Federic de Sicile/3
FEDERIC
DE
SICILE.
TOME III.
Federic n’enviſageoit plus
que le mariage d’Amaldée,
& il alla réver ſeul
en attendant ſon retour,
qui ne tarda guere à ſon
avis ; il ne pouvoit voir que trop toſt la
Princeſſe de Mantouë, elle luy parut ſi
belle & Amaldée ſi complaiſant, quoy
qu’il ne fit que ce que la ſimple civilité
vouloit, qu’il vit bien que ſa douleur
pouvoit croiſtre. Le Roy la reçeut comme
ſa qualité & comme les veuës qu’il
avoit pour elle le meritoient, la Reine
ne la vit point ce jour-là & fit dire qu’elle
eſtoit indiſpoſée, mais la Princeſſe de Mantouë regarda Federic avec aſſez
d’application, & ne ſongea preſque
point à tous les honneurs qu’on luy rendoit.
Elle auroit bien voulu qu’il euſt
eſté le Prince de Majorque, & quoy
qu’Amaldée fut admirablement bien
fait, elle n’eſtoit pas deſtinée à ſentir
pour luy ce qu’elle commençoit à ſentir
pour Federic. Ils avoient conçeu beaucoup
d’eſtime l’un pour l’autre, & rien
de plus, & jamais deux cœurs ne furent
plus éloignés dans le temps qu’on les
vouloit unir. Ils ſe rencontroient, il eſt
vray au même point pour ce qui regardoit
Federic, mais ce n’eſtoit pas le
moyen de s’accorder. Le lendemain
chacun ſe trouva avec des ſentimens ſi
bizarres, qu’il ſembloit que l’amour
euſt changé de lieu pour exercer mieux
ſa vangeance, mais cette Princeſſe en
portoit toûjours la ſourçe, & toutes les
afflictions eſtoient mediocres auprés de
la ſienne. Elle en eut un redoublement
ſenſible par la jalouſie que luy donna
Amaldée, elle ne l’avoit point encore
connuë, & cette paſſion ſi violente dans
tous les autres, n’eſtoit que douloureuſe
chez elle, & par conſequent beaucoup plus accablante. C’eſt un grand
ſoulagement que de ſe pouvoir plaindre
de quelqu’un avec juſtice, & ces terribles
mouvemens qui font croire qu’on
haït celuy qui aime une rivale, ſont plus
ſupportables, que ces tendres langueurs,
qui ne vont qu’à s’accuſer ſoy-même
de tous ſes maux ; que cette accuſation
eſt foible, & qu’elle eſt affligeante
en même temps, que ne me ſuis-je
fait connoiſtre, diſoit-elle, avant
qu’il a connu une autre, il eſt hors
de ſaiſon de luy montrer la Princeſſe de
Sicile aprés qu’il a veu la Princeſſe de
Mantouë, & qu’il a déja reçeu l’impreſſion
de ſes charmes. Que ne prenois-je
mon temps pendant ſon heureuſe indifference
pour me faire aimer ? je m’en
plaignois helas ! & j’ay toûjours differé
de la luy faire perdre. Je me vois prevenuë,
que ne l’a-t’il gardée puis qu’il
ne la quitta point pour moy ? je n’avois
jamais eu que le chagrin de n’eſtre pas
aimée, mais celuy de le voir aimer ailleurs
eſt mille fois plus cruel. Elle ne
ſçeut ſortir ce jour là, & feignit une
maladie qu’elle n’avoit que dans l’ame ;
la Reine ſe porta bien dés qu’il fut queſtion de l’aller voir. Si Federic l’avoit
offenſée par ſa froideur, elle trouva le
moyen de le juſtifier. Il avoit quelque
raiſon de ſon coſté ; l’injuſte procedé du
Roy où il pouvoit penſer qu’elle euſt
quelque part, à cauſe de Camille, luy
pouvoit bien faire eſſuyer quelque
chagrin. Mais quand tout auroit eſté
contre luy, elle auroit trouvé chez elle
de quoy le deffendre. Il eſt fort naturel
de croire innocent ce qu’on a tant d’intereſt
qu’il le ſoit. Enfin elle ſe diſpoſa à
luy rendre viſite aprés en avoir reçeu
de la Princeſſe de Mantouë, à qui elle
fit comprendre qu’elle eſtoit obligée
d’avoir de grands égards pour ce Prince
étranger, & ne pouvant approuver elle-même
tous les menagemens qu’elle avoit
pour luy, elle taſchoit de les faire
