Exposé élémentaire de la théorie d’Einstein et de sa généralisation/chap. 11

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CHAPITRE XI

APPLICATIONS ET VÉRIFICATIONS DE LA LOI D’EINSTEIN


Le champ de gravitation d’un centre matériel. — La loi d’Einstein a permis de déterminer l’expression de l’intervalle élémentaire qui sépare deux événements infiniment voisins dans le champ de gravitation produit par un centre matériel, c’est-à-dire l’expression de l’élément de temps propre Cette expression (note 13) a été donnée en fonction de coordonnées aussi voisines que possible de coordonnées polaires euclidiennes (voir p. 12), et qu’on peut assimiler pratiquement à des coordonnées euclidiennes, tant que la déformation (par rapport à un espace-temps euclidien) de l’Univers est faible ; elle s’applique dans un système de référence lié au centre source du champ de gravitation[1].

Dans un champ non statique, c’est-à-dire si l’on suppose que le centre matériel est en mouvement dans le système de référence employé, on trouve que les petites déformations de l’Espace-Temps, c’est-à-dire les effets de gravitation, se propagent avec la vitesse de la lumière. Voilà résolu un problème qui avait pendant bien longtemps préoccupé les physiciens et les astronomes.

LE MOUVEMENT DES PLANÈTES. — PREMIÈRE VÉRIFICATION : LE MOUVEMENT DE MERCURE. — Si l’on détermine les géodésiques de l’Espace-Temps ayant l’élément d’arc calculé ainsi qu’il a été dit plus haut, on obtient le mouvement des mobiles libres dans le champ de gravitation d’un centre. Au lieu d’une ellipse fixe pour la trajectoire des planètes (mouvement conforme à la loi de Newton) on trouve une ellipse qui tourne lentement dans son plan (appendice, note 13). Le calcul numérique montre que pour les planètes autres que Mercure, l’écart entre les prévisions conformes à la loi de Newton et celles qui résultent de la loi d’Einstein est très faible, de l’ordre de grandeur des erreurs d’observation.

Mais pour Mercure, dont l’orbite a une forte excentricité et qui est près du Soleil, si l’on introduit dans la formule les valeurs connues de la masse du Soleil, du grand axe et de l’excentricité de l’orbite, et de la durée de révolution de Mercure on trouve une rotation de périhélie (point de l’orbite le plus rapproché du soleil) de 42,9 secondes d’arc par siècle.

Depuis que Leverrier a établi la théorie de Mercure, en tenant compte des perturbations dues aux autres planètes, de Vénus en particulier, le désaccord entre les prévisions de la mécanique newtonienne et les observations est précisément 43″ par siècle, écart qu’on n’avait pas réussi à expliquer.

La nouvelle mécanique céleste basée sur la loi d’Einstein se développe actuellement, en particulier en ce qui concerne la théorie de la Lune.

SECONDE VÉRIFICATION. — DÉVIATION DE LA LUMIÈRE. — La ligne d’Univers d’un rayon lumineux est une géodésique de longueur nulle, puisque est constamment nul pour la lumière (p. 57). La trajectoire d’un rayon lumineux s’obtient en écrivant cette condition.

On trouve (note 13) que si un rayon lumineux se dirige sur le centre matériel (propagation radiale)
Fig. 15
la vitesse de la lumière diminue à mesure que la lumière se rapproche de ce centre, et le même résultat serait exact pour un mobile animé d’une vitesse très voisine de la vitesse de la lumière : c’est une véritable répulsion. Pour un rayon passant transversalement, la vitesse en un point de ce rayon est d’autant plus faible que la distance de ce point au centre matériel est moindre ; il en résulte que tout se passe comme si le rayon lumineux traversait, dans un espace euclidien, un milieu réfringent réparti en couches concentriques dont l’indice de réfraction augmenterait à mesure que la distance au centre serait plus petite ; il est facile de voir que la trajectoire s’incurve en donnant toutes les apparences d’une attraction de la lumière par le centre (fig. 15).

Ces résultats montrent qu’il est, au fond, inexact de qualifier le centre matériel de « masse attirante ». La matière est un centre de déformation de l’Espace-Temps et l’effet produit sur un mobile nous apparaît, selon la grandeur et l’orientation de la vitesse, soit sous l’aspect d’une attraction, soit sous l’aspect d’une répulsion. Nous sommes loin des idées newtoniennes.

