Exposition du système du monde/Livre cinquième

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Duprat (p. 288-351).


LIVRE CINQUIÈME.
précis de l’histoire de l’astronomie.


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Multi pertransibunt, et augebitur scientia.
________________Bacon


L’ordre dans lequel je viens d’exposer les principaux résultats du systême du monde, n’est pas celui que l’esprit humain a suivi dans leur recherche. Sa marche a été embarrassée et incertaine : souvent, il n’est parvenu à la vraie cause des phénomènes, qu'après avoir épuisé les fausses hypothèses que son imagination lui a suggérées ; et les vérités qu’il a découvertes, ont presque toujours été alliées à des erreurs que le temps et l’observation en ont séparées. Je vais offrir en peu de mots, le tableau de ses tentatives et de ses succès. On y verra l’Astronomie rester pendant un grand nombre de siècles, dans l’enfance ; en sortir et s’accroître dans l'école d’Alexandrie ; stationnaire ensuite, jusqu’au temps des Arabes, se perfectionner par leurs observations ; enfin abandonnant l'Afrique et l’Asie où elle avoit pris naissance, se fixer en Europe, et s’élever en moins de trois siècles, à la hauteur où nous la voyons.


CHAPITRE PREMIER


De l’Astronomie ancienne, jusqu’à l’époque de la fondation de l’école d’Alexandrie.


Le spectacle du ciel dut fixer dans tous les temps, l’attention des hommes, sur-tout dans ces heureux climats où la sérénité de l’air invitoit à l’observation des astres. On eut besoin pour l’agriculture, de distinguer les saisons, et d’en fixer le retour : on ne tarda pas à reconnoître que le lever et le coucher des principales étoiles, au moment où elles se plongent dans les rayons solaires, ou quand elles s’en dégagent, pouvoient servir à cet objet. Aussi voit-on chez presque tous les peuples, ce genre d’observations remonter jusqu’aux temps dans lesquels se perd leur origine. Mais quelques remarques grossières sur le lever et le coucher des étoiles, ne formoient point une science ; et l’astronomie n’a commencé qu’à l’époque où les observations antérieures ayant été recueillies et comparées entr’elles, et les mouvemens célestes ayant été suivis avec plus de soin qu’on ne l’avoit fait encore ; on essaya de déterminer les loix de ces mouvemens. Celui du soleil dans un orbe incliné à l’équateur, le mouvement de la lune, la cause de ses phases et des éclipses, la connoissance des planètes et de leurs révolutions, la sphéricité de la terre et sa mesure, ont pu être l’objet de cette antique astronomie ; mais le peu de monumens qui nous en reste, est insuffisant pour en fixer l’époque et l’étendue. Nous pouvons seulement juger de sa haute antiquité, par les périodes astronomiques qui nous sont parvenues, par quelques notions justes des Caldéens et des Égyptiens sur le systême du monde, et par le rapport exact de plusieurs mesures très-anciennes, à la circonférence de la terre. Telle a été la vicissitude des choses humaines, que celui des arts, qui peut seul transmettre à la postérité, d’une manière durable, les événemens des siècles passés, étant d’une invention moderne ; le souvenir des premiers inventeurs, s’est entièrement effacé. De grands peuples dont les noms sont à peine connus dans l’histoire, ont disparu du sol qu’ils ont habité : leurs annales, leur langue, leurs cités même, tout a été anéanti ; et il n’est resté des monumens de leurs sciences et de leur industrie, qu’une tradition confuse, et quelques débris épars dont l’origine est incertaine. Il paroît que l’astronomie pratique de ces premiers temps, se bornoit aux observations du lever et du coucher des principales étoiles, à leurs occultations par la lune et les planètes, et aux éclipses. On suivoit la marche du soleil, au moyen des étoiles qu’éclipsoit la lumière des crépuscules, et peut-être encore, par les variations de l’ombre méridienne du gnomon : on déterminoit le mouvement des planètes, par les étoiles dont elles s'approchoient dans leur cours. Pour reconnoître tous ces astres et leurs mouvemens divers, on partagea le ciel en constellations, et cette zône céleste nommée zodiaque , dont le soleil, la lune et les planètes ne s’écartent jamais, fut divisée dans les douze constellations suivantes : le bélier, le taureau, les gémeaux, l’ecrevisse, le lion, la vierge, la balance, le scorpion, le sagittaire, le capricorne, le verseau, les poissons . On les nomma signes , parce qu'elles servoient à distinguer les saisons ; ainsi, l’entrée du soleil, dans le signe du bélier, marquoit au temps d’hipparque, l’origine du printemps ; cet astre parcouroit ensuite le taureau, les gémeaux, l’ecrevisse, etc. ; mais le mouvement rétrograde des équinoxes changea cette marche des saisons. Cependant, les observateurs accoutumés à marquer l’origine du printemps, par l’entrée du soleil dans le bélier, ont continué de la désigner de cette manière, et pour cela, ils ont distingué les constellations, des signes du zodiaque : ceux-ci n’ont plus été qu’une chose idéale propre à représenter le mouvement du soleil. Maintenant que l’on cherche à tout ramener aux notions et aux expressions les plus simples ; on commence à ne plus considérer les signes du zodiaque, et à marquer la position des astres sur l’écliptique, par leur distance à l’équinoxe. Quelques-uns des noms donnés aux constellations du zodiaque, paroissent être relatifs au mouvement du soleil ; l’ ecrevisse , par exemple, indique la rétrogradation de cet astre au solstice ; et la balance désigne l’égalité des jours et des nuits, à l'équinoxe : d’autres noms semblent se rapporter à l’agriculture et au climat du peuple chez lequel le zodiaque a pris naissance. Les plus anciennes observations qui nous soient parvenues avec un détail suffisant pour en faire usage dans l’astronomie, sont trois éclipses de lune, observées à babylone, dans les années 719 et 72 0 avant l’ère chrétienne. Ptolémée qui les rapporte, s’en est servi pour déterminer le moyen mouvement de la lune. Sans doute, hipparque et lui n’en avoient point de plus anciennes qui fussent assez précises, pour être employées à cette détermination dont l’exactitude est en raison de l’intervalle qui sépare les observations extrêmes. Cette considération doit diminuer nos regrets, de la perte des dix-neuf cents années d’observations dont les caldéens , si l’on en croit simplicius, se vantoient au temps d’alexandre, et qu’aristote se fit communiquer par l’entremise de callisthène. Mais ils n’ont pu découvrir que par une longue suite d'observations, la période de 6585 jours un tiers, qu’ils nommoient saros , et qui a l’avantage de ramener à fort peu près, la lune, à la même position à l’égard de son nœud, de son périgée et du soleil : ainsi, les éclipses observées dans une période, fournissoient un moyen simple de prédire celles qui devoient avoir lieu dans les périodes suivantes. La période lunisolaire de six cents ans, paroît encore avoir été connue des caldéens. Ces deux périodes supposent une connoissance très-approchée de la longueur de l’année ; il est même vraisemblable qu’ils avoient remarqué la différence des deux années sydérale et tropique, et qu’ils faisoient usage du gnomon et des cadrans solaires. Enfin, quelques-uns d’eux avoient été conduits par la considération du spectacle de la nature, à penser que les mouvemens des comètes sont assujétis comme ceux des planètes, à des périodes réglées par des loix éternelles. L’astronomie ne paroît pas moins ancienne en egypte, que dans la caldée. Les egyptiens ont connu long-temps avant l’ère chrétienne, le quart de jour dont l’année surpasse 365 jours. Ils avoient fondé sur cette connoissance, la période sothique de 1460 ans, qui suivant eux, ramenoit aux mêmes saisons, les mois et les fêtes de leur année dont la longueur étoit de 365 jours. La direction exacte des faces de leurs pyramides, vers les quatre points cardinaux, donne une idée avantageuse de leur manière d’observer ; il est probable qu’ils avoient des méthodes pour calculer les éclipses. Mais ce qui fait le plus d’honneur à leur astronomie, est la remarque fine et importante des mouvemens de mercure et de vénus autour du soleil. La réputation de leurs prêtres attira les premiers philosophes de la grèce ; et selon toute apparence, l’école de pythagore leur a été redevable des idées saines qu’elle a professées sur la constitution de l’univers. Chez les peuples dont je viens de parler, l’astronomie ne fut cultivée que dans les temples, par des prêtres qui firent servir leurs connoissances, à consolider l’empire de la superstition dont ils étoient les ministres. Ils les cachèrent soigneusement sous des emblêmes qui présentoient à la crédule ignorance, des héros et des dieux dont les actions n’étoient qu’une allégorie des phénomènes célestes, et des opérations de la nature ; allégorie que le pouvoir de l’imitation, l’un des principaux ressorts du monde moral, a perpétuée jusqu’à nous, dans les institutions religieuses. Profitant pour mieux asservir les peuples, du desir si naturel de pénétrer dans l’avenir, ils créèrent l’astrologie. L’homme porté par les illusions des sens, à se regarder comme le centre de l’univers, se persuada facilement, que les astres influent sur sa destinée, et qu’il est possible de la prévoir, par l’observation de leurs aspects au moment de sa naissance. Cette erreur chère à son amour-propre, et nécessaire à son inquiète curiosité, paroît être aussi ancienne que l’astronomie : elle s’est conservée pendant très-long-temps ; ce n’est même qu’à la fin du dernier siècle, que la connoissance de nos vrais rapports avec la nature, l’a fait disparoître. En perse et dans l’inde, les commencemens de l’astronomie se perdent dans les ténèbres dont l’origine de ces peuples est enveloppée. Nulle part, ils ne remontent aussi haut qu’à la chine, par une suite incontestable de monumens historiques. L’annonce des éclipses et le calendrier y furent toujours regardés comme un objet important pour lequel on créa un tribunal de mathématiques

mais l’attachement scrupuleux des chinois à leurs anciens usages

, en s’étendant aux méthodes mêmes de l’astronomie, l’a retenue parmi eux, dans l’enfance. Les tables indiennes indiquent une astronomie plus perfectionnée

mais tout porte à croire qu’elles ne sont pas d’une haute antiquité. Ici, je m’éloigne à regret de l’opinion d’un savant illustre qui, après avoir honoré sa carrière, par des travaux utiles aux sciences et à l’humanité, mourut victime de la plus sanguinaire tyrannie, opposant le calme et la dignité du juste, aux fureurs d’un peuple abusé qui sous ses yeux même, se fit un plaisir barbare d’apprêter son supplice. Les tables indiennes ont deux époques principales qui remontent, l’une à l’année 3102 avant l’ère chrétienne, l’autre à 1491 : ces époques sont liées par les moyens mouvemens du soleil, de la lune, et des planètes, de sorte que l’une d'elles est nécessairement fictive. L’auteur célèbre dont je viens de parler , a cherché à établir dans son traité de l’astronomie indienne, que la première de ces époques est fondée sur l’observation. Malgré ses preuves exposées avec l’intérêt qu’il a su répandre sur les choses les plus abstraites ; je regarde comme très-vraisemblable, que cette époque a été imaginée, pour donner une commune origine dans le zodiaque, aux mouvemens des corps célestes. En effet, si, partant de l’époque de 1491, on remonte au moyen des tables indiennes, à l’an 3102 avant l’ère chrétienne ; on trouve la conjonction générale du soleil, de la lune et des planètes, que ces tables supposent : mais cette conjonction trop différente du résultat de nos meilleures tables, pour avoir eu lieu, nous montre que l’époque à laquelle elle se rapporte, n’est point appuyée sur les observations. à la vérité, quelques élémens de l’astronomie indienne semblent indiquer qu'ils ont été déterminés même avant cette première époque ; ainsi, l’équation du centre du soleil, qu’elle fixe à 2, 4173 degrés, n’a pû être de cette grandeur, que vers l’an 4300 avant l’ère chrétienne. Mais indépendamment des erreurs dont les déterminations des indiens ont été susceptibles, on doit observer qu’ils n’ont considéré les inégalités du soleil et de la lune, que relativement aux éclipses dans lesquelles l’équation annuelle de la lune s’ajoute à l'équation du centre du soleil, et l’augmente d’environ 22 minutes ; ce qui est à-peu-près la différence de nos déterminations, à celle des indiens. Plusieurs élémens tels que les équations du centre de jupiter et de mars, sont si différens dans les tables indiennes, de ce qu’ils devoient être à leur première époque ; que l’on ne peut rien conclure des autres élémens, en faveur de leur antiquité. L’ensemble de ces tables, et sur-tout l’impossibilité de la conjonction qu’elles supposent à la même époque, prouvent au contraire, qu’elles ont été construites , ou du moins rectifiées dans des temps modernes ; ce que confirment les moyens mouvemens qu’elles assignent à la lune, par rapport à son périgée, à ses nœuds et au soleil, et qui plus rapides que suivant ptolémée, indiquent évidemment que la formation de ces tables est postérieure au temps de cet astronome ; car on a vu que ces trois mouvemens s’accélèrent de siècle en siècle. Cependant, l'antique réputation des indiens ne permet pas de douter qu’ils ont dans tous les temps, cultivé l’astronomie : lorsque les grecs et les arabes commencèrent à se livrer aux sciences ; ils allèrent en puiser chez eux, les premiers élémens. C’est de l’inde, que nous vient l'ingénieuse méthode d’exprimer tous les nombres, avec dix chiffres. L’idée de n’employer pour cet objet, qu’un nombre limité de caractères, en leur donnant à-la-fois, une valeur absolue, et une valeur de position, n’a point échappé au génie d’archimède ; mais il ne l’a pas réduite à ce degré de simplicité, qui met notre systême d’arithmétique, au premier rang des inventions utiles. Les grecs n’ont commencé à cultiver l’astronomie, que long- temps après les egyptiens dont ils ont été les disciples. Il est difficile, au travers des fables qui remplissent les premiers siècles de leur histoire, de démêler leurs connoissances astronomiques : il paroît seulement qu’ils avoient partagé le ciel en constellations, treize ou quatorze cents ans avant l’ère chrétienne ; car c’est à cette époque, que la sphère d’eudoxe doit être rapportée. Leurs nombreuses écoles de philosophie n’offrent aucun observateur, avant la fondation de celle d’alexandrie : ils y traitèrent l'astronomie, comme une science purement spéculative, en se livrant à des conjectures le plus souvent frivoles. Il est singulier qu’à la vue de cette foule de systêmes qui se combattoient sans rien apprendre, la réflexion très-simple, que le seul moyen de connoître la nature, est de l’interroger par l’expérience, ait échappé à tant de philosophes dont plusieurs étoient doués d’un grand génie. Mais on n’en sera point étonné, si l’on considère que les premières observations ne présentant que des faits isolés, et sans attrait pour l'imagination impatiente de remonter aux causes ; elles ont dû se succéder avec une extrême lenteur. Il a fallu qu’une longue suite de siècles les accumulât en assez grand nombre, pour découvrir entre les phénomènes, des rapports qui, en s’étendant de plus en plus, réunissent à l’intérêt de la vérité, celui des spéculations générales auxquelles l’esprit humain tend sans cesse à s’élever. Cependant, au milieu des rêves philosophiques des grecs, on voit percer sur l’astronomie, des idées saines qu’ils puisèrent dans leurs voyages, et qu’ils perfectionnèrent. Thalès né à milet, l'an 640 avant l’ère chrétienne, alla s’instruire en egypte : revenu dans la grèce, il fonda l’école ionienne, et il y enseigna la sphéricité de la terre, l’obliquité de l’écliptique et la vraie cause des éclipses de soleil et de lune ; il parvint même à les prédire, en employant sans doute, les méthodes ou les périodes que les prêtres égyptiens lui avoient communiquées. Thalès eut pour successeurs, anaximandre, anaximène et anaxagore. On attribue au premier, l’invention du gnomon, et des cartes géographiques dont il paroît que les egyptiens avoient depuis long-temps, fait usage. Anaxagore fut persécuté par les athéniens , pour avoir enseigné les vérités de l’école ionienne. On lui reprocha d’anéantir l’influence des dieux sur la nature, en essayant d'assujétir ses phénomènes, à des loix immuables. Proscrit avec ses enfans, il ne dut la vie qu’aux soins de périclès son disciple et son ami, qui parvint à faire changer la peine de mort, en exil. Ainsi , la vérité pour s’établir sur la terre, a presque toujours eu à combattre des erreurs accréditées qui, plus d’une fois, ont été funestes à ceux qui l’ont fait connoître. De l’école ionienne, sortit le chef d’une école beaucoup plus célèbre. Pythagore né à samos, vers l’an 590 avant l’ère chrétienne, fut d’abord disciple de thalès. Ce philosophe lui conseilla de voyager en egypte où il se fit initier aux mystères des prêtres, pour s’instruire à fond, de leur doctrine. Les bracmanes ayant ensuite attiré sa curiosité ; il alla les chercher aux bords du gange. De retour dans sa patrie, le despotisme sous lequel elle gémissoit alors, le força de s’en exiler, et il se retira en italie où il fonda son école. Toutes les vérités astronomiques de l’école ionienne, furent enseignées avec plus de développement, dans celle de pythagore ; mais ce qui la distingue principalement, est la connoissance des deux mouvemens de la terre, sur elle-même et autour du soleil. Pythagore prit soin de la cacher au vulgaire, à l’imitation des prêtres égyptiens auxquels il en étoit, probablement, redevable : elle fut exposée dans un grand jour, par son disciple philolaus. Suivant les pythagoriciens, non-seulement les planètes, mais les comètes elles-mêmes, sont en mouvement autour du soleil. Ce ne sont point des météores passagers formés dans l’atmosphère, mais des ouvrages éternels de la nature. Ces notions parfaitement justes du systême du monde, ont été saisies et présentées par sénèque, avec l’enthousiasme qu’une grande idée sur l’un des objets les plus vastes des connoissances humaines, doit exciter dans l’ame du philosophe. " ne nous étonnons point, dit-il, que l’on ignore encore la loi du mouvement des comètes dont le spectacle est si rare, et qu’on ne connoisse ni le commencement ni la fin de la révolution de ces astres qui descendent d’une énorme distance. Il n’y a pas quinze cents ans, que la grèce a compté les étoiles, et leur a donné des noms... le jour viendra que par une étude suivie de plusieurs siècles, les choses qui sont cachées actuellement, paroîtront avec évidence ; et la postérité s’étonnera que des vérités si claires nous ayent échappé " . On pensoit encore dans la même école, que les planètes sont habitées, et que les étoiles sont des soleils disséminés dans l'espace, et les centres d’autant de systêmes planétaires. Ces vues philosophiques auroient dû par leur grandeur et leur justesse, entraîner les suffrages de l’antiquité ; mais ayant été enseignées avec des opinions systématiques, telles que l’harmonie des sphères célestes ; et manquant d’ailleurs, des preuves qu’elles ont acquises depuis, par leur accord avec toutes les observations ; il n’est pas surprenant que leur vérité contraire aux illusions des sens, ait été méconnue. L’histoire de l’astronomie chez les grecs, n’offre plus rien de remarquable, jusqu’à la fondation de l’école d’alexandrie, à l’exception de quelques tentatives d’eudoxe, pour expliquer les phénomènes célestes, et du cycle de dix-neuf ans, que méton imagina pour concilier les révolutions du soleil et de la lune. Il est à-la-fois, avantageux et simple, de n’employer pour la mesure du temps, que les révolutions solaires ; mais dans le premier âge des peuples, les phases de la lune offroient à leur ignorance, une division du temps, si naturelle, qu’elle fut généralement admise. Ils réglèrent leurs fêtes et leurs jeux, sur le retour de ces phases ; et lorsque les besoins de l’agriculture les forcèrent de recourir au soleil, pour distinguer les saisons, ils ne renoncèrent point à leur ancien usage de mesurer le temps par les révolutions de la lune : ils cherchèrent à établir entr’elles et les révolutions du soleil, un accord fondé sur des périodes qui embrassent un nombre juste de révolutions de ces deux astres. La période de ce genre, la plus précise dans un court intervalle de temps, est celle de dix-neuf années solaires, ou de deux cent trente-cinq lunaisons. Lorsque méton l’eut proposée pour base du calendrier, à la grèce assemblée dans les jeux olympiques ; elle fut reçue avec un applaudissement universel, et unanimement adoptée par toutes les villes et les colonies grecques.


