de frais, fut recréée bientôt après, et le dey put infester une seconde fois les flots, de ses hardis corsaires. Enfin, depuis l’expédition de lord Exmouth, le port a été mis sur le pied de la défense la plus formidable. Ses remparts sont couverts de canons, et les vents presque continuels qui règnent dans ces parages s’opposent à une attaque régulière de la part d’une flotte. Reste donc le côté de la terre ; c’est là le point le plus expugnable. On pense que 25 ou 30,000 hommes devraient être employés à cette opération ; mais il y a encore à décider les questions suivantes : 1o en quel endroit et comment le débarquement s’exécutera-t-il ? 2o comment pourvoira-t-on à la subsistance de l’armée, au milieu d’une race d’hommes qui déteste le nom chrétien ? 3o si la flotte se charge de l’approvisionnement, comment pourra-t-elle se maintenir sur une mer presque toujours orageuse ? 4o enfin, si nous prenons Alger, qu’en ferons-nous ? Que dira l’Angleterre ? etc. La réponse à ces différentes questions ne paraît pas impossible à l’auteur des considérations que nous reproduisons ici. Nous laissons à nos lecteurs le soin de juger eux–mêmes s’il les a complètement résolues.

M…

§ i.

DU TERRITOIRE DE LA VILLE D’ALGER.

L’état d’Alger qui occupe l’ancienne Numidie et la Mauritanie césarienne, si vantées autrefois par leur fertilité et leur nombreuse population, s’étend sur le littoral de la Méditerranée, du levant au couchant, sur une longueur de 180 lieues. Sa largeur moyenne du nord au sud peut être d’environ 50 lieues, non compris l’aride Gétulie au-delà de l’Atlas.

Traversé d’orient en occident par une double chaîne de hautes montagnes, le petit et le grand Atlas, ce pays est entre-coupé d’une multitude de rivières et de ruisseaux qui en descendent et qui y répandent la fraîcheur et la fécondité.

Garanti par l’Atlas des vents du midi, il jouit de la plus douce température et de la plus grande salubrité ; les maladies y sont très-rares, et les Européens qui l’habitent n’y sont jamais exposés à ces épidémies meurtrières qui les moissonnent dans les Antilles avec une si effrayante rapidité. L’ophtalmie même, si commune en Égypte, y est inconnue[1].

Inculte dans la plus grande partie, livré à des tribus nomades et pastorales que leur vie errante dérobe facilement aux exactions et aux violences d’un gouvernement tyrannique, l’état d’Alger pourrait devenir un asile fécond pour ces nombreuses émigrations européennes qui se précipitent sans cesse vers l’Amérique. Sa proximité de l’Europe et son étonnante fertilité obtiendraient à coup sûr la préférence sur des pays éloignés et à demi-sauvages. Outre les laines fines, les huiles, la soie et la cire qu’il fournirait dans la plus grande abondance au gouvernement qui en ferait la facile conquête, une grande partie de son territoire se prêterait sans peine à la culture de la canne à sucre, du coton et de l’indigo ; enfin, il nourrit dans les pâturages de l’Atlas des essaims des meilleurs chevaux de cavalerie que l’on connaisse.

La population totale du pays peut s’élever de 1,800,000 à 1,900,000 ames environ, savoir :

Maures, Arabes, cultivateurs et ouvriers 
1,200,000
Arabes indépendans 
400,000
Berbers établis dans des villages 
200,000
Juifs 
30,000

Turcs, renégats, formant l’aristocratie 
20,000
Descendans des mêmes, mais d’une classe inférieure 
20,000
Total 
1,870,000

La ville d’Alger a du côté de la terre, environ 1,200 toises de circuit. Extrêmement forte du côté de la mer, où son môle et ses remparts bastionnés sont hérissés d’une nombreuse artillerie[2], elle ne paraît pas susceptible du côté de la terre d’une grande résistance. Sa courtine et ses bastions sont faibles et mal entendus, sans chemins couverts, et ses fossés peu larges et peu profonds. À l’angle occidental, dans l’endroit le plus élevé, on voit la citadelle nommée Cassaubah. L’angle du sud et l’angle oriental sont protégés par des fortins et quelques batteries. Deux faibles châteaux, placés sur des mamelons hors de son enceinte et garnis d’artillerie, en défendent encore l’approche ; mais elle est entourée et dominée par un grand nombre de coteaux élevés, d’où on pourrait la foudroyer avec facilité[3].

