Français, reprenez le pouvoir !/Partie 2/Chapitre 2

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Au fil du temps, l’esprit des institutions de la Ve République a été oublié sinon trahi. Dès 1942, à Londres[1], le général de Gaulle posa la pierre angulaire de sa future République en déclarant: « La démocratie se confond exactement pour moi avec la souveraineté nationale. » Il insista même: « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale c’est le peuple, exerçant sa souveraineté sans entrave. » Le message est clair: la démocratie ne peut s’exercer qu’au niveau national où la communauté de destin est suffisamment forte pour qu’une minorité accepte la loi de la majorité. Ce concept de nation n’est cependant pertinent que s’il existe une patrie, c’est-à-dire une affection profonde pour un bien commun collectif qui dépasse les intérêts individuels ou corporatistes.

De même, cette nation ne peut garder sa force et sa cohésion que si la démocratie fonctionne, si le peuple est maître des grands choix. C’est pourquoi le général de Gaulle insista pour infléchir le projet de Michel Debré et inscrire dès 1958 le référendum dans le texte constitutionnel puis décida en 1962 l’élection du Président au suffrage universel direct. L’article 3 de la Constitution est à cet égard limpide: « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice… »

Les pouvoirs du Président étaient donc contrebalancés par la mise en cause fréquente et directe de sa responsabilité devant les Français. Le Général était attaché à l’indépendance nationale car il considérait que c’était aux Français de prendre les décisions qui les concernent. Il arrachait ainsi à ses partenaires européens le fameux compromis de Luxembourg accordant le droit de veto lorsque l’intérêt du pays est mis en cause par une décision prise à la majorité des pays membres.

Au cours des trente dernières années, cette cohérence générale a été progressivement détricotée de l’intérieur comme de l’extérieur. La souveraineté du peuple a été contournée, affaiblissant la légitimité du pouvoir. La loi démocratiquement adoptée par le Parlement est de moins en moins à la base de notre ordre juridique. Les Français ne comprennent plus qui décide quoi et se cabrent chaque jour davantage face à un ordre des choses qu’ils n’ont ni pensé, ni débattu, ni arbitré, ni contribué à mettre en œuvre. La multiplication des autorités administratives indépendantes, la préférence pour le contrat face à la loi, le développement de la jurisprudence, la prolifération des directives communautaires, la glorification de la société civile ne constituent en vérité que les moyens pour l’oligarchie de prendre inconsciemment ou non sa revanche sur l’idéal démocratique et républicain.

Les dirigeants de gauche comme de droite ont, par méfiance vis-à-vis du peuple, laissé faire. Une nouvelle aristocratie est née et s’est imposée, minant la citoyenneté et détournant l’esprit de la Ve.

Moins le pouvoir politique arrive à résoudre les problèmes, plus il cherche à faire taire les Français pour masquer son impuissance. Il n’a pas manqué de moyens, comme on l’a déjà noté, pour poser fermement le couvercle sur la marmite. Le pouvoir a ainsi trahi complètement l’esprit de la Ve République. Il utilise les dispositions constitutionnelles qui encadrent le Parlement (vote bloqué, procédure d’urgence, ordonnance, article 49-3) tout en refusant de faire jouer sa responsabilité politique devant les Français (acceptation de la cohabitation, refus de tirer les leçons du référendum).

Si on ajoute à cela la non-représentation des petites formations en raison du mode de scrutin, la tentation dans chaque bord politique de tout concentrer dans un parti unique et l’instauration du quinquennat qui renforce encore la prédominance du Président sur la majorité, on comprend pourquoi notre système institutionnel et politique manque à ce point d’oxygène.

Plus ce système est bloqué, plus nos compatriotes se réfugient dans une logique protestataire ou individualiste. L’apothéose de cette dérive s’est concrétisée par le psychodrame du CPE. D’un côté un projet bâclé adopté à la hussarde grâce à l’article 49-3 de la Constitution, de l’autre des manifestations de rue incontrôlables qui aboutissent au retrait. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir ressurgir le débat sur nos institutions à la veille de l’élection présidentielle.

L’enjeu est là: comment concilier la stabilité des institutions et la prise en compte de la diversité française? Les débats de constitutionnalistes ont repris, évoquant soit la transformation en régime présidentiel à l’américaine (le Président ne peut plus dissoudre et la fonction de Premier ministre est supprimée; l’exécutif et le législatif se font face, forcés de s’entendre), soit le retour au régime parlementaire à l’anglaise. Certains hommes politiques prônent ainsi une VIe République.


  1. Conférence de presse du 27 mai.