CHAPITRE II.


De l’Astronomie depuis la fondation de l’école d’Alexandrie, jusqu’aux Arabes.


Jusqu’ici, l’astronomie pratique des différens peuples, ne nous a présenté que des observations grossières, relatives aux phénomènes des saisons et des éclipses, objets de leurs besoins ou de leurs frayeurs. Quelques périodes fondées sur de très-longs intervalles de temps, et d’heureuses conjectures sur la constitution de l’univers, mêlées à beaucoup d’erreurs, formoient toute leur astronomie théorique. Nous voyons pour la première fois, dans l’école d’Alexandrie, un systême combiné d’observations faites avec des instrumens propres à mesurer les angles, et calculées par les méthodes trigonométriques. L’astronomie prit alors, une forme nouvelle que les siècles suivans n’ont fait que perfectionner. La position des étoiles fut déterminée : on suivit avec soin, les planètes : les inégalités du soleil et de la lune furent mieux connues : enfin, l’école d’Alexandrie donna naissance au premier systême astronomique qui ait embrassé l’ensemble des mouvemens célestes ; systême, à la vérité, bien inférieur à celui de l’école de Pythagore ; mais qui fondé sur la comparaison des observations, offroit dans cette comparaison même, le moyen de le détruire, et de s’élever au vrai systême de la nature.

Après la mort d’Alexandre, ses principaux capitaines se divisèrent son empire, et Ptolémée Soter eut l’Égypte en partage. Son amour pour les sciences, et ses bienfaits attirèrent à Alexandrie capitale de ses états, un grand nombre de savans de la Grèce. Héritier de son trône et de ses goûts, son fils Ptolémée Philadelphe les y fixa par une protection particulière. Un vaste édifice dans lequel ils étoient logés, renfermoit un observatoire, et cette bibliothèque fameuse que Démétrius de Phalère rassembla avec tant de soins et de dépense. Ils y trouvoient les instrumens et les livres qui leur étoient nécessaires ; et leur émulation étoit excitée par la présence du prince qui venoit souvent, s’entretenir avec eux, de leurs travaux.

Aristille et Timocharis furent les premiers observateurs de cette école naissante : ils fleurirent vers l’an 300 avant l’ère chrétienne. Leurs observations des principales étoiles du zodiaque, firent découvrir à hipparque, la précession des équinoxes ; et Ptolémée fonda principalement sur ces observations, la théorie qu’il donna de ce phénomène. Le premier astronome que nous offre après eux, l’école d'Alexandrie, est Aristarque de Samos. Les élémens les plus délicats de l’astronomie furent l’objet de ses recherches : il observa le solstice d’été de l’an 281, avant l’ère chrétienne, dont Hipparque se servit dans la suite, pour fixer la grandeur de l’année. Mais ce qui fait le plus d’honneur à son génie, est la manière dont il essaya de déterminer la distance du soleil à la terre. Il mesura l’angle compris entre le soleil et la lune, au moment où il jugea la moitié du disque lunaire, éclairée ; et l’ayant trouvé d’environ 96,7 degrés, il en conclut que le soleil est dix-huit ou vingt fois plus loin que la lune ; résultat qui malgré son inexactitude, reculoit les bornes de l’univers, beaucoup au-delà de celles qu’on lui supposoit alors. Aristarque composa sur cet objet, son traité des grandeurs et des distances du soleil et de la lune, qui nous est parvenu : il y suppose les diamètres apparens de ces astres, égaux entr’eux et à la 180ème partie de la circonférence, ce qui est beaucoup trop considérable ; mais il rectifia sans doute cette erreur ; car nous tenons d’Archimède, qu’il réduisit le diamètre solaire, à la 720ème partie de la circonférence, ce qui tient le milieu entre les limites qu’Archimède lui-même, peu d’années après, assigna par un procédé très-ingénieux, à ce diamètre.

Aristarque fit revivre l’opinion de l’école pythagoricienne, sur le mouvement de la terre. Ses écrits sur cet objet, n’ayant pas été conservés, nous ignorons à quel point il avoit avancé par ce moyen, l’explication des phénomènes célestes : nous savons seulement que ce judicieux astronome, considérant que le mouvement de la terre n’affectoit point d’une manière sensible, la position apparente des étoiles, les avoit éloignées de nous, incomparablement plus que le soleil. Il paroît être ainsi dans l’antiquité, celui qui eut les plus justes notions de la grandeur de l’univers. Elles nous ont été transmises par archimède, dans son traité de arenario

ce grand

géomètre avoit découvert le moyen d’exprimer tous les nombres, en les concevant formés de périodes successives de myriades de myriades

les unités de la première étant les unités simples, celles de la seconde période étant des myriades de myriades, et ainsi de suite

il désignoit les parties de chaque période, par les mêmes caractères que les grecs employoient dans leur numération, jusqu’à cent millions ; et pour distinguer les périodes entr’elles, il les plaçoit à la gauche les unes des autres, en commençant par la plus simple. Cette ingénieuse idée, la base de notre systême d’arithmétique, paroît aujourd’hui, si facile, que nous en sentons à peine, le mérite ; mais nous pouvons l’apprécier par l’importance qu’y attachoit archimède. Pour en faire voir les avantages, il se propose dans son traité, d’exprimer le nombre des grains de sable que la sphère céleste peut contenir, problême dont il accroît la difficulté, en choisissant l’hypothèse qui donne à cette sphère, la plus grande étendue : c’est dans ce dessein, qu’il expose le sentiment d'Aristarque. La célébrité de son successeur eratosthène est principalement due à sa mesure de la terre, et à son observation de l’obliquité de l’écliptique. Ayant remarqué à syène, un puits dont le soleil éclairoit toute la profondeur, le jour du solstice d’été ; il observa la hauteur méridienne du soleil, au même solstice, à alexandrie ; et il trouva l’arc céleste compris entre les zéniths de ces deux villes, égal à la cinquantième partie de la circonférence ; et comme leur distance étoit estimée de 500 stades, eratosthène fixa à 250 mille stades, la longueur de la circonférence terrestre. L’incertitude où l’on est sur la valeur du stade employé par cet astronome, ne permet pas d’apprécier l’exactitude de cette mesure. Aristote, cléomède, possidonius et ptolémée ont donné quatre autres évaluations de la circonférence de la terre, et qui la portent à 400, 300, 240, et 180 mille stades. Les rapports très-simples de ces mesures entr’elles, donnent lieu de penser qu’elles sont la traduction d’une même mesure, en stades différens. Le stade alexandrin étoit de quatre cents grandes coudées de la même longueur que le nilomètre du caire, qui, selon freret, n’a point changé depuis un grand nombre de siècles, et remonte au-delà de sésostris : sa grandeur est de 0 me, 556125, ce qui donne 222 me, 450, pour la valeur du stade alexandrin auquel le côté de la base de la grande pyramide d’egypte se trouve égal, comme si en élevant ce vaste et durable monument, on se fût proposé de conserver l’unité des mesures itinéraires. Il est naturel de supposer que ce stade est celui de ptolémée ; et dans ce cas, la circonférence de la terre est suivant cet astronome, de 40041000 mètres, ce qui diffère peu du résultat des mesures actuelles qui la fixent à 40000000 mètres. Si les mesures de possidonius, de cléomède et d’aristote, sont identiques avec celle de ptolémée ; les stades correspondans sont de 166 me, 837 ; 133 me, 470 ; et 100 me, 102, en sorte que le stade d’aristote est à fort peu près notre hectomètre ; or en comparant aux distances actuelles, les anciennes distances d’un grand nombre de lieux connus, on retrouve dans l’antiquité, ces divers stades, avec une précision qui rend vraisemblable, l’identité de ces quatre mesures de la terre ; il est donc probable qu’elles dérivent toutes, d'une mesure très-ancienne et fort exacte ; soit qu’elle ait été exécutée avec un grand soin, soit que les erreurs des observations se soient mutuellement compensées, comme il est arrivé à la mesure de la terre par fernel, et même à celle de picard. Nous savons, il est vrai, que possidonius a mesuré lui-même, un arc du méridien terrestre, et son opération comporte peu d’exactitude, autant que l’on en peut juger par le détail qui nous en est parvenu ; mais on est fondé à croire qu’il ne s’est proposé que de vérifier les anciennes mesures de la terre, qu’il a conservées, en les trouvant à-peu-près d’accord avec la sienne. L’observation de l’obliquité de l’écliptique, par eratosthène, est précieuse, en ce qu’elle confirme sa diminution connue à priori , par la théorie de la pesanteur. Il trouva la distance des tropiques, moindre que 53, 06 degrés, et plus grande que 52, 96 degrés ; ce qui, par un milieu, donne 26,50 degrés pour l’obliquité de l’écliptique. Hipparque et Ptolémée ne firent dans la suite, aucun changement à ce résultat. De tous les astronomes de l’antiquité, Hipparque de Bithynie est celui qui, par le grand nombre et la précision de ses observations, par les conséquences importantes qu’il sut tirer de leur comparaison entr’elles et avec les observations antérieures, et par la méthode qui le guida dans ses recherches, mérita le mieux de l’astronomie. Il fleurit à Alexandrie, vers l’an 140 avant l'ère chrétienne. Peu content de ce que l’on avoit fait jusqu’alors, Hipparque voulut tout recommencer, et n’admettre que des résultats fondés sur une nouvelle discussion des observations, ou sur des observations nouvelles plus exactes que celles de ses prédécesseurs. Rien ne prouve mieux l’incertitude des observations égyptiennes et caldéennes sur le soleil et les étoiles, que la nécessité où il se trouva, d’employer les observations des premiers astronomes de l’école d’Alexandrie, pour établir ses théories du soleil et de la précession des équinoxes. Il détermina la durée de l’année tropique, en comparant une de ses observations du solstice d’été, avec celle qu’Aristarque de Samos avoit faite cent quarante-cinq ans auparavant ; et il trouva cette durée de 365,24667 jours. Elle est en excès, d’environ quatre minutes et demie ; mais il remarqua lui-même, le peu d’exactitude d’une détermination fondée sur l’observation des solstices, et l’avantage d’employer à cet objet, les observations des équinoxes. Hipparque reconnut qu’il s’écouloit 187 jours, depuis l’équinoxe du printemps, jusqu’à celui d'automne ; et 178 jours seulement, de ce dernier équinoxe, à celui du printemps ; il observa encore que ces deux intervalles étoient inégalement partagés par les solstices, de manière qu’il s'écouloit 94 jours et demi, de l’équinoxe du printemps, au solstice d’été ; et 92 jours et demi, de ce solstice à l’équinoxe d’automne.

Pour expliquer ces différences, hipparque fit mouvoir le soleil uniformément dans un orbe circulaire ; mais au lieu de placer la terre à son centre, il l’en éloigna de la vingt-quatrième partie du rayon, et il fixa l’apogée, au sixième degré des gémeaux. Au moyen de ces données, il forma les premières tables du soleil, dont il est fait mention dans l’histoire de l’astronomie. L’équation du centre qu’elles supposent, étoit trop considérable ; on peut soupçonner que leur comparaison avec les éclipses dans lesquelles cette équation paroît augmentée de l’équation annuelle de la lune, a confirmé hipparque dans son erreur, et peut-être même l’a produite. Il se trompoit encore, en regardant comme un cercle, l’orbe elliptique du soleil ; et la vîtesse réelle de cet astre, comme étant uniforme. Nous sommes assurés aujourd’hui, du contraire, par les mesures de son diamètre apparent ; mais ce genre d’observations étoit impossible au temps d’hipparque ; et ses tables du soleil, malgré leur imperfection, sont un monument durable de son génie, que ptolémée, trois siècles après, respecta sans y toucher. Ce grand astronome considéra ensuite, les mouvemens de la lune ; il mesura la durée de sa révolution, par la comparaison des éclipses ; il détermina l’excentricité et l’inclinaison de son orbite, les mouvemens de ses nœuds et de son apogée, et sa parallaxe dont il essaya de conclure celle du soleil, par la largeur du cône d'ombre terrestre, au point où la lune le traverse dans ses éclipses ; ce qui le conduisit à-peu-près, au résultat d’aristarque. Il fit un grand nombre d’observations des planètes ; mais trop amateur de la vérité, pour proposer sur leurs mouvemens, des théories incertaines, il laissa le soin de les établir, à ses successeurs. Une nouvelle étoile qui parut de son temps, lui fit entreprendre un catalogue de ces astres, pour mettre la postérité en état de reconnoître les changemens que le spectacle du ciel pourroit éprouver dans la suite : il sentoit d’ailleurs, l’importance de ce catalogue, pour les observations de la lune et des planètes. La méthode dont il se servit, est celle qu’aristille et timocharis avoient déjà employée, et la même que nous avons exposée dans le premier livre. Le fruit de cette longue et pénible entreprise, fut l’importante découverte de la précession des équinoxes. En comparant ses observations, à celles de ces astronomes ; hipparque reconnut que les étoiles avoient changé de situation par rapport à l’équateur, et qu’elles avoient conservé la même latitude au-dessus de l'écliptique ; en sorte que pour expliquer ces changemens divers, il suffisoit de donner à la sphère céleste, autour des pôles de l’écliptique, un mouvement direct d’où résultoit un mouvement rétrograde, dans les équinoxes comparés aux étoiles. Mais il présenta sa découverte, avec la réserve que devoit lui inspirer le peu d’exactitude des observations d’aristille et de timocharis. La géographie est redevable à hipparque, de la méthode de fixer les lieux sur la terre, par leur latitude, et par leur longitude pour laquelle il employa le premier, les éclipses de lune. Les nombreux calculs qu’exigèrent toutes ces recherches, firent naître dans ses mains, la trigonométrie sphérique. Ses principaux ouvrages ne nous sont point parvenus ; ils ont péri avec la bibliothèque d’alexandrie, et nous ne connoissons bien ses travaux, que par l’almageste de ptolémée. L’intervalle de près de trois siècles, qui sépare ces deux astronomes, offre quelques observateurs tels qu’agrippa, menelaus et theon de smirne. Nous remarquons encore, dans cet intervalle, la réforme du calendrier par jules-césar, et la connoissance précise du flux et du reflux de la mer. Possidonius reconnut les loix de ce phénomène qui, par ses rapports évidens avec les mouvemens du soleil et de la lune, appartient à l’astronomie, et dont pline le naturaliste a donné une description remarquable par son exactitude. Ptolémée né à ptolémaïde en egypte, fleurit à alexandrie, vers l’an 130 de l’ère chrétienne. Hipparque avoit conçu le projet de réformer l’astronomie, et de l’établir sur de nouveaux fondemens : ptolémée reprit ce projet trop vaste pour être exécuté par un seul homme ; et dans son grand ouvrage intitulé almageste , il donna un traité complet de cette science. Sa découverte la plus importante, est celle de l’évection de la lune. Jusqu’à lui, on n’avoit considéré les mouvemens de cet astre, que relativement aux éclipses : en le suivant dans tout son cours , ptolémée reconnut que l’équation du centre de l’orbe lunaire, est plus petite dans les sysigies que dans les quadratures ; il détermina la loi de cette différence, et il en fixa la valeur, avec une grande précision. Pour la représenter, il fit mouvoir la lune, sur un épicicle porté par un excentrique, suivant la méthode attribuée au géomètre appollonius, et dont hipparque avoit fait usage. Ce fut dans l’antiquité, une opinion générale, que le mouvement uniforme et circulaire, comme le plus parfait et le plus simple, devoit être celui des astres. Cette erreur s’est maintenue jusqu’à kepler qu’elle a, pendant long-temps, arrêté dans ses recherches . Ptolémée l’adopta, et plaçant la terre au centre des mouvemens célestes, il essaya de représenter leurs inégalités, dans ces fausses hypothèses. Eudoxe avoit déjà imaginé pour cet objet, d’attacher chaque planète, à plusieurs sphères concentriques douées de mouvemens de rotation, divers ; mais cette grossière hypothèse, incompatible d’ailleurs, avec les variations des distances des astres à la terre, mérite à peine que l’on en fasse mention dans l’histoire de l’astronomie. Une idée beaucoup plus ingénieuse, consiste à faire mouvoir sur une première circonférence dont la terre occupe le centre, celui d’une seconde circonférence sur laquelle se meut le centre d’une troisième circonférence, et ainsi de suite, jusqu' à la dernière circonférence que l’astre décrit uniformément. Si le rayon d’une de ces circonférences, surpasse la somme des autres rayons