approuver aux autres. La Princeſſe de
Mantouë luy fit pluſieurs queſtions ſur
Federic, en luy diſant de ne l’avoir
point remarqué, & l’obligea de la mener
avec elle, quoy qu’elle euſt fort
envie de n’en rien faire. Cette jeune
Princeſſe avoit eu certaine inquietude
toute la nuit qui l’avoit empeſchée de
dormir, & qui l’euſt miſe en état de garder le lit s’il n’euſt point fallu voir
la Reine : elle ſe flata que la maladie de
Federic pouvoit eſtre quelque choſe
d’approchant. Il luy ſembla qu’il l’avoit
fort conſiderée, & même qu’il avoit
pouſſé des ſoupirs en la regardant, &
l’envie de luy en voir pouſſer encore
quelques uns, luy fit un plaiſir qu’elle
perdit en entrant dans ſa chambre ; on
le trouva dans un eſtat pitoyable, ſes
jeux eſtoient tous baignez de larmes,
qu’à peine eſſuya-t’il pour elles. Il leur
fut aiſé de juger qu’elles n’avoient toutes
deux point de part à cette grande
douleur. Les commencemens d’une
paſſion ne ſont point ſi violens, & la
Princeſſe de Mantoüe craignit avec raiſon
que celuy qu’elle vouloit rendre ſenſible,
ne le fut déja que trop. La Reine
de ſon coſté n’ayant pas lieu de s’applaudir
de ce profond chagrin, en conçeut
un furieux dépit ; la converſation fut
fort froide de part & d’autre & la viſite
courte. Comme elles ſortoient, Amaldée
entra. Federic le reçeut malgré
luy avec beaucoup d’aigreur, bien qu’il
n’euſt point voulu l’offenſer, il ne laiſſoit
pas de le faire, il ſembloit à la Princeſſe de Sicile, qu’on luy voloit ce cœur
qu’on ne luy donnoit pas quand elle l’avoit
ſi bien merité. Elle ne pouvoit eſtre
contente de celuy qui le donnoit à une
autre. La Princeſſe de Mantouë vous envoye-t’elle
icy, luy dit Federic d’un ton
fort ſec ? Amaldée ſans luy repondre là
deſſus, luy demanda ſeulement ce qu’il
en trouvoit, & ſi elle n’eſtoit pas belle ;
je ne l’ay pas aſſez remarquée, luy repondit-il
ſur ſon premier ton, je crains bien,
luy repartit Amaldée avec aſſez d’aigreur
à ſon tour, que vous ne l’ayez trop
veuë pour voſtre repos, & pour le mien ;
& cette affectation de ne point parler
d’elle, me paroiſt une crainte d’augmenter
ma tendreſſe en loüant la Princeſſe
qui l’a fait naiſtre. Federic eſtoit ſi
confus, & ſi deſeſperé de luy voir tant
d’emportement, qu’il n’eut pas le courage
de luy repondre, & Amaldée ſe
confirma de plus en plus dans le ſoupçon
qu’il fut devenu amoureux de ſa
Maiſtreſſe ; il s’en fâcha ſans démeſler
ſes propres penſées, il luy ſembla qu’il
ne s’inquietoit guere qu’elle aimaſt Federic,
& il ne pouvoit ſouffrir qu’elle en
fut aimée. Je me trompe, diſoit-il, & la jalouſie me trouble l’eſprit. Je ne dois
craindre qu’il l’aime, que de peur qu’elle
l’aime auſſi, mais, reprenoit-il un moment
aprés, je ſens que j’apprehende
tout du coſté de Federic, méme ſans rapport
à la Princeſſe, je ſuis inſenſé, ajoûtoit-il,
enfin je ſuis amoureux puiſque je
ſuis jaloux, & je ne peux l’eſtre que de la
Princeſſe de Mantoüe, il ne ſçavoit
pourtant conclure cela de bonne foy, &
il eſtoit ſuſpendu entre ſa raiſon & ſes
ſentimens, qu’il ne pouvoit accorder,
mais il eut des allarmes plus vives. Federic
ne pouvant ſe reſoudre à laiſſer
faire à ſa rivale tout le progrés qu’elle
auroit voulu pendant qu’il s’amuſeroit à
ſe plaindre, ſortit de la chambre dés le
lendemain, & parut fort triſte, mais ſi
beau, que la Princeſſe de Mantoüe le
loüa extraordinairement, & donna des
preſſentimens de la verité à la Reine,
que ſon experience rendoit habile ſur ce
qu’on ſentoit pour Federic, elle trouva
deux rivales, & n’eſtoit point aimée.
