Fin de roman/11

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Édition privée (p. 246-268).


CE CHER PÈRE


Lorsque sa femme mourut, les enfants du père Dubon le placèrent à l’hospice. Il avait plus de quatre-vingts ans et aucun de ses six enfants ne voulait le prendre chez lui.

Le gendre Dupras qui avait épousé Louise déclara : Moi, j’ai dix enfants et je n’ai pas de place pour lui. D’ailleurs, les jeunes le fatigueraient trop.

Guillaume, le plus vieux des quatre fils, qui demeurait à la campagne fit remarquer que sa maison ne possédait aucune de ces commodités que l’on trouve à la ville et dont un homme de l’âge du père ne pourrait se passer.

— Moi, je regrette de ne pouvoir rien faire pour lui, mais je suis réellement hors de cause, expliqua Richard, curé à Chicago, car même si je pouvais m’en charger, les autorités de l’immigration ne lui permettraient pas de franchir la frontière.

D’une voix lente, d’une voix d’homme embêté, Onésime dit : Moi, je ne peux rien faire. Ma femme est toujours malade, elle est à l’hôpital depuis deux mois et je suis obligé de me préparer mes repas moi-même et de voir à l’entretien du logement.

— Moi, que voulez-vous que je fasse ? demanda René, le plus jeune des fils. Je viens de me marier et j’habite avec mes beaux-parents. Je ne peux sûrement pas l’amener là.

— Bien, moi je n’en veux pas, affirma Thérèse d’un ton agressif.

Elle ne jugea pas à propos de donner de raisons ni d’explications.

La franche vérité c’est que les autres enfants n’en voulaient pas non plus, mais étant moins francs que leur sœur, ils se dérobaient derrière des prétextes.

Le père Dubon alla donc à l’hospice. Sa pension de vieillesse lui permettait de payer pour son entretien. Quatre années s’écoulèrent. Mais le vieux s’ennuyait, s’ennuyait à mourir parmi tous ces timbrés avec qui il ne pouvait s’accorder. Alors, Guillaume, celui des garçons qui demeurait à la campagne songea que les vingt piastres que son père recevait chaque mois de l’État lui seraient bien utiles à lui. Donc, il alla chercher le vieux à l’hospice de la ville et l’amena chez lui. Vrai, il était bien encombrant le père, mais vingt piastres par mois c’est de l’argent. Près d’un an passa puis, un jour, fatigué, agacé par son petit fils qui s’amusait à le taquiner, le vieux lui lança un coup de pied et le jeune se mit à brailler comme un veau. En entrant chez lui le soir, le père fut informé de ce qui était arrivé. Alors, il fit une colère terrible. « Frapper un enfant, peut-être l’estropier, le rendre infirme. Ah, non ! ça ne se passera pas comme ça, ça ne se répétera pas. Il est dangereux ce vieux-là. Il s’emmalice. Faut l’enfermer. C’est dans une cage qu’il faudrait le mettre ».

Alors, le lendemain matin, le fils a fait sortir le vieux du lit et sans même lui donner à déjeuner, l’a conduit à l’hospice du village. Il l’a abandonné à la porte comme un paquet d’ordures dont on se débarrasse. Débrouille-toi, vieille brute ! Force était au père Dubon de subir sa destinée. Plus tard, les religieuses trouvèrent ce vieux qui était complètement perdu, qui ne pouvait répondre aux questions qu’on lui posait, qui ne se rappelait plus son nom ni d’où il venait. Naturellement, les sœurs firent une enquête, apprirent que cette épave échouée chez elles retirait une pension de vieillesse. Alors, il devint un pensionnaire régulier de la maison. Puis, un peu calmé, son intelligence lui revint au vieux. Mais voilà qu’il tomba malade, bien malade. Les sœurs croyaient qu’il n’en avait pas pour longtemps. Alors, les enfants s’inquiétèrent. Qu’est-ce qu’ils feront lorsqu’il mourra. Car c’est la question de l’argent qui les préoccupe.

— Ben, fit Guillaume, comme il ne nous a jamais rien donné et qu’il n’a pas d’argent, on l’entortillera dans un drap de coton, on lui fera chanter un libera et on le conduira au cimetière.

D’un ton ferme, Onésime déclara : « Moi, je suis parti de la maison à quatorze ans et j’ai toujours gagné ma vie seul. Le père ne s’est jamais occupé de moi ; nous avons vécu indifférents, étrangers l’un à l’autre. Alors, qu’il s’en aille comme il pourra. Faites ce que vous voudrez. Moi je m’en lave les mains. »

Et l’on discute toujours.

— Thérèse qui est la plus riche de la famille devrait s’en occuper et le faire enterrer, suggère Dupras, marié à Louise.

— D’abord, riposte Thérèse impatientée, attendez donc qu’il meure pour prendre les arrangements nécessaires. Puis, on avisera ensuite. Moi, je suis prête à faire ma part. Évidemment, je ne lui achèterai pas un cercueil en bronze, mais je ferai autant que les autres.

