Fédération de l’Amérique centrale

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GUATÉMALA[1].




FÉDÉRATION


DE


L’AMÉRIQUE CENTRALE.




Le Guatémala est un pays peu connu en Europe, où on le considère le plus souvent comme une province du Mexique. La révolution, qui l’a placé au rang des nations américaines, s’étant opérée sans secousse, méritait à peine de faire époque au milieu des sanglantes catastrophes qui ont marqué la longue lutte de l’Espagne et de ses colonies. Cette contrée est néanmoins, par sa position, d’une immense importance, et si, comme il y a lieu d’espérer, le canal de communication, entre les océans Pacifique et Atlantique, est établi à travers son territoire, le Guatémala doit nécessairement un jour, jouer un grand rôle dans les affaires du monde[2].

Le Guatémala occupe la partie méridionale de la prolongation de l’isthme de Panama. Baigné d’un côté par la mer des Caraïbes, et de l’autre par le grand Océan Boréal, il confine à l’E. et au N.-E. aux États-Unis mexicains, au S.-E. à la Colombie, et s’étend entre les 8° et 17° de latitude N., et entre les 84° 30′ et 96° 20′ de longitude O. du méridien de Paris.

Ce pays ne fut jamais soumis au Mexique. Gouverné par des rois particuliers, il opposa une résistance vigoureuse aux Espagnols, qui, sous la conduite de Pedro de Alvarado, lieutenant de Cortez, entreprirent sa conquête en 1527. Les naturels devaient même avoir fait d’assez grands progrès dans la civilisation, si l’on en juge par les ruines de leurs monumens épars çà et là dans le pays. Ce qu’on connaît de leurs lois témoigne hautement de leur sagesse et de leur équité. Trente nations différentes y habitaient à l’arrivée des premiers Espagnols. Las Casas assure que le Guatémala contenait alors la population la plus nombreuse du Nouveau-Monde, mais que les violences de la conquête le convertirent bientôt en un vaste désert. Le Honduras surtout offre un effrayant exemple de cette dépopulation. Des 400,000 indigènes que renfermait originairement cette province, à peine y en comptait-on 8,000 en 1550. Les guerres en avaient moissonné le plus grand nombre ; la famine et les maladies avaient aussi éclairci leurs rangs, et les autres, vendus comme esclaves, étaient morts dans les mines. Le vertueux évêque de Chiapa s’étant adressé à la cour de Castille, les naturels furent placés sous la protection de l’évêque de Guatémala, et goûtèrent enfin un peu de repos. M. de Humboldt a évalué la population de la république, en 1825, à 1,600,000 ames, et sa superficie à 16,740 lieues carrées.

Le Guatémala portait autrefois le titre de royaume, et était gouverné par un capitaine-général, indépendant du vice-roi du Mexique. Il renfermait les 4 évêchés de Guatémala, Léon, Ciudad-Réal et Comayagua. Sa capitale était le siége de l’audience, de la cour prétoriale, d’une chambre des comptes, d’un tribunal du consulat, de l’administration générale des contributions, d’une monnaie établie en 1751, et d’une université assez célèbre, à laquelle le pape Innocent xi accorda, en 1687, les mêmes priviléges qu’à celles de Mexico et de Lima.

Quoique le Guatémala n’eût pas autant à se plaindre de la métropole que les autres colonies espagnoles, il n’en manifesta pas moins, en 1808, l’intention de changer sa forme de gouvernement, et il se serait, à leur exemple, déclaré libre l’année suivante, s’il n’eût été effrayé de l’anarchie qui se mit à cette époque parmi les insurgés du Mexique et de la Colombie. Des ouvrages politiques qu’on y recevait de la Péninsule et des états voisins, y étaient lus avec avidité ; une société patriotique s’établit, et se chargea de diriger le mouvement des esprits ; l’université, au mépris des défenses de l’Espagne, enseigna le droit naturel et le droit public, et la liberté de commerce, proclamée en 1812, en permettant aux Guatémalais de visiter les États-Unis et l’Angleterre, attira dans leur pays une foule d’étrangers, avec lesquels il leur était naguère interdit de communiquer sous les peines les plus sévères. Cette dernière mesure hâta l’heure de l’émancipation du Guatémala ; elle donna une grande activité à l’agriculture, aux arts et au commerce, et prépara par degrés les habitans à l’indépendance. Aussi, quand la constitution des Cortès cessa de régir l’Espagne, en 1814, le Guatémala continua à se gouverner avec une sorte de liberté ; toujours soumis, il est vrai, à des autorités espagnoles, mais dont le pouvoir était presque sans force. La révolution de l’île de Léon, qui arriva sur ces entrefaites, et fut bientôt suivie de celle du Mexique, détermina les Guatémalais à imiter l’exemple qui leur était donné. En conséquence, le 15 septembre 1821, ils proclamèrent leur affranchissement, sans éprouver le moindre obstacle de la part des partisans de la métropole.

