Exposé d’un plan hydrographique de la ville de Paris

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Mémoire de l’Académie royale des sciences.


EXPOSÉ
D’UN PLAN HYDROGRAPHIQUE
DE LA
VILLE DE PARIS.

Par M. Buache.

26 Mai
1742.

LE premier objet de ce Plan eſt de marquer tout ce qui concerne le cours des eaux dans cette ville, tant celles des fontaines qui fourniſſent l’eau que celles des ruiſſeaux, ſoit que ceux-ci ſe déchargent directement dans la rivière, ſoit qu’ils aillent tomber dans les différens égoûts, ou qu’ils ſe perdent dans les terres de la campagne qui entoure la ville.

Le ſecond objet eſt de marquer la différente profondeur des puits dans les divers quartiers de Paris ; ces différentes profondeurs comparées avec le niveau du lit de la rivière, font voir l’exiſtence d’une eſpèce de nappe d’eau ſoûterraine qui deſcend des terres dans la rivière.

Le troiſième objet a été de marquer exactement quels ſont les endroits les plus élevez du ſol des rues dans les différens quartiers, c’eſt-à-dire, quels ſont les points où les ruiſſeaux qui ſervent à l’écoulement des eaux de pluie, ſe partagent pour couler de différens côtés ; ce point eſt d’une grande importance dans les incendies, parce qu’il montrera quels ſont les endroits où il faudra ouvrir les tuyaux des fontaines & faire tirer de l’eau des puits, & quels ſont ceux où il faut conſtruire les bâtardeaux pour retenir l’eau de façon qu’elle puiſſe être employée utilement au ſervice des pompes.

Un quatrième objet a été de marquer exactement quels ſont les endroits où l’eau eſt parvenue dans l’inondation de 1740, ce qui s’eſt fait de deux manières ; la première, parce qu’ils étoient compris dans l’eſpace que la rivière a inondé depuis ſes bords ; la ſeconde, parce que les lieux, quoique ſéparez de la rivière par un terrein plus élevé & qui eſt demeuré à ſec, étant réellement plus bas que la hauteur à laquelle les eaux étoient montées alors, ont été inondez par le moyen des égoûts qui donnoient paſſage aux eaux de la rivière. Un autre effet de l’inondation a été de retenir ou d’élever cette nappe d’eau ſoûterraine dont j’ai parlé d’abord, & d’en faire refluer les eaux dans des endroits éloignez de la rivière & entourez par des bancs de roche ou de glaiſe qui s’oppoſant à leur écoulement, les ont retenues, ce qui a obligé à un grand travail pour vuider les caves qu’elles avoient remplies.

Comme cette dernière eſpèce d’inondation n’étoit cauſée que par l’augmentation du volume de la nappe des eaux ſoûterraines, augmentation qui ne s’eſt faite qu’au bout d’un certain temps, on comprend comment elle n’eſt arrivée que ſur la fin de l’inondation cauſée par les eaux viſibles de la rivière, & même lorſque ces eaux commençoient à baiſſer.

Ces obſervations ne ſont pas de ſimple curioſité, il faudroit y avoir égard dans la conſtruction des maiſons compriſes dans cet eſpace, ſoit pour régler la ſolidité des fondations, ſoit pour l’exhauſſement du ſol du rez-de-chauſſée. Si, par exemple, on avoit fait attention à la hauteur à laquelle les eaux s’élevèrent en 1711, la cour & les offices du palais Bourbon n’auroient pas été inondez en 1741.

Le cinquième objet de ce Plan hydrographique eſt de marquer les diverſes fontaines deſtinées à donner de l’eau pour l’uſage des citoyens, avec leurs conduites & leurs regards, en diſtinguant celles de ces fontaines qui portent les eaux de la rivière, de celles qui portent les eaux des ſources d’Arcueil & de Belleville.