La garnison se compose de 6,000 à 6,500 Turcs ou renégats. Les Coulolis et les Maures, qu’on pourrait y armer s’élèvent de 7,500 à 8,500. Total : 14 à 15,000 hommes. Dans ce nombre se trouvent compris 2,000 hommes de cavalerie.

Le Dey, chef de l’aristocratie militaire qui domine à Alger, a sous lui 3 lieutenans ou vassaux presque indépendans, connus sous le nom de beys.

Celui du Levant réside à Constantine, l’ancienne Cirta, peuplée d’environ 60,000 ames. Bâtie à 16 lieues de la mer, dans les terres, elle est éloignée de 70 lieues d’Alger ; le bey qui y commande a sous ses ordres environ 2,000 soldats turcs, et peut réunir sous ses drapeaux 5 à 6,000 hommes de cavalerie maure et arabe, tout-à-fait indisciplinée.

Le bey du couchant a sa résidence à Trémécen et à Moscara, villes sans défense et peu distantes de la mer, mais éloignées de 90 lieues d’Alger. Sa force militaire est d’environ 1500 Turcs, à laquelle pourraient se réunir 4 à 5000 cavaliers maures et arabes, en tout comparables aux précédens. Un vaste désert de sable, celui d’Angad, sépare dans cette partie occidentale, l’état d’Alger du royaume de Fez.

Le bey du midi n’a pas de résidence fixe ; depuis long-temps même le dey n’en nomme pas ; il se contente d’envoyer un de ses principaux officiers, à la tête de 1000 Turcs, rançonner les tribus d’Arabes et de Berbers qui habitent l’Atlas et les plaines qui sont aux pieds de ces montagnes. Du reste, ces soldats, sans tactique et sans courage, sont armés d’un mauvais fusil sans baïonnette, d’un poignard et de deux pistolets à la ceinture.

Nous ne parlerons pas ici de quelques petites villes de l’intérieur, ouvertes et d’aucune importance à l’exception pourtant de Tifch, petite place médiocrement forte sur les frontières d’Alger, du côté de Tunis ; toutefois la côte offre sur son littoral, ou à peu de distance de la mer, une assez grande quantité de ville, autrefois florissantes, mais aujourd’hui pauvres et dépeuplées.

Ainsi, en suivant la côte du couchant au levant, on trouve Nédroma ; Oran, qui a 12,000 ames ; Mostagnan, cité assez considérable, qui exporte beaucoup de blé ; Tenez ; Serselles, dont les environs sont couverts de vergers ; Alger, la capitale, située au milieu des vallées et de coteaux fertiles ; Bugie, bon port, d’où l’on tire de l’huile, des figues et du bois, défendu par 500 janissaires ; Culen ou Coullou, d’où l’on exporte des cuirs ; Bona, l’ancienne Hippône, bon port dont le territoire est couvert de magnifiques oliviers et d’orangers, défendu par 200 janissaires ; plusieurs autres villes moins importantes ; enfin le bastion de France et la Calle qui nous appartient.

Les tribus d’Arabes les plus puissantes, et qui jouissent en conséquence d’une espèce d’indépendance, sont :

1o Celle des Benni Ammer, à peu de distance de Trémécen ; 2o trois autres auprès de Bléda, et dans la même province, qui, quoique moins nombreuses et moins redoutables, repoussent également les prétentions du bey de Trémécen et lui paient souvent à coups de fusil le tribut qu’il exige ; 3o les Beni Albas et les Couces, dans le voisinage de Bugie, tribus nombreuses qui en agissent de même avec le bey de Constantine ; 4o enfin, vers les sources de la Mejerda, aux frontières de Tunis, habitent les Henneïschas, race de Berbers presque indépendantes. Ils occupent une assez grande étendue de territoire dans les vallées et les montagnes de l’Atlas ; d’autres familles arabes assez multipliées sont incapables de résistance, à raison de leur faible population, et paient le tribut.

Les revenus de la régence consistent :

1o Dans les redevances des deux beys ;

2o Dans les tributs que l’on perçoit sur les Juifs et sur les Maures cultivateurs ou ouvriers ;

3o Dans les tributs payés par les Arabes et les Berbers nomades ;

4o Dans le monopole des blés ;

5o Dans le produit des douanes à l’importation et à l’exportation ;

6o Dans les amendes et les avanies, casuel fiscal auquel le gouvernement donne le plus d’extension qu’il lui est possible ;

7o Enfin, dans les tributs déguisés sous le nom de présens, qu’il reçoit des puissances chrétiennes.