Cependant Iturbide, qui venait, de s’emparer de l’autorité impériale au Mexique, résolut d’étouffer les idées démocratiques au Guatémala, et y envoya une expédition pour empêcher la réunion de l’assemblé nationale. Il en résulta quelques troubles ; mais, après la chute de cet usurpateur, tout rentra dans l’ordre, et le congrès s’étant réuni, rendit le 1er juillet 1823, le décret suivant :

« Considérant que le vœu général des habitans du Guatémala est de vivre libres et indépendans, et que son incorporation au Mexique serait un acte violent et illégal ;

» Les provinces qui le composent, sont déclarées libres et indépendantes de la péninsule espagnole, du Mexique et de tout autre état de l’Ancien et du Nouveau-Monde, et ne pourront être désormais considérées comme le patrimoine d’aucun individu ou d’aucune famille ;

» En conséquence, elles forment une nation souveraine, et prendront à l’avenir le titre de Provinces-Unies de l’Amérique centrale. »

Le Mexique, renonçant à ses prétentions, reconnut l’indépendance du Guatémala le 20 août 1824, et, au mois de novembre suivant, celui-ci adopta la forme de république fédérative.

Le premier soin des patriotes avait été d’asseoir le gouvernement général sur des bases convenables, et ils s’occupèrent ensuite d’organiser des administrations provinciales. Une partie de 1824 et toute l’année 1825 se passèrent en discussions législatives. L’état de Salvador publia le premier sa constitution en juin 1824, Costarrica promulgua la sienne en janvier 1825, Honduras en décembre 1825, et Nicaragua au mois d’avril 1826.

« La constitution fédérale partage le territoire de l’ancien royaume de Guatémala en cinq états, qui sont : Costarrica, Nicaragua, Honduras, Salvador et Guatémala. Le gouvernement en est populaire, représentatif et fédéral, et la république prend le titre de Federaçion de Centro-America. — Les états sont libres, indépendans et régis par des administrations particulières. — La loi ne reconnaît de religion que la catholique, apostolique et romaine : elle défend l’exercice public de tout autre culte. Sont réputés citoyens, les naturels du pays, et les étrangers qui y ont résidé 18 ans, qui y exercent quelque profession honnête, ou justifient de moyens d’existence connus. — Le congrès accorde des lettres de naturalité aux étrangers qui veulent s’y établir. Quiconque a rendu des services à la nation, y a fait connaître une invention utile, y exerce quelque science ou industrie importante, est citoyen après une résidence de cinq ans, et de trois seulement s’il vient s’y fixer avec sa famille, y contracte mariage, ou y acquiert des biens réels d’une certaine valeur. — Les citoyens seuls peuvent prétendre aux emplois du gouvernement.

» Les électeurs, chargés de la nomination des autorités fédérales suprêmes, se divisent en juntes populaires, de districts et de départemens. Les premières se composent de tous les citoyens jouissant des droits civils ; celles de districts, d’électeurs choisis par les juntes populaires, et celles de départemens, des électeurs nommés par les districts. Ces dernières élisent le président, le vice-président, les juges de la cour suprême, les sénateurs et les députés de l’assemblée nationale.

» Le pouvoir législatif appartient à un congrès, qui est formé des représentans nommés à raison de 1 par 30,000 habitans. Pour chaque nombre de 3 représentans, il doit y avoir un suppléant. Le congrès se renouvelle par moitié tous les ans, et les membres sortans sont rééligibles une première fois, sans qu’il y ait d’intervalle. Pour siéger au congrès, il faut être âgé de 23 ans, avoir été cinq ans citoyen, ou appartenir au clergé séculier ou régulier, et jouir des droits civils. Les employés du gouvernement fédéral, et ceux des administrations particulières ne sont pas susceptibles d’être élus pour le département où ils exercent leurs fonctions. Le congrès se réunit annuellement au 1er mars, et sa session dure trois mois. C’est dans ce corps que réside, à proprement parler, toute la puissance du gouvernement.