le mouvement apparent de l’astre autour de la terre, est composé d’un moyen mouvement uniforme, et de plusieurs inégalités dépendantes des rapports qu’ont entr’eux, les rayons des diverses circonférences, et les mouvemens de leurs centres et de l’astre

on

peut donc, en multipliant et en déterminant convenablement ces quantités, représenter les inégalités de ce mouvement apparent. Telle est la manière la plus générale d’envisager l’hypothèse des épicicles et des excentriques, que ptolémée adopta dans ses théories du soleil, de la lune et des planètes, qu’il eût pu rendre beaucoup plus simples, par une combinaison plus heureuse des épicicles et de leurs mouvemens. Il supposa ces astres mûs autour de la terre, dans cet ordre de distances ; la lune, mercure, vénus, le soleil, mars, jupiter et saturne. Les astronomes étoient partagés sur la place que devoient occuper vénus et mercure : les plus anciens dont ptolémée suivit l’opinion, les mettoient au-dessous du soleil ; quelques autres les plaçoient au-dessus ; enfin, les egyptiens les faisoient mouvoir autour de cet astre. Il est singulier que ptolémée n’ait pas même fait mention de cette dernière hypothèse qui revenoit à placer le soleil, au centre des épicicles de ces deux planètes, au lieu de les faire tourner autour d’un centre imaginaire. Mais persuadé que son systême pouvoit seul, convenir aux trois planètes supérieures, il est vraisemblable qu’il le transporta aux deux inférieures, égaré par une fausse application du principe de l’uniformité des loix de la nature, qui, s’il étoit parti de la découverte des egyptiens sur les mouvemens de mercure et de vénus, l’auroit conduit au vrai systême du monde. Si l’on peut, au moyen des épicicles, satisfaire aux inégalités du mouvement apparent des astres ; il est impossible de représenter à-la-fois, les variations de leurs distances. Au temps de ptolémée, ces variations étoient bien peu sensibles relativement aux planètes dont on ne pouvoit pas alors mesurer avec exactitude, les diamètres apparens. Mais les observations de la lune suffisoient pour lui montrer l’erreur de ses hypothèses suivant lesquelles le diamètre de la lune périgée dans les quadratures, seroit double de son diamètre apogée dans les sysigies. Les mouvemens des planètes en latitude, formoient de nouveaux embarras dans son systême ; chaque inégalité nouvelle que l’art d’observer, en se perfectionnant, faisoit découvrir, le surchargeoit d’un nouvel épicicle ; ainsi, au lieu d’avoir été confirmé par les progrès ultérieurs de l’astronomie, il n’a fait que se compliquer de plus en plus, et cela seul doit nous convaincre que ce systême n’est point celui de la nature. Mais en le considérant comme un moyen d’assujétir au calcul, les mouvemens célestes ; cette première tentative sur un objet aussi compliqué, fait honneur à la sagacité de son auteur. Telle est la foiblesse de l’esprit humain, qu’il a souvent besoin de s’aider d' hypothèses, pour lier entr’eux les phénomènes et pour en déterminer les loix : en bornant les hypothèses à cet usage ; en évitant de leur attribuer une réalité qu’elles n’ont point, et en les rectifiant sans cesse, par de nouvelles observations ; on parvient enfin aux causes véritables, ou du moins, on peut y suppléer et conclure des phénomènes observés, ceux que de nouvelles circonstances doivent développer. L’histoire de la philosophie nous offre plus d’un exemple des avantages que peuvent, sous ce point de vue, procurer les hypothèses, et des erreurs auxquelles on s’expose en les réalisant. Ptolémée confirma le mouvement des équinoxes, découvert par hipparque : en comparant ses observations, à celles de ses prédéces seurs, il établit l’immobilité respective des étoiles, leur latitude constante au-dessus de l’écliptique, et leur mouvement en longitude, qu’il trouva de 111 secondes par année, comme hipparque l’avoit soupçonné. Nous savons aujourd’hui, que ce mouvement étoit à fort peu près de 154 secondes, ce qui, vu l’intervalle compris entre les observations d’hipparque et de ptolémée, semble supposer une erreur de plus d’un degré, dans leurs observations. Malgré la difficulté que la détermination de la longitude des étoiles, présentoit à des observateurs qui n’avoient point de mesure exacte du temps

on est surpris qu’ils aient commis d’aussi grandes erreurs, sur tout, quand on considère l’accord des observations que ptolémée cite à l’appui de son résultat. On lui a reproché de les avoir altérées

mais

ce reproche n’est point fondé : son erreur sur le mouvement annuel des équinoxes, paroît venir de sa trop grande confiance dans les résultats d’hipparque sur la grandeur de l’année tropique, et sur le mouvement du soleil. En effet, ptolémée a déterminé la longitude des étoiles, en les comparant au soleil par le moyen de la lune, ou à la lune elle-même, ce qui revenoit à les comparer au soleil, puisque le mouvement synodique de la lune étoit bien connu par les éclipses ; or hipparque ayant supposé l’année trop longue, et par conséquent le mouvement du soleil en longitude, plus petit que le véritable, il est clair que cette erreur a diminué les longitudes du soleil et de la lune, dont ptolémée a fait usage ; le mouvement annuel en longitude, qu’il attribuoit aux étoiles, est donc trop petit, de l’arc décrit par le soleil, dans un temps égal à l’erreur d’hipparque sur la longueur de l’année. Au temps d’hipparque, l’année tropique étoit de 365, 24234 jours ; ce grand astronome la supposoit de 365, 24667 jours ; la différence est de 433 secondes, et pendant cet intervalle, le soleil décrit un arc de 47 secondes : en l'ajoutant à la précession annuelle de 111 secondes, déterminée par ptolémée, on a 158 secondes pour la précession qu’il auroit trouvée, s’il étoit parti de la vraie grandeur de l’année tropique ; et alors, son erreur n’eût été que de 4 secondes. Cette remarque nous conduit à examiner si, comme on le pense généralement, le catalogue des étoiles de ptolémée, est celui d’hipparque, réduit à son temps, au moyen d’une précession annuelle de 111 secondes. On se fonde sur ce que l’erreur constante des longitudes des étoiles, dans ce catalogue, disparoît quand on le rapporte au temps d’hipparque. Mais l’explication que nous venons de donner de cette erreur, justifie ptolémée, du reproche qu’on lui a fait , de s’être attribué l’ouvrage d’hipparque ; et il paroît juste de l’en croire, lorsqu’il dit positivement qu’il a observé les étoiles de son catalogue, celles même de la sixième grandeur. Il remarque en même temps, qu’il a retrouvé à très-peu près les mêmes positions des étoiles , qu’Hipparque avoit déterminées par rapport à l’écliptique ; en sorte que les différences de ces positions, dans les deux catalogues, devoient être peu considérables. Ainsi, les observations de ptolémée sur les étoiles, et la véritable valeur qu’il a assignée à l'évection, déposent en faveur de son exactitude, comme observateur. à la vérité, les trois équinoxes qu’il a observés, sont fautifs

mais

il paroît que trop prévenu pour les tables solaires d’hipparque, il fit coïncider avec elles, ses observations des équinoxes, alors très-délicates, et dont le seul dérangement de son armille, suffit pour expliquer les erreurs. L’édifice astronomique élevé par ptolémée, a subsisté pendant près de quatorze siècles ; aujourd’hui même, qu’il est entièrement détruit, son almageste considéré comme le dépôt des anciennes observations, est un des plus précieux monumens de l’antiquité. Ptolémée n’a pas rendu moins de services à la géographie, en rassemblant toutes les déterminations de longitude et de latitude , des lieux connus ; et en jetant les fondemens de la méthode des projections, pour la construction des cartes géographiques. Il a fait un traité d’optique, dont on voit une traduction latine manuscrite, à la bibliothèque nationale, et dans lequel il a exposé avec étendue, le phénomène des réfractions astronomiques : il a encore écrit divers traités sur la chronologie, la musique, la gnomonique et la mécanique. Tant de travaux sur un si grand nombre d’objets, supposent un esprit vaste, et lui assurent un rang distingué dans l'histoire des sciences. Quand son systême astronomique eut fait place à celui de la nature ; on se vengea sur son auteur, du despotisme avec lequel il avoit régné trop long-temps : on accusa ptolémée, de s’être approprié les découvertes de ses prédécesseurs. Mais de son temps, les ouvrages d’hipparque et des astronomes d’alexandrie, étoi ent assez connus, pour le rendre excusable de n’avoir pas distingué ce qui leur appartenoit, de ses propres découvertes. Quant au règne trop long de ses erreurs, il faut l’attribuer aux causes qui ont replongé l’europe dans l’ignorance. à la renaissance des lettres, son systême réunissant à l’attrait de la nouveauté, l’autorité de ce qui est ancien, se seroit maintenu plus long-temps encore, si les diverses parties en eussent été mieux combinées. La réputation de ptolémée a éprouvé le même sort, que celles d’aristote et de descartes : leurs erreurs n’ont pas été plutôt reconnues, que l’on a passé d’une admiration aveugle, à un injuste mépris ; car, dans les sciences mêmes, les révolutions les plus utiles n’ont point été exemptes de passion et d’injustice.


CHAPITRE III.


De l’Astronomie des Arabes, des Chinois et des Perses.


Aux travaux de Ptolémée, se terminent les progrès de l’astronomie, dans l’école d’Alexandrie. Cette école subsista encore pendant cinq siècles ; mais les successeurs d’Hipparque et de Ptolémée se bornèrent à commenter leurs ouvrages, sans ajouter à leurs découvertes ; et si l’on excepte deux éclipses rapportées par Théon, et quelques observations de Thius à Athènes ; les phénomènes que le ciel offrit dans un intervalle de plus de six cents ans, manquèrent d’observateurs. Rome pendant long-temps, le séjour des vertus, de la gloire et des lettres, ne fit rien d’utile aux sciences. La considération attachée dans la république, à l’éloquence et aux talens militaires, entraîna tous les esprits : les sciences qui n’y présentoient aucun avantage, durent être négligées au milieu des conquêtes que son ambition lui fit entreprendre, et des troubles intérieurs qui l’agitèrent, et qui toujours croissant, produisirent enfin les guerres civiles dans lesquelles son inquiette liberté expira, pour faire place au despotisme souvent orageux de ses empereurs. Le déchirement de l’Empire, suite inévitable de sa trop vaste étendue, amena sa décadence ; et le flambeau des sciences, éteint par les irruptions des barbares, ne se ralluma que chez les Arabes.

