Faits curieux de l’histoire de Montréal/18

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M. DE CHAMPLAIN ET M. DE MAISONNEUVE À MONTRÉAL EN 1613 !

Samuel de Champlain a-t-il vu Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, à Montréal, en 1613, soit vingt-neuf ans avant la fondation de cette ville ?

Lorsqu’on a parcouru la relation des voyages de Champlain traduite par Annie Nettleton Bourne et annotée par Edward Gaylord Bourne, professeur d’histoire à l’université de Yale, on ne peut éviter de se poser cette question, car on lit, à une certaine page, que le 17 juin 1613, M. de Champlain rencontra, près du saut Saint-Louis, un sieur de Maisonneuve, puis au bas, en note, que ce sieur de Maisonneuve n’était autre que Paul de Chomedey, etc.

Si toutefois vous comparez le texte de l’édition Bourne avec celui de l’édition Laverdiène, vous constaterez que l’historien américain a résumé plutôt que traduit une foule de passages de la relation.

Par exemple, on voit, dans l’édition Laverdière, qu’à son arrivée ici, à la date ci-haut indiquée, Champlain trouva un sieur de Maisonneuve, mais que celui-ci commandait trois navires, qu’il était de Saint-Malo et possédait un passeport de Monseigneur le Prince, évidemment pour faire la traite.

Dès que ledit sieur de Maisonneuve apprend la présence de M. de Champlain, il s’empresse de lui soumettre son passeport afin de n’être pas troublé dans son négoce et c’est tout.

Ce Maisonneuve ne saurait être le nôtre, c’est un traiteur, un armateur ou un marin qui ne désire que commercer avec les sauvages.

Paul de Chomedey, les abbés Faillon et Rousseau nous en informent, débuta dans le métier des armes à l’âge de treize ans et ne quitta son régiment qu’après avoir conquis le grade de colonel.

L’opinion courante lui donne environ 40 ans lorsqu’il vint à Montréal ; il resta 23 ans ici, c’est-à-dire jusqu’en 1665, puis vécut encore onze ans à Paris, où il mourut le 9 de septembre 1676.

À cette époque, toujours d’après ce que l’on croit généralement, notre premier gouverneur aurait été septuagénaire.

Pour en faire un chef d’expédition maritime en 1613, il faudrait lui accorder, alors, au moins la trentaine. Dans ce cas M. de Chomedey aurait eu près de 60 ans, en 1642, et 90 ans passés, à son décès ! Mais si notre fondateur avait connu le site de Ville-Marie avant 1642, il en aurait été question quelque part, lorsqu’on l’engagea ; loin de là, on raconte que c’est par les Relations des Jésuites et en même temps que s’organisait la Société de Montréal qu’il apprit l’existence d’une France nouvelle outre Atlantique.

Ce que l’on sait de son caractère et de ses antécédents indique que M. de Chomedey n’avait pas l’esprit mercantile. En partant pour l’Amérique, il tranquillisa, il est vrai, son vieux père, en l’assurant qu’il traversait les mers pour acquérir richesse et considération, mais il ne fit rien pour courtiser la fortune. Il arriva pauvre à Ville-Marie et s’en retourna pauvre. Tout en permettant à ses meilleurs lieutenants, Charles Le Moyne, Lambert Closse, Picoté de Belestre et autres de faire la traite, il paraît, pour son compte, n’avoir eu d’autre ambition que celle d’asseoir solidement la colonie naissante.

Autres considérations : Paul de Chomedey était de la Champagne, province du nord-est de la France, assez éloignée des ports de mer ; enfin, le nom de Maisonneuve, au dix-septième siècle, était fort répandu, au pays de nos aïeux ainsi qu’en la Nouvelle-France.[1]

Paul de Chomedey ne peut donc être le sieur de Maisonneuve que Champlain rencontra.

Néanmoins, l’assertion risquée du professeur Bourne nous démontre que la vie, en France, de notre fondateur n’a pas encore été suffisamment étudiée. Bien des détails intéressants que seule peut exhumer une recherche patiente dans les milieux où M. de Chomedey a vécu nous permettraient de décider ce point plus sûrement.[2]



  1. Voir le Bulletin des Recherches historiques de 1916, pp. 139 et 289.
  2. Depuis que ceci a été écrit, un journaliste français, M. Léo Leymarie, a enfin trouvé l’acte de baptême du fondateur de Montréal. Celui-ci est né en 1612. Le doute n’est donc plus possible et l’affaire est réglée.