Famille sans nom/II/Chapitre XI

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Hetzel (p. 381-393).

XI
expiation.


Voici dans quelles circonstances le nom de Morgaz avait été révélé aux défenseurs de l’île Navy.

On ne l’a pas oublié, à plusieurs reprises déjà, les préparatifs de résistance, les points que l’on fortifiait pour repousser une attaque des royaux, quelques tentatives faites en vue de forcer le passage du Niagara, avaient été signalés au camp de Mac Nab. Évidemment, un espion s’était glissé dans les rangs des patriotes et tenait l’ennemi au courant de tout ce qui se faisait sur l’île. Cet espion, en vain avait-on cherché à le découvrir pour en tirer justice sommaire. Il avait toujours échappé aux recherches faites jusque dans les villages de la rive américaine.

Cet espion n’était autre que Rip.

Irrité de ses derniers insuccès, qui se traduisaient par des pertes considérables au détriment de sa maison de commerce, le chef de l’agence Rip and Co. avait tenté de remonter ses affaires par un coup audacieux avec l’espoir de balancer ses récentes déconvenues. Elles étaient graves, en effet. Il avait échoué à l’engagement de la ferme de Chipogan, où son escouade avait dû battre en retraite. À Saint-Charles, on sait comment il avait laissé à Jean-Sans-Nom, alors caché dans Maison-Close, la possibilité de s’enfuir. Enfin, ce n’étaient pas ses hommes, c’étaient ceux du chef de police Comeau qui avaient opéré la capture du proscrit.

Rip, décidé à prendre sa revanche, n’ayant plus à s’occuper de « l’affaire Jean-Sans-Nom », puisque l’on avait toutes les raisons de croire que le condamné avait été exécuté au fort Frontenac, imagina de se rendre sous un déguisement à l’île Navy. Là, au moyen de signaux convenus, il se faisait fort d’indiquer au colonel Mac Nab quels étaient les travaux de défense et en quel point il serait possible de tenter une descente sur l’île. C’était évidemment risquer sa vie que de s’aventurer ainsi au milieu des patriotes. Si on le reconnaissait, il n’aurait aucune grâce à espérer. On le tuerait comme un chien. Mais aussi, une somme considérable devait lui être attribuée, s’il parvenait à faciliter la prise de l’île — ce qui amènerait nécessairement, avec la disparition de ses principaux chefs, la fin de cette période insurrectionnelle de 1837.

Dans ce but Rip gagna la rive américaine du Niagara. Puis, à Schlosser, il prit passage sur la Caroline comme un simple visiteur, et s’introduisit au camp de l’île Navy.

En réalité, grâce à son déguisement, à sa barbe qu’il portait entière, aux modifications introduites dans son attitude habituelle, au son de sa voix qu’il avait changé, ce hardi policier était méconnaissable. Et pourtant, il se trouvait là des gens qui auraient pu le reconnaître — M. de Vaudreuil et sa fille, Thomas Harcher et ses fils, avec lesquels il s’était rencontré à Chipogan, et aussi maître Nick, qu’il ne s’attendait guère à rencontrer sur l’île. Mais, très heureusement pour lui, son déguisement était si parfait que personne n’eut de suspicion à son égard. Il put ainsi, sans se compromettre, faire son métier d’espion, et, quand cela était nécessaire, correspondre avec Chippewa. C’est ainsi qu’il avait prévenu le colonel Mac Nab de l’attaque projetée par Vincent Hodge contre le fort Frontenac.

Une circonstance devait le perdre.

Depuis huit jours qu’il était arrivé, vêtu comme les bonnets bleus, s’il s’était souvent trouvé en présence de Thomas Harcher, de maître Nick et autres, Rip n’avait pas encore rencontré Bridget. Et, même, comment eût-il pu soupçonner sa présence à l’île Navy ? La femme de Simon Morgaz, au milieu des patriotes, c’eût été la chose du monde à laquelle il se fût le moins attendu. Ne l’avait-il pas laissée à Maison-Close, après lui avoir épargné les abominables représailles qui furent exercées contre les habitants de Saint-Charles ? En outre, depuis douze ans — depuis l’époque où il avait été en rapport avec sa famille et elle à Chambly — tous deux ne s’étaient trouvés face à face qu’une seule fois, le soir de la perquisition. Aussi Bridget, pas plus que maître Nick ou Thomas Harcher, n’aurait pu le reconnaître.