» Le sénat se compose de deux membres, par état, élus de la même manière que les représentans. Il se renouvelle annuellement par tiers : le sénateur sortant est rééligible une première fois. Il doit avoir 50 ans, et jouir depuis sept ans des droits de citoyen. Chaque état nomme aussi un membre suppléant. Un seul sénateur, par état, peut être ecclésiastique. Le vice-président de la république préside l’assemblée, mais il ne peut donner sa voix que lorsque les suffrages sont partagés. Les sessions du sénat durent toute l’année. Il sanctionne les lois du congrès, forme le conseil du président, lui propose les nominations aux principaux emplois civils et militaires prononce la mise en accusation des officiers du gouvernement, etc.

» Le pouvoir exécutif est confié à un président, et, en son absence, à un vice-président, nommés tous deux par le peuple. Pour prétendre à ces fonctions, il faut être né dans la république, avoir 30 ans accomplis, avoir été sept ans citoyen, être laïc, et jouir pleinement de ses droits civils. La durée des fonctions est de 4 ans, et l’on peut être réélu une seconde fois, sans qu’il se soit écoulé d’intervalle. Le pouvoir exécutif publie les lois, veille à leur observation, et au maintien de l’ordre public, consulte le sénat sur toutes les affaires importantes, dispose de la force armée de la république, l’emploie pour repousser l’invasion ou réprimer l’insurrection, avec l’assentiment du sénat ou celui du congrès s’il est assemblé, rend compte à celui-ci de la situation du pays par l’organe des secrétaires d’état, suit les négociations avec les puissances étrangères, etc.

» La cour suprême se compose de cinq ou sept membres, à la nomination du peuple, renouvelés par tiers tous les deux ans, et toujours susceptibles d’être réélus. Ils doivent être d’origine américaine, avoir résidé dans le pays durant les sept années qui précèdent leur élection, être laïcs et avoir trente ans accomplis. Cette cour connaît en dernier ressort, de toutes les matières de loi et d’équité qui se rattachent à la constitution, aux lois, aux traités, à la juridiction maritime, aux démêlés entre les citoyens des différens États, aux ambassadeurs, aux consuls, et à tous les fonctionnaires décrétés d’accusation par le sénat.

» Vient le chapitre de la responsabilité et du mode d’accusation des autorités fédérales suprêmes. La trahison, la vénalité, des délits d’une nature grave commis dans l’exercice des fonctions, entraînent la mise en jugement du coupable. Le Congrès se fait justice à lui-même. La Cour suprême décide dans les accusations portées contre le président, qui peut en appeler à un tribunal formé de cinq des membres suppléans de l’une ou l’autre chambre, désignés par le sénat. Les juges de la cour suprême sont justiciables de ce dernier tribunal ; le vice-président et les sénateurs le sont de la Cour suprême.

» La constitution établit ensuite les garanties de la liberté individuelle, et contient, en outre, quelques dispositions générales. Le congrès ni aucune autorité quelconque ne peuvent, dans aucun cas, ni sous aucun prétexte, restreindre la liberté de la pensée, de la parole ou de la presse ; suspendre le droit de pétition verbale ou écrite ; aliéner aucune propriété au profit du public, ni troubler les citoyens dans la jouissance de leurs biens, sans jugement, et sans les indemniser de leur perte. Ils ne peuvent non plus conférer des titres de noblesse, des pensions, des décorations, ou des dignités héréditaires, introduire l’usage de la torture, prononcer des proscriptions, des confiscations, ou des peines inhumaines, accorder des priviléges exclusifs et illimités à des compagnies ou associations d’industrie, rendre des lois rétroactives ou tendantes à perpétuer l’infamie dans les familles. Il leur est également interdit, hors les cas de tumulte, rébellion et voies de fait contre les autorités constituées, d’ordonner des désarmemens, d’enlever aux particuliers les armes qui se trouvent dans leurs domiciles, ou qu’ils ont le droit de porter, d’empêcher les réunions populaires qui ont pour but des plaisirs honnêtes, des discussions politiques, ou l’examen de la conduite des fonctionnaires du gouvernement, ni de créer des commissions spéciales ou des tribunaux d’exception, etc.