— Puis, le curé, qu’est-ce qu’il fournira ? demande Dupras.

— Le curé, répond Thérèse, il dira des messes pour le repos de son âme. Comme ça, ça ne lui coûtera pas cher.

René, le plus jeune des garçons, aimerait à faire les choses convenablement, mais ce n’est pas lui qui tient les cordons de la bourse à la maison. C’est sa femme Léonie qui n’est pas extravagante. Elle connaît la valeur de l’argent Léonie. Elle ne jette pas les piastres par les fenêtres. Elle ne parle jamais que d’économiser, que d’amasser de l’argent.

— Papa, dit-elle, a amassé de l’argent, il n’a jamais gaspillé son bien et aujourd’hui, il est à l’aise, sans inquiétude. Il faut faire comme lui et ménager l’argent qu’on gagne. C’est bien commode d’avoir de l’argent et ceux qui n’en ont pas, c’est parce qu’ils n’ont pas voulu en amasser. C’est ce que papa m’a dit cent fois et il sait ce qu’il dit papa.

Alors ce n’est pas avec une femme comme ça que René fera chanter un service de première classe à son père.

Son heure n’était toutefois pas encore arrivée au père Dubon et il prit du mieux. Seulement, il devint bien gâteux. Il n’avait plus conscience de ses actes. Il souillait son lit, ses vêtements ou le parquet. Alors, il lui arrivait de recueillir ses ordures, de les envelopper dans un mouchoir et, avec un sourire niais, de présenter le petit colis à la religieuse qui entrait en lui disant : « Tiens, c’est pour vous, ma sœur. »

Pas de malice, évidemment. L’intelligence presque abolie.

Mais la religieuse qui devait pratiquer les vertus d’humilité et de charité avait bien de la peine à conserver la douceur et la patience nécessaires pour lui assurer une belle récompense au ciel.

Prendre soin d’un pensionnaire comme le père Dubon ça valait plus que vingt piastres par mois. Alors, les sœurs se mirent à questionner pour savoir combien d’enfants il avait, ce qu’ils faisaient, combien ils gagnaient. Évidemment, elles voulaient un supplément pour l’entretien du vieux. Et cette perspective d’avoir à payer, d’avoir à donner de l’argent rendait les fils et les filles du père Dubon bien malheureux.

Thérèse qui avait deux enfants, Farina, treize ans, et Fernand, sept ans, vivait dans l’inquiétude. Sans cesse, elle s’attendait à recevoir un compte de l’hospice. « Mon père, disait-elle, c’est une hypothèque, que j’ai sur les bras. C’est fatiguant d’avoir une hypothèque lourde comme celle-là. Autrefois, lorsque j’étais haute comme ça, je l’entendais qui disait : J’ai hâte que mes enfants travaillent pour me faire vivre. Et des années plus tard, quand Louise et moi avons pris des emplois, il fallait chaque samedi lui remettre notre enveloppe de paye. C’était lui qui achetait nos billets de tramways. Chaque lundi matin, il nous en remettait douze à chacune. Cela, c’était pour la semaine et, s’il nous arrivait d’en perdre un, il nous traitait d’écervelées. Il faisait dire des messes pour que nous obtenions des augmentations de salaire, mais lorsque nous avions besoin d’une paire de souliers, il disait que nous le faisions exprès pour les user. Pour avoir une nouvelle robe, il fallait presque se mettre à genoux. On aurait dit que c’était une charité qu’il nous faisait. Quand je pense que pendant les sept années que j’ai travaillé, je n’ai jamais vu la couleur de mon argent ! Puis, lorsque les garçons ont commencé à venir à la maison, lorsqu’ils se présentaient le soir ou le dimanche après-midi pour rendre visite à ses deux filles, il grognait : J’ai hâte de trouver du travail, les cavaliers je les mettrai à la porte. Alors, lorsque je me suis mariée, il est entré dans une rage terrible. Pensez donc, il perdait un salaire. La vieille bourrique ! Avant de l’épouser, maman lui avait fait prendre une assurance sur la vie pour se protéger, pour vivre en sécurité. Parfois, elle l’interrogeait : Tu as payé ta prime d’assurance ? Certainement, certainement, répondait-il, mais un jour, au bout de dix ans, elle découvre qu’il lui avait menti et qu’il n’avait jamais payé les primes. Vieille fripouille !

Thérèse, des jours elle monologuait : C’est-il vrai que je n’apprendrai pas un jour une bonne nouvelle, qu’on ne viendra pas me dire que mon père est mort, qu’il s’est décité à partir, à aller se pensionner chez le Bon Yeu ? Si c’est pas malheureux de toujours avoir cette menace sur la tête, de toujours se demander s’il ne faudra pas payer pour sa pension ou pour le médecin. On a assez de pourvoir à notre famille. On travaille et lui, il n’a jamais rien fait, à part de nous mettre au monde. Lorsqu’il mourra je serai bien prête à fournir ma part pour ses funérailles, mais qu’il se décide, qu’il crève au plus tôt et qu’on en soit débarrassé. Et le premier dimanche après l’enterrement, j’irai à la messe avec ma belle robe rouge, à la grand-messe avec ma robe rouge flamboyante, ça, je le jure.