Bridget ne le reconnut pas, à la vérité. Ce fut lui qui se trahit dans des circonstances que toute sa méticuleuse circonspection n’avait pu prévoir.

Ce soir-là — 16 décembre — Bridget avait quitté la maison où Vincent Hodge s’était rendu sur la demande de M. de Vaudreuil. Une nuit profonde enveloppait la vallée du Niagara. Aucun bruit, ni dans le village occupé par les troupes anglaises, ni au camp des réformistes. Quelques sentinelles allaient et venaient sur la berge, surveillant le bras gauche de la rivière.

Sans se rendre compte de sa marche machinale, Bridget était arrivée à la pointe en amont de l’île. Là, après une halte de quelques instants, elle se préparait à revenir, lorsque son œil fut frappé par une lueur qui s’agitait au pied de la berge.

Surprise et inquiète, Bridget s’avança jusqu’aux roches qui dominent le Niagara en cet endroit.

Là, un homme balançait un fanal, dont la lumière devait aisément être vue de la rive de Chippewa. Et, en effet, une lueur, partie du camp, lui répondit presque aussitôt.

Bridget ne put retenir un cri, en voyant cet échange de signaux suspects.

D’un bond, cet homme, mis en éveil par le cri de Bridget, eut gravi les roches, et, se trouvant en face de cette femme, il lui porta vivement la lumière de son fanal en pleine figure.

« Bridget Morgaz ! » s’écria-t-il.

Interdite, au premier abord, devant cet homme qui savait son nom, Bridget recula. Mais sa voix, qu’il n’avait pas eu la précaution de changer, venait de trahir l’identité de l’espion.

« Rip !… balbutia Bridget, Rip… ici !

— Oui, moi !…

— Rip… faisant ce métier…

— Eh bien, Bridget, reprit Rip à voix basse, ce que je fais ici, n’est-ce pas ce que vous y êtes venue faire ? Pourquoi la femme de Simon Morgaz serait-elle au camp des patriotes, si ce n’est pour communiquer…

— Misérable ! s’écria Bridget.

— Ah ! taisez-vous, dit Rip en la saisissant violemment par le bras. Taisez-vous, ou sinon… »

Et rien que d’une poussée, il pouvait la précipiter dans le courant du Niagara.

« Me tuer ? répondit Bridget en reculant de quelques pas. Ce ne sera pas, du moins, avant que j’aie appelé, avant que je vous aie dénoncé !… »

Puis :
« À moi !… À moi ! » cria Bridget.


« À moi !… À moi ! » cria-t-elle.

Presque aussitôt un bruit indiqua que les sentinelles se rabattaient du côté où le cri avait été jeté.

Rip comprit qu’il n’aurait plus le temps de se débarrasser de Bridget, avant qu’on se fût porté à son secours.

« Prenez garde, Bridget, lui dit-il ! Si vous dites qui je suis, je dirai qui vous êtes !…

— Dites-le donc ! » répondit Bridget, qui n’hésita pas même devant cette menace.

Puis, d’une voix plus forte :

« À moi !… À moi ! » répéta-t-elle.

Une dizaine de patriotes l’entouraient alors. D’autres accouraient de divers points de la berge.

« Cet homme, dit Bridget, c’est l’agent Rip, c’est un espion au service des royaux…

— Et cette femme, dit Rip, c’est la femme du traître Simon Morgaz ! »

L’effet de ce nom abhorré fut immédiat. Celui de Rip s’effaça devant lui. Les cris de : « Bridget Morgaz !… Bridget Morgaz !… » dominèrent le tumulte. Ce fut vers cette femme que se tournèrent instantanément les menaces et les injures. Rip en profita. N’ayant rien perdu de son sang-froid, voyant que l’attention était détournée de lui, il disparut. Et, sans doute, le soir même, il parvint à traverser le bras droit du Niagara pour regagner Schlosser et se réfugier au camp de Chippewa, car aucune recherche ultérieure ne put le faire découvrir.