C’étoit aſſez pour la porter à de terribles
extrémitez : elle eſtoit imperieuſe naturellement,
neanmoins comme l’amour
ſait de grands changemens dans l’ame de ceux qu’il poſſeda, la grandeur de ſa
paſſion luy fit entreprendre ce qu’elle
n’auroit jamais fait ſans ſon aide. Federic
ſe trouvant auprés d’une feneſtre où
il révoit profondement, elle fit ſemblant
de regarder les jardins, & s’approchant
de luy, vous eſtes indigne,
luy dit-elle, de ce qu’on veut faire pour
vous ; vous devez vous eſtre apperçeu
que je vous aime, vous aimez Camille,
& je vous la rends, mais auſſi que cét
effort extraordinaire vous engage à un
peu de reconnoiſſance ; elle n’attendit
pas ſa réponſe, & une grande rougeur
luy couvrant le viſage, elle ſortit & alla
trouver le Roy, luy demanda la grace
de Camille, & luy dit que ſa ſeverité
devoit eſtre ſatisfaite, & qu’il falloit
qu’à ſon tour l’amitié le fuſt auſſi. Le
Roy eut bien de la peine à y conſentir,
mais aprés mille careſſes, dont il ne luy
devoit tenir guere de compte, elle en
obtint ce qu’elle demandoit, à condition
toutefois que ſa fille ne ſe montreroit
point devant luy. De là elle paſſa dans
l’appartement de Camille, qu’elle trouva
dans une triſteſſe à faire mourir de pitié
toute autre qu’une rivale. L’abſence de Federic qui n’eſtoit que pour elle, &
que l’Amirale ne partageoit pas, eſtoit
une douleur que juſqu’à lors elle avoit
ignorée, & qu’elle eut loiſir de ſentir
dans toute ſon étenduë. La viſite de la
Reine l’étonna, mais ſa ſurpriſe augmenta
cruellement quand elle luy tint
ce diſcours ; allez remercier le Prince
de Sicile de voſtre grace, c’eſt à luy que
vous la devez, il vous rend libre en vous
faiſant une infidelité pour la Princeſſe de
Mantoüe. Camille ne vouloit point de
liberté à ce prix, & la Reine ſortit ſans
luy dire rien de plus. Comme en la
brouillant avec Federic, elle luy oſtoit
le fruit du ſervice qu’apparemment elle
avoit voulu luy rendre, elle eſperoit
s’attirer tout. Camille auroit mieux
aimé demeurer dans le doute de ce qui
ſe paſſoit entre Federic & l’Amirale,
que d’avoir la certitude de ce qu’il reſſentoit
pour la Princeſſe de Mantoüe ;
une nouvelle rivale reveille toutes les
douleurs ; elles augmentent chaque fois
qu’on eſt obligé d’en prendre, parce
qu’on y ajoûte celles qu’on avoit déja
euës. Penetré de mille penſées differentes,
elle ne ſuivit que celle que le dépit luy inſpira, qui fut de ne jamais parler à
Federic. En effet elle eut tant d’adreſſe à
en éviter les occaſions, que quand il les
auroit cherchées plus qu’il ne faiſoit,
il n’en ſeroit jamais venu à bout. Federic,
la Princeſſe de Mantouë, & la Reine
juſtifioient ſi bien tout ce qu’il avoit
dit, qu’on n’en pouvoit douter. La Princeſſe
de Sicile eſtoit bien aiſe d’oſter un
cœur à celuy qui luy oſtoit le ſien, & de
ſe venger par là de tous les chagrins qu’Amaldée
luy avoit cauſez, elle y reüſſit.
Un jour qu’ils ſe rencontrerent, ce Prince
luy dit fort triſtement ; hé bien vous
aimez ma Maiſtreſſe, faut-il que je vous
la cede ? ne me la cedez point, luy répondit-elle
fierement, il faut diſputer ſon
cœur par des ſoins, & malgré la tendreſſe
que j’auray pour elle, faudra-t’il qu’elle
ſoit à vous ? la tendreſſe que vous aurez
pour elle ! répondit Amaldée, ah ! je
ne puis ſoûtenir ce coup ! quoy donc je
ſeray trahy par mon meilleur amy ! il
faut rompre ſi vous aimez la Princeſſe de
Mantouë : rompons, dit la Princeſſe de
Sicile, outrée de luy voir des mouvemens
qu’elle ne croyoit pas cauſer, car
l’amour n’a jamais produit tant de bizarreries ſans ſe faire connoiſtre, qu’il en
produiſoit dans l’ame d’Amaldée. Ils ne
ſe parlerent plus de ce jour, & la Princeſſe
de Sicile donnant à ſa rivale toutes les
heures qu’elle auroit paſſées avec ſon Amant,
ſe dedommageoit de ce qu’elle
pouvoir perdre, parce qu’il perdoit auſſi
& s’employoit toujours à mettre obſtacle
aux progrés que ſa paſſion pouvoit
faire, ſi elle ne pouvoit l’empeſcher d’en
avoir, trop heureuſe de ſe donner une occupation
ſi utile ! cela faiſoit une diverſion
à ſes ſentimens, que l’oiſiveté auroit
rendus plus ardens. La Princeſſe de
Mantoüe étoit charmée de voir un ſi
heureux ſuccés à ſon deſſein, que d’abord
elle avoit cru ne pas executer ; elle ne fit
plus de reflexion ſur la difficulté qu’elle
y avoit preveuë, puiſque cette difficulté
eſtoit levée. Quand on eſt contente du
preſent, on ne détourne point ſa veuë ſur
des ſouvenirs faſcheux, ou quand on y
fait quelque reflexion, les maux paſſez ne
ſervent qu’à faire trouver plus de plaiſirs
par l’oppoſition des biens preſens. La
Reine eſtoit furieuſe de voir qu’on
avoit changé ſuivant ſes maximes, &
qu’on n’avoit point changé pour elle. Il luy auroit eſté moins cruel de voir que
Federic euſt continué d’aimer Camille,
que de voir qu’il commençoit d’aimer
la Princeſſe de Mantoüe, il pouvoit
bien avoir ſoupiré pour ſa fille, ſans
l’offencer, puiſqu’il ne ſçavoit pas qu’elle
eſtoit belle, mais il ne pouvoit l’avoir
connuë, même avoir reconnu la
tendreſſe qu’elle avoit pour luy, & la
ſacrifier à une autre, ſans un mêpris
horrible. C’eſt particulierement la preference
qui outrage. Camille de ſon
coſté n’avoit point d’autre party à prendre
que celuy de ſe plaindre avec ſon
frere, & luy que de ſe plaindre avec ſa
ſœur ; ils augmentoient leurs douleurs
en les meſlant enſemble. L’Amirale qui
s’informoit avec ſoin de tout ce qui regardoit
Federic, eſtoit inſtruite des
moindres circonſtances de ſon mal-heur :
elle devint amie de la Princeſſe de Majorque
depuis qu’elles n’eurent rien à
craindre l’une de l’autre, & depuis qu’elles
redouterent également une rivale.