Il était bien affligé le père Dubon, mais il n’était pas au bout de ses misères, car il commença à souffrir gravement de la prostate. Pour le soulager, le médecin devait se servir de sondes. Ça, c’est bien ennuyeux. Alors, les sœurs lui coupèrent sa ration de breuvage. Le matin, on lui donnait un demiard d’eau dans une bouteille. C’était sa provision pour la journée, mais par moment, il avait tellement soif qu’il buvait l’eau bénite qui était dans le bénitier à la tête de son lit. Mais bénite ou pas bénite, il endurait ensuite le martyre pour s’en débarrasser. Avec cette maladie-là, le vieux ne pouvait durer longtemps et la question des frais des funérailles recommença à hanter l’esprit de ses enfants. Guillaume écrivit au curé à Chicago, le prévenant que leur père était au plus mal. Alors, l’abbé prit l’autobus pour Montréal. Il y avait six ans qu’il n’avait pas vu ses parents. En arrivant, il se rendit directement à l’hospice pour voir le vieux, mais celui-ci ne le reconnut pas. Le lendemain cependant, il retrouva son fils dans ce visiteur. Et tout de suite, il entonna sa complainte : Je m’ennuie, je m’ennuie. Personne ne vient me voir ici. Puis, il se lamenta : Ce que je souffre c’est effrayant. Juste à ce moment-là, il eut une féroce attaque du mal qui se mit à le ronger, à le tenailler. Le corps crispé, tordu, dans une lutte désespérée contre la douleur, il s’accrochait, s’agrippait aux radiateurs à la tête de son lit. Tout son être tendu cherchait à échapper à la torture, à la souffrance arrivée à son paroxysme, puis la chair vaincue, écrasée, tombait à l’anéantissement. Impassible, une religieuse assistait à cette révolte de l’être humain contre la douleur. Certes, elle avait des calmants sous la main, mais des calmants, ça coûte de l’argent et puis, il est bon que les malades souffrent pour expier leurs péchés, pensait-elle.

— Après une bonne crise comme ça, il repose en paix, déclara-t-elle au prêtre épouvanté de ce spectacle.

L’abbé partit de là bien déprimé. C’est rudement triste de voir la misère et la déchéance des siens.

À la ville, il décida d’aller tout d’abord chez Thérèse qui était un cordon bleu émérite et de se faire préparer un bon repas. Avant d’arriver, il acheta une pinte d’huîtres et les remit à sa sœur en lui disant : Fais-moi frire cela pour mon dîner. Hein ? Ça va me faire du bien de manger.

— Maman le disait bien. Celui-là, il ne pense qu’à sa gueule, fit mentalement Thérèse.

Tout de suite, elle endossa son tablier. Il la suivit à la cuisine afin de causer. Thérèse le regardait et le trouvait vieilli, l’air fatigué, ennuyé. Tout le monde a ses tracas. Et six ans d’absence, ça ne rajeunit pas un homme. Cependant, lorsqu’il se mit à table, il paraissait de meilleure humeur. Les huîtres frites étaient franchement délicieuses, mais il fallait les partager avec le beau-frère Désiez et les deux enfants qui étaient insatiables. De vrais gouffres. Le curé coupait ses huîtres en deux et s’empiffrait de larges bouchées qui lui remplissaient la bouche et qu’il avalait avec gourmandise.

Après être sorti de table, le curé bien repu, s’était installé sur le chesterfield, les jambes étendues, croisées l’une sur l’autre et il fumait béatement son cigare.

— Alors, tu as vu le père. Comment l’as-tu trouvé ? demanda Thérèse.

— Bien, tu sais, il est triste à voir. Il est égaré par moments et lorsqu’il a l’esprit lucide, il se lamente, il dit qu’il s’ennuie.

Alors Thérèse éclata.