La totalité s’élève à environ deux millions de piastres d’Espagne (11 millions de francs à peu près), non compris les bénéfices considérables des percepteurs, et des beys dont nous avons parlé.


§ ii.

RÉSULTAT PROBABLE D’UNE EXPÉDITION CONTRE ALGER.

La tyrannie du gouvernement qui pèse sur le pays d’Alger a dépeuplé insensiblement cette belle contrée. La population, il y a deux ou trois cents ans, y était peut-être double de celle que l’on y compte à présent. La civilisation et l’industrie n’y ont fait aucun progrès ; l’art de la guerre même, le seul auquel les Barbares attachent quelque prix, est resté stationnaire, tel, en un mot, qu’il était au 16e siècle.

La première expédition tentée contre ce pays fut dirigée sur Oran par le cardinal Ximénès, sous le règne de Ferdinand d’Aragon.

Fernand de Cordoue, à la tête de douze mille hommes, s’embarqua à Malaga, le 3 septembre 1508, et débarqua dans la baie de Marsalquibir, attaqua et prit Oran, ville alors de trente mille ames. Il y laissa une garnison de cinq mille hommes, parmi lesquels on comptait deux mille cavaliers. Mais ayant voulu pénétrer dans le pays et y faire des conquêtes avec une armée aussi faible que celle qui lui restait, il essuya une défaite complète.

En 1510, sous les ordres de Pierre de Navarre, une nouvelle expédition de onze mille hommes d’infanterie et de quatre mille de cavalerie reprit Oran avec le pays d’alentour. Elle se porta ensuite sur Bugie, dont ce général se rendit maître.

En 1516, le même cardinal Ximénès envoya don Diégo Vera à la tête de neuf mille hommes, pour assiéger Alger. Il ne put y réussir, et ramena en Espagne son armée diminuée d’un tiers.

Fier d’avoir conquis Tunis en 1536, Charles-Quint médita la conquête d’Alger. Sans égard pour la mauvaise saison qu’il avait choisie pour cette expédition, et méprisant les sages conseils de l’illustre Doria, le plus habile marin de cette époque, il partit de Malaga à la tête de vingt-cinq mille hommes, et débarqua sans obstacles, le 26 octobre 1541, près le cap Matifou, dans la baie de Temensfust, baie accessible de toutes parts et éloignée de quatre lieues d’Alger. Cette capitale serait infailliblement tombée sous ses coups, sans la tempête furieuse qui fit manquer l’expédition. L’armée fut désorganisée par des torrens de pluie, et la flotte détruite par la mer. Charles-Quint, n’ayant ni pain ni munitions, après avoir fait la plus pénible retraite sur Bugie, ne ramena en Espagne que la moitié de ses troupes.

Quelques années après la paix de Nimègue, Louis xiv voulut établir une colonie française à Gigeri pour punir et tenir en bride les pirates d’Alger ; trois mille hommes furent débarqués sur cette plage. Mais à peine les fondemens des fortifications que l’on projetait étaient-ils sortis de terre, qu’attaqués par des forces éminemment supérieures, ils furent obligés de se rembarquer, après avoir perdu quatre cents hommes.

Nous passerons sous silence le bombardement d’Alger, en 1683 et 1684, ainsi que les expéditions maritimes de la Hollande et de l’Angleterre, dans le 18e siècle, pour réprimer l’insolence de ces corsaires. Nous omettrons également celle plus glorieuse, mais tout aussi inutile, entreprise par les Anglais, il y a quelques années, sous les ordres de lord Exmouth, et qui n’eut d’autres résultats que l’incendie de la flotte algérienne.

Nous ne parlerons que de la tentative faite par l’Espagne sous le règne de Charles iii, où une flotte de gros vaisseaux espagnols que leur tirant d’eau empêchèrent d’approcher du rivage, ne purent porter que de faibles secours aux six à huit mille hommes qui avaient été imprudemment débarqués. Le général Acton, depuis premier ministre à Naples, mais alors commandant la flotille toscane réunie à l’armée navale d’Espagne, fut le seul qui se conduisit avec intelligence dans cette circonstance. Il put approcher de terre avec ses petits bâtimens, et protégea ainsi efficacement le rembarquement des troupes espagnoles.