» Les quatre derniers chapitres de la constitution règlent l’administration intérieure des États particuliers, et leur rapport avec le gouvernement général, la marche à suivre pour former et admettre de nouveaux états dans l’Union, et enfin le mode de procéder pour les changemens qu’il sera jugé convenable de faire, dans la suite, au pacte fondamental[3]. »

L’administration de la république était donc à peine constituée, lorsque le congrès tint sa première session régulière au mois de juin 1826. Guatémala avait été la capitale de l’ancien royaume de ce nom, et son importance lui donnait le droit de prétendre à devenir le siége du nouveau gouvernement. Toutefois, il n’avait été rien statué à cet égard dans la constitution[4], et les autorités et le congrès ne virent point d’inconvénient à s’y installer provisoirement. Cette préférence excita la jalousie des habitans de Salvador, et comme beaucoup d’anciens Espagnols et les hommes les plus influens de la faction centraliste[5] résidaient à Guatémala, ils en prirent occasion d’accuser le gouvernement de vouloir révolutionner la république, et d’être de connivence avec les principaux citoyens de cette ville pour substituer la forme centrale au système de la fédération.

Cette jalousie ne s’était manifestée d’abord que par de vaines clameurs ; mais, au mois de mars 1826, l’assemblée de Salvador avait cru devoir prendre l’affaire en sérieuse considération. Elle adressa au congrès un mémoire dans lequel elle demandait formellement la translation des autorités fédérales à quelque autre ville éloignée d’au moins quarante lieues de la capitale. Les habitans d’Aguachapan et de Metapan envoyèrent une pétition dans ce même sens à l’assemblée, mais ils exigeaient que le siége du gouvernement fût transféré dans l’état de Salvador. Les Guatémalais, quelque opposés qu’ils fussent à ce changement, déclarèrent y donner leur assentiment, s’il était jugé nécessaire au bien public ; toutefois il n’en fut pas de même de la majorité du congrès, qui s’y refusa péremptoirement.

La constitution investit le sénat du droit de convoquer le congrès dans les circonstances extraordinaires s’en rapportant, quant à celles-ci, à la discrétion de cette branche de la législature. Des troubles survenus dans le Honduras et le Nicaragua, et les différens du Guatémala et de Salvador, lui paraissant assez sérieux pour nécessiter cette mesure, il rendit, le 25 août 1826, un décret par lequel il enjoignait aux membres de l’assemblée de se réunir à Guatémala, le 1er octobre suivant, « pour délibérer sur plusieurs objets d’une haute importance, et dont il était urgent qu’ils s’occupassent sans délai. » Toutefois, à l’époque fixée, dix-sept seulement se rendirent à leur poste, et, aux termes de la constitution, il en fallait vingt-un pour valider leurs décisions. Il en résulta donc que, n’étant pas en nombre suffisant, le congrès ne put procéder qu’à son organisation intérieure. La vérification des pouvoirs apprit que, parmi les membres absens, sept appartenaient à l’état de Salvador. L’assemblée prit alors la résolution de contraindre ses membres retardataires à venir aux séances, mais ses démarches furent en pure perte. Tous alléguèrent le mauvais état de leur santé, à l’exception de deux députés de Salvador, Marcelino Menendes et Buenaventura Guerrero, qui déclarèrent nettement leur intention de ne point s’y rendre. Le premier surtout, rappelant les efforts qu’avaient faits ses commettans pour obtenir le changement du siége du gouvernement, annonça qu’il ne paraîtrait au congrès que lorsque la translation en aurait lieu conformément aux désirs des Salvadoriens. Il prétendit aussi que la convocation était illégale, en ce qu’aucun des motifs énoncés dans le décret du sénat n’était constitutionnellement de nature à occuper un congrès extraordinaire. La législature de Guatémala, craignant quelque agression de la part du Salvador, dont l’attitude devenait de jour en jour plus menaçante, décréta la levée d’un corps de milices, qui devait porter le nom de Défenseurs de la Constitution.

Le 10, le président Arcé publia un décret dans lequel il annonçait que, les circonstances exigeant l’interprétation d’une autorité supérieure à celle dont le pouvoir exécutif était investi, et le congrès, attendu son incompétence numérique, ne pouvant être d’aucun secours dans la crise actuelle, il avait cru devoir convoquer une assemblée nationale extraordinaire, qui, de l’assentiment du peuple, aviserait au moyen de réorganiser l’ordre constitutionnel, et de rétablir la tranquillité dans la république. Elle devait se composer de deux députés élus par chaque nombre de 30,000 habitans, et se réunir à Cojutepeque. Le président promit de veiller, dans l’intervalle, à l’exécution de la constitution fédérale et des lois en vigueur, de respecter la liberté individuelle, de maintenir le bon ordre, et de rendre compte, au congrès extraordinaire, des mesures qu’il aurait cru devoir adopter dans l’intérêt de la chose publique.