— Ah ! il s’ennuie, il s’ennuie. Mais lorsqu’il était chez lui, il dévissait la sonnette de la porte afin de ne pas aller répondre, de ne pas ouvrir, de ne pas recevoir ses enfants qui allaient le voir. Ses enfants, ils le fatiguaient alors, ils l’ennuyaient, et maintenant qu’il est à l’hospice, il voudrait qu’ils aillent lui rendre visite. Mais on n’a pas que cela à faire que d’aller voir ce vieux malpropre. Moi, j’ai mon mari, j’ai mes enfants, j’ai mon travail, mes occupations. Je n’ai pas le temps de me mettre sur la route pour aller voir ce vieux de 85 ans qui persiste à rester sur la terre et à embêter tout le monde. Dis-moi donc pourquoi il ne s’en va pas et ne débarrasse pas les siens. Ah ! on n’a pas de veine. Il y en a des pères qui n’attendent pas si longtemps pour s’en aller. Ils partent et même parfois, ils laissent de beaux héritages, mais lui, je crois qu’il veut se rendre à cent ans et tout ce qu’il nous laissera ce sera l’obligation de payer pour l’envoyer en terre. Ah, malheur ! Il y a des enfants qui n’ont vraiment pas de chance. Tiens, lorsque maman est morte, je pleurais comme un vrai déluge. J’ai pleuré pendant des jours et des jours. Lorsque arrivait l’heure des repas, si je n’avais pas eu à préparer le dîner ou le souper de mon mari et des enfants, je me serais passé de manger tellement j’avais de peine. Mais lui, mon père, lorsqu’il mourra, je n’aurai pas l’ombre d’une larme. Aucun regret. Quand j’y pense ! Il levait la main plus souvent pour nous flanquer une claque par la tête que pour travailler. Moi, j’étais sa bête noire et j’en recevais plus que ma part. Ah, ce qu’il m’a fait endurer alors que nous vivions à la campagne ! Je pourrais le maudire pendant toute la Semaine Sainte. L’été, il me faisait tourner la meule pour aiguiser sa faux et lorsqu’il voyait que je forçais, que j’étais fatiguée, que j’avais le bras cassé, il me regardait durement et appuyait plus lourdement sa faux sur la meule pour que je force davantage. Pour ça, je crois que je le haïrai durant l’éternité. Puis, lorsque je devais conduire une paire de chevaux pour décharger une charretée de foin et que les percherons faisaient un pas de trop : « Fais donc attention, air bête », me criait-il. De penser qu’un homme comme ça, est mon père, ça me révolte. Tiens, j’ai eu pendant un an un petit chien qui a été écrasé un jour par un tramway. Eh bien, j’ai eu plus de peine de la mort de ce petit animal que j’en aurai de celle de mon père. Alors qu’il était à l’hospice, j’étais allée le voir avec notre cousin Dumur et, je ne sais à quel propos, celui-ci se mit à parler du diable. Voyant que je ne paraissais pas impressionnée : Tu n’as pas peur du diable ? interrogea-t-il. — Non, je n’en ai pas peur. Je l’ai eu devant les yeux toute ma vie, répondis-je, en lui désignant de la tête le vieux devant nous.

— Mais, tu sais, il souffre. Cette prostate-là le torture, fit le curé.

— Ah, il souffre ! riposta la sœur, mais lorsque maman était malade, il lui disait : Tu souffres, hé bien, endure pour tes péchés afin d’avoir une belle place au ciel. Eh bien, qu’il endure à son tour.

Le curé avait repris son air ennuyé. Ces amères récriminations le fatiguaient, l’agaçaient. Et brusquement, il changea le cours de la conversation.

— Tiens, dit-il, j’ai vu en route le spectacle le plus cocasse que tu puisses imaginer. Figure-toi qu’à un petit village à une heure de Chicago, l’autobus arrête pour prendre quelques passagers. Parmi eux, se trouvait une femme portant dans ses bras un enfant de deux ou trois ans dont la tête était encapuchonnée dans un journal. Elle prend un siège, mais comme tu peux supposer, toutes les têtes étaient tournées vers elle et chacun se demandait quelle était l’idée d’envelopper la tête d’un enfant avec une gazette. La voiture filait, mais la curiosité ne diminuait pas. À un autre village, l’autobus arrête de nouveau pour recueillir un voyageur solitaire. Mais comme le chauffeur ouvrait la porte du véhicule pour faire entrer le nouvel arrivant, voilà qu’une rafale arrache le capuchon de papier de l’enfant dans les bras de sa mère et, à la stupéfaction générale, nous voyons ce dernier coiffé ou couronné si tu veux, d’un pot de chambre en granit. Ce fut une tempête de rires, une gaîté folle qui secouait tous ces gens qui avaient été si fort intrigués par le capuchon de papier. La femme paraissait gênée, toute confuse. Alors, en cachant avec son manteau le vase qui avait soulevé une telle hilarité, elle expliqua à une voisine âgée que l’enfant en jouant avec son petit pot l’avait malencontreusement enfoncé sur sa tête et qu’il était maintenant impossible de l’enlever. Elle et son mari avaient en vain essayé de débarrasser le petit de sa fâcheuse coiffure. Ils n’avaient pu réussir. Alors, elle conduisait son fils à l’hôpital.

Thérèse, amusée, riait de bon cœur et le curé, les jambes étendues devant lui, fumait son cigare. Il avait complètement oublié son vieux père malade à l’hôpital. Alors, le voilà qui se met à raconter des histoires grasses. Et de l’une à l’autre, il allait. Ce n’était pas le prône qu’il débitait à ses paroissiens.

— Ça me fait penser, dit-il au supérieur du collège où j’ai fait mes études. C’était un gaillard qui ne mâchait pas ses mots. Voyant un jour un élève qui négligeait de fermer une porte après l’avoir ouverte, il l’apostropha brutalement : Écoute mon garçon, une porte c’est pas comme un trou de c… ; ça ne se ferme pas tout seul. Tâche de t’en rappeler, hein !