Ce peuple exalté par le fanatisme, après avoir étendu sa religion et ses armes, sur une grande partie de la terre, se fût à peine, reposé dans la paix ; qu’il se livra aux sciences et aux lettres, avec ardeur. Peu de temps auparavant, il en avoit détruit le plus beau monument, en réduisant en cendres la fameuse bibliothèque d’Alexandrie. En vain le philosophe Philoponus demanda avec instance, qu’elle fût conservée : Si ces livres, répondit Omar, sont conformes à l’alcoran, ils sont inutiles ; ils sont détestables, s’ils s’ils lui sont contraires . Ainsi périt ce trésor immense de l' érudition et du génie. Bientôt, le repentir et les regrets suivirent cette exécution barbare ; et les arabes ne tardèrent pas à sentir que par cette perte irréparable, ils s’étoient privés du fruit le plus précieux de leurs conquêtes. Vers le milieu du huitième siècle, le calife almansor encouragea d’une manière spéciale, l’astronomie ; mais parmi les princes arabes que distingua leur amour pour les sciences, l’histoire cite principalement almamoun, de la famille des abassides, et fils du fameux aaron reschid, si célèbre dans l’asie. Almamoun régnoit à bagdad , en 814 ; vainqueur de l’empereur grec, michel iii, il imposa pour une des conditions de la paix, qu’on lui fourniroit les meilleurs livres de la grèce ; l’almageste fut de ce nombre ; il le fit traduire en arabe, et répandit ainsi, les connoissances astronomiques qui avoient illustré l’école d’alexandrie. Non content d'encourager les savans, par ses bienfaits, il fut lui-même observateur : il détermina l’obliquité de l’écliptique, et fit mesurer un degré de la terre, dans une vaste plaine de la mésopotamie. Les encouragemens donnés à l’astronomie, par ce prince et ses successeurs, produisirent un grand nombre d’astronomes recommandables, parmi lesquels albatenius occupe une des premières places. On lui doit une observation de l’obliquité de l'écliptique, qui corrigée de la réfraction et de la parallaxe, donne 26, 2182 degrés pour cette obliquité, vers l’an 880. Toutes les observations arabes donnent à-peu-près le même résultat d’où l’on tire une diminution séculaire d’environ 159 secondes. Albatenius trouva le mouvement annuel des équinoxes, égal à 168, 3 secondes, et la durée de l’année tropique égale à 365, 24 056 jours. Le premier de ces élémens est en excès de 14 secondes ; le second est trop foible de plus d’une minute et demie ; mais ces erreurs dépendent uniquement des observations de ptolémée, auxquelles albatenius compara ses observations : il auroit beaucoup plus approché de la vérité, en employant celles d’hipparque. Ce grand astronome perfectionna la théorie du soleil ; il réduisit à 0, 03465, la distance du centre de la terre, à celui de son orbe supposé circulaire et d’un rayon égal à l’unité ; ce qui donne 0, 017 325, pour l’excentricité de l’ellipse solaire. Elle étoit 0, 016814, au commencement de 1750 ; sa diminution dans l’intervalle d' environ 870 ans, auroit donc été de 0, 000511. La théorie de la pesanteur , en adoptant les valeurs les plus probables des masses des planètes, donne 0, 0003967, pour cette diminution ; la différence est dans les limites des erreurs dont ces valeurs et les observations d'albatenius sont susceptibles. Ces mêmes observations le conduisirent à la découverte du mouvement propre de l’apogée du soleil ; il l’observa dans 24, 76 degrés des gémeaux, plus avancé depuis hipparque, qu’il ne devoit l’être à raison du mouvement seul des équinoxes. Suivant nos meilleures tables, le lieu de l’apogée étoit dans 26, 23 degrés des gémeaux , en 880 ; la détermination d’albatenius n’est donc en erreur que d’un degré et demi, ce qui, par rapport à un élément aussi délicat, est d'une grande précision pour son siècle. Ces résultats sont précieux par leur exactitude, et sur-tout parce qu’ils confirment directement la diminution de l’excentricité de l’orbe solaire, démontrée par la théorie de la pesanteur, et par l’équation séculaire de la lune. Ils doivent inspirer une grande confiance dans l’observation de l’obliquité de l’écliptique, qu’albatenius dit avoir faite avec soin, en prenant toutes les précautions indiquées dans l’almageste. Enfin , il rectifia au moyen des éclipses, les élémens des tables de la lune de ptolémée. Ces travaux d’albatenius, consignés dans son ouvrage sur la science des étoiles , et quelques observations de l’obliquité de l’écliptique, ont été, pendant long-temps, les seuls monumens connus de l’astronomie arabe. Un fragment précieux d’ib junis, traduit par le citoyen caussin, vient d’accroître nos connoissances en ce genre . Ib junis astronome du calife d’egypte, aziz-ben-hakim, observa au caire, vers l’an mil. Il rédigea un grand traité d’astronomie, et construisit des tables des mouvemens célestes, célèbres dans l'orient, par leur exactitude, et qui paroissent avoir servi de fondement aux tables formées depuis, par les arabes et les perses. La bibliothèque nationale de france, possède une partie de ces tables : les vingt -deux premiers chapitres du traité d’astronomie, sont en manuscrit, dans la bibliothèque de leyde ; c’est de-là qu’est extrait le fragment dont je viens de parler. On y voit depuis le siècle d’almanzor, jusqu’au temps d’ib junis, une longue suite d’observations d’éclipses, d’équinoxes, de solstices, de conjonctions des planètes, et d’occultations d’étoiles, observations extrêmement importantes pour la perfection des théories astronomiques, et qui ont mis hors de doute, les équations séculaires de la lune, par rapport au soleil, à son périgée et à ses nœuds, les diminutions séculaires de l’excentricité de l'orbe terrestre, et de son inclinaison à l’équateur, et le mouvement du périgée de cet orbe, dont ib junis a déterminé la position, plus exactement encore, qu’albatenius. Les astronomes arabes étoient parvenus à reconnoître l’inexactitude des observations de ptolémée sur les équinoxes ; et en comparant leurs propres observations, soit entr’elles, soit à celles d’hipparque, ils avoient fixé avec une grande précision, la longueur de l’année : celle d’ib junis, n'excède la nôtre que de 4, 2 secondes. Il paroît par cet ouvrage, et par les titres de plusieurs manuscrits existans dans nos bibliothèques, que les arabes se sont spécialement occupés de la perfection des instrumens astronomiques : les traités qu’ils ont laissés sur cet objet, prouvent l'importance qu’ils y attachoient, et cette importance garantit la justesse de leurs observations. Ils apportèrent encore un soin particulier , à la mesure du temps, par les clepsidres à eau, par d’immenses cadrans solaires, et même par les vibrations du pendule. Mais leur activité pour les observations, ne s’étendit point à la recherche des causes ; et sur ce point, ils ne firent aucun changement au systême de ptolémée. Les perses soumis long-temps, aux mêmes souverains que les arabes, et professant la même religion, secouèrent vers le milieu de l’onzième siècle, le joug des califes. à cette époque, leur calendrier reçut par les soins de l’astronome omar cheyam, une forme nouvelle fondée sur l’intercalation ingénieuse de huit années bissextiles en trente-trois ans, intercalation que dominique cassini proposa vers la fin du dernier siècle, comme plus exacte et plus simple que l’intercalation grégorienne, ignorant que les perses depuis long-temps, en faisoient usage. Holagu ilecoukan, un de leurs souverains, rassembla les astronomes les plus instruits, à maragha où il fit construire un magnifique observatoire dont il confia la direction à nass ir-eddin. Mais aucun prince de cette nation ne se distingua plus par son zèle pour l’astronomie, qu’ulugh-beigh que l’on doit mettre au rang des plus grands observateurs. Il dressa lui-même, à samarcande capitale de ses états, un nouveau catalogue d’étoiles , et les meilleures tables du soleil et des planètes, que l’on ait eues avant ticho brahé. Il fixa la précession annuelle des équinoxes, à 159 secondes, et mesura en 1437, avec un grand appareil d'instrumens, l’obliquité de l’écliptique, qu’il trouva égale à 26, 1475 degrés. Un siècle et demi auparavant, l’astronomie chinoise nous offre plusieurs observations du soleil, faites avec beaucoup de soin, au moyen d’un gnomon fort élevé, par cocheouking astronome très-recommandable. La caille en a conclu la longueur de l’année , conforme à celle que nous avons adoptée ; et l’obliquité de l’écliptique , égale à 26, 1519 degrés, en 1278, époque de ces observations ; d'où résulte une diminution séculaire de 153 secondes. C’est en me fondant principalement sur ces observations et sur celles d’albatenius, que j’ai évalué cette diminution, à 154, 3 secondes. L’histoire de l’astronomie chinoise fait encore mention de quelques occultations des étoiles par les planètes, et d’un assez grand nombre d’éclipses de soleil et de lune. Il existe sans doute, dans les manuscrits que renferment nos bibliothèques, d’autres observations qui répandroient un grand jour sur la théorie des inégalités séculaires des mouvemens célestes, et sur la vraie valeur des masses des planètes, l’une des principales choses que laisse à desirer l’astronomie moderne. La recherche de ces observations doit fixer particulièrement l’attention des savans versés dans les langues orientales ; car les grandes variations du systême du monde, ne sont pas moins intéressantes à connoître, que les révolutions des empires.


CHAPITRE IV.


De l’Astronomie dans l’Europe moderne.


C’est aux Arabes, que l’Europe moderne doit les premiers rayons de lumière, qui ont dissipé les ténèbres dont elle a été enveloppée pendant plus de douze siècles. Ils nous ont transmis avec gloire, le dépôt des connoissances qu’ils avoient reçu des Grecs disciples eux-mêmes des Égyptiens : mais par une fatalité déplorable, les sciences et les arts ont disparu chez tous ces peuples, à mesure qu’ils les ont communiqués. Depuis long-temps, le despotisme étend sa barbarie sur les belles contrées qui en ont été le berceau ; et les noms qui les ont autrefois rendues célèbres, y sont maintenant inconnus.

Alphonse, roi de Castille, fut un des premiers souverains qui encouragèrent l’astronomie renaissante en Europe. Cette science compte peu de protecteurs aussi zélés ; mais il fut mal secondé par les astronomes qu’il avoit rassemblés à grands frais ; et les tables qu’ils publièrent, ne répondirent point aux dépenses excessives qu’elles avoient occasionnées. Doué d’un esprit juste, Alphonse étoit choqué de l’embarras de tous les cercles dans lesquels on faisoit mouvoir les corps célestes ; il sentoit que les moyens de la nature devoient être beaucoup plus simples : Si Dieu, disoit-il, m’avoit appelé à son conseil, les choses eussent été dans un meilleur ordre. Par ces mots taxés d’impiété, il faisoit entendre que l’on étoit encore loin de connoître le mécanisme de l’univers. Au temps d’Alphonse, l’Europe dut aux encouragemens de Frédéric ii, empereur d’Allemagne, la première traduction latine de l’Almageste de Ptolémée, que l’on fit sur la version arabe.

Nous arrivons enfin à l’époque célèbre où l’astronomie sortant de la sphère étroite qui l’avoit renfermée jusqu’alors, s’éleva par des progrès rapides et continus, à la hauteur où nous la voyons. Purbach, regiomontanus, et waltherus, préparèrent ces beaux jours de la science ; et copernic les fit naître par l'explication heureuse des phénomènes célestes, au moyen des mouvemens de la terre sur elle-même et autour du soleil. Choqué comme alphonse, de l’extrême complication du systême de ptolémée ; il chercha dans les anciens philosophes, une disposition plus simple de l'univers. Il reconnut que plusieurs d’entr’eux, avoient mis vénus et mercure en mouvement autour du soleil ; que nicétas, au rapport de cicéron, faisoit tourner la terre sur son axe, et par ce moyen, affranchissoit la sphère céleste, de l’inconcevable vîtesse qu' il falloit lui supposer pour accomplir sa révolution diurne. Aristote et plutarque lui apprirent que les pythagoriciens faisoient mouvoir la terre et les planètes, autour du soleil qu’ils plaçoient au centre du monde. Ces idées lumineuses le frappèrent : il les appliqua aux observations astronomiques que le temps avoit multipliées ; et il eut la satisfaction de les voir se plier sans effort, à la théorie des mouvemens de la terre. La révolution diurne du ciel ne fut qu' une illusion due à la rotation de la terre, et la précession des équinoxes se réduisit à un léger mouvement dans l’axe terrestre. Les cercles imaginés par ptolémée, pour expliquer les mouvemens alternativement directs et rétrogrades des planètes, disparurent : copernic ne vit dans ces singuliers phénomènes, que des apparences produites par la combinaison du mouvement de la terre autour du soleil, avec celui des planètes ; et il en conclut les dimensions respectives de leurs orbes, jusqu’alors ignorées. Enfin, tout annonçoit dans ce systême, cette belle simplicité qui nous charme dans les moyens de la nature, quand nous sommes assez heureux pour les connoître. Copernic le publia dans son ouvrage sur les révolutions célestes

pour ne pas révolter les préjugés reçus, il le

présenta comme une hypothèse. " les astronomes, dit-il, dans sa dédicace au pape paul iii, s’étant permis d’imaginer des cercles, pour expliquer les mouvemens des astres ; j’ai cru pouvoir également examiner si la supposition du mouvement de la terre, rend plus exacte et plus simple, la théorie de ces mouvemens " . Ce grand homme ne fut pas témoin du succès de son ouvrage : il mourut presque subitement d’un flux de sang, à l’âge de soixante-onze ans, peu de jours après en avoir reçu le premier exemplaire. Né à thorn dans la prusse polonaise, le 19 février 1473, il apprit dans la maison paternelle, les langues grecque et latine, et il alla continuer ses études à cracovie. Ensuite, entraîné par son goût pour l’astronomie, et par la réputation que regiomontanus avoit laissée ; le desir de s’illustrer dans la même carrière, lui fit entreprendre le voyage de l’italie où cette science étoit enseignée avec succès. Il suivit à bologne, les leçons de dominique maria : venu à rome, ses talens lui méritèrent une place de professeur : enfin , il quitta cette ville, pour se fixer à fravenberg où son oncle alors évêque de warmie, le pourvut d’un canonicat. Ce fut dans ce tranquille séjour, que par trente-six ans d’observations et de méditations, il établit sa théorie du mouvement de la terre. à sa mort, il fut inhumé dans la cathédrale de fravenberg, sans pompe et sans épitaphe : mais sa mémoire subsistera aussi long-temps que les grandes vérités qu’il a reproduites avec une évidence qui a enfin, dissipé les illusions des sens, et surmonté les difficultés que leur opposoit l’ignorance des loix de la mécanique. Ces vérités eurent encore à vaincre des obstacles d’un autre genre, et qui naissant d’un fonds respecté, les auroient étouffées ; si les progrès rapides de toutes les sciences mathématiques n'eussent concouru à les affermir. La religion fut invoquée pour détruire un systême astronomique ; et l’on tourmenta par des persécutions réitérées, l’un de ses défenseurs, dont les découvertes honoroient son siècle et sa patrie. Rethicus disciple de copernic, fut le premier qui en adopta les idées ; mais elles ne prirent une grande faveur, que vers le commencement du dix-septième siècle, et elles la durent principalement aux travaux et aux malheurs de galilée. Un hasard heureux venoit de faire connoître le plus merveilleux instrument que l’industrie humaine ait découvert, et qui en donnant aux observations astronomiques, une étendue et une précision inespérée, a fait appercevoir dans les cieux, des inégalités nouvelles et de nouveaux mondes. Galilée eut à peine connoissance des premiers essais sur le télescope, qu’il s’attacha à le perfectionner. En le dirigeant vers les astres, il découvrit les quatre satellites d e jupiter, qui lui montrèrent une nouvelle analogie de la terre avec les planètes : il reconnut ensuite, les phases de vénus, et dès-lors, il ne douta plus de son mouvement autour du soleil. La voie lactée lui offrit un nombre infini de petites étoiles que l'irradiation confond à la vue simple, dans une lumière blanche et continue : les points lumineux qu’il apperçut au-delà de la ligne qui sépare la partie éclairée, de la partie obscure de la lune, lui firent connoître l’existence et la hauteur de ses montagnes. Enfin, il observa les apparences occasionnées par l’anneau de saturne, les taches et la rotation du soleil. En publiant ces découvertes, il fit voir qu'elles prouvoient incontestablement, le mouvement de la terre ; mais la pensée de ce mouvement, fut déclarée hérétique, par une congrégation de cardinaux ; et galilée, son plus célèbre défenseur, fut cité au tribunal de l’inquisition, et forcé de se rétracter, pour échapper à une prison rigoureuse. Une des plus fortes passions, est l’amour de la vérité, dans l’homme de génie. Plein de l’enthousiasme qu’une grande découverte lui inspire, il brûle de la répandre, et les obstacles que lui opposent l’ignorance et la superstition armées du pouvoir, ne font que l’irriter et accroître son énergie. Galilée convaincu par ses propres observations, du mouvement de la terre, médita long-temps un nouvel ouvrage dans lequel il se proposoit d’en développer les preuves. Mais pour se dérober à la persécution dont il avoit failli être victime, il imagina de les présenter sous la forme de dialogues entre trois interlocuteurs dont l’un défendoit le systême de copernic, combattu par un péripatéticien. On sent que l'avantage restoit au défenseur de ce systême ; mais galilée ne prononçant point entr’eux, et faisant valoir autant qu’il étoit possible, les objections des partisans de ptolémée, devoit s’attendre à jouir d’une tranquillité que lui méritoient ses travaux et son grand âge. Le succès de ces dialogues, et la manière triomphante avec laquelle toutes les difficultés contre le mouvement de la terre, y étoient résolues, réveillèrent l’inquisition. Galilée à l’âge de soixante et dix ans, fut de nouveau cité à ce tribunal. La protection du grand-duc de toscane ne put empêcher qu’il y comparût. On l’enferma dans une prison où l’on exigea de lui, un second désaveu de ses sentimens, avec menace de la peine de relaps, s’il continuoit d’enseigner le systême de copernic. On lui fit signer cette formule d’abjuration ; moi, galilée, à la soixante et dixième année de mon âge, constitué personnellement en justice, étant à genoux, et ayant devant les yeux, les saints évangiles que je touche de mes propres mains ; d’un cœur et d’une foi sincère, j’abjure, je maudis et je déteste l’absurdité, l’erreur, l’hérésie du mouvement de la terre, etc.