Le comité de la législature, auquel ce décret fut envoyé, le déclara illégal. Il fit plus : il accusa le président d’avoir employé des moyens illicites pour empêcher l’organisation du congrès, afin de se soustraire à une accusation de dilapidation des deniers publics qui pesait sur lui ; puis il ajoutait qu’il n’existait aucun prétexte légitime de convoquer un congrès extraordinaire, etc. La cour de justice suprême publia un édit conforme à cette déclaration du comité, quelques jours après, et reprocha au président d’avoir violé la constitution, en refusant de reconnaître le dernier congrès, et en en convoquant un autre de sa propre autorité.

Si le but du président, en rendant ce décret, avait été de troubler la paix de la république, comme le comité l’en accusait, il n’y réussit malheureusement que trop bien. Dans tous les cas, la mesure n’était rien moins que judicieuse, et les résultats en furent vraiment affligeans. L’état de Guatémala procéda à l’élection des délégués du congrès extraordinaire ; Costarrica en fit autant ; dans le Honduras et le Nicaragua, les opinions furent partagées ; les autorités se prononcèrent contre le décret, tandis que la plupart des villes, des districts et des départemens l’appuyèrent ; dans le Honduras, les citoyens méconnurent l’autorité du chef suprême ; le peuple et le gouvernement de Salvador rejetèrent le décret in toto, et envoyèrent une députation aux états de Honduras et de Nicaragua pour les inviter à nommer des députés à un congrès fédéral ordinaire qui s’assemblerait à Aguachapan, et à réunir leurs forces pour soutenir la représentation nationale.

Sur ces entrefaites un démêlé fâcheux, arrivé dans le Guatémala, vint encore compliquer la situation des affaires. José Barrundia, gouverneur particulier de cet état, arrêta, au mois de septembre 1826, un officier de l’armée, nommé Espinola, qui s’était introduit, à la tête de plusieurs soldats, dans le domicile d’un citoyen, sans mandat de l’autorité civile. Le président Arcé, ayant approuvé la conduite de ce dernier, il en résulta un différend entre ces deux chefs, qui se termina par l’arrestation et la déposition de Barrundia, dont les fonctions échurent au vice-gouverneur Cirilo Flores. Peu de temps après, ce magistrat déchu, dont on vante la douceur et le patriotisme, fut assailli et mis en pièces par la populace de Quezaltenango, dans l’état de Guatémala.

En conséquence de cet événement, le président de la république invita le peuple, le 30 octobre 1826, non-seulement à remplacer Barrundia, mais à nommer de nouvelles autorités pour Guatémala. Cette élection eut lieu conformément à la constitution, les membres des pouvoirs législatif et exécutif ayant été dûment élus par les habitans. Le gouverneur de Salvador déclara cette manière de procéder illégale, quoique ce fût lui qui l’eût d’abord conseillée au président, et qu’il lui eût même envoyé des troupes pour l’aider dans l’opération.

La nouvelle législature fut installée au 1er janvier 1827. Le 7, le gouverneur de Guatémala l’annonça officiellement aux autres états, et quelques jours après il proposa à ceux de Salvador et de Costarrica, de s’unir à lui pour mettre fin aux dissensions qui affligeaient le Honduras et le Nicaragua. Il offrait en même temps à Salvador de convoquer un nouveau congrès constitutionnel, à l’exclusion de celui du mois d’octobre précédent, auquel il imputait les troubles de la république. Les autorités fédérales et le gouvernement de Costarrica souscrivirent à ces ouvertures ; mais celui de Salvador ne daigna pas même en prendre connaissance. Le gouverneur de Guatémala lui ayant adressé un second message à cet effet avec une copie du premier, au mois de février suivant, il en reçut une réponse insignifiante qui n’avait nullement trait à l’objet de la communication.

Le peuple de Guatémala, indigné d’un procédé si peu loyal, le fut encore bien davantage quand il apprit que le Salvador se disposait à commettre des hostilités contre son territoire. Cet état, ayant réuni des troupes, les dirigea vers le département de Chiquimula, qui appartient au Guatémala, avec l’intention de l’occuper militairement. Toutefois, les Chiquimuliens prirent les armes, et, animés par leur chef civil Indalecio Perdomo, forcèrent les envahisseurs à la retraite. Ceux-ci, loin d’être découragés par cet échec, concentrèrent toutes leurs forces à Metapan et à Santa-Anna, et formèrent le projet plus hardi encore de marcher contre la capitale. Ils voulaient, disaient-ils, anéantir la faction centraliste et les autres ennemis de la constitution fédérale, dont cette ville était le foyer. Malheureusement pour le succès de leur entreprise, ils se portaient agresseurs volontaires contre un puissant état, et ils soulevèrent contre eux le pouvoir exécutif de la république, qu’ils accusaient d’ambition et de péculat.