On sait, actuellement, pourquoi Bridget, entraînée au milieu d’une foule ameutée, était poursuivie dans la direction de la maison de M. de Vaudreuil.

Et c’est au moment où elle allait tomber sous les coups que Jean venait d’apparaître, et rien que par ces mots : « Ma mère ! » il avait révélé le secret de sa naissance !…

Jean-Sans-Nom était le fils de Simon Morgaz. Comment le fugitif se trouvait-il alors à l’île Navy, le voici en quelques mots.

Au bruit de cette détonation partie de l’enceinte du fort Frontenac, Jean était tombé sans mouvement entre les bras de Lionel. Il avait compris. Joann venait de mourir à sa place. Il fallut les soins de son jeune compagnon pour le ranimer. Après avoir traversé le Saint-Laurent sur la glace, tous deux avaient suivi la rive de l’Ontario, et ils étaient déjà loin du fort, au lever du jour.

Se rendre à l’île Navy, rallier les insurgés contre les troupes royales, se faire tuer enfin, s’il échouait dans cette suprême tentative, c’est ce qu’avait résolu Jean. En parcourant les territoires limitrophes du lac, où s’était répandue la nouvelle de son exécution, il put constater que les Anglo-Canadiens croyaient en avoir fini avec lui. Eh bien ! il reparaîtrait à la tête des patriotes, il tomberait comme la foudre sur les soldats de Colborne. Peut-être cette réapparition, pour ainsi dire miraculeuse, jetterait-elle l’épouvante dans leurs rangs, en même temps qu’elle provoquerait un élan irrésistible chez les Fils de la Liberté.

Mais, quelque hâte que Jean et Lionel eussent d’arriver au Niagara, ils durent faire de longs détours, — cause de longs retards. Les risques qu’ils coururent furent très grands jusqu’à la limite des territoires américains, et il leur fallut se résoudre à ne voyager que la nuit. Aussi, ce ne fut que le soir du 16 décembre qu’ils atteignirent le village de Schlosser, puis le campement de l’île Navy.

Et maintenant, Jean faisait face à la foule hurlante, qui s’était refermée derrière lui.

Mais telle était l’horreur inspirée par le nom de Simon Morgaz, que les cris ne cessèrent pas. On l’avait reconnu… C’était bien Jean-Sans-Nom, le héros populaire, que l’on croyait tombé sous les balles anglaises !… Et malgré cela, la légende s’évanouit. Aux menaces qui s’adressaient à Bridget, s’en joignirent d’autres qui s’adressaient à son fils.

Jean était resté impassible. Soutenant sa mère d’un bras, il repoussait de l’autre cette multitude déchaînée. MM. de Vaudreuil, Farran, Clerc et Lionel essayaient en vain de la contenir. Quant à Vincent Hodge, en se retrouvant en face du fils du dénonciateur de son père, de l’homme qu’il savait aimé de Clary de Vaudreuil, il avait senti un flux de colère et de haine lui monter à la tête. Mais, refoulant ses instincts de vengeance, il ne songeait plus qu’à défendre la jeune fille contre les dispositions hostiles que lui valait son dévouement à Bridget Morgaz.

Certes, que de pareils sentiments se fussent manifestés à l’égard de cette malheureuse femme, que l’on fit remonter jusqu’à elle la responsabilité des trahisons de Simon Morgaz, c’était d’une révoltante injustice. Cela ne pouvait se comprendre que de la part d’une foule qui, toute à son premier mouvement, ne réfléchissait plus. Mais que la présence de Jean-Sans-Nom ne l’eût pas arrêtée dans son affolement, après ce que l’on savait de lui, cela passait toutes limites.