quel spectacle, que celui d’un vénérable vieillard, illustre par une longue vie consacrée toute entière à l’étude de la nature, abjurant à genoux, contre le témoignage de sa propre conscience, la vérité qu’il avoit prouvée avec évidence ! Un décret de l’inquisition le condamna à une prison perpétuelle : il fut élargi après une année , par les sollicitations du grand-duc ; mais pour l’empêcher de se soustraire au pouvoir de l’inquisition, on lui défendit de sortir du territoire de florence. Né à pise en 1564, il annonça de bonne heure, les talens qu’il développa dans la suite. La mécanique lui doit plusieurs découvertes dont la plus importante est sa théorie de la chute des graves. Galilée étoit occupé de la libration de la lune, lorsqu’il perdit la vue ; il mourut trois ans après, à arcetri, en 1642, emportant avec lui, les regrets de l’europe éclairée par ses travaux, et indignée du jugement porté contre un aussi grand homme, par un odieux tribunal. Pendant que ces choses se passoient en italie ; kepler dévoiloit en allemagne, les loix des mouvemens planétaires. Mais avant que d’exposer ses découvertes ; il convient de remonter plus haut, et de faire connoître les progrès de l’astronomie, dans le nord de l'europe, depuis la mort de copernic. L’histoire de cette science nous offre à cette époque, un grand nombre d’excellens observateurs. L’un des plus illustres, fut guillaume iv, landgrave de hesse-cassel. Il fit bâtir à cassel, un observatoire qu’il munit d’instrumens travaillés avec soin, et dans lequel il observa long-temps, lui-même. Il s’attacha deux astronomes distingués, rothman, et juste byrge ; et ticho fut redevable à ses pressantes sollicitations, des avantages que lui procura frédéric, roi de dannemarck. Ticho brahé, l’un des plus grands observateurs qui aient existé, naquit à knudsturp en norwège. Son goût pour l’astronomie se manifesta dès l’âge de quatorze ans, à l’occasion d’une éclipse de soleil, arrivée en 1560. à cet âge où il est si rare de réfléchir , la justesse du calcul qui avoit annoncé ce phénomène, lui inspira le vif desir d’en connoître les principes ; et ce desir s’accrut encore, par les oppositions qu’il éprouva de la part de son gouverneur et de sa famille. Il voyagea en allemagne où il contracta des liaisons de correspondance et d’amitié avec les savans et les amateurs les plus distingués de l’astronomie, et particulièrement avec le landgrave de hesse-cassel, qui le reçut de la manière la plus flatteuse. De retour dans sa patrie, il y fut fixé par frédéric son souverain, qui lui donna la petite île d’huene, à l’entrée de la mer baltique. Ticho y fit bâtir un observatoire célèbre sous le nom d’ uranibourg

là, pendant un séjour de vingt-un ans, il fit un amas prodigieux d’observations, et plusieurs découvertes importantes. à la mort de frédéric, l’envie déchaînée contre ticho, le força d’abandonner sa retraite. Son retour à copenhague n’assouvit point la rage de ses persécuteurs ; un ministre, (son nom, comme celui de tous les hommes qui ont abusé de leur pouvoir, pour arrêter le progrès de la raison, doit être livré à l’exécration de tous les âges) walchendorp lui fit défendre de continuer ses observations. Heureusement, ticho retrouva un protecteur puissant dans l’empereur rodolphe ii, qui se l’attacha par une pension considérable, et le logea commodément à prague. Une mort imprévue l’enleva dans cette ville, le 24 octobre 1601, au milieu de ses travaux, et dans un âge où l’astronomie pouvoit encore en attendre de grands services. De nouveaux instrumens inventés, et des perfections nouvelles ajoutées aux anciens ; une précision beaucoup plus grande dans les observations ; un catalogue d’étoiles fort supérieur à ceux d’hipparque et d’ulug-beigh ; la découverte de l’inégalité de la lune, nommée variation

celle des inégalités du mouvement des

nœuds et de l’inclinaison de l’orbe lunaire ; la remarque intéressante que les comètes sont au-delà de cet orbe ; une connoissance plus parfaite des réfractions astronomiques ; enfin, des observations très-nombreuses des planètes, qui ont servi de base aux découvertes de kepler ; tels sont les principaux services que ticho brahé a rendus à l’astronomie. Frappé des objections que les adversaires de copernic opposoient au mouvement de la terre, et peut-être entraîné par la vanité de donner son nom à un systême astronomique, il méconnut celui de la nature. Suivant lui, la terre est immobile au centre de l’univers ; tous les astres se meuvent chaque jour, autour de l' axe du monde ; et le soleil, dans sa révolution annuelle, emporte avec lui les planètes. Dans ce systême déjà connu, les apparences sont les mêmes que dans celui du mouvement de la terre. On peut généralement considérer tel point que l’on veut, par exemple, le centre de la lune, comme immobile ; pourvu que l’on transporte en sens contraire, à tous les astres, le mouvement dont il est animé. Mais n’est-il pas physiquement absurde, de supposer la terre sans mouvement dans l’espace, tandis que le soleil entraîne les planètes au milieu desquelles elle est comprise ? La distance de la terre au soleil, si bien d’accord avec la durée de sa révolution, dans l' hypothèse du mouvement de la terre, pouvoit-elle laisser sur la vérité de cette hypothèse, des doutes à un esprit fait pour sentir la force de l’analogie ? Il faut l’avouer, ticho, quoique grand observateur, ne fut pas heureux dans la recherche des causes : son esprit peu philosophique fut même imbu des préjugés de l’astrologie qu’il a essayé de défendre. Il seroit, cependant, injuste de le juger avec la même rigueur, que celui qui se refuseroit, de nos jours, à la théorie du mouvement de la terre, confirmée par les découvertes nombreuses faites depuis, en astronomie. Les difficultés que les illusions des sens opposoient alors à cette théorie, n’avoient point encore été complètement résolues : le diamètre apparent des étoiles, supérieur à leur parallaxe annuelle, donnoit à ces astres, dans cette théorie, un diamètre réel, plus grand que celui de l’orbe terrestre. Le télescope, en les réduisant à des points lumineux, a fait disparoître cette grandeur invraisemblable. On ne concevoit pas comment les corps détachés de la terre, pouvoient en suivre les mouvemens. Les loix de la mécanique, ont expliqué ces apparences

elles ont fait voir, ce que ticho révoquoit en doute, qu’un corps, en partant d’une grande hauteur, et abandonné à la seule action de la gravité, doit retomber à très-peu près, au pied de la verticale, en ne s’en écartant à l’orient, que d’une quantité très-difficile à observer, par sa petitesse ; en sorte que l’on éprouve maintenant, à s’assurer par une expérience directe, du mouvement de la terre, autant de difficulté que l’on en trouvoit alors, à prouver qu’il doit être insensible. Dans ses dernières années, ticho brahé eut pour disciple, et pour aide, kepler né en 1571 à viel, dans le duché de wirtemberg, et l’un de ces hommes rares que la nature donne de temps en temps aux sciences, pour en faire éclore les grandes théories préparées par les travaux de plusieurs siècles. La carrière des sciences lui parut d’abord peu propre à satisfaire l’ambition qu’il avoit de s’illustrer ; mais l’ascendant de son génie, et les exhortations de moestlin, le rappelèrent à l’astronomie, et il y porta toute l’activité d’une ame passionnée pour la gloire. Impatient de connoître la cause des phénomènes, le savant doué d’une imagination vive, l’entrevoit souvent, avant que les observations aient pu l’y conduire. Sans doute, il est plus sûr de remonter des phénomènes aux causes ; mais l’histoire des sciences nous prouve que cette marche lente n’a pas toujours été celle des inventeurs . Que d’écueils doit craindre celui qui prend son imagination pour guide ! Prévenu pour la cause qu’elle lui présente, loin de la rejeter lorsque les faits lui sont contraires, il les altère pour les plier à ses hypothèses ; il mutile, si je puis ainsi dire, l’ouvrage de la nature, pour le faire ressembler à celui de son imagination ; sans réfléchir que le temps détruit d’une main, ces vains phantômes, et de l'autre, affermit les résultats du calcul et de l’expérience. Le philosophe vraiment utile au progrès des sciences, est celui qui réunissant à une imagination profonde, une grande sévérité dans le raisonnement et dans les observations, est à-la-fois tourmenté par le désir de s’élever à la cause des phénomènes, et par la crainte de se tromper sur celle qu’il leur assigne. Kepler dut à la nature, le premier de ces avantages ; et le second, à ticho brahé. Ce grand observateur qu’il alla voir à prague, et qui, dans les premiers ouvrages de kepler, avoit démélé son génie , à travers les analogies mystérieuses des figures et des nombres dont ils étoient remplis, l’exhorta à observer, et lui procura le titre de mathémati cien impérial. La mort de ticho, arrivée peu d’années après, mit kepler en possession de la collection précieuse de ses observations ; et il en fit l’emploi le plus utile, en fondant sur elles, trois des plus importantes découvertes que l’on ait faites dans la philosophie naturelle. Ce fut une opposition de mars, qui détermina kepler à s’occuper de préférence, des mouvemens de cette planète. Son choix fut heureux, en ce que l’orbe de mars étant un des plus excentriques du systême planétaire, les inégalités de son mouvement sont plus sensibles, et doivent plus facilement et plus sûrement en faire découvrir les loix. Quoique la théorie du mouvement de la terre, eût fait disparoître la plupart des cercles dont ptolémée avoit embarrassé l’astronomie ; cependant copernic en avoit laissé subsister plusieurs, pour expliquer les inégalités réelles des corps célestes. Kepler trompé comme lui, par l’opinion que leurs mouvemens devoient être circulaires et uniformes, essaya long-temps de représenter ceux de mars, dans cette hypothèse. Enfin, après un grand nombre de tentatives qu’il a rapportées en détail, dans son fameux ouvrage de stella martis , il franchit l’obstacle que lui opposoit une erreur accréditée par le suffrage de tous les siècles : il reconnut que l’orbe de mars est une ellipse dont le soleil occupe un des foyers, et que la planète s’y meut de manière que le rayon vecteur mené de son centre à celui du soleil, décrit des aires proportionnelles au temps. Kepler étendit ces résultats à toutes les planètes, et publia en 1626, d’après cette théorie, les tables rudolphines, à jamais mémorables en astronomie, comme ayant été les premières fondées sur les véritables loix des mouvemens planétaires. Sans les spéculations des grecs, sur les courbes que forme la section du cône par un plan ; ces belles loix seroient peut-être, encore ignorées. L’ellipse étant une de ces courbes, sa figure alongée fit naître dans l’esprit de kepler, la pensée d’y mettre en mouvement, la planète mars dont il avoit reconnu que l’orbite étoit ovale ; et bientôt, au moyen des nombreuses propriétés que les anciens géomètres avoient trouvées sur les sections coniques, il s' assura de la vérité de cette hypothèse. L’histoire des sciences nous offre beaucoup d’exemples de ces applications de la géométrie pure, et de ses avantages ; car tout se tient dans la chaîne immense des vérités, et souvent une seule observation a suffi pour faire passer les plus stériles en apparence, de notre entendement, dans la nature dont les phénomènes ne sont que les résultats mathématiques d’un petit nombre de loix invariables. Le sentiment de cette vérité donna probablement, naissance aux analogies mystérieuses des pythagoriciens : elles avoient séduit kepler, et il leur fut redevable d’une de ses plus belles découvertes. Persuadé que les distances moyennes des planètes au soleil, devoient être réglées conformément à ces analogies ; il les compara long-temps, soit avec les corps réguliers de la géométrie, soit avec les intervalles des tons. Enfin, après dix-sept ans de méditations et de calculs, ayant eu l’idée de comparer les puissances des nombres qui les expriment ; il trouva que les quarrés des temps des révolutions des planètes, sont entr’eux comme les cubes des grands axes de leurs orbes ; loi très-importante, qu’il eut l’avantage de reconnoître dans le systême des satellites de jupiter, et qui s'étend à tous les systêmes de satellites. On doit être étonné que kepler n’ait pas appliqué aux comètes, les loix générales du mouvement elliptique. Mais égaré par une imagination ardente, il laissa échapper le fil de l’analogie qui devoit le conduire à cette grande découverte. Les comètes, suivant lui, n’étant que des météores engendrés dans l’éther ; il négligea d’étudier leurs mouvemens, et il s’arrêta au milieu de la carrière qu’il avoit ouverte, abandonnant à ses successeurs, une partie de la gloire qu’il pouvoit encore acquérir. De son temps, on commençoit à peine, à entrevoir la méthode de procéder dans la recherche de la vérité à laquelle le génie ne parvenoit que par instinct, en alliant souvent à ses découvertes, beaucoup d’erreurs. Au lieu de s'élever péniblement par une suite d’inductions, des phénomènes particuliers, à d’autres plus étendus, et de ceux-ci, aux loix générales de la nature ; il étoit plus facile et plus agréable de subordonner tous les phénomènes, à des rapports de convenance et d’harmonie, que l’imagination créoit et modifioit à son gré. Ainsi, kepler expliqua la disposition du systême solaire, par les loix de l’harmonie musicale. On le voit, même dans ses derniers ouvrages, se complaire dans ces chimériques spéculations, au point de les regarder comme l’ ame et la vie de l’astronomie. Il en a déduit l'excentricité de l’orbe terrestre, la densité du soleil, sa parallaxe, et d’autres résultats dont l’inexactitude aujourd’hui reconnue est une preuve des erreurs auxquelles on s’expose, en s’écartant de la route tracée par l'observation. Après avoir détruit les épicicles que copernic avoit conservés ; après avoir déterminé la courbe que les planètes décrivent autour du soleil, et découvert les loix de leurs mouvemens ; kepler touchoit de trop près, au principe dont ces loix dérivent, pour ne pas le pressentir. La recherche de ce principe exerça souvent son imagination active ; mais le moment n’étoit pas venu, de faire ce dernier pas qui demandoit une connoissance plus approfondie de la mécanique, et une géométrie plus perfectionnée. Cependant, au milieu des tentatives infructueuses de kepler, et de ses nombreux écarts ; l’enchaînement des vérités l’a conduit à des vues saines sur cet objet, dans l’ouvrage où il a présenté ses principales découvertes. " la gravité, dit-il dans son commentaire sur mars , n’est qu’une affection corporelle et mutuelle entre les corps semblables. Les corps graves ne tendent point au centre du monde, mais à celui du corps rond dont ils font partie ; et si la terre n' étoit pas sphérique, les graves ne tomberoient point vers son centre, mais vers différens points. Si la lune et la terre n’étoient pas retenues dans leurs distances respectives ; elles tomberoient l’une sur l’autre, la lune faisant les 53 sur 54 du chemin, et la terre faisant le reste, en les supposant également denses " . Il croit encore que l'attraction de la lune est la cause du flux et du reflux de la mer, et il soupçonne que les irrégularités du mouvement lunaire, sont produites par les actions combinées du soleil et de la terre, sur la lune. L’astronomie doit encore à kepler, plusieurs découvertes utiles. Son ouvrage sur l’optique, est plein de choses neuves et intéressantes ; il y explique le mécanisme de la vision, inconnu avant lui ; il y donne la vraie cause de la lumière cendrée de la lune ; mais il en fait hommage à son maître moestlin recommandable par cette découverte, et pour avoir rappelé kepler à l’astronomie, et converti galilée, au systême de copernic. Enfin, kepler, dans son ouvrage intitulé stereometria doliorum , a présenté sur l' infini, des vues qui ont influé sur la révolution que la géométrie a éprouvée à la fin du dernier siècle. Avec autant de droits à l’admiration, ce grand homme vécut dans la misère ; tandis que l’astrologie judiciaire, par-tout en honneur, étoit magnifiquement récompensée. Les astronomes de son temps, descartes lui-même et galilée qui pouvoient tirer le parti le plus avantageux de ses découvertes, ne paroissent pas en avoir senti l’importance. Heureusement, la jouissance de la vérité qui se dévoile à l’homme de génie, et la perspective de la postérité juste et reconnoissante, le consolent de l’ingratitude de ses contemporains. Kepler avoit obtenu des pensions qui lui furent toujours mal payées : étant allé à la diète de ratisbonne, pour en solliciter les arrérages ; il mourut dans cette ville, le 15 novembre 1630. Il eut dans ses dernières années, l’avantage de voir naître et d’employer la découverte des logarythmes, due à neper, baron écossois ; artifice admirable, ajouté à l’ingénieux algorythme des indiens, et qui en réduisant à quelques jours, le travail de plusieurs mois, double, si l’on peut ainsi dire, la vie des astronomes, et leur épargne les erreurs et les dégoûts inséparables des longs calculs ; invention d’autant plus satisfaisante pour l’esprit humain, qu’il l’a tirée en entier, de son propre fonds : dans les arts, l’homme se sert des matériaux et des forces de la nature, pour accroître sa puissance ; mais ici, tout est son ouvrage. Les travaux d’huyghens suivirent de près, ceux de kepler et de galilée. Très-peu d’hommes ont aussi bien mérité des sciences, par l’importance et la sublimité de leurs recherches. L'application du pendule aux horloges, est un des plus beaux présens que l’on ait faits à l’astronomie et à la géographie qui sont redevables de leurs progrès rapides, à cette heureuse invention, et à celle du télescope, dont il perfectionna considérablement la pratique et la théorie. Il reconnut au moyen des excellens objectifs qu’il parvint à construire, que les singulières apparences de saturne, sont produites par un anneau fort mince dont cette planète est environnée : son assiduité à les observer, lui fit découvrir un des satellites de saturne. La géométrie et la mécanique lui doivent un grand nombre de découvertes ; et si ce rare génie eût eu l’idée de combiner ses théorêmes sur la force centrifuge, avec ses belles recherches sur les développées, et avec les loix de kepler ; il eût enlevé à newton, sa théorie des mouvemens curvilignes, et celle de la pesanteur universelle. Mais c’est dans de semblables rapprochemens, que consistent les découvertes. Vers le même temps, hevelius se rendit utile à l’astronomie, par d’immenses travaux. Il a existé peu d’observateurs aussi infatigables : on regrette qu’il n’ait pas voulu adopter l’application des lunettes aux quarts de cercle, invention qui a donné aux observations, une précision jusqu’alors inconnue. à cette époque, l’astronomie prit un nouvel essor, par l’établissement des sociétés savantes. La nature est tellement variée dans ses productions et dans ses phénomènes, elle est si difficile à pénétrer dans ses causes ; que pour la connoître et la forcer à nous dévoiler ses loix, il faut qu’un grand nombre d’hommes réunissent leurs lumières et leurs efforts. Cette réunion est sur-tout nécessaire, quand les sciences, en s’étendant, se touchent et se demandent de mutuels secours. Alors, le physicien a recours au géomètre, pour s’élever aux causes générales des phénomènes qu’il observe ; et le géomètre interroge à son tour, le physicien, pour rendre ses recherches utiles, en les appliquant à l’expérience, et pour se frayer par ces applications mêmes, de nouvelles routes dans l’analyse. Mais le principal avantage des sociétés savantes, est l’esprit philosophique qui doit s’y introduire, et de-là, se répandre dans toute une nation, et sur tous les objets. Le savant isolé peut se livrer sans crainte, à l’esprit de systême ; il n’entend que de loin, la contradiction : mais dans une société savante, le choc des opinions systématiques finit bientôt par les détruire ; et le desir de se convaincre mutuellement, établit entre les membres, la convention de n'admettre que les résultats de l’observation et du calcul. Aussi, l'expérience a prouvé que depuis l’origine de ces établissemens, la vraie philosophie s’est généralement répandue. En donnant l’exemple de tout soumettre à l’examen d’une raison sévère ; ils ont fait disparoître les préjugés qui avoient régné trop long-temps dans les sciences, et que les meilleurs esprits des siècles précédens, avoient pa rtagés. Leur utile influence sur l’opinion, a dissipé des erreurs accueillies de nos jours, avec un enthousiasme qui, dans d'autres temps, les auroit perpétuées. Enfin, c’est dans leur sein ou par leurs encouragemens, que se sont formées ces grandes théories que leur genéralité met au-dessus de la portée du vulgaire ; et qui, se répandant par de nombreuses applications, sur la nature et sur les arts, sont d’inépuisables sources de lumières et de jouissances. De toutes les sociétés savantes, les deux plus célèbres par le grand nombre et l’importance des découvertes dans les sciences, et en particulier dans l’astronomie, sont l’académie des sciences de paris, et la société royale de londres. La première fut créée en 1666, par louis xiv qui pressentit l’éclat que les sciences et les arts devoient répandre sur son règne. Ce monarque dignement secondé par colbert, invita plusieurs savans étrangers, à venir se fixer dans sa capitale. Huyghens se rendit à cette invitation flatteuse ; il publia dans le sein de l’académie dont il fut un des premiers membres, son admirable ouvrage de horologio oscillatorio . Il auroit fini ses jours dans sa nouvelle patrie, sans l’édit désastreux qui, vers la fin du dernier siècle, priva la france de tant de citoyens utiles. Huyghens, en s’éloignant d’un pays dans lequel on proscrivoit la religion de ses ancêtres, se retira à la haye où il étoit né le 14 avril 1629 ; il y mourut le 15 juin 1695. Dominique cassini fut pareillement attiré à paris, par les bienfaits de louis xiv. Pendant quarante ans d’utiles travaux, il enrichit l’astronomie, d’une foule de découvertes ; telles sont, la théorie des satellites de jupiter, dont il détermina les mouvemens par les observations de leurs éclipses ; la découverte de quatre satellites de saturne ; celles de la rotation de jupiter, des bandes parallèles à son équateur, de la rotation de mars, de la lumière zodiacale ; la connoissance fort approchée de la parallaxe du soleil ; une table des réfractions, très-exacte ; et sur-tout, la théorie complète de la libration de la lune. Le grand nombre d’académiciens astronomes d’un rare mérite, et les bornes de ce précis historique, ne me permettent pas de rendre compte de leurs travaux ; je me contenterai d’observer que l’application du télescope au quart de cercle, l’invention du micromèt re et de l’héliomètre, la propagation successive de la lumière, la grandeur de la terre, son applatissement, et la diminution de la pesanteur à l’équateur, sont autant de découvertes sorties du sein de l’académie des sciences. L’astronomie n’est pas moins redevable à la société royale de londres, dont l’origine est de quelques années, antérieure à celle de l’académie des sciences. Parmi les astronomes qu’elle a produits, je citerai flamsteed, l’un des plus grands observateurs qui aient paru ; halley, illustre par des voyages entrepris pour l’avancement des sciences, par son beau travail sur les comètes, qui lui a fait découvrir le retour de la comète de 1759, et par l’idée ingénieuse d’employer les passages de vénus sur le soleil, à la détermination de sa parallaxe. Je citerai enfin, bradley, le modèle des observateurs, et célèbre à jamais par deux des plus belles découvertes que l’on ait faites en astronomie, l’aberration des fixes et la nutation de l’axe de la terre. Quand l’application du pendule aux horloges, et des lunettes au quart de cercle, eut rendu sensibles aux observateurs, les plus petits changemens dans la position des corps célestes, ils cherchèrent à déterminer la parallaxe annuelle des étoiles ; car il étoit naturel de penser qu’une aussi grande étendue que le diamètre de l’orbe terrestre, est encore sensible à la distance de ces astres. En les observant avec soin, dans toutes les saisons de l’année ; ils apperçurent de légères variations, quelquefois favorables, mais le plus souvent contraires aux effets de la parallaxe. Pour déterminer la loi de ces variations, il falloit un instrument d’un grand rayon, et divisé avec une précision extrême. L’artiste qui l’exécuta, mérite de partager la gloire de l’astronome qui lui doit ses découvertes. Graham, fameux horloger anglais, construisit un grand secteur avec lequel bradley reconnut en 1727, l’aberration des étoiles. Pour l’expliquer, ce grand astronome eut l’heureuse idée de combiner le mouvement de la terre, avec celui de la lumière, que roëmer avoit découvert à la fin du dernier siècle, au moyen des éclipses des satellites de jupiter. On doit être surpris qu' aucun des savans distingués qui existoient alors, et qui connoissoient le mouvement de la lumière, n’ait fait attention aux effets très-simples qui en résultent sur la position apparente des étoiles. Mais l'esprit humain si actif dans la formation des systêmes, a presque toujours attendu que l’observation et l’expérience lui aient fait connoître d’importantes vérités que le simple raisonnement eût pu lui découvrir. C’est ainsi que l’invention du télescope, a suivi de plus de trois siècles, celle des verres lenticulaires, et n’a même été due qu’au hasard. En 1745, bradley reconnut par l’observation, la nutation de l’axe terrestre. Dans toutes ces variations apparentes des étoiles, observées avec un soin extraordinaire, il n’apperçut rien qui indiquât une parallaxe sensible. Les mesures des degrés des méridiens terrestres et du pendule, multipliées dans les diverses parties du globe, opérations dont la france a donné l’exemple, en mesurant l’arc total du méridien, qui la traverse, et en envoyant des académiciens au nord et à l’équateur pour y observer la grandeur de ces degrés et l'intensité de la pesanteur ; l’arc du méridien, compris entre dunkerque et barcelone, déterminé par des opérations très-précises, et servant de base au systême de mesures, le plus naturel et le plus simple

