France, Algérie et colonies/France/09

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 453-470).


CHAPITRE IX

LES ANCIENNES PROVINCES


1o Importance des provinces : quoique mortes, elles vivent encore. Les petits pays. — Avant 1791, la France était partagée en trente-trois gouvernements fort inégaux : la province de Guyenne-et-Gascogne avait près de 6 750 000 hectares, tandis que le Comtat-Venaissin, entouré de terres françaises, mais appartenant encore au Pape[1], ne s’étendait que sur 181 000 hectares. L’une aurait donc contenu 37 à 38 fois l’autre. C’étaient les deux extrêmes.

Officiellement, ces provinces sont mortes depuis quatre-vingts ans passés ; mais elles vivent toujours dans la mémoire de la nation. Nous disons encore : Je reste en Touraine, je vais en Bourgogne, je viens du Limousin. Suivant notre pays d’origine, nous nous traitons de Normands, de Bretons, de Gascons, de Béarnais, de Comtois, de Poitevins, d’Angevins. Et récemment encore, quand il a fallu donner un nom aux Français ravis par la Prusse, nous les avons tout naturellement nommés Alsaciens-Lorrains. Fallait-il les appeler Haut-Rhénans, Bas-Rhénans, Meurthais ou Mosellois ? La plupart de nos départements ont des noms tels, qu’on n’en peut tirer que des dérivés ridicules : il est facile de désigner les gens des Vosges, de la Vendée, de la Savoie, de l’Aveyron, de la Corrèze, de la Creuse, de la Gironde ou des Landes ; mais que faire de ceux des Bouches-du-Rhône, du Pas-de-Calais, du Puy-de-Dôme, de Saône-et-Loire, de Seine-Inférieure ou d’Ille-et-Vilaine ?

Ainsi les noms des provinces survivent à la division par départements. Ils sont bien plus vrais ; ils sortent du fond de l’histoire, de la vie de la France pendant mille ans, des entrailles du soi quand la France n’était pas encore née, lorsque des sauvages vêtus de peaux rôdaient, l’oreille au guet, dans les forêts et dans les fondrières. Les départements, eux, sont de simples fictions qui durent depuis deux ou trois vies d’homme ; ils sont nés d’un décret, ils peuvent mourir d’un décret ; et si quelque accident, quelque loi, quelque nouvelle fiction les emportent, ils laisseront peu de trace dans le souvenir du peuple.

Mais, pour ne rien exagérer, les provinces, en 1789, avaient encore quelque chose d’administratif et de conventionnel. Lorsque éclata la Révolution, elles n’avaient pas eu le temps de cimenter tous leurs éléments ; elles renfermaient un nombre plus ou moins grand de petits pays, divers de nature et d’histoire, pays dont les noms vivent encore pour la plupart ; beaucoup même ne périront qu’avec la France.

On comptait 350 à 400 de ces pays, à peu près autant qu’il y a d’arrondissements. Parfois ils se distinguaient peu ou point de leurs voisins, l’histoire seule, qui est en partie le hasard, ayant créé ces petites contrées autour d’une ville ou de l’aire d’un hobereau. Mais souvent, en passant de l’une à l’autre, comme, par exemple, de Beauce en Sologne par-dessus le val de Loire, ou de Caux en Bray, ou de Puisaye en Gâtinais, ou de Bocage en Plaine, ou de Médoc et de Chalosse en Landes, on change en même temps de climat, de plantes, de nature de sol et de nature d’hommes. Suivant ces différents pays, on va des granits aux craies ou aux calcaires, de la glaise aux sables, de la brume à la lumière, du seigle au blé ou de la pomme de terre au maïs, du cidre au vin, de l’homme lourd à l’homme alerte, du musculeux au nerveux, du contemplatif au bavard. Une France divisée en ces 350 à 400 régions, d’ailleurs très inégales entre elles, serait une France plus réelle que celle des départements et des arrondissements.

