Fables de Florian (1838)/4/L’Habit d’Arlequin

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Impie de Lemarchand.
L’HABIT D’ARLEQUIN.

FABLE IV.

L’HABIT D’ARLEQUIN.


V

ous connaissez ce quai nommé

de la Ferraille,
Où l’on vend des oiseaux, des
hommes et des fleurs :
ous connaissez ce quai nomméÀ mes fables souvent c’est là que je travaille ;
J’y vois des animaux, et j’observe leurs mœurs.
Un jour de mardi-gras j’étais à la fenêtre
D’un oiseleur de mes amis,
Quand sur le quai je vis paraître
Un petit arlequin leste, bien fait, bien mis,
Qui, la batte à la main, d’une grâce légère,
Courait après un masque en habit de bergère.
Le peuple applaudissait par des ris, par des cris.
Tout près de moi, dans une cage,
Trois oiseaux étrangers de différent plumage,

Perruche, cardinal, serin,
Regardaient aussi l’arlequin.
La perruche disait : J’aime peu son visage,
Mais son charmant habit n’eut jamais son égal ;
Il est d’un si beau vert ! Vert ! dit le cardinal,
Vous n’y voyez donc pas, ma chère ?
L’habit est rouge, assurément,
Voilà ce qui le rend charmant.
Oh ! pour celui-là, mon compère,
Répondit le serin, vous n’avez pas raison,
Car l’habit est jaune-citron ;
Et c’est ce jaune-là qui fait tout son mérite.
— Il est vert. — Il est jaune. — Il est rouge, morbleu !
Interrompt chacun avec feu ;
Et déjà le trio s’irrite.
Amis, apaisez-vous, leur crie un bon pivert ;
L’habit est jaune, rouge et vert.
Cela vous surprend fort, voici tout le mystère :
Ainsi que bien des gens d’esprit et de savoir,
Mais qui d’un seul côté regardent une affaire,
Chacun de vous ne veut y voir
Que la couleur qui sait lui plaire.