les voyages entrepris pour observer les deux passages de vénus sur le soleil, en 1761 et 1769, et la connoissance exacte des dimensions du systême solaire, fruit de ces voyages ; l’invention des lunettes achromatiques, des montres marines, de l’octant et du cercle répétiteur ; la découverte de la planète uranus, faite par herschel, en 1781 ; celles de ses satellites, et de deux nouveaux satellites de saturne, dues au même observateur ; enfin, toutes les théories astronomiques perfectionnées, et tous les phénomènes célestes sans exception, ramenés au principe de la pesanteur universelle ; telles sont, avec les découvertes de bradley, les principales obligations dont l’astronomie est redevable à notre siècle qui en sera toujours avec le précédent, la plus glorieuse époque.


CHAPITRE V.


De la découverte de la pesanteur universelle.


Après avoir montré par quels efforts successifs, l’esprit humain s’est élevé à la connoissance des loix des mouvemens célestes ; il me reste à faire voir comment il est parvenu à découvrir le principe général dont ces loix dépendent.

Descartes essaya le premier, de ramener à la mécanique, les mouvemens des corps célestes : il imagina des tourbillons de matière subtile, au centre desquels il plaça ces corps ; les tourbillons des planètes entraînoient les satellites ; et le tourbillon du soleil entraînoit les planètes, les satellites et leurs tourbillons divers. Les mouvemens des comètes, dirigés dans tous les sens, ont fait disparoître ces tourbillons, comme ils avoient anéanti les cieux solides, et tout l’appareil des cercles imaginés par les anciens astronomes. Ainsi, Descartes ne fut pas plus heureux dans la mécanique céleste, que Ptolémée, dans l’astronomie ; mais leurs travaux n’ont point été inutiles aux sciences. Ptolémée nous a transmis à travers quatorze siècles d’ignorance, le petit nombre de vérités astronomiques que les anciens avoient découvertes. Descartes venu dans un temps où tous les esprits éprouvoient une fermentation qu’il avoit encore augmentée, et substituant aux vieilles erreurs, des erreurs plus séduisantes, soutenues de l’autorité de ses découvertes géométriques, a détruit l’empire d’Aristote et de Ptolémée, qu’une philosophie plus sage eût difficilement ébranlé. Mais en posant en principe, qu’il falloit commencer par douter de tout ; il nous a lui-même avertis de soumettre ses opinions, à un examen sévère ; et son systême n’a pas résisté long-temps, aux vérités nouvelles qui lui étoient opposées.

Il étoit réservé à Newton, de nous faire connoître le principe général des mouvemens célestes. La nature, en le douant d’un profond génie, prit encore soin de le placer à l’époque la plus favorable. Descartes avoit changé la face des sciences mathématiques, par l’application féconde de l’algèbre à la théorie des courbes et des fonctions variables : la géométrie de l’infini, dont cette théorie renfermoit le germe, commençoit à percer de toutes parts : Wallis, Wren et Huyghens venoient de trouver les loix du mouvement : les découvertes de Galilée sur la chute des graves, et d’Huyghens sur les développées et sur la force centrifuge, conduisoient à la théorie du mouvement dans les courbes : Kepler avoit déterminé celles que décrivent les planètes, et entrevu la gravitation universelle : enfin, Hook avoit très-bien vu que leurs mouvemens sont le résultat d’une force de projection, combinée avec la force attractive du soleil. La mécanique céleste n’attendoit ainsi pour éclore, qu’un homme de génie qui en généralisant ces découvertes, sût en tirer la loi de la pesanteur : c’est ce que newton exécuta dans son immortel ouvrage des principes mathématiques de la philosophie naturelle.

Cet homme célèbre à tant de titres, naquit à Woolstrop en Angleterre, sur la fin de 1642, l’année même de la mort de Galilée. Ses premières études en mathématiques, annoncèrent ce qu’il seroit, un jour ; une lecture rapide des livres élémentaires, lui suffit pour les entendre ; il parcourut ensuite, la géométrie de Descartes, l’optique de Kepler et l’arithmétique des infinis de Wallis ; et s’élevant bientôt à des inventions nouvelles, il fut avant l’âge de vingt-sept ans, en possession de son calcul des fluxions, et de sa théorie de la lumière. Jaloux de son repos, et redoutant les querelles littéraires qu’il eût mieux évitées, en publiant plutôt ses découvertes ; il ne se pressa point de les mettre au jour. Le docteur Barrow dont il fut le disciple et l’ami, se démit en sa faveur, de la place de professeur de mathématiques dans l’université de Cambridge. Ce fut pendant qu’il la remplissoit, que cédant aux instances de la société royale de Londres, et aux sollicitations de Halley, il publia son ouvrage des principes. L’université dont il étoit membre, le choisit pour son représentant, dans le parlement de convention de 1688, et dans celui qui fut convoqué en 1701. Il fut nommé directeur de la monnoie, et créé chevalier par la reine Anne ; élu en 1703, président de la Société royale, il le fut sans interruption jusqu’à sa mort arrivée en 1727. Enfin, il jouit de la plus haute considération pendant sa longue vie ; et sa nation dont il avoit fait la gloire, lui décerna les honneurs funèbres les plus distingués.

En 1666, Newton retiré à la campagne, dirigea pour la première fois, ses réflexions vers le systême du monde. La chute des corps, à très-peu près la même au sommet des plus hautes montagnes, comme à la surface de la terre, lui fit conjecturer que la pesanteur s’étend jusqu’à la lune, et qu’en se combinant avec le mouvement de projection de ce satellite, elle lui fait décrire un orbe elliptique, autour de la terre. Pour vérifier cette conjecture, il falloit connoître la loi de diminution de la pesanteur. Newton considéra que si la pesanteur terrestre retient la lune dans son orbite, les planètes doivent être pareillement retenues dans leurs orbes, par leur pesanteur vers le soleil, et il en démontra l’existence, par la loi des aires proportionnelles aux temps ; or il résulte du rapport entre les quarrés des temps des révolutions des planètes, et les cubes des grands axes de leurs orbes, que leur force centrifuge, et par conséquent, leur tendance vers le soleil, diminue en raison du quarré de leurs distances à cet astre ; Newton transporta donc à la terre, cette loi de diminution de la pesanteur. En partant des expériences sur la chute des graves ; il détermina la hauteur dont la lune abandonnée à elle-même, descendroit vers la terre, dans un court intervalle de temps. Cette hauteur est le sinus verse de l’arc qu’elle décrit dans le même intervalle, sinus que la parallaxe lunaire donne en parties du rayon terrestre ; ainsi, pour comparer à l’observation, la loi de la pesanteur réciproque au quarré des distances, il étoit nécessaire de connoître la grandeur de ce rayon. Mais Newton n’ayant alors, qu’une mesure fautive du méridien terrestre, parvint à un résultat différent de celui qu’il attendoit ; et soupçonnant que des forces inconnues se joignoient à la pesanteur de la lune, il abandonna ses premières idées. Quelques années après, une lettre du docteur hook lui fit rechercher la nature de la courbe décrite par les projectiles, autour du centre de la terre. Picard venoit de mesurer en France, un degré du méridien ; Newton reconnut au moyen de cette mesure, que la lune étoit retenue dans son orbite, par le seul pouvoir de la gravité supposée réciproque au quarré des distances. D’après cette loi, il trouva que la ligne décrite par les corps, dans leur chute, est une ellipse dont le centre de la terre occupe un des foyers : en considérant ensuite que les orbes des planètes sont pareillement des ellipses au foyer desquelles est placé le centre du soleil ; il eut la satisfaction de voir que la solution qu’il avoit entreprise par curiosité, s’appliquoit aux plus grands objets de la nature. Il rédigea plusieurs propositions relatives au mouvement elliptique des planètes ; et le docteur halley l’ayant engagé à les publier, il composa son ouvrage des principes, qui parut en 1687. Ces détails que nous tenons de pemberton contemporain et ami de newton qui les a confirmés par son témoignage, prouvent que ce grand géomètre avoit trouvé en 1666, les principaux théorêmes sur la force centrifuge, qu’huyghens ne publia que six ans après, à la fin de l’ouvrage de horologio oscillatorio . Il est très-croyable, en effet, que l’auteur de la méthode des fluxions, qui paroît avoir été dès-lors, en possession de cette méthode, a facilement découvert ces théorêmes. Newton étoit parvenu à la loi de diminution de la pesanteur, au moyen du rapport entre les quarrés des temps des révolutions des planètes, et les cubes des axes de leurs orbes supposés circulaires : il démontra que ce rapport a généralement lieu dans les orbes elliptiques, et qu’il indique une égale pesanteur des planètes vers le soleil, en les supposant à la même distance de son centre. La même égalité de pesanteur vers la planète principale, existe dans tous les systêmes de satellites ; et newton la vérifia sur les corps terrestres, par des expériences très-précises. En généralisant ensuite ces recherches, ce grand géomètre fit voir qu’un projectile peut se mouvoir dans une section conique quelconque, en vertu d’une force dirigée vers son foyer, et réciproque au quarré des distances ; il développa les diverses propriétés du mouvement dans ce genre de courbes ; il détermina les conditions nécessaires pour que la section soit un cercle, une ellipse, une parabole ou une hyperbole, conditions qui ne dépendent que de la vîtesse et de la position primitive du corps. Quelles que soient cette vî tesse, cette position et la direction initiale du mouvement ; newton assigna une section conique que le corps peut décrire, et dans laquelle il doit conséquemment, se mouvoir ; ce qui répond au reproche que lui fit jean bernoulli, de n’avoir point démontré que les sections coniques sont les seules courbes que puisse décrire un corps sollicité par une force réciproque au quarré des distances. Ces recherches appliquées au mouvement des comètes, lui apprirent que ces astres se meuvent autour du soleil, suivant les mêmes loix que les planètes, avec la seule différence que leurs ellipses sont très-alongées ; et il donna les moyens de déterminer par les observations, les élémens de ces ellipses. La comparaison de la distance et de la durée des révolutions des satellites, à celles des planètes, lui fit connoître les masses et les densités respectives du soleil et des planètes accompagnées de satellites, et l’intensité de la pesanteur à leur surface. En considérant que les satellites se meuvent autour de leurs planètes, à fort peu près comme si ces planètes étoient immobiles