Par ordre d’étendue, ces gouvernements ou provinces étaient : la Guyenne-et-Gascogne, le Languedoc, la Bretagne, la Champagne, la Normandie, la Bourgogne, la Lorraine, la Provence, l’Orléanais, le Poitou, le Dauphiné, l’Île-de-France, la Franche-Comté, le Berry, l’Auvergne, la Picardie, l’Angoumois-et-Saintonge, le Limousin, le Maine-et-Perche, l’Anjou, la Corse, le Bourbonnais, le Lyonnais, l’Alsace, la Touraine, le Béarn, le Nivernais, la Flandre, la Marche, l’Artois, le Comté de Foix, le Roussillon et le Comtat-Venaissin.


2o Les trente-trois provinces. — Le plus vaste des gouvernements, la Guyenne-et-Gascogne, s’étendait de l’Espagne au Limousin, sur les meilleurs terroirs du bassin de la Gironde et sur une partie du bassin de l’Adour ; partant, à l’ouest, de l’Atlantique, elle se rapprochait de la Méditerranée entre Saint-Affrique et Lodève. Elle avait absorbé 24 pays et beaucoup de « sous-pays », si l’expression est permise : les 24 pays étaient le Bordelais, le Bazadais, le Périgord, l’Agénais, le Quercy, le Rouergue, la Lomagne, le Fézensaguet, l’Astarac, le Comminges, le Couserans, le Nébouzan, les Quatre-Vallées, le Pardiac, l’Armagnac, le Condomois, le Tursan, la Chalosse, le Marsan, le Gabardan, le pays d’Albret, le pays de Buch, les Landes, le Labourd.

Pendant trois siècles elle fut la clef de voûte de la puissance anglaise sur le continent, ou, pour mieux dire, elle aida considérablement les princes angevins devenus rois d’Angleterre, mais restés Français de race et de langue, à disputer aux rois de Paris l’empire de « douce France ». Il y avait beaucoup de Gascons dans les armées dites anglaises qui nous frappèrent cruellement sur tant de plaines sanglantes, si bien que ces victoires du Nord sur le Midi étaient en partie des victoires du Midi sur le Nord. Les Gascons passent à tort pour poltrons : on leur a fait cette renommée pour les punir de leur vantardise ; mais ces fanfarons (s’ils le sont autant qu’on le proclame), ces hâbleurs, ces « Gascons », c’est tout dire, ont prouvé clairement leur vaillance. C’est un pays de guerriers que cette terre des Basques[2], et, en bonne justice, la statue du Gascon mérite un autre piédestal que la pierre de Moncrabeau[3]. La victoire de Castillon-sur-Dordogne nous rendit ces beaux pays, que le mariage d’Éléonore de Guyenne avec un prince d’Anjou qui fut plus tard roi d’Angleterre nous avait enlevés en 1152. Sur les 6 750 000 hectares de la Guyenne-et-Gascogne on a plaqué, en tout ou en partie, huit départements : Gironde, Dordogne, Lot, Aveyron, Lot-et-Garonne, Gers, Landes, Hautes-Pyrénées, sans compter des portions de la Charente, du Tarn-et-Garonne, de la Haute-Garonne, de l’Ariège et des Basses-Pyrénées. La capitale était Bordeaux.


Le Languedoc, grand de 4 450 000 hectares, allait de Toulouse, c’est-à-dire des rives de la Garonne, à l’entrée de la Loire dans la plaine du Forez ; sa borne vers l’orient était le cours du Rhône ; au sud il longeait la Méditerranée. Il enfermait à la fois quelques-uns des plateaux les plus froids de France, dans le haut Languedoc, et quelques-unes de ses plaines les plus chaudes, dans le bas Languedoc. Cette province comprenait le Toulousain ou Toulousan, le diocèse de Montauban, l’Albigeoïis, le Lauraguais, le Razès, le pays de Sault, le Carcassez, les diocèses de Narbonne, de Béziers, de Lodève, de Montpellier, de Nîmes, d’Uzès, le Gévaudan, le Velay et le Vivarais. Elle fut l’âme de la résistance du Sud contre le Nord, de la langue d’oc contre la langue d’oil, lutte qui se termina sur le champ de bataille de Muret (1213) où les Albigeois et les Aragonais, champions du Midi, succombèrent. À cette rencontre dont nos annales font peu de bruit, et qui pourtant assura l’empire à la langue d’oil, nous devons précisément le Languedoc, qui peu de temps après fut réuni au domaine de la couronne. On en a tiré six départements : Tarn, Aude, Hérault, Gard. Ardèche, Lozère, sans compter une grande partie de la Haute-Garonne, du Tarn-et-Garonne, de la Haute-Loire, et un lambeau de l’Ariège et des Pyrénées-Orientales. La capitale était Toulouse.