Il est essentiel de remarquer que les résultats qui précèdent sont établis dans un système de référence lié au centre matériel et en prenant comme coordonnées des coordonnées aussi voisines que possible des coordonnées euclidiennes (coordonnées devenant d’ailleurs euclidiennes à distance infinie du centre). Il n’en reste pas moins vrai que l’observateur en chute libre (c’est le cas de l’observateur terrestre dans le champ de gravitation du Soleil, car la Terre est en chute libre), faisant avec des règles et des horloges, dans son voisinage immédiat, la mesure de la vitesse de la lumière, confondrait l’Univers réel avec l’Univers euclidien tangent et trouverait toujours dans toutes les directions une vitesse égale à la constante la variation de vitesse ne peut apparaître que si l’on envisage une très grande étendue du champ de gravitation.

Le calcul montre que pour un rayon venant de très loin, et parvenu très loin du centre après être passé à la distance minimum de ce centre, la déviation totale de ce rayon est étant la masse du centre, et la constante de la gravitation. Cette déviation est exactement double de celle qui résulterait de la loi de Newton, appliquée à un mobile de vitesse initiale Pour un rayon passant tangentiellement au bord du soleil, on trouve 1″,74 : ainsi une étoile, vue près du bord du Soleil, doit être déviée vers l’extérieur du Soleil, de 1″,74 à partir de sa position normale sur la sphère céleste.

Malgré la petitesse de l’effet, l’exactitude de ce résultat a été vérifiée par les astronomes de Greenwich et d’Oxford, au cours de l’éclipse totale de Soleil du 29 mai 1919. La zone de totalité traversait l’Atlantique, commençant au Brésil et finissant en Afrique. Une première expédition (MM. Crommelin et Davidson) se rendit à Sobral au Brésil, et prit une dizaine de photographies pendant les cinq minutes que dura la totalité de l’éclipse. Deux mois après, la même région du ciel fut visible de nuit et fut photographiée avec les mêmes appareils pour permettre la comparaison ; on trouva que les déplacements des étoiles sont bien, comme le prévoit la théorie, en raison inverse de la distance au centre du Soleil, et les déplacements ramenés à ce qu’ils seraient au bord même du Soleil, ont donné une moyenne de L’autre expédition (MM. Eddington et Cottingham), installée dans l’île du Prince (golfe de Guinée), a trouvé une moyenne de La moyenne des deux résultats, concorde remarquablement avec la valeur prévue par Einstein.

La déviation observée ne peut d’ailleurs pas être attribuée à une atmosphère ou à de la matière cosmique entourant le Soleil jusqu’aux distances pour lesquelles les mesures ont été faites, car le pouvoir absorbant et la densité d’une telle atmosphère auraient affaibli notablement l’éclat des étoiles ; d’autre part, des comètes suivies dans la même région n’ont manifesté aucun ralentissement,

TROISIÈME VÉRIFICATION. — LE DÉPLACEMENT DES RAIES SPECTRALES. — La formule qui donne l’expression de dans un champ de gravitation permet d’établir que, si deux horloges identiques sont placées, l’une sur la Terre où le champ de gravitation est faible, l’autre sur le Soleil où le champ est intense, pour l’observateur situé sur la Terre l’horloge solaire a une marche plus lente que l’horloge terrestre (note 13).

On démontre que ce résultat entraîne la conséquence suivante. Considérons une des vapeurs lumineuses présentes sur le Soleil ; les raies spectrales de cette vapeur doivent, dans le spectre solaire, nous paraître déplacées vers le rouge, par rapport à la position des raies de la même vapeur dans le spectre obtenu au laboratoire. Ce déplacement est très faible (0,011 unité d’Angström pour le milieu du spectre).

M. A. Pérot, ayant comparé dans le spectre solaire et dans le spectre obtenu au laboratoire les positions de raies du cyanogène et du magnésium, a établi qu’après corrections de déplacements dus à des causes connues, il subsiste un écart égal, dans les limites d’approximation des mesures, à celui prévu par Einstein. Le même résultat a été obtenu par MM. Buisson et Ch. Fabry pour de nombreuses raies du fer.


  1. Voir dans l’appendice (note 13) une remarque sur une objection récemment faite par M. Painlevé.