il reconnut que tous ces corps obéissent à la même pesanteur vers le soleil. L’égalité de l’action et de la réaction ne lui permit point de douter que le soleil pèse vers les planètes, et celles-ci vers leurs satellites ; et même, que la terre est attirée par tous les corps qui pèsent sur elle. Il étendit ensuite par analogie, cette propriété , à toutes les parties des corps célestes ; et il établit en principe , que chaque molécule de matière attire tous les corps, en raison de sa masse, et réciproquement au quarré de sa distance au corps attiré . Parvenu à ce principe, newton en vit découler les grands phénomènes du systême du monde. En envisageant la pesanteur à la surface des corps célestes, comme la résultante des attractions de toutes leurs molécules ; il parvint à ces vérités remarquables, savoir : que la force attractive d’un corps ou d’une couche sphérique, sur un point placé au-dehors, est la même que si sa masse étoit réunie à son centre ; et qu’un point placé au-dedans d'une couche sphérique, et généralement d’une couche terminée par deux surfaces elliptiques semblables et semblablement placées, est également attiré de toutes parts. Il prouva que le mouvement de rotation de la terre, a dû l’applatir à ses pôles ; et il détermina les loix de la variation des degrés et de la pesanteur, en la supposant homogène. Il vit que l’action du soleil et de la lune sur le sphéroïde terrestre, doit produire un mouvement dans son axe de rotation, faire rétrograder les équinoxes, soulever les eaux de l’océan, et entretenir dans cette grande masse fluide, les oscillations que l’on y observe sous le nom de flux et reflux de la mer . Enfin, il s’assura que les inégalités du mouvement de la lune, sont dues aux actions combinées du soleil et de la terre, sur ce satellite. Mais à l’exception de ce qui concerne le mouvement elliptique des planètes et des comètes, l’attraction des corps sphériques, et l’intensité de la pesanteur à la surface du soleil et des planètes accompagnées de satellites ; toutes ces découvertes n’ont été qu’ébauchées par newton. Sa théorie de la figure des planètes, est limitée par la supposition de leur homogénéité. Sa solution du problême de la précession des équinoxes, quoique fort ingénieuse, et malgré l’accord apparent de son résultat avec les observations, est défectueuse à plusieurs égards. Dans le grand nombre des perturbations des mouvemens célestes, il n’a considéré que celles du mouvement lunaire dont la plus considérable, l’évection a échappé à ses recherches. Il a parfaitement établi l’existence du principe qu’il a découvert ; mais le développement de ses conséquences et de ses avantages, a été l’ouvrage des successeurs de ce grand géomètre. L’imperfection où le calcul de l’infini devoit être dans les mains de son inventeur, ne lui a pas permis de résoudre complètement, les problêmes difficiles qu’offre la théorie du systême du monde ; et il a été souvent forcé de ne donner que des apperçus toujours incertains, jusqu’à ce qu’ils soient vérifiés par un calcul rigoureux. Malgré ces défauts inévitables ; l’importance et la généralité des découvertes, un grand nombre de vues originales et profondes qui ont été le germe des plus brillantes théories des géomètres de ce siècle, tout cela présenté avec beaucoup d’élégance, assure à l’ouvrage des principes mathématiques de la philosophie naturelle, la prééminence sur les autres productions de l’esprit humain. Il n’en est pas des sciences, comme de la littérature : celle-ci a des limites qu’un homme de génie peut atteindre, lorsqu’il employe une langue perfectionnée : on le lit avec le même intérêt, dans tous les âges ; et le temps ne fait qu’ajoute r à sa réputation, par les vains efforts de ceux qui cherchent à l’imiter. Les sciences, au contraire, sans bornes, comme la nature, s’accroissent à l’infini, par les travaux des générations successives : le plus parfait ouvrage, en les portant à une hauteur d’où elles ne peuvent désormais descendre, donne naissance à des découvertes qui les élèvent au-dessus, et prépare ainsi des ouvrages qui doivent l’effacer. D’autres présenteront sous un point de vue plus général et plus simple, les théories exposées dans le livre des principes , et toutes les vérités qu’il a fait éclore ; mais il restera comme un monument éternel de la profondeur du génie qui nous a révélé la plus grande loi de l’univers. Cet ouvrage, et le traité non moins original du même auteur sur l’optique, ont encore le mérite d’être les meilleurs modèles que l’on puisse se proposer dans les sciences, et dans l’art délicat de faire les expériences, et de les assujétir au calcul. On y voit les plus heureuses applications de la méthode qui consiste à s’élever par une suite d’inductions, des principaux phénomènes aux causes, et à redescendre ensuite de ces causes, à tous les détails des phénomènes. Les loix générales sont empreintes dans tous les cas particuliers

mais elles y sont compliquées de tant de circonstances étrangères , que la plus grande adresse est souvent nécessaire, pour les faire ressortir. Il faut choisir ou faire naître les phénomènes les plus propres à cet objet, les multiplier pour en varier les circonstances, et observer ce qu’ils ont de commun entr’eux. Ainsi, l’on s'élève successivement à des rapports de plus en plus étendus, et l’on parvient enfin aux loix générales que l’on vérifie, soit par des preuves ou par des expériences directes, lorsque cela est possible, soit en examinant si elles satisfont à tous les phénomènes connus . Telle est la méthode la plus sûre qui puisse nous guider dans la recherche de la vérité. Aucun philosophe n’a été plus que newton , fidèle à cette méthode : elle l’a conduit à ses découvertes dans l’analyse, comme elle l’a fait parvenir au principe de la pesanteur universelle, et aux propriétés de la lumière. Les savans anglais contemporains de newton, l’adoptèrent à son exemple ; et elle fut la base d’un grand nombre d’excellens ouvrages qui parurent alors. Les philosophes de l’antiquité, suivant une route contraire, et se plaça nt à la source de tout, imaginèrent des causes générales pour tout expliquer. Leur méthode qui n’avoit enfanté que de vains systêmes, n’eut pas plus de succès entre les mains de descartes. Au temps de newton ; leibnitz, malebranche et d’autres philosophes l’employèrent avec aussi peu d’avantage. Enfin, l’inutilité des hypothèses qu’elle a fait imaginer, et les progrès dont les sciences sont redevables à la méthode des inductions, ont ramené les bons esprits, à cette dernière méthode que le chancelier bacon avoit établie avec toute la force de la raison et de l’éloquence, et que newton a plus fortement encore, recommandée par ses découvertes. C’est au moyen de la synthèse, que ce grand géomètre a exposé sa théorie du systême du monde. Il paroît cependant, qu’il avoit trouvé la plupart de ses théorêmes, par l’analyse dont il a considérablement reculé les limites, et à laquelle il convient lui-même, qu’il étoit redevable de ses résultats généraux sur les quadratures. Mais sa prédilection pour la synthèse, et sa grande estime pour la géométrie des anciens, lui firent traduire sous une forme synthétique, ses théorêmes et sa méthode même des fluxions ; et l’on voit par les règles et les exemples qu’il a donnés de ces traductions , dans plusieurs ouvrages, combien il y attachoit d’importance. On doit regretter avec les géomètres de son temps, qu’il n’ait pas suivi dans l’exposition de ses découvertes, la route par laquelle il y étoit parvenu, et qu’il ait supprimé les démonstrations de plusieurs résultats, tels que l’équation du solide de moindre résistance, préférant le plaisir de se faire deviner, à celui d’éclairer ses lecteurs. La connoissance de la méthode qui a guidé l’homme de génie, n’est pas moins utile au progrès des sciences, et même à sa propre gloire, que ses découvertes ; et le principal avantage que l’on a retiré de la fameuse dispute élevée entre leibnitz et newton, touchant l’invention du calcul infinitésimal, a été de faire connoître la marche de ces deux grands hommes, dans leurs premiers travaux analytiques. La préférence de newton pour la synthèse, peut s’expliquer par l’élégance avec laquelle il a pu lier sa théorie des mouvemens curvilignes, aux recherches des anciens sur les sections coniques, et aux belles découvertes qu’huyghens venoit de publier suivant cette méthode. La synthèse géométrique a d’ailleurs, la propriété de ne faire jamais perdre de vue son objet, et d'éclairer la route entière qui conduit des premiers axiomes, à leurs dernières conséquences ; au lieu que l’analyse algébrique nous fait bientôt oublier l’objet principal, pour nous occuper de combinaisons abstraites ; et ce n’est qu’à la fin, qu’elle nous y ramène. Mais en s' isolant ainsi des objets, après en avoir pris ce qui est indispensable pour arriver au résultat que l’on cherche ; en s’abandonnant ensuite aux opérations de l’analyse, et réservant toutes ses forces pour vaincre les difficultés qui se présentent ; on est conduit par la généralité de cette méthode, et par l’inestimable avantage de transformer le raisonnement, en procédés mécaniques, à des résultats souvent inaccessibles à la synthèse. La théorie du systême du monde, offre un grand nombre d’exemples de ce pouvoir de l’analyse à laquelle cette théorie doit une perfection qu’elle n’eut jamais acquise, si l’on se fût obstiné à suivre la route tracée par newton. Telle est la fécondité de l’analyse, qu’il suffit de traduire dans cette langue universelle, les vérités particulières ; pour voir sortir de leurs seules expressions, une foule de vérités nouvelles et inattendues . Aucune langue n’est autant susceptible de l’élégance qui naît du développement d’une longue suite d’expressions enchaînées les unes aux autres, et découlant toutes, d’une même idée fondamentale. L’analyse réunit encore à ces avantages, celui de pouvoir toujours conduire aux méthodes les plus simples ; il ne s’agit que de l’appliquer d’une manière convenable, par un choix heureux des inconnues, et en donnant aux résultats, la forme la plus facile à construire géométriquement, ou à réduire en calcul numérique. Aussi les géomètres de ce siècle, convaincus de sa supériorité, se sont principalement appliqués à étendre son domaine, et à reculer ses bornes. Cependant, les considérations géométriques ne doivent point être abandonnées : elles sont de la plus grande utilité dans les arts. D’ailleurs, il est curieux de se figurer dans l’espace, les divers résultats de l’analyse ; et réciproquement, de lire toutes les affections des lignes et des surfaces, et toutes les variations du mouvement des corps, dans les équations qui les expriment. Ce rapprochement de la géométrie et de l’analyse, répand un nouveau jour sur ces deux sciences : les opérations intellectuelles de celle-ci, rendues sensibles par les images de la première, sont plus faciles à saisir, plus intéressantes à suivre ; et quand l’observation réalise ces images, et transforme les résultats géométriques, en loix de la nature ; quand ces loix, en embrassant l’univers, dévoilent à nos yeux, ses états passés et à venir ; la vue de ce sublime spectacle, nous fait éprouver le plus noble des plaisirs réservés à la nature humaine. Environ cinquante ans s’écoulèrent depuis la découverte de la pesanteur, sans que l’on y ajoutât rien de remarquable : il fallut tout ce temps à cette grande vérité, pour être généralement comprise, et pour surmonter les obstacles que lui opposoient le systême des tourbillons, et l’autorité des géomètres contemporains de newton, qui la combattirent, peut-être par amour-propre ; mais qui cependant, en ont hâté le progrès, par leurs travaux sur l'analyse infinitésimale. Ensuite, leurs successeurs ont eu l’heureuse idée d’appliquer cette analyse aux mouvemens célestes, en les ramenant à des équations différentielles qu’ils ont intégrées rigoureusement, ou par des approximations convergentes : ils sont ainsi parvenus à expliquer par la loi de la pesanteur, tous les phénomènes connus du systême du monde, et à donner aux théories et aux tables astronomiques, une précision inespérée. Il a été nécessaire pour cet objet, de perfectionner à-la-fois, la mécanique, l’optique, et l’analyse, qui sont principalement redevables de leurs accroissemens rapides, aux besoins de la physique céleste. On pourra la rendre encore plus exacte et plus simple ; mais la postérité verra sans doute avec reconnoissance, que les géomètres de ce siècle ne lui auront transmis aucun phénomène astronomique, dont ils n’ayent déterminé la cause et les loix. On doit à la france, la justice d’observer que si l’angleterre a eu l’avantage de donner naissance à la découverte de la pesanteur universelle ; c’est principalement aux géomètres français, et aux encouragemens de l’académie des sciences, que sont dus les nombreux développemens de cette découverte, et la révolution qu’elle a produite dans l'astronomie.


CHAPITRE VI.


Considérations sur le Systême du monde, et sur les progrès futurs de l’Astronomie.


Arrêtons présentement nos regards sur la disposition du systême solaire, et sur ses rapports avec les étoiles. Le globe immense du soleil foyer de ses mouvemens, tourne en vingt-cinq jours et demi, sur lui-même ; sa surface est recouverte d’un océan de matière lumineuse dont les vives effervescences forment des taches variables, souvent très-nombreuses, et quelquefois plus larges que la terre. Au-dessus de cet océan, s’élève une vaste atmosphère : c’est au-delà que les planètes avec leurs satellites, se meuvent dans des orbes presque circulaires, et sur des plans peu inclinés à l’équateur solaire. D’innombrables comètes, après s'être approchées du soleil, s’en éloignent à des distances qui prouvent que son empire s’étend beaucoup plus loin que les limites connues du systême planétaire. Non-seulement cet astre agit par son attraction sur tous ces globes, en les forçant à se mouvoir autour de lui ; mais il répand sur eux, sa lumière et sa chaleur. Son action bienfaisante fait éclore les animaux et les plantes qui couvrent la terre, et l’analogie nous porte à croire qu’elle produit de semblables effets sur les planètes ; car il n’est pas naturel de penser que la matière dont nous voyons la fécondité se développer en tant de façons, est stérile sur une aussi grosse planète que Jupiter qui, comme le globe terrestre, a ses jours, ses nuits et ses années, et sur lequel les observations indiquent des changemens qui supposent des forces très-actives. L’homme fait pour la température dont il jouit sur la terre, ne pourroit pas, selon toute apparence, vivre sur les autres planètes : mais ne doit-il pas y avoir une infinité d’organisations relatives aux diverses températures des globes de cet univers ? Si la seule différence des élémens et des climats, met tant de variété dans les productions terrestres ; combien plus doivent différer celles des diverses planètes et de leurs satellites ? L’imagination la plus active ne peut s’en former aucune idée ; mais leur existence est très-vraisemblable. Quoique les élémens du systême des planètes, soient arbitraires ; cependant, ils ont entr’eux, des rapports très-remarquables qui peuvent nous éclairer sur son origine. En le considérant avec attention, on est étonné de voir toutes les planètes se mouvoir autour du soleil, d’occident en orient, et presque dans le même plan ; les satellites en mouvement autour de leurs planètes, dans le même sens et à-peu-près dans le même plan que ces planètes ; enfin, le soleil, les planètes et les satellites dont on a observé les mouvemens de rotation, tournant sur eux-mêmes, dans le sens et à-peu-près dans le plan de leurs mouvemens de projection. Un phénomène aussi extraordinaire n’est point l’effet du hasard