La saison la plus favorable pour attaquer Alger et conquérir ce royaume est évidemment la fin de l’hiver, les derniers jours de février et les premiers de mars. L’expédition de Charles-Quint en est la preuve évidente. Au printemps, les chemins deviennent praticables ; de plus, en mars, la végétation est déjà forte dans ces régions, puisque la moisson des blés et des orges y a lieu à la fin de mai. Ainsi, la cavalerie n’y manquerait pas de fourrages, et l’armée y trouverait des vivres en abondance ; une chaleur douce et tempérée y maintiendrait la bonne santé du soldat. Les plaines et les vallées fécondes qui entourent Alger fourniraient avec profusion les bestiaux, les légumes et les fruits dont on aurait besoin.

Alger ayant une enceinte, du côté de la terre d’environ douze cent toises, et renfermant dans ses murs, outre les six mille Turcs et renégats qui en font la garnison, huit mille Coulolis ou Maures qu’elle pourrait armer, il serait imprudent de l’attaquer avec moins de vingt-cinq mille hommes, dont deux mille de grosse cavalerie, plus, un train d’artillerie de siège, des tentes et des vivres pour deux mois.

La descente serait facile dans la baie de Temensfust, à quatre lieues d’Alger, localité accessible dans son contour, et où Charles-Quint fit son débarquement sans obstacles. L’armée se porterait rapidement sous les murs de la capitale, et pourrait en commencer le blocus. Elle s’entourerait d’un camp retranché pour éviter les attaques et les surprises, et le siège commencerait, ainsi que le bombardement, tandis que le port et la rade seraient bloqués et menacés par une flotte composée de grands et de petits bâtimens propres à mouiller près du rivage et à le protéger. Pour faciliter et abréger le transport de la cavalerie, elle pourrait être stationnée à Carthagène, d’où, en deux ou trois jours, on l’amenerait au camp.

La prise d’Alger rendrait l’armée maîtresse d’une nombreuse artillerie et de deux ou trois mille chevaux propres à monter une excellente cavalerie légère. En traitant bien les habitans, quatre à cinq mille hommes de garnison suffiraient pour la garde de la ville. Alors l’armée pourrait être partagée en deux corps, dont l’un se porterait sur Constantine, la principale ville après Alger, et l’autre sur Oran et Trémécen. Elles suivraient toutes deux dans cette marche le littoral de la mer, et s’assureraient des villes qui y sont bâties. Dans cette double expédition, l’avantage d’avoir préféré le printemps à l’automne se ferait sentir par le peu d’obstacles que présenteraient les chemins pour le transport des vivres, des munitions et de l’artillerie.

Constantine et Trémécen, villes ouvertes, ne pourraient opposer de résistance. La division chargée de s’emparer de Constantine aurait son rendez-vous à Bugie, bon port entouré d’un pays fertile ; cette division devrait être de 12,000 hommes, pour pénétrer sans crainte dans l’intérieur de la province, à raison de la distance de trente-huit lieues qui sépare Constantine de Bugie. Elle aurait avec elle des vivres, une artillerie légère, des pièces de montagne, et de petits obusiers ; des caravanes de chameaux fort communs dans le pays, transporteraient les vivres et les munitions.

Des présens et l’affranchissement de tout tribut engageraient, sans doute, dans notre alliance les puissantes et nombreuses tribus des Beni-Albas et des Coulos qui sont établies entre Bugie et Constantine. On traiterait de la même manière avec les Henneïschas cantonnés dans l’Atlas ; ils fourniraient même de la cavalerie en recevant une faible solde. La petite place un peu fortifiée de Tifsch, quinze lieues plus à l’orient, mériterait d’être occupée et entourée de bons ouvrages en terre ; elle est une barrière contre les attaques possibles des Tunisiens.

La division qui se porterait sur Oran et Trémécen, suivrait également le littoral de la mer ; elle serait de 8,000 hommes. On userait des moyens indiqués ci-dessus pour obtenir l’alliance et l’amitié de la puissante tribu des Beni-Ammer. Comme on pourrait craindre que la jalousie de l’Angleterre n’engageât un jour l’empereur de Maroc à nous attaquer du côté de Trémécen, il conviendrait de se mettre à couvert de cette invasion, en fortifiant cette dernière ville, ainsi qu’Oran.