Le mot sale, cru, ordurier, tomba lourdement dans la pièce. Et là-dessus le curé éclata d’un rire sonore, énorme, formidable. Dans son accès de gaieté son ventre rempli d’huîtres frites était tout secoué et sa figure se congestionnait.

Indignée, révoltée, salie, éclaboussée comme si elle avait reçu un seau d’ordures à la figure, la sœur le regardait avec dégoût.

Quand l’autre vit qu’elle ne riait pas, il remarqua :

— Tu n’aimes pas ça ? Pour te punir, je ne t’en raconterai pas d’autres.

Lorsqu’il sortit, ils étaient mécontents l’un de l’autre.

À une couple de jours de là, Guillaume, le fils aîné qui avait un jour abandonné son père à la porte de l’hospice reçut une lettre des sœurs. Sans ambages, elles déclaraient qu’elles ne pouvaient garder le vieux pour les vingt piastres de sa pension de vieillesse. Son état exigeait des soins constants qu’il fallait payer. Autrement, les enfants devraient le placer ailleurs.

— Maudit ! va falloir donner de l’argent, s’exclama Guillaume en jetant la lettre sur la table avec violence.

Alors, il téléphona à son frère René pour l’informer de la chose.

— Bien, je crois que le mieux serait de réunir toute la famille pour discuter de la question et décider ce qu’il y a à faire. Comme ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus tous ensemble, vous pourriez venir veiller un soir à la maison et on réglerait le problème. Tiens, j’y pense, voici ce qu’on va faire. C’est aujourd’hui jeudi. Eh bien, je vous invite tous pour mardi soir prochain à un souper de famille. Ça te convient ?

— Minute, minute, répondit Guillaume. Ça me fera plaisir d’aller manger chez toi, mais si tu invites Thérèse, moi, je n’en suis pas. Je ne peux pas la voir, je ne peux pas la sentir. C’est un vrai poison. Si elle est là, on va se chicaner toute la soirée et ton souper sera gâté.

— Bon, alors je demanderai les autres mais pas elle. Dans ce cas là cependant, faudra pas parler de la chose, parce que, tu comprends, si elle apprenait que je vous ai tous reçus à souper sans l’inviter, elle m’en voudrait à mort.

— Entendu, ce sera entre nous.

L’affaire devait rester secrète, mais le samedi avant le souper, Thérèse savait déjà que ses frères, leurs femmes et sa sœur Louise devaient prendre part le mardi suivant à un grand souper. Elle savait même que l’on mangerait de la dinde. Une aimable lettre anonyme l’avait informée de la chose. Thérèse n’aimait pas la famille, mais d’être ainsi négligée, mise de côté, la mettait en fureur.

Le mardi soir, les quatre frères avec leurs femmes, Louise et Dupras, son mari, étaient réunis chez René. Une belle grosse dinde de douze livres, cuite à point, appétissante, était placée devant ce dernier. Il se mit à la dépecer pendant que les convives le regardaient avec l’air religieux qu’ils avaient lorsqu’ils suivaient les mouvements du prêtre célébrant la messe à l’autel, le dimanche.

— Vous me gênez, fit-il, en manière de farce.

Naturellement, ils se mirent à parler de Thérèse.

— C’est effrayant ce qu’elle a mauvais caractère, déclara Guillaume. C’était impossible de l’avoir avec nous autres. Elle est tout le temps prête à se battre et à un mot désagréable pour chacun. Elle présente, on n’aurait pas pu manger en paix.

— Oui, je sais qu’elle a un mauvais caractère, fit le curé, mais je croyais qu’elle s’était améliorée, qu’elle s’était un peu amendée.

— Corrigée ! s’exclama le beau-frère Dupras. Elle est pire qu’elle a jamais été. J’aimerais mieux faire face à tout un nid de mouches à papier que d’être à table à côté d’elle. Elle mord tout le temps, elle est enragée.

Tout en disant du mal de l’absente, on mangeait copieusement. Le curé se régalait. Il appréciait les bonnes choses celui-là.

— Puis, le père, est-ce qu’il t’a reconnu lorsque tu es allé le voir ? s’informa soudain René en s’adressant au curé.

— Oui, la deuxième fois. Pas la première. Je te dis que c’est bien affligeant de le voir souffrir. Sa maladie le torture. Si au moins, les sœurs lui donnaient des calmantes…

— Oui, mais si elles lui en donnent, il faudra payer pour, interrompit Léonie. Vous savez, la morphine ça ne se donne pas.

Et l’on continua de manger.