il indique une cause générale qui a déterminé tous ces mouvemens. Pour avoir par approximation, la probabilité avec laquelle cette cause est indiquée ; nous remarquerons que le systême planétaire, tel que nous le connoissons aujourd’hui, est composé de sept planètes et de dix-huit satellites ; on a observé les mouvemens de rotation du soleil, de cinq planètes, de la lune, des satellites de jupiter, de l’anneau de saturne et de son dernier satellite : ces mouvemens, avec ceux de révolution, forment un ensemble de trente-huit mouvemens dirigés dans le même sens, du moins, lorsqu’on les rapporte au plan de l’équateur solaire, auquel il paroît naturel de les comparer. Si l’on conçoit le plan d’un mouvement quelconque direct, couché d’abord sur celui de cet équateur, s’inclinant ensuite à ce dernier plan, et parcourant tous les degrés d'inclinaison, depuis zéro jusqu’à la demi-circonférence ; il est clair que le mouvement sera direct dans toutes les inclinaisons inférieures à cent degrés, et qu’il sera rétrograde dans les inclinaisons au-dessus ; en sorte que par le changement seul d’inclinaison, on peut représenter les mouvemens directs et rétrogrades. Le systême solaire, envisagé sous ce point de vue, nous offre donc trente-sept mouvemens dont les plans sont inclinés à celui de l’équateur solaire, tout au plus, du quart de la circonférence ; or en supposant que leurs inclinaisons aient été l’effet du hasard, elles auroient pu s'étendre jusqu’à la demi-circonférence ; et la probabilité que l’une d'elles, au moins, en eût surpassé le quart, seroit 1 moins 1 sur 2 puissance 37 ou 137438953471 sur 137438953472 ; il est donc extrêmement probable que la direction des mouvemens planétaires n’est point l’effet du hasard, et cela devient plus probable encore, si l’on considère que l’inclinaison du plus grand nombre de ces mouvemens à l’équateur solaire, est très-petite, et fort au-dessous du quart de la circonférence. Un autre phénomène également remarquable du systême solaire, est le peu d’excentricité des orbes des planètes et des satellites, tandis que ceux des comètes, sont fort alongés ; les orbes de ce systême n’offrant point de nuances intermédiaires entre une grande et une petite excentricité. Nous sommes encore forcés de reconnoître ici, l’effet d’une cause régulière ; le hasard seul n’eût point donné une forme presque circulaire, aux orbes de toutes les planètes ; il est donc nécessaire que la cause qui a déterminé les mouvemens de ces corps, les ait rendus presque circulaires. Il faut encore que cette cause ait influé sur la grande excentricité des orbes des comètes, et, ce qui est fort extraordinaire, sans avoir influé sur les directions de leurs mouvemens ; car en regardant les orbes des comètes rétrogrades, comme étant inclinés de plus de cent degrés, à l’écliptique, on trouve que l’inclinaison moyenne des orbes de toutes les comètes observées, approche beaucoup de cent degrés ; comme cela doit être, si ces corps ont été lancés au hasard. Ainsi l’on a, pour remonter à la cause des mouvemens primitifs du systême planétaire, les cinq phénomènes suivans : 1. Les mouvemens des planètes dans le même sens, et à-peu-près dans un même plan ; 2. Les mouvemens des satellites dans le même sens que ceux des planètes, 3. Les mouvemens de rotation de ces différens corps et du soleil, dans le même sens que leurs mouvemens de projection, et dans des plans peu différens ; 4. Le peu d’excentricité des orbes des planètes et des satellites ; 5. Enfin, la grande excentricité des orbes des comètes, quoique leurs inclinaisons aient été abandonnées au hasard. Buffon est le seul que je connoisse, qui, depuis la découverte du vrai systême du monde, ait essayé de remonter à l’origine des planètes et des satellites. Il suppose qu’une comète, en tombant sur le soleil, en a chassé un torrent de matière qui s’est réunie au loin, en divers globes plus ou moins grands, et plus ou moins éloignés de cet astre. Ces globes sont les planètes et les satellites qui, par leur refroidissement, sont devenus opaques et solides. Cette hypothèse satisfait au premier des cinq phénomènes précédens ; car il est clair que tous les corps ainsi formés, doivent se mouvoir à-peu-près dans le plan qui passoit par le centre du soleil, et par la direction du torrent de matière qui les a produits : les quatre autres phénomènes me paroissent inexplicables par son moyen. à la vérité, le mouvement absolu des molécules d’une planète, doit être alors dirigé dans le sens du mouvement de son centre de gravité ; mais il ne s’ensuit point que le mouvement de rotation de la planète, soit dirigé dans le même sens ; ainsi, la terre pourroit tourner d’orient en occident, et cependant, le mouvement absolu de chacune de ses molécules seroit dirigé d’occident en orient ; ce qui doit s’appliquer au mouvement de révolution des satellites, dont la direction, dans l’hypothèse dont il s’agit, n’est pas nécessairement la même que celle du mouvement de projection des planètes. Le peu d’excentricité des orbes planétaires est non-seulement très-difficile à expliquer dans cette hypothèse ; mais ce phénomène lui est contraire. On sait par la théorie des forces centrales, que si un corps mu dans un orbe rentrant autour du soleil, rase la surface de cet astre, il y reviendra constamment à chacune de ses révolutions ; d’où il suit que si les planètes avoient été primitivement détachées du soleil, elles le toucheroient à chaque révolution, et leurs orbes, loin d’être circulaires, seroient fort excentriques . Il est vrai qu’un torrent de matière, chassé du soleil, ne peut pas être exactement comparé à un globe qui rase sa surface ; l’impulsion que les parties de ce torrent, reçoivent les unes des autres, et l’attraction réciproque qu’elles exercent entr’elles, peut, en changeant la direction de leurs mouvemens, éloigner leurs périhélies, du soleil. Mais leurs orbes devroient toujours être fort excentriques, ou du moins, ils n’auroient pu avoir de petites excentricités, que par le hasard le plus extraordinaire. Enfin, on ne voit pas dans l’hypothèse de buffon, pourquoi les orbes d'environ quatre-vingt-dix comètes déjà observées, sont tous fort alongés ; cette hypothèse est donc très-éloignée de satisfaire aux phénomènes précédens. Voyons s’il est possible de s’élever à leur véritable cause. Quelle que soit sa nature ; puisqu’elle a produit ou dirigé les mouvemens des planètes et des satellites, il faut qu’elle ait embrassé tous ces corps ; et vu la distance prodigieuse qui les sépare, elle ne peut avoir été qu’un fluide d’une immense étendue. Pour leur avoir donné dans le même sens, un mouvement presque circulaire autour du soleil ; il faut que ce fluide ait environné cet astre, comme une atmosphère. La considération des mouvemens planétaires nous conduit donc à penser qu’en vertu d’une chaleur excessive, l’atmosphère du soleil s’est primitivement étendue au-delà des orbes de toutes les planètes, et qu’elle s’est resserrée successivement, jusqu’à ses limites actuelles ; ce qui peut avoir eu lieu par des causes semblables à celle qui fit briller du plus vif éclat, pendant plusieurs mois, la fameuse étoile que l’on vit tout-à-coup, en 1572, dans la constellation de cassiopée. La grande excentricité des orbes des comètes, conduit au même résultat. Elle indique évidemment, la disparition d’un grand nombre d’orbes moins excentriques ; ce qui suppose autour du soleil, une atmosphère qui s’est étendue au-delà du périhélie des comètes observables, et qui, en détruisant les mouvemens de celles qui l’ont traversée pendant la durée de sa grande étendue, les a réunies au soleil. Alors, on voit qu’il ne doit exister présentement, que les comètes qui étoient au-delà, dans cet intervalle ; et comme nous ne pouvons observer que celles qui approchent assez près du soleil, dans leur périhélie ; leurs orbes doivent être fort excentriques. Mais, en même temps, on voit que leurs inclinaisons doivent offrir les mêmes irrégularités, que si ces corps ont été lancés au hasard ; puisque l’atmosphère solaire n’a point influé sur leurs mouvemens. Ainsi, la longue durée des révolutions des comètes, la grande excentricité de leurs orbes, et la variété de leurs inclinaisons, s’expliquent très-naturellement, au moyen de cette atmosphère. Mais comment a-t-elle déterminé les mouvemens de révolution et de rotation des planètes ? Si ces corps avoient pénétré dans ce fluide, sa résistance les auroit fait tomber sur le soleil ; on peut donc conjecturer qu’ils ont été formés aux limites successives de cette atmosphère, par la condensation des zônes qu’elle a dû abandonner dans le plan de son équateur, en se refroidissant et en se condensant à la surface de cet astre ; comme on l’a vu dans le livre précédent. On peut conjecturer encore que les satellites ont été formés d’une manière semblable, par les atmosphères des planètes . Les cinq phénomènes exposés ci-dessus, découlent naturellement de ces hypothèses auxquelles les anneaux de saturne ajoutent un nouveau degré de vraisemblance. Enfin, si dans les zônes abandonnées successivement par l’atmosphère solaire, il s’est trouvé des molécules trop volatiles pour s’unir entr’elles ou aux corps célestes ; elles doivent, en continuant de circuler autour du soleil, nous offrir toutes les apparences de la lumière zodiacale, sans opposer une résistance sensible aux mouvemens des planètes. Quoi qu’il en soit de cette origine du systême planétaire, que je présente avec la défiance que doit inspirer tout ce qui n’est point un résultat de l’observation ou du calcul ; il est certain que ses élémens sont ordonnés de manière qu’il doit jouir de la plus grande stabilité, si des causes étrangères ne viennent point la troubler. Par cela seul que les mouvemens des planètes et des satellites sont presque circulaires, et dirigés dans le même sens et dans des plans peu différens ; ce systême ne fait qu’osciller autour d’un état moyen dont il ne s’écarte jamais que de quantités très-petites ; les moyens mouvemens de rotation et de révolution de ses différens corps, sont uniformes, et leurs distances moyennes aux foyers des forces principales qui les animent, sont constantes. Il semble que la nature ait tout disposé dans le ciel, pour assurer la durée de ce systême, par des vues semblables à celles qu’elle nous paroît suivre si admirablement sur la terre, pour la conservation des individus et la perpétuité des espèces. Cette considération seule expliqueroit la disposition du systême planétaire, si le philosophe ne devoit pas étendre plus loin sa vue, et chercher dans les loix primordiales de la nature, la cause des phénomènes le mieux indiqués par l’ordre de l’univers. Déjà , quelques-uns de ces phénomènes ont été ramenés à ces loix : ainsi , la stabilité de l’axe de la terre à sa surface, et celle de l'équilibre des mers, l’une et l’autre, si nécessaires à la conservation des êtres organisés, ne sont qu’un simple résultat du mouvement de rotation, et de la pesanteur universelle. Par sa rotation, la terre a été applatie à ses pôles, et son axe de révolution est devenu l’un des axes principaux autour desquels le mouvement de rotation est invariable. En vertu de leur pesanteur, les couches les plus denses se sont rapprochées du centre de la terre dont la moyenne densité surpasse ainsi celle des eaux qui la recouvrent ; ce qui suffit pour assurer la stabilité de l’équilibre des mers, et mettre un frein à la fureur des flots. Enfin, si les conjectures que je viens de proposer sur l’origine du systême planétaire, sont fondées ; la stabilité de ce systême est encore une suite des loix générales du mouvement. Ces phénomènes et quelques autres semblablement expliqués, nous autorisent à penser que tous dépendent de ces loix, par des rapports plus ou moins cachés, qui doivent être le principal objet de nos recherches ; mais dont il est plus sage d’avouer l’ignorance, que d’y substituer des causes imaginaires. Portons maintenant, nos regards, au-delà du système solaire. D’innombrables soleils qui peuvent être les foyers d’autant de systêmes planétaires, sont répandus dans l’immensité de l'espace, à un éloignement de la terre, tel que le diamètre entier de l'orbe terrestre, vu de leur centre, est insensible. Plusieurs étoiles éprouvent dans leur couleur et dans leur clarté, des variations périodiques très-remarquables : il en est d’autres qui ont paru tout-à-coup, et qui ont disparu, après avoir, pendant quelque temps, répandu une vive lumière. Quels prodigieux changemens ont dû s’opérer à la surface de ces grands corps, pour être aussi sensibles à la distance qui nous en sépare ? Combien ils doivent surpasser ceux que nous observons à la surface du soleil, et nous convaincre que la nature est loin d’être toujours et par-tout la même ? Tous ces corps devenus invisibles, sont à la place où ils ont été observés, puisqu’ils n’en ont point changé, durant leur apparition ; il existe donc dans l’espace céleste, des corps obscurs aussi considérables, et peut-être en aussi grand nombre, que les étoiles. Un astre lumineux de même densité que la terre, et dont le diamètre seroit deux cent cinquante fois plus grand que celui du soleil, ne laisseroit en vertu de son attraction, parvenir aucun de ses rayons jusqu’à nous ; il est donc possible que les plus grands corps lumineux de l'univers, soient par cela même, invisibles. Une étoile qui, sans être de cette grandeur, surpasseroit considérablement le soleil ; affoibliroit sensiblement la vîtesse de la lumière, et augmenteroit ainsi l’étendue de son aberration. Cette différence dans l’aberration des étoiles ; un catalogue de celles qui ne font que paroître, et leur position observée au moment de leur éclat passager ; la détermination de toutes les étoiles changeantes, et des variations périodiques de leur lumière ; enfin les mouvemens propres de tous ces grands corps qui, obéissant à leur attraction mutuelle, et probablement à des impulsions primitives, décrivent des orbes immenses ; tels seront, relativement aux étoiles, les principaux objets de l’astronomie future.

Il paroît que ces astres, loin d’être disséminés dans l’espace, à des distances à-peu-près égales, sont rassemblés en divers groupes formés chacun, de plusieurs milliards d’étoiles. Notre soleil et les plus brillantes étoiles font probablement partie d’un de ces groupes, qui vu du point où nous sommes, semble entourer le ciel, et forme la voie lactée. Le grand nombre d’étoiles que l’on apperçoit à-la-fois, dans le champ d’un fort télescope dirigé vers cette voie, nous prouve son immense profondeur qui surpasse mille fois, la distance de Sirius à la terre. En s’en éloignant, elle finiroit par offrir l’apparence d’une lumière blanche et continue, d’un petit diamètre ; car alors, l’irradiation qui subsiste, même dans les meilleurs télescopes, couvriroit et feroit disparoître les intervalles des étoiles ; il est donc vraisemblable que les nébuleuses sont, pour la plupart, des groupes d’étoiles, vus de très-loin, et dont il suffiroit de s’approcher, pour qu’ils présentassent des apparences semblables à la voie lactée. Les distances mutuelles des étoiles qui forment chaque groupe, sont au moins, cent mille fois plus grandes que la distance du soleil à la terre : ainsi l’on peut juger de la prodigieuse étendue de ces groupes, par la multitude innombrable d’étoiles que l’on observe dans la voie lactée. Si l’on réfléchit ensuite, au peu de largeur et au grand nombre des nébuleuses qui sont séparées les unes des autres , par un intervalle incomparablement plus grand que la distance mutuelle des étoiles dont elles sont formées ; l’imagination étonnée de l’immensité de l’univers, aura peine à lui concevoir des bornes. De ces considérations fondées sur les observations télescopiques, il résulte que les nébuleuses qui paroissent assez bien terminées , pour que l’on puisse observer leurs centres avec précision, sont par rapport à nous, les objets célestes les plus fixes, et ceux auxquels il convient de rapporter la position de tous les astres. Il en résulte encore, que les mouvemens des corps de notre systême solaire, sont très-composés. La lune décrit un orbe presque circulaire autour de la terre ; mais vue du soleil, elle décrit une suite d’épicicloïdes dont les centres sont sur la circonférence de l'orbe terrestre : pareillement, la terre décrit une suite d'épicicloïdes dont les centres sont sur la courbe que le soleil décrit autour du centre de gravité de notre nébuleuse : enfin, le soleil décrit lui-même, une suite d’épicicloïdes dont les centres sont sur la courbe tracée par le centre de gravité de notre nébuleuse, autour de celui de l'univers. L’astronomie a déjà fait un grand pas, en nous faisant connoître le mouvement de la terre, et la suite des épicicloïdes que la lune et les satellites décrivent sur les orbes des planètes. Il reste à déterminer l’orbe du soleil, et celui du centre de gravité de sa nébuleuse : mais s’il a fallu des siècles, pour connoître les mouvemens du systême planétaire ; quelle durée prodigieuse exige la détermination des mouvemens du soleil et des étoiles ? Les observations commencent à les faire appercevoir : on a essayé de les expliquer par le seul déplacement du soleil, que paroît indiquer son mouvement de rotation. Plusieurs observations sont assez bien représentées, en supposant le systême solaire, emporté vers la constellation d’hercule : d’autres observations semblent prouver que ces mouvemens apparens des étoiles, sont une combinaison de leurs mouvemens réels, avec celui du soleil. Le temps découvrira sur cet objet, des vérités curieuses et importantes. Il reste encore à faire sur notre propre systême, de nombreuses découvertes. La planète uranus et ses satellites, nouvellement reconnus, donnent lieu de soupçonner l’existence de quelques planètes jusqu’ici non observées. On n’est point encore parvenu à déterminer les mouvemens de rotation, et l’applatissement de plusieurs planètes, et de la plupart des satellites ; on ne connoît pas avec une précision suffisante, les masses de tous ces corps. La théorie de leurs mouvemens, est une suite d’approximations dont la convergence dépend à-la-fois, de la perfection des instrumens, et du progrès de l’analyse ; et qui par-là, doit acquérir de jour en jour, de nouveaux degrés d’exactitude. On déterminera par des mesures précises et multipliées, toutes les inégalités de la figure de la terre, et de la pesanteur à sa surface. Le retour des comètes déjà observées ; les nouvelles comètes qui paroîtront ; l’apparition de celles qui, mues dans des orbes hyperboliques, doivent errer de systême en systême ; les perturbations que tous ces astres éprouvent, et qui à l’approche d’une grosse planète, peuvent changer entièrement leurs orbites ; les accidens que la proximité et même le choc de ces corps, peuvent occasionner dans les planètes et dans les satellites ; enfin, les altérations que les mouvemens du systême solaire, éprouvent de la part des étoiles, et le développement de ses grandes inégalités séculaires, indiquées par la théorie de la pesanteur, et que déjà, l’observation fait entrevoir ; tels sont les principaux objets que ce systême offre aux recherches des astronomes et des géomètres futurs. L’astronomie considérée dans son ensemble, est le plus beau monument de l’esprit humain, le titre le plus noble de son intelligence. Séduit par les illusions des sens et de l’amour-propre, il s'est regardé long-temps, comme le centre du mouvement des astres ; et son vain orgueil a été puni par les frayeurs qu’ils lui ont inspirées. Enfin, plusieurs siècles de travaux ont fait tomber le voile qui couvroit le systême du monde. L’homme alors, s’est vu sur une planète presqu’imperceptible dans la vaste étendue du systême solaire qui lui-même, n’est qu’un point insensible dans l' immensité de l’espace. Les résultats sublimes auxquels cette découverte l'a conduit, sont bien propres à le consoler de l’extrême petitesse et du rang qu’elle assigne à la terre. Conservons avec soin, augmentons le dépôt de ces hautes connoissances, les délices des êtres pensans. Elles ont rendu d’importans services, à l’agriculture, à la navigation et à la géographie ; mais leur plus grand bienfait est d’avoir dissipé les craintes occasionnées par les phénomènes célestes, et détruit les erreurs nées de l’ignorance de nos vrais rapports avec la nature, erreurs d’autant plus funestes, que l’ordre social doit reposer uniquement sur ces rapports. Vérité, justice : voilà ses loix immuables. Loin de nous, la dangereuse maxime, qu’il est quelquefois utile de s’en écarter, et de tromper ou d’asservir les hommes, pour assurer leur bonheur : de fatales expériences ont prouvé dans tous les temps, que ces loix sacrées ne sont jamais impunément enfreintes.