Enfin, le ſixième objet a été de marquer exactement tout ce qui concerne le cours & la navigation de la rivière de Seine, depuis la rivière des Gobelins juſqu’à l’embouchure du nouvel égoût. Relativement à ce ſixième objet, j’ai marqué la différence des plus baſſes eaux connues exactement avec les plus hautes, qui ſont celles, de l’hiver de 1740 à 1741. À l’égard des plus baſſes eaux, je me ſuis réglé ſur l’état où elles étoient dans l’été de 1741, quoiqu’elles aient été encore plus baſſes en 1731, ſelon que je l’avois obſervé pour lors, les ayant trouvées de 5 pouces au deſſous de celles de 1719 ; mais j’ai crû devoir préférer celles de 1741 que j’avois examinées avec ſoin, & qui étoient de 4 pieds au deſſous de la hauteur néceſſaire pour que la rivière ſoit navigable.

J’ai marqué ſur le canal de la rivière la ligne de navigation qui montre quelle eſt la route que tiennent les Mariniers pour le tranſport des marchandiſes dans cette ville. La ſeconde ligne marquée par des flèches indique quelle eſt la direction du courant & les points d’inflexion de cette direction ; car quoique le courant s’approche en général de la côte ſeptentrionale à cauſe que le terrein du midi eſt plus élevé, cependant il ne ſuit pas exactement la figure des bords du lit de la rivière. On verra le long de la ligne de navigation les différentes profondeurs du lit de la rivière dans le temps des baſſes eaux de 1741 ; la différence de hauteur de ces eaux pendant l’inondation & pendant la ſéchereſſe étant connue, il ſera facile de comparer les deux états.

Le premier des trois Plans propoſez pour donner une idée de l’ouvrage, repréſente le cours de la rivière entre les deux points marquez ci-deſſus ; il fait voir les ports, les chûtes des ruiſſeaux & égoûts, les bateaux fixes, comme moulins, lavoirs, &c.

Pour me mettre en état de remplir les différens objets dont je viens de parler, j’ai obſervé exactement pendant l’inondation de 1740, tous les endroits dans leſquels cette inondation s’eſt étendue, ſoit en ſe répandant ſur la ſuperficie du sol, ſoit en pénétrant à travers les terres, ſoit en faiſant refluer la nappe d’eau ſoûterraine, obſervations dont j’ai un détail très-exact marqué ſur des plans particuliers ; j’ai même eu ſoin de m’aſſurer de la différente profondeur du ſol des puits dans la ligne du midi au nord, dirigée de l’Obſervatoire à la porte Saint Martin ; j’ai fait treize obſervations de cette profondeur, dont huit ſont à des intervalles à peu près égaux ; ces treize obſervations m’ont ſervi, après un autre travail duquel je vais parler, à déterminer le rapport, de ces profondeurs avec le niveau des caves de l’Obſervatoire, & avec celui du fond de la rivière.

L’inondation de 1740 m’avoit donné un nivellement assez exact de la partie du ſol que les eaux avoient couverte, mais il falloit comparer cette partie avec celle qui n’avoit pas été inondée ; & dans celle qui l’avoit été, il falloit s’aſſurer de la pente du terrein, c’eſt ce qui m’a obligé à un nouveau travail auquel les deux autres figures ont rapport, & que je vais indiquer en général, le ſujet de ce Mémoire ne permettant pas d’entrer dans tout le détail de ces ſortes d’opérations.


Le ſecond Plan montre en gros les quatre différens nivellemens que j’ai faits avec le plus grand ſoin, & avec le ſecours de M. Sirebeau premier Fontenier de la Ville, qui a bien voulu m’accompagner & m’aider dans un genre de travail pour lequel il eſt très-éclairé.

Le premier de ces quatre nivellemens a commencé à ſa porte Saint Martin le 25 Août 1740, & a fini à l’Obſervatoire le 20 du même mois.

Le ſecond commençant aux Céleſtins & à la porte de l’Arſenal, s’eſt fait du levant au couchant, & a continué le long de la rivière juſqu’à l’extrémité des Tuileries.

Le troiſième commençant de la porte des Céleſtins a été gagner au nord la porte Saint Antoine, & de là retournant du levant au couchant en ſuivant les rues Saint Antoine, de la Verrerie, des Lombards & de Saint Honoré, juſqu’à l’endroit où étoit ci-devant la porte Saint Honoré, a été de là gagner au midi l’extrémité des Tuileries au bord de la rivière.

De la tête de ce dernier nivellement j’en ai tiré un autre de la rue Saint Antoine en allant au nord par les rues de l’Égoût & de Saint Louis dans le Marais, juſqu’au réſervoir qui eſt à la tête du nouvel égoût.