L’indignation que Jean éprouva de cet acte abominable fut telle que, pâle de colère, et non plus rouge de honte, il s’écria d’une voix qui domina tout le tumulte :

« Oui ! je suis Jean Morgaz, et voici Bridget Morgaz !… Frappez-nous donc !… Nous ne voulons pas plus de votre pitié que de votre mépris !… Mais, toi, ma mère, relève la tête, et pardonne à ceux qui t’outragent, toi, la plus respectable des femmes ! »

Devant cette attitude, les bras s’étaient abaissés. Et, pourtant, les bouches vociféraient encore :

« Hors d’ici, la famille du traître !… Hors d’ici, les Morgaz ! »

Et la foule serra de plus près les victimes de son odieux emportement pour les expulser de l’île.

Clary se jeta au-devant.

« Malheureux, vous l’écouterez, avant de chasser sa mère et lui ! » s’écria-t-elle.

Et, surpris par l’énergique protestation de la jeune fille, tous s’arrêtèrent.

Alors, Jean, d’une voix où le dédain se mêlait à l’indignation :

« Tout ce que l’infamie de son nom a fait souffrir à ma mère, dit-il, il est inutile que j’y insiste. Mais, ce qu’elle a fait pour racheter cette infamie, il faut que vous le sachiez. Ses deux fils, elle les a élevés dans l’idée du sacrifice et du renoncement à tout bonheur sur terre. Leur père avait livré la patrie canadienne : ils ne vécurent plus que pour lui rendre son indépendance. Après avoir renié un nom qui leur faisait horreur, l’un alla à travers les comtés, de paroisses en paroisses susciter des partisans à la cause nationale, tandis que l’autre se jetait au premier rang des patriotes dans toutes les insurrections. Celui-ci est devant vous. Celui-là, l’aîné, c’était l’abbé Joann, qui a pris ma place dans la prison de Frontenac, qui est tombé sous les balles des exécuteurs…

— Joann !… Joann… mort ! s’écria Bridget.

— Oui, ma mère, mort comme tu nous as fait jurer de mourir — mort pour son pays ! »

Bridget s’était agenouillée près de Clary de Vaudreuil, qui, l’entourant de ses bras, mêlait ses larmes aux siennes.

De la foule, impressionnée par cette émouvante scène, il ne se dégageait plus qu’un sourd murmure, où l’on sentait frémir cependant son insurmontable horreur pour le nom de Morgaz.

Jean reprit d’une voix plus animée :

« Voici ce que nous avons fait, non dans le but de réhabiliter un nom qui est à jamais flétri, un nom que le hasard vous a fait connaître et que nous espérions ensevelir dans l’oubli avec notre famille maudite ! Dieu ne l’a pas voulu ! Et, après que je vous ai tout dit, répondrez-vous encore par des paroles de mépris ou des cris de haine ? »

Oui ! Telle était l’horreur provoquée par le souvenir du traître que l’un des plus forcenés osa répondre :

« Jamais nous ne souffrirons que la femme et le fils de Simon Morgaz souillent de leur présence le camp des patriotes !

— Non !… Non !… répondirent les autres, dont la colère reprit le dessus.

— Misérables ! » s’écria Clary.

Bridget s’était relevée.

« Mon fils, dit-elle, pardonne !… Nous n’avons pas le droit de ne pas pardonner !

— Pardonner ! s’écria Jean, dans l’exaltation qui suscitait tout son être contre cette injustice. Pardonner à ceux qui nous rendent responsables d’un crime qui n’est pas le nôtre, et malgré ce que nous avons pu faire pour le racheter ! Pardonner à ceux qui poursuivent la trahison jusque dans la femme, jusque dans les enfants, dont l’un leur a déjà donné son sang, dont l’autre ne demande qu’à le verser pour eux ! Non !… Jamais ! C’est nous qui ne resterons pas avec ces patriotes, qui se disent souillés par notre contact ! Viens, ma mère, viens !

— Mon fils, dit Bridget, il faut souffrir !… C’est notre part ici-bas !… C’est l’expiation !… »

— Jean ! » murmura Clary.

Quelques cris retentissaient encore. Puis, ils se turent. Les rangs s’étaient ouverts devant Bridget et son fils. Tous deux se dirigeaient vers la berge.