Vers la fin du repas, le beau-frère Dupras a soudain suggéré : Écoutez, laissons-le donc là où il est le père. Vous savez, les sœurs ne le mettront pas à la porte, bien sûr. Naturellement, elles se lamentent et disent qu’il leur donne du trouble, du travail, mais elles se plaignent toujours, les sœurs. Si elles pouvaient arracher quelques piastres supplémentaires à la famille, elles seraient enchantées. Partout et toujours, les sœurs prennent tout ce qu’elles peuvent soutirer d’une façon ou d’une autre. C’est à nous de ne pas nous laisser tondre. Il n’est pas mal, là le père. Il s’ennuie parfois, mais il s’ennuierait partout. Chacun regarda Dupras avec une expression de satisfaction dans la figure.

— Ce que tu dis là, c’est plein de bon sens, déclara Onésime et si les autres sont de ton avis, la question est réglée. On est tous du pauvre monde et nous n’avons pas d’argent à jeter aux sœurs.

— Moi, fit Guillaume, je crois que s’il faut absolument payer du surplus, ce devrait être Thérèse qui devrait donner la somme supplémentaire. Son mari occupe un bon emploi, il gagne un gros salaire, ils ont une maison dont ils retirent les loyers, ils n’ont que deux enfants et puis, le beau-père est presque millionnaire.

— Oui, mais avare comme elle est, tâche de la décider à payer pour son père, fit Dupras, d’un ton ironique.

— Moi, je n’essaierai pas, annonça René.

— Tu perdrais ton temps, ajouta Onésime.

— La seule chose à faire, c’est de ne pas nous occuper de la lettre, fit le curé. Elles en ont des trucs les sœurs, pour arracher les piastres du public, mais laissons-les crier.

— De vraies gold diggers, énonça Guillaume.

— Alors, c’est entendu, l’affaire est réglée, ajouta René, le plus jeune des fils. Puis, changeant de ton : Maintenant, on va prendre un petit verre de rhum, hein ? suggéra-t-il.

À ce moment, sa fille, la petite Lucette, quinze mois, s’approcha de sa mère.

— Prends-moi dans tes bras, maman, demanda-t-elle.

— Mais, ma fille, tu vas mouiller ma robe, ma belle robe du dimanche, répondit la mère.

L’enfant s’éloigna et revint l’instant d’après, apportant un tablier.

— Tiens, dit-elle, mets ça sur toi.

— Non, mais est-elle fine, est-elle intelligente ! s’exclama la belle-sœur Emma.

— Oui, certain. Et j’en connais de treize ans qui ont moins de comprenure qu’elle, déclara Rosalba, femme de Guillaume.

Tout le monde rit, car l’on comprenait qu’elle voulait parler de Farina, fille de Thérèse.

Alors, après avoir bien mangé et bien bu, chacun partit satisfait.

Ce mardi soir là, Thérèse s’était couchée en fureur de n’avoir pas été invitée au festin de famille, mais la journée du lendemain devait lui apporter d’autres ennuis. En effet, elle était encore au lit lorsque le timbre du téléphone résonna. C’était sa sœur Louise, la femme de Dupras.

— Écoute, fit-celle-ci, j’imagine que tu sais déjà qu’il y a eu veillée de famille hier soir chez René. Nous autres, nous étions invités, mais nous sommes restés chez nous, sachant que tu n’y serais pas. Je tenais à t’en avertir, car tu sais, il va y avoir des bavassements et nous voulons être en dehors de ça, car Guillaume cherche par tous les moyens à nous brouiller les uns avec les autres.

— C’est bon, c’est bon, répondit Thérèse. J’ai passé la soirée à la maison et je ne me suis pas ennuyée. Chacun est parfaitement libre d’inviter qui lui plait et chacun est libre aussi d’aller où ça lui plait. Toi, menteuse, attrape ! fit-elle mentalement.

Dix minutes plus tard, c’était la belle-sœur Léonie qui appelait à son tour.

Tu sais, Thérèse, qu’on a eu un petit souper hier soir. Ça devait rester secret, mais j’étais certaine que tu finirais par le savoir. Alors, j’aime mieux te le dire moi-même. Moi, je t’aurais invitée, mais c’est Guillaume qui refusait de venir si tu devais être de la partie. Il dit que tu as trop mauvais caractère. Tu comprends, c’est l’aîné de la famille et René et moi nous ne voulions pas le mécontenter. Ça nous faisait de la peine de ne pas te voir parce que toute la famille était réunie à la maison.

— J’avais entendu dire que Louise était malade et qu’elle ne pouvait y aller, remarqua Thérèse.

— Non, Louise n’était pas malade et elle était là avec son mari. Et tout le monde a bien mangé. J’avais fait cuire une dinde de douze livres. J’aurais voulu te garder une cuisse, mais ils n’ont laissé que la carcasse. Tu parles que le curé s’est bourré. Il a mangé comme trois. Maintenant, tu sais que les sœurs exigent un surplus de paiement pour la pension de ton père. Guillaume voudrait que ce soit toi qui paie.

— Bien, je constate une fois de plus que j’ai une famille de maudits, rugit Thérèse en raccrochant le récepteur.

« Quand on touche à mon portefeuille, on me frappe au cœur et je ne suis pas pour payer pour ces répugnants », siffla-t-elle.