Le quatrième nivellement ayant commencé à l’égliſe du petit Saint Antoine s’eſt fait vers le midi, en traverſant l’iſle Notre-Dame & ſuivant les rues des foſſés Saint Bernard & Saint Victor juſqu’à la place de Fourcy ; de là tournant au levant par l’Eſtrapade en coupant la rue Saint Jacques & ſuivant les rues qui mènent au Luxembourg, j’ai été gagner la rue de Tournon, & de là je me ſuis rendu par Saint Sulpice au carrefour de la rue de Grenelle & de la rue du Bac, voiſin de la nouvelle fontaine ; d’où tournant au nord je ſuis venu gagner par le Pont-Royal la ligne du ſecond nivellement, que j’ai coupée en ſuivant la façade des Tuileries pour aller couper enſuite la ligne du troiſième nivellement, & pouſſer au nord juſqu’à l’hôtel de Pontchartrain après avoir paſſé par la butte Saint Roch.

J’ai tracé ſur le même plan général une ligne dont les contours marquent la plus haute partie du terrein, au delà de laquelle les eaux des ruiſſeaux coulent en s’éloignant de la rivière, & dans la partie qui eſt au nord de la rivière, vont tomber dans le nouvel égoût, ſans lequel elles n’auroient qu’un écoulement très-difficile.

Les figures du troiſième plan donnent une idée d’une partie des réſultats de ces nivellemens.

Elles repréſentent la coupe de la ville de Paris depuis l’Obſervatoire juſqu’à la porte Saint Martin, dont la direction forme une ligne aſſez droite, comme le fait voir le plan des rues compriſes dans cette ligne, lequel eſt placé au bas de la figure.

Au deſſus de ce plan eſt la coupe du terrein ayant pour baſe inférieure la ligne du ſol de la rivière, au plus profond de ſon lit ſous l’arche du milieu du Pont-Royal ; la différence de cette ligne à la hauteur du raiz de chauſſée de l’Obſervatoire a été déterminée par mes opérations, & c’eſt ſur cette dernière hauteur que je me ſuis réglé en obſervant ; mais pour me faire entendre plus facilement, je ne parlerai ici que de la différence priſe du lit de la rivière.

Dans cette coupe où la même échelle ſert pour les hauteurs & pour les diſtances, les différences deviennent peu ſenſibles ; c’eſt pour cela que j’ai tracé une troiſième figure, de laquelle, selon la manière usitée dans ces ſortes de plans, j’ai forcé l’échelle des hauteurs, laquelle eſt plus grande que celle des diſtances ; cette troiſième figure rend les différences des hauteurs très-ſenſibles à l’œil, je me contenterai d’en indiquer quelques-unes en finissant cette annonce du nouveau plan.

La place de l’Eſtrapade eſt l’endroit de Paris où la ſuperficie du ſol est le plus élevée au deſſus du lit de la rivière, ſa hauteur eſt de 124 pieds 10 pouces. Le terrein ſur lequel eſt conſtruit l’Obſervatoire, eſt environ 4 pieds 8 pouces plus bas que celui de l’Eſtrapade. Le terrein baiſſe conſidérablement depuis l’Eſtrapade vers le nord, en ſorte que dans les deux tiers de la rue Saint Jacques vers la rue du Foin, il n’eſt plus qu’à 51 pieds 3 pouces au deſſus du lit de la rivière : de là au Petit-châtelet le terrein ne baiſſe que de 3 pieds, étant à 48 pieds de hauteur. Je néglige ici les petites fractions qui ne peuvent être ſenſibles dans le plan. Du Petit-châtelet à l’entrée du quai Pelletier & de la rue de Geſvres, le terrein ſe relève d’environ 10 pieds, étant à 58 pieds 10 pouces de hauteur. L’endroit le plus bas de la Grève vers l’arcade Saint Jean, eſt de 20 pieds plus bas, & ſeulement à 39 pieds de hauteur.

Le ſol ou raiz de chauſſée de la cour de l’Hôtel de ville eſt plus élevé de 15 pieds que la Grève, & a 52 pieds 3 pouces de hauteur.