Bridget n’avait même plus la force de faire un pas. Cette horrible scène l’avait anéantie. Clary, aidée de Lionel, la soutenait, mais ne pouvait la consoler.

Tandis que Vincent Hodge, Clerc et Farran étaient restés au milieu de la foule pour la calmer, M. de Vaudreuil avait suivi sa fille. Comme elle, il sentait son cœur se révolter contre ce flot d’injustice, contre l’abomination de ces préjugés qui poussent au delà de toutes limites les responsabilités humaines. Pour lui comme pour elle, le passé du père s’effaçait devant le passé de ses fils. Et, lorsque Bridget et Jean furent arrivés près de l’une des embarcations qui faisaient le service de Schlosser, il dit :

« Votre main, madame Bridget !… Votre main, Jean !… Ne vous souvenez plus de ce que ces malheureux vous ont jeté d’outrages !… Ils reconnaîtront que vous êtes au-dessus de ces opprobres !… Ils vous demanderont un jour de leur pardonner…

— Jamais ! s’écria Jean, en se dirigeant vers l’embarcation, prête à quitter la rive.

— Où allez-vous ? lui demanda Clary.

— Là où nous ne risquerons plus d’être en butte aux insultes des hommes !

— Madame Bridget, dit alors la jeune fille d’une voix qui fut entendue de tous, je vous respecte comme une mère ! Il y a quelques instants, croyant que votre fils n’était plus, je jurais de rester fidèle à la mémoire de celui auquel j’aurais voulu vouer ma vie !… Jean, je vous aime !… Voulez-vous de moi ?… »

Jean, pâle d’émotion, faillit tomber aux pieds de cette noble fille.

« Clary, dit-il, vous venez de me donner la seule joie que j’aie ressentie depuis que je traîne cette existence maudite ! Mais, vous l’avez vu, rien n’a pu diminuer l’horreur que notre nom inspire, et cette horreur, je ne vous la ferai jamais partager !

— Non ! ajouta Bridget, Clary de Vaudreuil ne peut devenir la femme d’un Morgaz !

— Viens, ma mère, dit Jean, viens ! »

Et, entraînant Bridget, il la déposa dans l’embarcation qui s’éloigna, tandis que le nom du traître retentissait encore au milieu de clameurs.


Le lendemain, au fond d’une hutte isolée, en dehors du village de Schlosser, où il avait transporté sa mère, Jean, agenouillé près d’elle, recevait ses dernières paroles.

Personne ne savait que cette hutte renfermait la femme et le fils de Simon Morgaz. D’ailleurs, ce ne serait pas pour longtemps. Bridget se mourait. Dans quelques heures allait finir cette existence où s’étaient accumulées toutes les souffrances, toutes les misères, qui peuvent accabler une créature humaine.

Lorsque sa mère ne serait plus, quand il lui aurait fermé les yeux, lorsqu’il aurait vu la terre recouvrir son misérable corps, Jean était résolu à fuir ce pays qui le repoussait. Il disparaîtrait, on n’entendrait plus parler de lui, — pas même après que la mort serait venue le délivrer à son tour.

Mais les dernières recommandations de sa mère allaient le faire revenir sur ce projet d’abandonner cette tâche qu’il s’était donnée de réparer le crime de son père.

Et voici ce que lui dit Bridget, d’une voix dans laquelle passa son dernier souffle :
« Oui, je suis Jean Morgaz. Frappez-nous donc !… »


« Mon fils, ton frère est mort, et moi, je vais mourir, après avoir bien souffert ! Je ne me plains pas ! Dieu est juste ! C’était l’expiation ! Jean, pour qu’elle soit complète, il faut que tu oublies l’outrage ! Il faut que tu reprennes ton œuvre ! Tu n’as pas le droit de déserter !… Le devoir, mon Jean, c’est de te sacrifier pour ton pays jusqu’à ce que tu tombes… »

L’âme de Bridget s’était exhalée avec ces mots.
Vers onze heures du matin, les préliminaires de l’attaque commencèrent.


Jean embrassa la morte et ferma ces pauvres yeux qui avaient tant pleuré.