Exposé élémentaire de la théorie d’Einstein et de sa généralisation/chap. 2

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CHAPITRE II

LA RECHERCHE DU MOUVEMENT ABSOLU. L’EXPÉRIENCE DE MICHELSON. — LE PRINCIPE DE RELATIVITÉ.


Si, par des expériences mécaniques à l’intérieur d’un système clos, il est impossible de révéler un mouvement de translation uniforme de ce système, il en est autrement lorsque le système n’est plus clos, lorsque l’observateur peut se mettre en relation avec un milieu extérieur. Il devient alors possible de mettre en évidence et de mesurer la vitesse par rapport au milieu extérieur.

Précisément, pour expliquer la propagation de la lumière, les physiciens avaient supposé l’existence d’un milieu doué de propriétés quasi-matérielles, l’éther, remplissant tout l’espace et pénétrant la matière. On devait donc espérer, par des expériences électromagnétiques[1] ou optiques, révéler un mouvement de translation par rapport à l’éther. L’éther s’identifiant en quelque sorte avec l’espace, on a appelé ce mouvement le mouvement absolu.

Imaginons que d’un point dans l’éther parte un signal lumineux instantané. Une seconde plus tard, l’ébranlement formera une surface d’onde sphérique ayant pour centre le point et pour rayon 300 000 kilomètres, puisque la vitesse de la lumière est 300 000 kilomètres par seconde. Supposons qu’un observateur soit parti de en même temps que le signal, dans la direction et avec la vitesse (fig. 5)
Fig. 5
 ; au bout d’une seconde, il sera à la distance  ; il ne se trouvera donc plus au centre de la sphère et, pour lui, la lumière ne se propagera pas avec la même vitesse dans toutes les directions : la vitesse de la lumière, relativement à cet observateur, devra être, si l’on désigne par la vitesse de la lumière dans l’éther (le rayon de la sphère), dans la direction de la vitesse , dans la direction opposée et dans la direction perpendiculaire. L’observateur devra pouvoir constater et mesurer cet effet.


Expérience de Michelson. — Voici le principe de l’expérience que Michelson a réalisée : Un faisceau de rayons lumineux issus d’une source lumineuse et rendus sensiblement parallèles par une lentille tombe sous l’incidence de 45° sur une lame de verre dont la première face est légèrement argentée ; cette lame réfléchit une partie du faisceau et laisse passer l’autre partie. Après réflexion normale sur les miroirs et qui sont placés sur deux bras rectangulaires, on obtient deux faisceaux qui ont parcouru, l’un le chemin (fig. 6), l’autre le chemin et qui viennent se superposer suivant la direction  ; ils sont reçus dans une lunette . Tout se passe comme si le rayon avait parcouru le chemin , étant l’image,
Fig. 6.
appelée plan de référence, du miroir , produite par la lame argentée .

Avec ce dispositif, il se produit un phénomène bien connu en optique sous le nom d’interférences lumineuses. Chaque fois que deux faisceaux lumineux issus d’une même source se superposent en se propageant dans une même direction après avoir suivi des chemins différents, on constate des franges, c’est-à-dire des lignes alternativement brillantes et obscures dues au fait qu’en certains points les vibrations lumineuses ajoutent leurs effets,
Fig. 7.
alors qu’aux points intermédiaires elles se détruisent mutuellement.

Si les deux bras de l’appareil ont la même longueur, c’est-à-dire si le miroir et le plan de référence sont superposés, il suffit d’incliner légèrement le miroir (fig. 7) et de viser ce miroir dans la lunette pour voir des franges rectilignes (fig. 8). En lumière monochromatique (une seule couleur pure), on voit dans tout le champ de la lunette des franges régulièrement espacées, mais comme l’espacement des franges dépend de la couleur,
Fig. 8.
si l’on emploie de la lumière blanche on ne voit plus que quelques franges, les autres disparaissant par enchevêtrement des diverses couleurs ; ces quelques franges visibles sont irisées, sauf une, la frange centrale qui est noire et nettement reconnaissable, On démontre que cette frange centrale est produite par la superposition de ceux des rayons qui ont mis exactement le même temps à parcourir les deux chemins[2].

Si la terre est en mouvement dans l’éther, pour l’observateur entraîné avec
Fig. 9.
elle, la vitesse de la lumière doit dépendre de la direction. Considérons de nouveau la surface sphérique sur laquelle doit se trouver un ébranlement lumineux au bout d’une seconde (fig. 9). La terre se trouve en  ; par ce point, menons des parallèles aux deux bras de l’appareil : et sont les vitesses de la lumière, relativement à l’observateur, suivant les directions des deux bras de l’appareil ; ces vitesses étant inégales, la frange centrale, qui correspond aux rayons ayant mis le même temps à parcourir les deux bras (aller et retour), ne doit pas occuper la position qu’elle aurait si la vitesse était la même suivant les deux bras, et sa position doit dépendre de l’orientation de l’appareil par rapport au mouvement dans l’éther. Par conséquent, si l’on tourne l’appareil (qui est mobile sur une plate-forme), la frange centrale et avec elle tout le système des franges doivent se déplacer par rapport au réticule de la lunette.