Le pays une fois soumis, tous nos efforts devraient tendre à nous conserver l’amitié des habitans. Les juifs, bien traités par leurs nouveaux maîtres, s’attacheraient sans peine à eux. Les imans seraient gagnés facilement par des pensions, et par la faculté qu’on leur laisserait d’exercer librement leur culte. D’ailleurs, en appelant de ce côté les nombreuses émigrations européennes qui se dirigent aujourd’hui régulièrement vers l’Amérique, en leur concédant gratuitement une partie de l’immense quantité de terres incultes que la tyrannie de la régence a forcé depuis long-temps d’abandonner, on leur imposerait pour redevance le service militaire, sous le nom de milices. Au bout de quelques années de service, les soldats français pourraient être retenus dans le pays par les mêmes avantages et placés en colonies militaires, à l’exemple des Romains, dans les villes de la côte et de l’intérieur.

Ainsi, la possession d’Alger nous donnerait une colonie de deux millions d’habitans, susceptibles de s’accroître avec une rapidité étonnante dans des contrées saines et de la plus grande fertilité. Cette colonie, que notre commerce seul alimenterait, serait, pour ainsi dire, à notre porte et sous notre main. La possession d’Alger nous affranchirait un jour de l’énorme tribut que nous payons à l’étranger, pour les huiles, les soies, les cotons, les indigos et le tabac. Tous ces produits y croîtraient en abondance, et nous pourrions en fournir une partie de l’Europe.

Enfin, la conquête d’Alger dédommagerait la France de la perte si justement regrettée de la limite du Rhin ; elle nous consolerait de l’infructueuse expédition d’Égypte ; elle s’associerait dans nos pensées avec l’affranchissement de la Grèce, et la guerre, cette fois, serait non-seulement glorieuse, mais profitable.


***…


  1. Le climat de la Barbarie est doux et salubre ; les saisons s’y suivent dans une succession régulière ; et bien qu’en automne les chaleurs soient excessives, généralement même dans cette saison, elles sont tempérées par le vent du nord. Les hauteurs qui environnent Alger sont couvertes de nombreux vergers plantés de vignes, d’orangers et d’oliviers, qui offrent les sites les plus beaux et les plus variés. Dans le voisinage de la ville, on ne compte pas moins de vingt mille jardins ou vignes ; le sol produit en abondance l’orge et le froment, et toutes les choses nécessaires à la nourriture de l’homme. Si l’on a des dangers à craindre, c’est plutôt de la part des habitans que du climat.

    (B…)
  2. On l’évalue à plus de 1,200 pièces de canon.
  3. On nous communique à cet égard de nouveaux renseignemens qui nous paraissent encore plus précis.

    La ville est entourée d’un long rempart couvert d’artillerie ; elle forme un carré imparfait. À l’angle du côté de la terre se trouve la citadelle, en bon état ; à l’angle du côté gauche (la vue prise de mer), se trouve la porte de Babajou ; la route qui y aboutit longe le rivage, et est défendue par les batteries placées sur la côte. Du premier au second angle il y a de très-belles défenses de la porte de Barba ; au troisième angle qui touche au môle, sont les ouvrages les plus récens et les plus beaux ; entre le deuxième et troisième angle se trouve la porte des Pêcheurs qui aboutit à la mer ; au troisième angle est la porte qui conduit au môle ; au quatrième angle on rencontre la porte de Barbalouet, et non loin de là le fort du même nom ; la route qui aboutit à cette porte longe aussi le rivage du côté droit, et est défendue par les batteries placées sur la côte.

    Les forts qui protègent la partie de l’enceinte rapprochée de la mer sont assez nombreux. Le fort de l’Empereur et le château de l’Étoile, ainsi qu’une poudrière fortifiée et quelques ouvrages fermés, gardent la route qui conduit à Alger par le nord de cette ville. L’autre route se trouve terminée par les batteries de mer du côté droit, par un fort qui a 41 pièces de canon, par une poudrière et une fabrique de poudre défendues par quatre ou cinq fortins.

    Depuis que le dey d’Alger craint une attaque par terre, il a redoublé de soins pour mettre toutes ces fortifications dans le meilleur état de défense possible, et il a fait confectionner une immense quantité de poudre et de projectiles.

    L’attaque d’Alger par terre ne présente des chances de succès que du côté du nord, où il faudrait s’emparer d’abord du fort de l’Empereur, et ensuite du château de l’Étoile qui en défend les avenues. Il serait nécessaire, après, de battre la ville en brèche sans lui donner le temps de se reconnaître.

    (B…)