Elles chercherent même enſemble les
biais de luy nuire. L’Amirale ne pouvoit
ſe reſoudre à perdre le fruit de ſon
voyage, elle vouloit parler au moins à l’ingrat Federic, mais il n’y avoit pas
de moyen ; il eſtoit le plus qu’il pouvoit
avec la Princeſſe de Mantoüe, & plus
qu’il ne vouloit avec la Reine, qui tâchant
de ne point faire d’éclat, ſe ſervoit
des meſmes raffinemens qu’il avoit
eus à l’égard d’Amaldée, & luy voloit
des momens qu’il deſtinoit à la Princeſſe
de Mantoüe, & qui eſtoient ſon pis aller
à luy-même. Par ce moyen la Reine
partageoit ſes aſſiduitez, ou plutoſt elle
les luy rendoit, ou ſe les faiſoit rendre
malgré luy. Il n’avoit qu’une complaiſance
forcée pour elle ; rien ne le portoit
à en avoir que la ſeule conſideration
de ſon rang ; ainſi ſes empreſſemens
n’ayant pas le meſme motif qui le faiſoit
agir pour la Princeſſe de Mantoüe, avoient
une notable difference. Federic
avoit quatre Maiſtreſſes en même temps ;
il eſtoit l’Amant de ſa rivale, & le rival
de ſon Amant, & ſoutenoit particulierement
ces deux derniers caracteres avec
éclat. Comme Amaldée auroit veu
ſans chagrin la paſſion de ſa Maiſtreſſe ſi
ſon amy ne luy avoit pas marqué une
tendreſſe reciproque, il negligeoit fort
de ſe plaindre d’elle, ſouvent il ne luy parloit que de choſes indifferentes ; mais
un jour remarquant l’inquietude de Federic
qui ſe promenoit avec la Reine, &
qui tâchoit de s’approcher de luy pour
entendre ce qu’il diſoit à la Princeſſe de
Mantoüe, il reſolut à ſon tour de luy faire
paſſer de fâcheux momens, & hauſſant
la voix, ah ! Madame, luy dit-il, n’avons
nous rien à nous dire de plus doux, il
ſemble que nous craignons que Federic
ne nous écoute, comme il écoutoit effectivement,
elle luy répondit avec beaucoup
de froideur ; plus la converſation
eſt indifferente, & plus elle doit eſtre
agreable : quelle rigueur ! s’écria Amaldée
avec un chagrin qui n’eſtoit pas
abſolument feint, puis qu’il jugeoit que
ſon indifference pour luy, ne venoit que
de la tendreſſe que Federic avoit pour
elle. Eſt-ce, continua-t’il, par ces choſes
indifferentes que le Prince de Sicile a
ſçeu vous plaire, & vous a-t’il accoutumée
à des converſations ſi peu tendres,
que vous n’en puiſſiez ſouffrir d’autres.
Federic ſe connoiſſoit trop en mouvemens,
pour ne pas remarquer que ceux
d’Amaldée avoient un principe tres-tendre,
ſans demêler qu’il eſtoit la cauſe de cette tendreſſe, puiſque celuy
qui la reſſentoit ne le demêloit pas luy-même,
il en conçeut toute la rage que
la Princeſſe de Mantoüe en auroit deu
conçevoir, il laiſſa paroiſtre à la Reine
qui n’en prit pas moins, & ces quatre
Amans, dont deux ſeulement l’étoient
à bon titre, ſe partagerent fort peu
judicieuſement, faute de connoiſtre la
verité de ce qu’ils reſſentoient. Federic
qui eſtoit entraîné vers Amaldée y entraînoit
auſſi peu à peu la Reine, qui attribuant
cette violence à la Princeſſe de
Mantoüe voulut l’en éloigner, & détourna
bruſquement dans une allée oppoſée.