La Bretagne, lavée par la Manche et l’Atlantique, comprenait la grande péninsule bretonne, de la baie du Mont-Saint-Michel à la baie de Bourgneuf. L’élément celtique acculé par les Romains dans cette « Corne des Gaules » y est encore vivant, quoique de plus en plus voisin de sa mort. Ce vieux pays, ces ports sans nombre, cette race obstinée, ces « guerriers et poètes, sur la côte marins et pâtres dans les champs », devinrent choses françaises à la fin du quinzième siècle, par le mariage de la « bonne duchesse » Anne de Bretagne, avec un roi de France. Cette province couvrait environ 3 400 000 hectares. On y distinguait le duché de Penthièvre, les pays de Tréguier et de Léon, la Cornouaille, le Coislin, le Retz, etc. On y a taillé cinq départements : Ille-et-Vilaine, Côtes-du-Nord, Finistère, Morbihan et Loire-Inférieure. La capitale était Rennes.


La Champagne s’étendait de Sens, de Provins, de Meaux, c’est presque dire des portes de Paris, jusqu’au plateau d’où descendent l’Aube, la Marne et la Meuse, d’une part, et d’autre part jusqu’à l’endroit où la Meuse entre en Belgique. Grande d’un peu plus de 3 050 000 hectares, elle devait son nom à ses plaines, à ses champs sans bornes, à sa « Champagne », craie marâtre où pas un arbre ne brisait l’horizon. Voisine de Paris, avec la Seine, la Marne et l’Aisne, chemins faciles et courtes descentes vers la cité mère de la France, elle fut bien vite française, par le mariage d’une comtesse héritière avec Philippe le Bel, en 1284. La Champagne comprenait divers petits pays : Sénonais, Brie champenoise, Bassigny, Vallage, Perthois, Châlonnais, Rémois, Argonne, Réthelois, principauté de Sedan. Elle a fourni quatre départements : Aube, Haute-Marne, Marne, Ardennes, plus des tronçons de l’Yonne, de Seine-et-Marne, de la Meuse. La capitale était Troyes.


La Normandie, un peu moins de 3 050 000 hectares, longeait la Manche, de la baie du Mont-Saint-Michel à l’embouchure de la Bresle ; elle possédait le cours inférieur de la Seine et les bassins de petits fleuves dont les prairies étaient les meilleures du royaume. Elle tire son nom des Hommes du Nord, des Normands, pirates scandinaves arrivés des fiords norvégiens et des rives danoises ; un des chefs de ces écumeurs de mer devenus écumeurs de fleuve sur la Loire, sur la Seine et sur toute rivière capable de porter leurs canots, Rollon, se fit vassal de la France, en 911, à Saint-Clair-sur-Epte, et avec la main d’une fille de sang royal reçut le titre de duc de Normandie. Ces païens transformés en chrétiens, ces fils du Septentrion de plus en plus détournés de leur première sève par des mariages avec les Gallo-Romaines, furent bientôt aussi Français que les gens de l’Île-de-France ; quelques noms de lieux, comme Darnetal et Danestal (val des Danois), rappelèrent seuls ce grand mouvement de peuple. La Normandie, par la victoire d’Hastings, faillit faire de l’Angleterre une France nouvelle. Cette province fut longtemps disputée entre Paris et Londres ; la bataille de Formigny lia tout à fait ses destinées aux nôtres, en 1450 : trois ans avant la journée de Castillon qui nous rendit 16 Guyenne deux fois plus vaste et non moins belle que la province normande. On y rencontrait une foule de petits pays : Avranchin, Cotentin, Bessin, Bocage normand, pays d’Auge, duché d’Alençon, Marche, Ouche, Lieuvin, Roumois, comté d’Evreux, Île de Grâce, Perche, Thimerais, Drouais, pays de Caux, pays de Bray, Vexin normand. Elle a été partagée en cinq départements : Eure, Seine-Inférieure, Calvados, Orne, Manche, et a contribué à l’Eure-et-Loir. Sa capitale était Rouen.