De l’extrémité du Pont Notre-Dame juſqu’en deçà de la porte Saint Martin, vis-à-vis les murs de l’Abbaye qui porte ce nom, le terrein va en baiſſant preſqu’inſenſiblement, de ſorte que ſur une distance de près de 3726 pieds la pente n’eſt que de 19 pieds 4 pouces. L’endroit le plus bas de la rue Saint Martin n’eſt que de 2 pieds 3 pouces au deſſus du ſol de l’arcade de Saint Jean en Grève ; cependant il n’a pas été inondé, parce que les eaux de cet endroit de la rue Saint Martin ne vont tomber dans la riviére que par le nouvel égoût, & qu’à l’embouchûre de cet égoût le ſol de la rivière eſt moins élevé qu’auprès de la Grève.

Le terrein ſe relève aſſez conſidérablement en avançant vers la porte Saint Martin, qui eſt plus élevée d’environ 8 pieds, & ſe trouve 47 pieds 9 pouces au deſſus de la ligne du lit de la rivière.

La ſeconde choſe que j’ai marquée ſur cette coupe, eſt la profondeur des puits qui ſe trouvent dans cette direction. Les deux lignes ponctuées dans l’intérieur de la coupe, font voir que cette nappe d’eau que j’ai ſuppoſée, ne ſuit pas la direction du niveau de la ſurface du terrein extérieur. Depuis l’Obſervatoire juſqu’au plus haut de la rue S.t Jacques vis-à-vis l’Eſtrapade, le terrein s’élève de 4 pieds 1/2 environ, & la ſuperficie de l’eau contenue dans les puits dans cet intervalle, baisse de 4 pieds dans une progreſſion contraire à celle du terrein. Enſuite cette nappe d’eau ſe ſoûtient à peu près à la même hauteur juſqu’un peu par delà la rue des Mathurins, quoique dans cet intervalle la ſurface extérieure du ſol baiſſe de 61 pieds.

Cette hauteur de l’eau des puits continue d’être à peu près la même juſqu’à Notre-Dame, & même de l’autre côté de la rivière juſqu’auprès de la rue S. Méry ; là elle ſe relève, quoique le terrein extérieur, baiſſe. J’ai cru devoir exprimer ces détails, ce ſont des faits qui pourront peut-être donner lieu à de nouvelles vues, ou du moins à de nouvelles recherches.

Une troiſième choſe que j’ai marquée ſur cette même coupe, a été l’élévation de quelques bâtimens qui ſe ſont trouvez dans la direction, ou du moins fort près de la ligne. Le terrein de l’Obſervatoire eſt auprès de la porte S.t Jacques à 120 pieds au deſſus de la ligne du fond de la rivière ; le raiz de chauſſée du bâtiment eſt plus haut de 9 pieds 10 pouces, & la plate-forme qui arraſe la baluſtrade ou l’appui, eſt plus élevée de 82 pieds 6 pouces, en ſorte que ſa baluſtrade eſt à 212 pieds 6 pouces du ſol le plus bas de la rivière.

La baluſtrade du clocher de Sainte Geneviève, qui eſt à 132 pieds au deſſus du ſeuil de la principale porte d’entrée de l’égliſe, eſt plus élevée que celle de l’Obſervatoire de 31 pieds.

L’appui de la terraſſe au deſſus du Petit-châtelet, eſt plus bas que la baluſtrade de l’Obſervatoire de 96 pieds 6 pouces, & il eſt plus élevé de 15 pouces environ que le plus haut de la rue Saint Jacques vers le lieu où étoit l’ancienne porte, qui ſe trouvoit préciſément dans l’alignement du Châtelet.

Ce même appui du Petit-châtelet n’eſt plus élevé que le ſeuil de la porte de l’égliſe de Sainte Geneviève, que de 4 pieds 4 pouces, ce qui montre que cet appui eſt à peu près de niveau avec le grand autel du chœur de cette égliſe.

La baluſtrade de la tour méridionale de Notre-Dame qui eſt à 204 pieds ou 34 toiſes au deſſus du pavé de l’égliſe, eſt plus élevée de 38 pieds que celle de l’Obſervatoire, & de 7 pieds que celle de Sainte Géneviève. Il ſeroit facile de pouſſer plus loin ces ſortes de comparaiſons, mais ce ſeroit un travail de pure curioſité.