L’entretien du Prince de Majorque
& de la Princeſſe de Mantoüe retomba
inſenſiblement dans ſa premiere tiedeur,
dés que la preſence de Federic ne les anima
plus, elle ne s’empreſſa guere à ſe juſtifier
des ſoupçons d’Amaldée, & une
certaine mélancolie le prit, qui l’empécha
de la preſſer d’avantage là deſſus. De
leur côté, Federic & la Reine étoient
dans un deſordre inconçevable, Federic
étoit au deſeſpoir de n’eſtre plus le
témoin d’une converſation qu’il s’imaginoit
avoir eſté pouſſée plus loin ;
& la Reine eſtoit au deſeſpoir de voir le ſien ; quoy qu’ils ne ſe parlaſſent preſque
point, ils ne ſe quitterent pas ſi
toſt. La Reine retint Federic autant que
la bien-ſeance le luy put permettre, &
il ſe retira ſi outré de ce qu’il avoit entendu,
qu’il ſe reſolut, ſuivant la coutume
de ceux qui aiment, d’entendre deſormais
tout ce qu’il auroit ſouhaitté de
ne point ſçavoir, il ne quittoit plus Amaldée,
qui luy donnoit innocamment
mille marques de ſa jalouſie, il ne pouvoit
ſouffrir qu’il parlaſt à la Princeſſe de
Mantoüe, il l’interrompoit dés qu’il les
voyoit enſemble, Federic en faiſoit autant
de ſa part, ainſi ils ſe cauſerent cent
petits chagrins l’un & l’autre, & irritoient
leur tendreſſe reciproque par les
marques qu’ils en donnoient à la Princeſſe
de Mantoüe ; ſes ſoins redoublés
l’importunoient, deux paſſions nuiſoient
à la ſienne, il falloit ſe défaire de l’une ou
de l’autre, ſans doute le ſort devoit tomber
ſur celle d’Amaldée, mais comme
elle ne l’avoit pas fait naiſtre, ſon pouvoir
ne s’étendoit point juſques-là, &
c’étoit en vain qu’elle entreprenoit de
l’en guerir. Un jour qu’il avoit rompu
leur entretien à ſon ordinaire, elle ſe mit ſur le chapitre des Amans jaloux ; pour
moy, dit-elle, je croy que les aſſiduités
d’un Amant de ce caractere, diminuent
autant l’eſtime qu’on a pour luy, que
celles d’un Amant plus circonſpect peuvent
la faire croiſtre, c’eſt une premiere
veüe qui fait naiſtre la tendreſſe quand
elle eſt heureuſe, celles qui ſuivent ne
ſervent qu’à confirmer ce qu’elle a déja
fait, mais quand elle ne produit rien,
toutes les autres ne ſervent qu’à irriter
nôtre dureté par l’obſtacle qu’on y veut
mettre. Il ſemble qu’on veuille emporter
nôtre cœur de vive force. Il eſt né libre,
& quand il ne ſe donne pas luy même,
rien ne nous le peut oſter. Il eſt tout
vray repliqua le Prince de Majorque, lors
qu’on n’a pas plû d’abord, c’eſt inutilement
qu’on ſe travaille pour y parvenir.
La Conſtance déplaiſt dans un Amant
rebuté autant qu’elle charme dans un
Amant qui plaiſt, mais quand on n’a pas
reüſſi dans ſon amour, on veut du moins
reüſſir dans la jalouſie, & c’eſt aſſez que
d’empécher un rival de proſiter de nôtre
diſgrace, & aſſurement il a plus de part
à nos aſſiduités qu’une Maiſtreſſe à qui
on ne les doit plus dés qu’elle les permet
à un autre. Federic ſans ſçavoir pourquoy, trouva tant de douceur à ce
mot, que regardant Amaldée d’une maniere
tres-obligeante ; Un Amant habile,
luy dit-il, ne doit point étre ſcandaliſé
d’un procedé qui marque le cas qu’on
fait de ſon merite, & c’eſt beaucoup que
de s’attirer l’eſtime de ſon rival. La Princeſſe
de Mantoüe à ce mot la regarda avec
étonnement ; & ſans comprendre
pourquoy il prenoit le party d’Amaldée
au prejudice du ſien méme en un endroit
apparamment ſi contraire à ſes intereſts,
on peut dire qu’il luy donna en ce moment
de la jalouſie avec plus de juſtice
qu’elle ne luy en donnoit. Elle le quitta
ſur quelque pretexte avec aſſez de dépit,
& dés le lendemain voyant Federic dans
la chambre de la Reine qui étoit occupée
pour quelques affaires, elle tâcha de s’approcher
de luy, & luy dit, je ne ſçay en
verité pourquoy vous avez plus d’égards
pour un amy qui ne devroit plus l’étre,
que je n’en ay pour un Amant que je dois
ménager par mille raiſons. Que voulez-vous
que je faſſe, luy dit-il, il en uſe fort
bien avec moy, il a été mon vainqueur…
Ah ! luy dit la Princeſſe en l’interrompant,
tient on compte de quelque choſe à un rival ? vous meriteriez bien qu’à vôtre
exemple je luy tinſſe compte des deſſeins
qu’il a pour moy, cependant je veux
bien vous en donner un autre, puis qu’il
vous en faut un pour vous mettre dans le
devoir d’Amant, traitez-le comme je
le traite, ce n’eſt pas trop vous demander ;
mais Madame, luy repliqua-t’il,
ſerois-je ingrat envers ce Prince dont les
ſentimens ſont ſi genereux ? mais reprit-elle
encore une fois, je n’en ay jamais
veu de pareils aux vôtres, & je croy que
