Fables de Florian (1838)/4/Le Savant et le Fermier

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LE SAVANT ET LE FERMIER.

LIVRE QUATRIÈME

FABLE I.
LE SAVANT ET LE FERMIER


Q

ue j’aime les héros dont je conte

l’histoire !
Et qu’à m’occuper d’eux je trouve
de douceur !
Et qu’à m’occuper d’eux je trouveJ’ignore s’ils pourront m’acquérir de la gloire,
Mais je sais qu’ils font mon bonheur.
Avec les animaux je veux passer ma vie ;
Ils sont si bonne compagnie !
Je conviens cependant, et c’est avec douleur,
Que tous n’ont pas le même cœur.
Plusieurs que l’on connaît, sans qu’ici je les nomme,

De nos vices ont bonne part ;
Mais je les trouve encor moins dangereux que l’homme :
Et, fripon pour fripon, je préfère un renard.
C’est ainsi que pensait un sage,
Un bon fermier de mon pays.
Depuis quatre-vingts ans, de tout le voisinage
On venait écouter et suivre ses avis.
Chaque mot qu’il disait était une sentence.
Son exemple surtout aidait son éloquence ;
Et, lorsque environné de ses quarante enfants,
Fils, petit-fils, brus, gendres, filles,
Il jugeait les procès ou réglait les familles,
Nul n’eût osé mentir devant ses cheveux blancs.
Je me souviens qu’un jour dans son champêtre asile
Il vint un savant de la ville
Qui dit au bon vieillard : Mon père, enseignez-moi
Dans quel auteur, dans quel ouvrage,
Vous apprîtes l’art d’être sage.
Chez quelle nation, à la cour de quel roi,
Avez-vous été, comme Ulysse,
Prendre des leçons de justice ?
Suivez-vous de Zenon la rigoureuse loi ?
Avez-vous embrassé la secte d’Épicure,
Celle de Pythagore, ou du divin Platon ?
De tous ces messieurs-là je ne sais pas le nom,
Répondit le vieillard ; mon livre est la nature,
Et mon unique précepteur,
C’est mon cœur.

Je vois les animaux, j’y trouve le modèle
Des vertus que je dois chérir :
La colombe m’apprit à devenir fidèle ;
En voyant la fourmi j’amassai pour jouir ;
Mes bœufs m’enseignent la constance,
Mes brebis la douceur, mes chiens la vigilance ;
Et, si j’avais besoin d’avis
Pour aimer mes filles, mes fils,
La poule et ses poussins me serviraient d’exemple.
Ainsi dans l’univers tout ce que je contemple
M’avertit d’un devoir qu’il m’est doux de remplir.
Je fais souvent du bien pour avoir du plaisir ;
J’aime et je suis aimé, mon âme est tendre et pure,
Et toujours, selon ma mesure,
Ma raison sait régler mes vœux :
J’observe et je suis la nature,
C’est mon secret pour être heureux.