— Ils disent que je suis malcommode fit-elle en se parlant à elle-même. Oui, c’est vrai que j’ai mauvais caractère. Mais comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Lorsque ma mère m’a portée, elle ne voulait pas m’avoir, elle aurait voulu voir mourir le germe qu’elle portait en elle, elle souhaitait que je reste en route. Je suis née malgré elle, je suis venue au monde à rebrousse poil. Aussi, je me demande quel besoin ils avaient ce vieux et cette vieille femme de quarante-cinq ans de faire un enfant dont ils ne voulaient pas ? Est-ce que je peux être gaie, aimable comme les autres ? Ah, la sale famille ! Aujourd’hui ces répugnants me trouvent trop désagréable pour manger avec eux, mais lorsque le temps sera venu, ils viendront me voir pour me demander de l’argent, ils viendront frapper à ma porte pour collecter. Ils se réunissent pour comploter et ce verrat de Guillaume cherche à me mettre la pension du père sur les bras. Oui, elle est riche. Ils s’imaginent ça eux. Mon mari retire un salaire juste suffisant pour faire vivre la famille. La maison n’est pas payée et les loyers servent à acquitter les intérêts et les taxes et un peu du capital. Quant à mon beau-père, il a un peu d’argent, c’est à lui et il le garde. Il ne le donne à personne.

Vers une heure de l’après-midi, comme Thérèse, son mari et les deux enfants, Fernand et Farina sortaient de table, le curé téléphona à son tour.

— Je t’appelle pour te dire que je pars demain pour retourner à Chicago. Alors, j’irai ce soir prendre le souper chez vous et vous dire adieu. Puis, je voudrais bien ravoir mon horloge à carillon. Souvent, j’y pensais et je regrettais de ne pas l’avoir. Tu l’as toujours, n’est-ce pas !

— Oui, elle est dans un placard et tu la prendras quand tu voudras. Où es-tu dans le moment ?

Au presbytère. Je ne suis pas mal ici. Tiens, dimanche, on nous a servi une poule tendre, succulente, comme je n’en ai pas souvent goûté. Ça tu sais, ça ravigote un homme. Bon, je suis très pressé. Je te verrai ce soir.

— Ben, mon vieux, si tu penses que je vais te faire manger une poule, tu te trompes, se dit la sœur en elle-même. Bien certain que je ne ferai rien de spécial pour toi. Tu mangeras le menu ordinaire, le menu de famille, et si tu n’es pas content, tu iras te régaler ailleurs. Après avoir comploté contre moi et fricoté avec toute cette sale engeance, il veut maintenant se bourrer ici.

Désiez, le mari, n’était pas de bonne humeur non plus. Certes, il était prêt à faire sa part pour l’entretien du père Dubon, mais pas plus, et ces secrètes réunions de famille et ces jasements avaient le don de l’agacer.

Ce soir-là, le curé devait souper chez sa sœur. Puisqu’il avait tant fait que de venir de si loin pour se promener, il lui fallait aller voir tous ses parents et leur dire adieu. Toutefois, la perspective d’aller manger chez Thérèse ne lui sourit guère. Aussi, il ne se hâte pas d’arriver. Et la sœur qui est de mauvaise humeur ne se morfond pas à l’attendre. À 6 h.15, comme le visiteur n’est pas encore là, elle décide qu’on ne l’attendra pas plus longtemps.

— À table, ordonne-t-elle. Il mangera lorsqu’il le voudra. Moi, je suis prête. Tant pis pour les retardataires.

Le mari et les deux enfants s’assoient à leurs places ordinaires et regardent ce siège et ce couvert qui attendent en vain un convive. La femme sert les deux petits toujours très affamés, puis son mari. L’on mange en silence. M. Désiez a hâte que cette soirée soit passée. Le jeune Fernand, six ans, demande si son oncle lui donnera dix sous. Il aime ça les sous, le jeune Fernand. Farina, la fillette de treize ans, ne dit mot mais prend les bouchées doubles. Elle, ce qu’elle aime, c’est manger. Comme toujours, elle s’empiffre. Et la sœur rage silencieusement contre ce frère grossier qui, après s’être invité, ne peut même arriver à temps. Elle en a gros sur le cœur et, depuis des jours, elle s’est bien promis de se décharger de ce qu’elle a amassé. Elle songe à tout ce qu’elle lui dira pour se vider, se soulager.

L’on mange et le curé n’arrive toujours pas.

À 6 h.40, la sonnette se fait entendre. Thérèse va ouvrir à son frère. Ce n’est pas lui. C’est la fillette de la voisine qui vient demander si Mme Désiez ne pourrait lui prêter une assiette en fer-blanc pour faire cuire une tarte. Tout en bougonnant et en « bardassant » dans son armoire de cuisine pour trouver le plat demandé, elle se dit que les gens qui veulent se faire une tarte pourraient bien s’acheter une assiette en fer-blanc. Comme la fillette vient de sortir, la sonnette résonne de nouveau. Cette fois, c’est le curé. D’une voix fatiguée, ennuyée, il souhaite le bonsoir et regarde la famille à table. La sœur lui indique sa place. Il s’assied en silence.