vous aimez mieux vôtre rival que vôtre
Maîtreſſe. Ils n’en ſçeurent dire d’avantage,
car la Reine revenant avec precipitation
les interrompit. Cependant Amaldée,
& Federic continuoient à ſe
faire mille honneſtetés, & toûjours en
preſence de la Princeſſe de Mantoüe, ils
ne la quittoient point, elle avoit beau les
deffendre à Federic, il eſtoit commandé
par quelque choſe de plus puiſſant ; ils ſe
broüillerent & s’accommoderent ſouvent,
car la penſée qu’elle n’eſtoit jalouſe
que d’un rival luy faiſoit condamner
tous ſes mouvemens comme ridicules,
mais nos vrays Amans ne pouvoient
être long-tems en bonne intelligence parmy tant d’embarras. Amaldée ſe
mit en teſte de s’éclairçir de tout ce
qu’il ſentoit d’étrange. Il communiqua
ſon deſſein à Federic, & luy dit qu’il
falloit mettre fin à leurs differens, en
examinant toutes leurs penſées les plus
particulieres avec la Princeſſe de Mantouë,
celuy qui ſe trouvera l’aimer de
la meilleure foy, dit-il, l’aimera ſeul,
& l’autre n’y mettra point d’obſtacles :
Federic avoit trouvé le temps de leur
intelligence ſi doux & ſi court, qu’il
euſt bien voulu le continuer, il tâcha
de s’oppoſer à la curioſité d’Amaldée,
c’eſtoit déja un ſujet d’explication
entre eux. Federic luy reprocha
qu’il aimoit violamment la Princeſſe,
puis qu’il vouloit eſtre ſeur de ſes
ſentimens, méme au riſque de n’eſtre
pas l’Amant heureux. Amaldée auſſi
luy reprocha qu’il y avoit de l’injuſtice à
luy, de croire en eſtre aimé & de le
laiſſer aimer inutilement. C’eſt trop
que de m’atacher encore à voſtre Char
de Triomphe, luy dit-il, ce terrible
mot penſa faire mourir la Princeſſe de
Sicile, elle ne s’eſtoit jamais entendu
parler avec tant de hauteur. Amaldée méme eſtoit ſurpris de ce qu’il avoit
dit, & quoy qu’il n’y trouvaſt rien que
de raiſonnable, il en eſtoit pourtant
malgré luy ſi fâché, qu’il penſa luy demander
pardon de ce qu’il ne luy avoit
pas offert ſa Maiſtreſſe, & qu’il l’avoit
traité en rival vulgaire, puis le reprenant
tout d’un coup, il ſe reſolut ſans
rien debroüiller, de pourſuivre ſon premier
deſſein, & amenant avec luy Federic
qui n’eſtoit pas en état de luy reſiſter,
ny de luy dire une ſeule parole,
ils entrerent enſemble dans l’appartement
de la Princeſſe de Mantoüe, & la
trouvant ſeule, Madame, luy dit-il,
il eſt temps que je ceſſe d’eſtre miſerable,
ou que je le ſois pour toûjours, parlez,
Madame, faut-il que je conſente à l’union
de vos cœurs, parlez Federic, luy
dit-il, en jettant quelques larmes,
aimez vous trop la Princeſſe pour voir
ſans chagrin le mariage auquel nous ſommes
deſtinez. À cét endroit cruel, Federic
ne put ſupporter toute ſa douleur
il s’évanouit, & on appella du monde à
ſon ſecours, il revint enfin, mais ſans
vouloir parler au Prince de Majorque.
Cette avanture fut ſçeuë de la Reine, dont la paſſion augmentoit châque jours,
& qui ayant eſſayé en vain de rendre Federic
tout à elle, ſe reſolut de l’en
éloigner tout a fait. Elle crut qu’il valloit
mieux ſe priver de ſa veuë, que de
le voir l’amant d’une autre. Si bien
qu’elle fut trouver le Roy ; nous avons
toûjours differé, luy dit-elle, de rendre
Federic à Menfroy, par des raiſons
de politique que nous croyions bonnes,
mais aujourd’huy qu’il aime contre
nous, je croy qu’il vaut mieux luy remettre
entre les mains la cauſe de tant
de troubles. Berranger fit aſſez de
difficulté de s’y accorder, mais elle
ſçeut luy repreſenter ſi vivement tous
les malheurs qui les avoient accompagnez
pendant qu’ils avoient porté les
armes contre Menfroy, qu’il fut enfin
de ſon avis. Neanmoins dés qu’elle
trouva ſi peu d’obſtacle à ſon deſſein,
elle commença de trembler pour l’execution :
l’idée de Federic éloigné ſe
preſenta à ſon cœur, avec une douleur
ſi vive, qu’elle commença à combattre
ſes propres raiſons, & à trouver que
c’eſtoit un beau garant de la clemence
du Roy de Sicile, que d’avoir ſon fils entre les mains, ſentant bien qu’elle aimoit
mieux le voir ſoupirer pour une
autre, que de ne le voir plus, & trouvant
que tant qu’il ſeroit dans ſes Etats,
elle auroit une eſpece de droit ſur luy ;
l’ombre du moindre pouvoir eſt toujours
quelque choſe pour une amante ;
elle fit comprendre à Berranger que c’étoit
en quelque façon eſtre maiſtre de la
Sicile, que d’en avoir l’heritier en ſa
puiſſance, mais comme l’intereſt de
ſa tendreſſe ne dévoit pas eſtre negligé,
elle voulut empeſcher la ſuite
de celle qu’il avoit pour la Princeſſe
de Mantouë, en preſſant le Roy
de conclure ſon mariage avec Amaldée.