Rouen.


La Bourgogne se divisait en deux régions que séparait la ligne de faîte européenne entre Atlantique et Méditerranée : à l’ouest de cette ligne, la Seine naissait en Bourgogne, et la Loire coulait entre cette province et le Bourbonnais ; à l’est se déroulaient des pays parcourus par la Saône et le Rhône. Son nom lui vient. d’un peuple germain, de taille élevée, de mœurs clémentes, les Burgondes ; ceux-ci s’y établirent au commencement du cinquième siècle et y fondèrent un royaume qui, de germain, devint presque aussitôt romain, et, dans ses diverses fortunes, s’étendit sur le Rhône, le Jura, la Suisse, l’Ardenne, les Pays-Bas, oscillant longtemps entre la France et l’Allemagne. Sous les Valois, aux plus mauvais jours de notre histoire, et sous Louis XI, la Bourgogne balança la France. Dijon eût pu vaincre Paris : la Saône et le Jura valaient bien la Seine et la Beauce, et la grande vallée de la Saône est plus que l’Île-de-France un grand chemin des peuples. Son prince le plus batailleur, Charles le Téméraire, étant mort à la bataille de Nancy sans héritier mâle, en 1477, la portion de son domaine pour laquelle il était vassal de la France fit retour au roi de Paris, au cauteleux Louis XI. La Bourgogne avait 2 600 000 hectares. Elle renfermait l’Auxerrois, l’Auxois, le pays de la Montagne, l’Autunois, le Charolais, le Brionnais, le Dijonnais, le Châlonnais, le Mâconnais, la Bresse, la Dombes, le Bugey, le Vairomey, le pays de Gex. De ses dépouilles on a formé la Côte-d’Or, Saône-et-Loire, l’Ain ; plus des territoires entrés dans la création de l’Yonne, de l’Aube et de la Haute-Marne. La capitale était Dijon.


La Lorraine, avec les Trois-Évêchés de Metz, de Toul et de Verdun, couvrait 2 240 000 hectares. Elle commençait aux Vosges-et s’étendait à l’ouest jusqu’au delà de Bar-le-Duc et à l’Argonne, au nord jusqu’à l’Allemagne et au Luxembourg. C’était, en somme, le bassin de la Moselle et de la Meuse supérieures, avec quelques lambeaux des bassins de la Marne et de l’Aisne. On en avait tiré quatre départements : Meurthe, Meuse, Moselle et Vosges. Terre où le sang français se mêla de sang allemand, où même les cantons du nord-ouest ont gardé le langage teuton, la Lorraine, dont le peuple a les vertus de ses deux origines, est entrée en deux fois dans le concert français : sous Henri II nous annexâmes les évêchés de Metz, de Toul et de Verdun, et en 1766 nous dûmes le reste du pays à la mort d’un roi de Pologne devenu duc de Lorraine, Stanislas Leczinski, beau-père de Louis XV. Écornée par la dernière guerre, ses quatre départements ne sont plus que trois : Meurthe-et-Moselle en a remplacé deux, et les Vosges ont, en outre, perdu plus de 20 000 hectares. Sa capitale était Nancy.