Supposons qu’on n’observe aucun déplacement ; si l’on considère la théorie précédente comme exacte, on doit penser que est au centre de la sphère, c’est-à-dire qu’à ce moment particulier la terre est immobile dans l’éther, que sa vitesse de translation sur son orbite se trouve, par hasard, compenser exactement la vitesse du système solaire dans l’éther. Mais alors, six mois plus tard, la terre ayant par rapport au soleil une vitesse égale, mais de direction opposée à celle qu’elle avait la première fois, aura, par rapport à l’éther, une vitesse égale au double de sa vitesse orbitale, soit une vitesse de 60 kilomètres par seconde. Pour observer l’effet, on devra placer l’appareil de manière que la différence des temps mis par la lumière à parcourir les deux bras, aller et retour, soit aussi grande que possible, c’est-à-dire orienter l’un des bras dans la direction de la translation de la terre sur son orbite : on observera les franges en les repérant avec le réticule, puis on permutera les rôles des deux bras en faisant tourner la plate-forme d’un angle droit ; on devra alors observer un déplacement des franges par rapport à leur position précédente.

L’expérience, faite par M. Michelson en 1881, a été répétée par MM. Michelson et Morley (1887), puis par MM. Morley et Miller (1904-1905) dans des conditions d’extrême précision : par des réflexions successives, le trajet de la lumière entre la lame et les miroirs avait été porté à 22 mètres. Pour une vitesse de 60 kil./sec., le déplacement des franges, par rotation de l’appareil, devait atteindre une fois et demie la distance séparant deux franges consécutives, valeur énorme car la précision des mesures était du centième de la distance de deux franges.

Fait remarquable : on n’a jamais obtenu aucun déplacement des franges à aucune époque de l’année. Tout se passe comme si la terre était toujours immobile.

Le désaccord entre l’expérience et la théorie est brutal. Nous allons en chercher les causes.


La contraction de Fitzgerald-Lorentz. — L’expérience de Michelson montre que la lumière met le même temps à parcourir les deux bras de l’appareil (aller et retour) quelle que soit leur orientation. Admettant l’inégalité des vitesses de la lumière dans la direction de la vitesse de la terre et dans la direction perpendiculaire, on trouve que les deux bras sont parcourus dans des temps égaux si l’on suppose que le bras dirigé dans la direction de la vitesse de la terre s’est contracté, et que sa longueur, qui serait si la terre était immobile, est devenue

étant la vitesse de la lumière dans l’éther. (Appendice, note 3.)

L’hypothèse de M. Fitzgerald et de M. Lorentz est ainsi la suivante :

Pour tous les corps, les dimensions linéaires parallèles au mouvement dans l’éther subissent un raccourcissement, dû uniquement à ce mouvement absolu, dans le rapport Les dimensions perpendiculaires à la vitesse absolue ne sont pas altérées.

Cette contraction serait, en général, très faible (cinq millionièmes de millimètre par mètre pour une vitesse de 30 kilomètres par seconde) mais elle deviendrait considérable aux très grandes vitesses, et pour une vitesse égale à la vitesse de la lumière

,

tous les objets seraient réduits à deux dimensions. L’observateur ne s’apercevrait d’ailleurs jamais de la contraction, car tous ses instruments de mesure la subiraient, et il la subirait lui-même. Il serait impossible de révéler le mouvement absolu.

Cette hypothèse cherche à sauvegarder les bases de la mécanique classique et la notion de temps absolu dont elle dérive. La contraction serait bien une contraction réelle produite par le mouvement absolu dans l’éther ; elle serait la même pour toute matière.

Mais est-il vraiment possible d’admettre que la contraction, si elle est réelle, soit la même pour tous les corps, c’est-à-dire soit indépendante de la substance, quelle que soit la rigidité de celle-ci ? se produit-elle aussi pour les gaz, et alors où est la limite entre un gaz raréfié et l’espace vide ?

Comment admettre que la contraction soit une propriété de la matière ? ne traduirait-elle pas plutôt une propriété métrique de l’espace dans lequel nous apparaît la matière ? La théorie d’Einstein nous donnera la réponse.


Le point de vue d’Einstein. — Pour rendre compte de l’insuccès de toutes les expériences électromagnétiques[3] ou optiques par lesquelles on avait cherché à révéler le mouvement absolu, pour exprimer les faits de la façon la plus simple, M. Einstein a énoncé les principes suivants :

PRINCIPE DE RELATIVITÉ.Les lois des phénomènes physiques sont les mêmes dans tous les systèmes en translation uniforme les uns par rapport aux autres.

Ce principe constitue l’extension aux phénomènes électromagnétiques et optiques du principe de relativité de la mécanique. Sous la forme précédente il est restreint au cas de la translation uniforme.

PRINCIPE DE LA PROPAGATION ISOTROPE DE LA LUMIÈRE.Dans tout système en mouvement de translation uniforme (c’est-à-dire dans lequel ne règne aucun champ de force d’inertie), la vitesse de la lumière est la même dans toutes les directions : cette vitesse ne dépend pas de l’état de mouvement de la source lumineuse.

Ce principe particulier, conforme au principe de relativité (restreint), a pour conséquence immédiate que l’expérience de Michelson ne devait rien donner. Le mouvement de la terre sur son orbite peut, pendant la courte durée d’une expérience, être considéré comme rectiligne et uniforme ; si la vitesse de la lumière est la même dans toutes les directions, les franges d’interférences gardent évidemment une position invariable quand on tourne la plate-forme de l’appareil de Michelson.

Nous verrons bientôt comment le principe de relativité, joint à la loi de propagation isotrope de la lumière, exige une transformation radicale des notions d’espace et de temps.


  1. L’éther devant être le siège de tous les phénomènes électromagnétiques. Rappelons que les ondes hertziennes (T. S. F.) sont de même nature que les ondes lumineuses.
  2. Ne pouvant faire ici la théorie des interférences, je dois prier le lecteur d’admettre tous ces résultats. Ici la frange centrale est noire parce que l’un des rayons () se réfléchit en en venant de l’air, alors que l’autre rayon () se réfléchit en en venant de l’intérieur du verre.
  3. Diverses expériences électromagnétiques ont conduit à des résultats négatifs.