Elle avoit toûjours differé d’en
parler, de peur de ſe montrer trop
intereſſée à la choſe, il eſt bien difficile
de paroiſtre indifferente quand on ne
l’eſt pas, mais cette occaſion eſtoit favorable,
elle avoit parlé de renvoyer
Federic, & elle evita de le méler dans
cette avanture. Le Roy n’avoit rien ſçeu
de ſa paſſion pour la Princeſſe de Mantouë,
elle vivoit avec Amaldée d’une
maniere à ne donner pas de lieu aux
ſoupçons de gens indifferens. Le Roy ſe trouva donc tout diſpoſé à haſter les
choſes, il falloit conſulter les deux partis.
La Reine ſe chargea d’en parler à
la Princeſſe, & l’ayant fait venir dans
ſon cabinet, aprés luy avoir fait cent
careſſes ; l’alliance que nous allons faire,
luy dit-elle, m’oblige à vous traiter
comme ma fille. Tout eſt preſt pour
voſtre mariage, Amaldée eſt enfin revenu
de ſon indifference, & vous aime
juſqu’à étre jaloux du volage Prince de
Sicile ; il aura ſans doute feint pour vous
quelque tendreſſe, car il n’y a point de
belle qui ſoit exempte de la ſienne, Camille
en fut aimée pendant qu’elle fut en
Sicile, il m’a voulu aimer auſſi, luy dit-elle
en riant, je croyois qu’il vous aimoit,
& d’aujour-d’huy j’ay découvert une
nouvelle intrigue. Le dépit s’empara
de l’ame de cette jeune Princeſſe, apprenant
que Federic n’avoit pas un cœur
auſſi neuf que le ſien, elle n’avoit ſçeu
de ce qui s’eſtoit paſſé entre Camille
& luy, & elle eſtoit là deſſus d’une ſi
grande delicateſſe, que les ſentimens
méme qu’il avoit eus avant que de la
connoiſtre, la rendoient jalouſe. Elle
auroit voulu s’attirer toutes les penſées, dont il eſtoit capable, comme elle
luy vouloit donner toutes les ſiennes.
Il luy eſtoit égal qu’on rendit à d’autres
les meſmes ſoins qu’on luy avoit
donnés, ou qu’on en euſt donné à d’autres
avant que de luy en rendre, puis
qu’ils eſtoient également perdus pour
elle, & quel ſurcroy de douleur, de
voir que même ils eſtoient partagez
dans le peu de temps qu’elle les avoit
reçeus ? elle demanda à la Reine en
tremblant, avec qui Federic avoit un
nouvel engagement. Vous eſtes curieuſe,
luy dit la Reine, avec un enjoüement
affecté ; c’eſt, luy répondit-elle
fort triſtement, une curioſité que j’aurois
pour tout autre comme pour Federic,
mais je ne ſerois pas fâchée de ſçavoir
ſes intrigues. La Reine feignant
d’eſtre de ſon avis, & de ne point remarquer
ſon embarras, luy dit, en effet il eſt
fort plaiſant de découvrir ce qu’on veut
nous cacher, pour moy je m’intereſſe
dans une affaire du moment que je la
ſçay, & elle me donne preſque autant de
plaiſir, que ceux qui y ont la premiere
part, il faut nous en rejoüir, adjouta-t’elle,
& je vous donneray les moyens de le convaincre d’inconſtance. La deſſus
Federic eſtant entré dans ſa chambre,
il faut, dit-elle, le faire entrer icy, nous
verrons comme il repondra à nos attaques,
mais la Princeſſe n’eſtoit pas
en état de ſoutenir ſa veuë, elle ſortit
ſur le pretexte d’un mal de teſte qui
luy venoit de prendre, & la Reine s’applaudiſſant
de ce que ſa malice avoit
reüſſi, la voulut pouſſer plus loin,
& ayant fait donner un ſiege à Federic,
je vous ay enſin obtenu, luy dit-elle,
le plaiſir de retourner en Sicile, ce mot
le fit pâlir, & la Reine continuant dit. Le
Roy a toûjours eu intention de vous
rendre maiſtre de voſtre conduite,
depuis qu’il s’emporta mal à propos à
l’occaſion de Camille, mais le mariage
d’Amaldée l’a toûjours occupé dépuis
ce temps-là, & l’a empeſché juſques
icy de vous en parler. Comme il eſt conclu
preſentement, & que la ceremonie
s’en fait dans peu de jours ; peut-eſtre en
voudrez-vous bien eſtre le témoin ? ou
ſi vous ne le trouvez pas à propos, vous
eſtes libre, & vous pouvez partir
quand bon vous ſemblera, ſi les plaiſirs
qu’on prepare pour cette feſte, vous ſont indiſſerens, & ſi nous ne meritons
pas que vous nous donniez de voſtre
gré quelques jours : vous ne répondez
rien, luy dit-elle, ce mariage n’eſt-il
point de voſtre gouſt ? Madame, luy
dit-il, ſe faiſant une grande violence, la
ſeule penſée de vous quitter m’a empêché
d’entendre tout ce que vous m’avez
pû dire quand ce mariage s’achevera-t’il ?