La Provence bordait la Méditerranée depuis le Petit-Rhône, frontière du Languedoc, jusqu’au Var, frontière d’Italie ; ce qu’on nommait la Haute-Provence par opposition à la Basse-Provence ou Provence maritime, comprenait la plus grande portion du bassin de la Durance. Cette « Grèce de la France », cette Bretagne de la Méditerranée, tire son nom de ce qu’elle fut une province de Rome : province par excellence parmi celles de la Gaule et la plus semblable à l’Italie. Elle est à nous depuis 1487, sous Charles VII. Puisque la Terre d’oc, la belle Occitanie, tuée à Muret, ne devait pas renaître, la Provence pouvait tendre à l’Italie autant qu’à la France, étant assise au bord de la mer intérieure et parlant une langue romane qui fut une espèce de dialecte de l’italien — aujourd’hui c’est un patois éparpillé en sous-patois de plus en plus français. — Mais l’Italie était divisée, impuissante, sans idéal d’avenir, et, à tout prendre, séparée de la Provence par les Alpes-Maritimes, tandis que la France coule vers ce rivage par la Saône et par le Rhône. De ses 2 128 000 hectares on a composé les Bouches-du-Rhône, le Var et les Basses-Alpes, sans préjudice de tronçons des Alpes-Maritimes, de Vaucluse, de la Drôme et des Hautes-Alpes. Aix en était la capitale.


L’Orléanais, ainsi nommé d’Orléans, était assis sur la Loire moyenne, mais il avait aussi quelque part au bassin de la Seine : si, d’un côté, il longeait le Cher, de l’autre il descendait l’Eure jusqu’auprès de Dreux. Uni à Paris plutôt que séparé de la ville mère par la plate étendue de la Beauce, il est français depuis 987 : il faisait partie du domaine d’Hugues Capet quand cet aïeul des Capétiens monta sur le trône. De ses divers pays, Orléanais, Vendômois, Blaisois, Sologne, Puisaye, Gâtinais d’Orléans, Dunois, Beauce, ensemble 2 030 000 hectares, on a fait le Loiret et le Loir-et-Cher, sans compter des lambeaux de l’Yonne, de la Nièvre, de l’Indre, de l’Indre-et-Loire, et la plus grande partie de l’Eure-et-Loir. Il avait pour capitale Orléans.


Le Poitou confrontait à l’Atlantique, de la baie de Bourgneuf à la baie de l’Aiguillon, et de là il s’étendait jusqu’aux montagnes du Limousin, tant sur le bassin de fleuves côtiers que sur le bassin de la Loire, et un peu de la Charente. Longtemps anglais, — il le devint comme l’Aquitaine par le mariage d’Éléonore, — il nous revint plus tôt que la Guyenne, grâce à sa proximité de la Loire, qui était alors, autant que la Seine, le centre de la puissance française : c’est sous Charles V qu’il fut reconquis. Le Poitou comprenait environ 2 millions d’hectares occupés par différents pays : Poitou propre, Gâtine, Bocage, Plaine, Marais, etc. On l’a coupé en trois départements : Vienne, Deux-Sèvres et Vendée, sans parler de ce que lui doivent la Haute-Vienne, la Charente, la Charente-Inférieure, l’Indre-et-Loire et la Creuse. La capitale était Poitiers.


Le Dauphiné avait aussi 2 millions d’hectares à peu près. Il s’élevait de la chaude vallée du Rhône aux froides neiges éternelles qui blanchissent les frontières de la Savoie et du Piémont ; il allait de Lyon au Viso. On y trouvait un grand nombre de petits pays : Viennois, Valentinois, Tricastin, Graisivaudan, Royannais, Diois, Baronnies, Oisans, Briançonnais, Champsaur, Gapençois, Embrunois, etc. Son maître Humbert II le céda, en 1349, à Philippe de Valois, à condition que l’héritier du trône de France porterait désormais le nom de Dauphin. Isère, Drôme, Hautes-Alpes, ainsi se nomment les trois départements qui l’ont remplacé. Sa capitale était Grenoble.