Cependant le Guatémala ne perdit point un instant pour les préparatifs de défense. Mariano Aycinena, qui avait suecédé, à Barrundia en qualité de gouverneur, publia un manifeste de sa conduite et de son administration. Il exposa les efforts qu’il avait faits pour éviter d’en venir à une rupture, et appela ses concitoyens à s’armer pour la défense de leurs foyers. Le 16 mars, il signala, dans une autre proclamation, l’approche de l’armée ennemie, et la législature l’investit de toute l’autorité du gouvernement, lui recommandant seulement de se concerter avec le président pour les mesures qu’il jugerait nécessaires à la sûreté de la capitale. Aycinena adressa le lendemain un nouvel appel au patriotisme des citoyens, qui coururent se ranger sous ses ordres, et lui fournirent l’argent et les munitions de guerre dont il avait besoin. Au bout de quelques jours il se trouva à la tête de forces respectables, composées d’un corps de troupes de la fédération, d’un régiment de milices et d’un bataillon nombreux de volontaires ; c’était plus qu’il n’en fallait pour faire repentir les Salvadoriens de leur entreprise.

L’armée des insurgés pouvait s’élever à 1,500 hommes, commandés par deux Français, nommés Nicolas Raoul et Isidore Saget, les seuls qui eussent quelques connaissances militaires, et par Cleto Ordonez, citoyen de Salvador. Elle arriva en vue de la ville le 22 mars, et prit position sur une hauteur voisine, où elle se fortifia. De là, le colonel Ordonez, en sa qualité de commandant en chef, adressa une proclamation aux citoyens de Guatémala, dans laquelle il les assurait qu’il voulait seulement les délivrer du joug des chiapitones[6], et les exhortait à ne point opposer de résistance. Les insurgés soutinrent vaillamment, dans cette position, une attaque vigoureuse des troupes nationales et des volontaires ; mais après une lutte opiniâtre de deux heures, ils lâchèrent pied et s’enfuirent en désordre. S’étant ralliés à quelque distance du champ de bataille, ils se disposaient à retourner au combat, lorsque, pris en flanc par les troupes de Chiquimula, commandées par le colonel Sanchez, ils se débandèrent précipitamment, et se dispersèrent dans les montagnes. Quoique la perte des Salvadoriens ne fût pas considérable, puisqu’elle ne s’éleva qu’à 70 hommes tués, quelques prisonniers et deux canons, néanmoins les vainqueurs attachèrent une grande importance à leur triomphe, et les habitans de la ville et des départemens en accueillirent la nouvelle avec des démonstrations unanimes de joie.

Le lendemain, le président publia une proclamation dans laquelle il annonçait la résolution de réduire les rebelles par la force, s’ils ne déposaient à l’instant les armes. Le gouvernement prit des mesures efficaces pour le maintien du bon ordre, déclara hors la loi et ennemis publics plusieurs citoyens qui avaient porté les Salvadoriens à entreprendre cette expédition, et menaça du même châtiment ceux qui les avaient encouragés et aidés, s’ils n’envoyaient leur soumission dans un délai fixé.

Arcé, ayant confié le gouvernement en son absence au vice président, Mariano de Beltranéna, se mit à la poursuite des fuyards. Fort de l’accession de Costarrica, des districts de Sonsonate, de Santa Anna, et de l’état de Honduras, il espérait rétablir bientôt la tranquillité de la république, troublée encore dans une partie du Nicaragua, et dans l’état de Salvador, qu’il se voyait contraint de réduire par la rigueur des armes.

La modération bien connue de Mariano, qui, en sa qualité de député de Salvador, avait signé l’acte d’indépendance, attira de nouveaux partisans à la cause des Guatémalais. Il n’avait eu aucune part aux derniers événemens, et jouissait de l’estime générale. La victoire remportée par le président paraissait aussi devoir produire les plus importans résultats.