Il ſeroit déja achevé ſans les froideurs
d’Amaldée, dit la Reine, croijant
eſtre fort malicieuſe, car la Princeſſe
de Mantouë le ſouhaite ardamment ;
Federic reprit un peu de joye à
ce mot, & proteſta ſi bien à la Reine
qu’il n’eſtoit point amoureux de la
Princeſſe de Mantouë, & luy dit tant
de choſes obligeantes, qu’elle demeura
plus contente qu’elle ne ſe l’eſtoit promis,
& Federic eſpera de faire trouver
bon à la Princeſſe, qu’en luy ſacrifiant
effectivement la Reine il feroit ſemblant
de la quitter. L’intelligence qui
eſtoit entre eux, pouvoit autoriſer
cette penſée, mais tous ces projets
n’eſtoient plus de ſaiſon, grace à l’artifice
de la Reine, toutes ſes meſures
furent rompuës par la jalouſie qu’elle avoit jettée adroitement dans l’ame
de ſa rivale. Cette Princeſſe ne le regardoit
plus, & ce fut en vain que les jeux
de Federic voulurent luy dire qu’il falloit
qu’il euſt un entretien particulier avec
elle ; ils ne rencontrerent plus les ſiens,
s’eſtant meſme approché de ſon oreille,
pendant qu’il n’eſtoit obſervé
de perſonne, il luy dit, Madame, on
veut que je vous abandonne, mais je
vois un changement en vos manieres
qui pour peu que vous le continuïez
ira peut-eſtre juſqu’à me ſacrifier au
Prince de Majorque. Elle détourna
fierement la teſte ſans luy répondre,
& preſentant ſa main à Amaldée, il
fut obligé de la ramener à ſon appartement.
Il ne remarqua pas la maniere
obligeante dont elle la luy avoit
donnée, il avoit mille choſes fâcheuſes
dans l’eſprit à ſon occaſion. Le
Roy l’ayant envoyé querir luy avoit
commandé abſolument de l’épouſer
dans huit jours, c’eſtoit tout ce que
ſa reſiſtance en avoit pû obtenir. Il
avoit beaucoup de negligence pour
elle, & il commença dés ce ſoir à
luy rendre toutes celles qu’elle avoit euës pour luy, ainſi ils paſſerent tous
trois une fort méchante nuit. La
Princeſſe de Mantoüe avoit eſté ſi
ſurpriſe de la perfidie de Federic, que
d’abord elle n’avoit pas ſongé qu’Amaldée
luy eſtoit plus fidelle. L’eſprit
attaché ſur ſon mal-heur, ne luy
permettoit point de veües agreables ;
il eſt bien difficile au moment qu’une
forte paſſion ſe voit trahie, de penſer
à en faire naître une autre, elle
n’y ſongea que quand Federic voulut
agir avec elle à l’ordinaire : elle ſe reſolut
tout d’un coup de ſe vanger, elle
penſa que le Prince de Sicile eſtoit
glorieux, & qu’il ſeroit fâché qu’on
luy enlevaſt ſa conqueſte ; quand on
en perd une, le deſſein vient naturellement
d’en faire une autre, mais
ce n’eſt que pour ſe faire valoir à ſon
premier Amant, qu’on taſche d’en
faire un ſecond ; & il doit ſe ſçavoir
peu de gré des démarches qu’on fait
pour luy, puiſque tout ſe rapporte
à la tendreſſe qui avoit d’abord prévalu.
Amaldée, comme nous avons
déja dit, n’examina point tout cela ;
il avoit ſi peu de panchant pour la Princeſſe de Mantoüe, qu’il ne prenoit
pas garde à ſes actions, le ſeul chagrin
de Federic eſtoit capable d’augmenter
le ſien, il ne pouvoit plus luy parler
dépuis l’avanture qui luy eſtoit arrivée
chez la Princeſſe, parce que Federic
l’évitoit avec beaucoup de ſoin ; il ſe
repentoit méme d’avoir preſſé une
declaration où il prenoit ſi peu d’intereſts,
& il ſentoit plus vivement le
chagrin d’eſtre broüillé avec ſon rival,
que le plaiſir d’eſtre bien avec ſa Maitreſſe,
de ſorte que l’eſprit tout remply
de Federic, il luy écrivit cette lettre.