— Vas-tu prendre de la soupe ? demande Mme Désiez.

Il hésite un moment.

— Donne m’en un peu, répond-il enfin.

À lentes cuillérées, sans mot dire, il vide son assiette. Pour sûr qu’il voudrait être ailleurs. Sa sœur et son beau-frère qui ont terminé leur repas l’observent avec des regards hostiles. Non, ils ne l’aiment pas d’amour tendre. Ça se voit. Lui, il n’est pas de bonne humeur non plus et il le sait ; il sait aussi pourquoi. Depuis trois ans, il souffre du foie. Ça, c’est une maladie agaçante. Il ne se plaint pas, mais il ressent les douleurs quand même. L’autre soir, à la réunion de famille, alors qu’on s’est régalé d’une dinde de douze livres, il a mangé trop fort, il a succombé à son amour de la bonne chère. Mais ces abus là, ça se paie. Ce matin, il était à moitié aveugle et toute la journée, il a éprouvé des douleurs lancinantes. Et cela l’inquiète. Alors, ce soir, il mange deux bouts de saucisse avec une pomme de terre et un peu de macaroni. Il avale sa tasse de thé et repousse son assiette. Il a fini.

— Tu ne prends pas de dessert ? demande la sœur. Je t’ai gardé un morceau de pâté aux pommes, et elle lui indique la tranche qui est là, devant son couvert.

— Non, merci.

— Donne-le moi, maman, demande la jeune Farina.

Sa mère prend le morceau de pâté qui reste et le jette dans l’assiette de sa fille. Celle-ci avec un large sourire de gourmande satisfaite se met à le dévorer.

Là-dessus, le curé se lève, prend son chapeau.

— Je sors un moment, déclare-t-il en passant la porte.

— Je te dis qu’il n’est pas bavard, remarque la sœur.

Au bout de cinq minutes, le curé revient avec un journal. Il s’installe sur le chesterfield et se met à lire. Il a ouvert les deux grandes pages qu’il tient déployées comme des ailes devant lui. C’est un refuge. Comme s’il était à l’abri.

Un moment, le curé abaisse son journal pour tourner le feuillet qu’il a fini de lire. Juste à ce moment, la sœur le regarde bien en face, et elle aperçoit la ressemblance paternelle. Oui, c’est la figure de son père, de mon père, de notre père, se dit-elle. C’est lui tout craché, non seulement au physique, mais au moral. Et elle se met à le haïr aussi véhémentement, aussi fortement qu’elle détestait son père.

De le voir ainsi, la sœur Thérèse brûle. Recevez donc les gens à manger pour qu’ils s’installent ensuite sur un siège sans parler, et qu’ils lisent les nouvelles. Elle n’y tient plus.

— Tu sais, éclate-t-elle enfin, toutes ces histoires de famille…

Mais le curé remonte plus haut devant sa figure les deux pages de journal et, sans répondre, se met à siffler. Il siffle tout en lisant sa feuille.

— Le grossier, le grossier ! se dit la sœur à elle-même. Parce qu’il est curé, parce qu’il porte la soutane, il se croit tout permis. Ah, ce que j’ai envie de lui arracher sa gazette des mains, de lui flanquer un coup de poing sur la gueule, de lui écraser ces lèvres méprisantes. Ah ! ce que je voudrais lui casser son sifflet !

Mais soudain, le curé rejette à côté de lui, sur le chesterfield, le journal qu’il a feuilleté, se lève.

— Je vais prendre mon horloge, déclare-t-il.

Alors, sans un mot, Thérèse s’en va dans une chambre et revient avec l’article. Pendant ce temps, le curé est allé dans le vestibule où, en arrivant, il a déposé une caisse. Il l’apporte, la place sur une chaise, enlève le couvercle et prenant l’horloge des mains de sa sœur la couche dans sa boîte sur un lit de sciure de bois et de papiers puis il remet le couvert.

À ce moment, Thérèse eut l’impression que c’était là un petit cercueil.

— Puis, les affaires de famille ? Le père ? questionne-t-elle.

— Ça ne m’intéresse pas. Faites ce que vous voudrez. Bonsoir.

Là-dessus, il prend son chapeau et, sa caisse sous le bras, descend lourdement l’escalier. Il a cependant le temps d’entendre le jeune Fernand qui déclare d’un ton désappointé :

— Mon oncle ne m’a rien donné.

(Dans son hospice, qu’est-ce qu’il attend donc ce sacré vieux là pour mourir ? Moi, je voudrais bien finir mon histoire. Sans crainte de me tromper, je peux vous dire cependant qu’il trépassera sous peu, qu’on se cotisera dans la famille pour l’envoyer au cimetière, que personne ne perdra une bouchée du fait de son décès et qu’en s’éveillant au matin, sa fille Thérèse s’écrira : Enfin, je n’ai donc plus de père. Dieu, que je suis débarrassée !).