Vers la mi-avril, Arcé se trouvait à Santa Anna avec 3,000 hommes. Guatémala était tranquille et bien gardée par ses habitans, qui devaient rester sous les armes jusqu’au rétablissement de la paix. Avant la fin du mois, le président porta son quartier-général à Néjapa, village situé à quatre lieues de Salvador, et entra aussitôt en pourparlers avec les autorités de la ville. Ne voulant pas pousser les choses à l’extrémité, il leur proposa de convoquer un nouveau congrès, qui serait chargé d’aplanir tous les différens, et de rétablir la constitution. Ces négociations toutefois échouèrent, parce que les Salvadoriens exigeaient, comme condition indispensable de leur soumission, que la législature nationale se réunît dans leur ville. En conséquence, les deux partis reprirent leur attitude hostile. Arcé, repoussé dans une attaque, eut le dessus dans plusieurs autres. Enfin, au mois de juin, la cause des insurgés était tellement désespérée, que le colonel Raoul abandonna leurs rangs et se soumit au président. Après la défection de cet officier, l’un des plus fermes soutiens de leur parti, l’anarchie se mit parmi eux, et ils ouvrirent bientôt leurs portes aux troupes nationales. La prise de Salvador termina l’insurrection. Les principaux chefs de la révolte furent passés par les armes ; le président en gracia d’autres à certaines conditions, et au 1er septembre 1827 la guerre civile était entièrement apaisée.

Les informations que nous avons été à même de recueillir sur ces troubles ne nous permettent ni d’en préciser le motif réel, ni de faire connaître exactement les intentions des chefs qui y prirent part. Les habitans de Salvador prétendent qu’ils ne saisirent les armes qu’afin de déjouer les complots d’Arcé et de ses amis, qui étaient d’intelligence avec les serviles, les anciens Espagnols et le clergé, pour renverser le gouvernement fédéral et y substituer une administration centrale. Le temps nous apprendra si leurs craintes étaient fondées. Des personnes, bien instruites de la situation des partis au Guatémala, assurent que les insurgés, loin d’être des rebelles et des traîtres, étaient, au contraire, de francs patriotes, de vrais républicains, et les seuls sincères amis de la constitution. La résistance courageuse que les Salvadoriens opposèrent à Iturbide, la démarche qu’ils firent auprès des États de l’Amérique du nord pour être admis dans l’Union[7], et ; leur empressement à adopter le gouvernement républicain, lorsque l’occasion s’en présenta, sembleraient donner de la vraisemblance à cette assertion.

Le décret de convocation d’un congrès extraordinaire, des l’ouverture de la législature constitutionnelle, et au moment où celle-ci s’occupait de compléter le nombre indispensable de ses membres, pour commencer ses opérations, n’était certes pas une mesure que le premier magistrat d’un état républicain bien organisé pût prendre, et encore moins faire exécuter, contre le vœu du congrès et de la cour suprême. Toutefois, nous sommes plus portés à attribuer ces troubles à l’extrême ignorance du peuple, aux notions imparfaites qu’il a de la liberté, à son peu d’expérience des formes d’un gouvernement libre, et à la haine des castes contre les blancs qui tiennent les rênes de l’administration, qu’à des desseins criminels conçus par le président Arcé.

Nos données sur les événemens qui ont depuis rallumé la discorde dans la république, sont tellement vagues, qu’il nous a été impossible d’en tirer parti. Durant toute l’année 1828, les états de Guatémala, de Nicaragua et de San-Salvador devinrent encore la proie de la plus effrayante anarchie ; les villes de Léon et de Grenade faisaient une guerre d’extermination à celles de Ménagua et de Nicaragua ; les habitans de cette dernière, maîtres du château de San-Carlos, situé à l’entrée du lac de Nicaragua, interceptaient toute communication avec San-Juan et l’intérieur ; Arcé, vainqueur dans plusieurs rencontres, ne pouvait, faute de munitions, poursuivre ses succès ; le commerce et l’agriculture étaient tombés dans un complet anéantissement ; rien n’annonçait un terme prochain à ces désordres, parce que l’exiguité des moyens des parties belligérantes s’opposait à un résultat décisif. Enfin, au 1er janvier 1829, le trésor était totalement épuisé, et le pays présentait le triste spectacle de la misère et de la désolation[8].


B…
  1. On prétend que Guatémala est une corruption de Giutemal, qui est le nom d’un des princes quichés ou tolteques, qui régna autrefois sur le royaume de Kachiquel ou de Guatémala. Toutefois, les historiens sont partagés d’opinion à cet égard. Nous pensons, avec Juarros et le savant M. Warden, que ce mot dérive de coctumalan (bois de lait), arbre d’une espèce particulière, qu’on ne rencontre que dans le voisinage du vieux Guatémala.
  2. On a le projet d’ouvrir la communication par la rivière de San Juan et le lac de Nicaragua, et de creuser un canal entre celui-ci et l’océan Pacifique. La longueur de ce canal ne serait guère que de 20 à 25 milles, et il traverserait une surface généralement unie.

    En 1825, une compagnie de négocians, s’étant formée à New-York pour la construction de ce canal, chargea M. E. Blunt d’en lever le plan, et de reconnaître si l’entreprise était praticable. Des retards occasionnés par la jalousie des autorités locales empêchèrent cet ingénieur de commencer ses opérations avant la saison des pluies. Néanmoins il était parvenu à exécuter le tracé dans toute la largeur de l’isthme, moins une distance d’environ quatre milles, lorsqu’il fut attaqué de la fièvre du pays, et forcé de retourner sur ses pas.

    M. Barclay, de Londres, adressa aussi des propositions au gouvernement. Il offrait de construire le canal, à condition qu’on lui accorderait le privilége exclusif de sa navigation, à l’aide de bateaux à vapeur, durant 50 ans, la recette des droits de péage jusqu’à concurrence de ses déboursés, et ensuite la moitié du péage pendant 15 ans. Cet entrepreneur exigeait également que le capital employé dans l’opération fût reconnu dette nationale par le Guatémala, et lui fût remboursé si les profits du canal n’y suffisaient pas.

    M. Palmer, négociant de New-York, fit des soumissions plus avantageuses pour le Guatémala, en 1826, par l’entremise du colonel Beneski, et obtint la préférence. Il demandait le privilége de la navigation exclusive du canal pendant 20 ans, et la moitié des produits du péage durant sept autres années ; le gouvernement ne s’engageait à rien. Au contraire, M. Palmer devait lui avancer immédiatement 200,000 dollars, pour élever des fortifications sur ses bords, et il n’avait, pour se couvrir de ses frais que le revenu incertain du canal. Le traité fut signé au mois de mai 1826, mais les conditions en furent jugées si désavantageuses, que M. Palmer, ne pouvant obtenir d’actionnaires, renonça à l’entreprise.

  3. Cette constitution votée par l’Assemblée nationale constituante, le 22 novembre 1814, est divisée en quinze chapitres et en deux cent onze articles. Elle est signée de Fernando Antonio Davila, député de Guatémala, président ; de José Nicolas Frias, député de Honduras, vice-président ; de quatre députés de Costarrica, huit de Nicaragua, dix de Honduras, treize de Salvador, et de vingt-sept de Guatémala. Le congrès en a fait tirer un petit nombre d’exemplaire sur beau papier vélin (gr. in-4o de 23 p.) pour offrir à quelques personnes que le gouvernement désignerait. Celui que nous avons entre les mains est exécuté avec un grand luxe typographique et revêtu des armes de la république. Celles-ci consistent en un écusson, au centre duquel s’élève un triangle équilatéral ou pyramide, dont la base est baignée par deux mers. Dans l’intérieur de la pyramide sont représentées cinq montagnes, emblème des cinq états de l’union, au-dessus desquelles s’élève un bonnet de la liberté, d’où partent des rayons de lumière qui semblent dissiper des nuages. Le tout est couronné d’un double arc-en-ciel et entouré de cette inscription : Republica federal de centro-America.
  4. La constitution (art. 65) dit seulement que lorsque la situation de la république le permettra, il sera fondé une ville pour le siége des autorités fédérales, et où elles exerceront une autorité exclusive.
  5. Voy. sur ce parti puissant l’article Mexique inséré dans la Revue des deux Mondes t. Ier, livraisons de septembre et d’octobre, pag. 214 et 365.
  6. Les Araucaniens appelaient les Espagnols des chiapi(vils soldats) ; c’est ce mot qui a donné lieu à la dénomination de chiapitones, sous laquelle ces derniers sont désignés quelquefois par les Indiens de l’Amérique du Sud.
  7. Le San-Salvador, déçu de l’espoir d’être admis à faire partie de la république mexicaine, demanda au gouvernement des États-Unis, malgré l’immense distance qui l’en sépare, de le recevoir dans l’Union, aux mêmes conditions que les divers états qui la composent. Le gouvernement américain s’y refusa.
  8. Des nouvelles plus récentes nous annoncent que les Salvadoriens ont repoussé à leur tour les habitans de Guatémala, dont ils ont forcé les chefs à quitter le territoire de la république. Elles ajoutent que le vice-président, le secrétaire et les officiers militaires du parti vaincu, en tout cinquante-six personnes, étaient arrivés à Acapulco, sur la côte occidentale du Mexique, pour y attendre la détermination définitive du Congrès de Guatémala.
    (N. du D.)