L’Île-de-France, autour de laquelle s’est lentement cimenté le pays tout entier, comprenait un peu moins de 1 850 000 hectares ; elle s’étendait sur la Seine moyenne et sur l’Oise, et toutes ses eaux couraient au fleuve de Paris. Ses différents pays, Île-de-France propre, Brie, Gâtinais français, Hurepoix, Vexin français, Valois, Soissonnais, Laonnais, Noyonnas, etc., ont formé la Seine, Seine-et-Oise, une grande partie de Seine-et-Marne et de l’Aisne. Sa capitale était Paris.


La Franche-Comté, conquise par Louis XIV sur les Espagnols, est à nous depuis la paix de Nimègue (1678). Cette province avait 1 570 000 hectares, à l’est de la France, entre les plaines de la Saône et les monts de la Suisse, sur les divers gradins du Jura, du plus bas au plus haut. Formée des quatre bailliages de Besançon, de Dôle, d’Amont et d’Aval, elle nous a donné le Doubs, le Jura et la Haute-Saône. Sa capitale était Besançon.


Le Berry, dont le nom rappelle encore, bien que rétracté, celui des Bituriges, peuple gaulois qui l’habitait au temps de César, déroula ses 1 434 000 hectares sur une partie de la France du centre, de la Loire à la Gartempe, en traversant le Cher, l’Indre et la Vienne, et en formant diverses régions : pays de Bourges, Sologne, Champagne, Boischaut, Brenne, etc. Acheté vers 1100 par Philippe Ier à un vicomte de Bourges, le Berry a fourni l’Indre, une grande portion du Cher, des coins de la Creuse, de la Haute-Vienne, de la Vienne, du Loiret. Sa capitale était Bourges.

Cathédrale de Bourges.


L’Auvergne devait son nom à la peuplade gauloise qui suscita Vercingétorix contre César, aux Arvernes défenseurs de Gergovie : Confisquée par François Ier sur le connétable de Bourbon et définitivement réunie à la couronne (1610) par Louis XIII à son avènement, elle n’avait pas tout à fait 1 400 000 hectares. Elle allait des monts du Forez aux causses du Quercy, par-dessus les Dôme, les Dore et le Cantal. C’était le pays du moyen Allier, et sa richesse majeure était dans la Limagne. Ses divers pays, Dauphiné d’Auvergne, Livradois, Limagne, Combrailles, Artense, Planèze, etc., ont formé le Puy-de-Dôme, le Cantal et l’arrondissement de Brioude (Haute-Loire). Sa capitale était Clermont-Ferrand.


La Picardie, nom dont on connaît mal l’origine, fut annexée en 1463 par Louis XI, l’un des princes qui ont le plus agrandi la France. Vaste de 4 269 000 hectares, cette province partait du rivage de la Manche et remontait la Somme, puis l’Oise, jusqu’aux frontières du royaume des Pays-Bas. La Somme, une partie du Pas-de-Calais, de l’Aisne, de l’Oise ; des Ardennes, ont été tirées de la Picardie, que composaient un certain nombre de petits pays : Amiénois Vimeu, Ponthieu, Boulonnais, Pays reconquis ou Calaisis, Santerre, Vermaudois, Thiérache. Amiens en était la capitale.


Le gouvernement d’Angoumois-et-Saintonge comprenait l’Angoumois, qui tenait son nom de sa capitale, Angoulême ; la Saintonge, ainsi appelée de son chef-lieu, Saintes ; l’Aunis, ayant pour ville la Rochelle. Il couvrait 1 178 000 hectares, appartenant pour la plus grande part, et de beaucoup, au bassin de la Charente. Il a formé la Charente-Inférieure, la Charente presque entière et des coins de la Dordogne et des Deux-Sèvres. L’Angoumois, patrimoine de François Ier, fut apporté par ce prince à son avènement, en 1515 ; la Saintonge est une conquête du connétable Duguesclin sur les Anglais, possesseurs de ce pays depuis le fameux mariage d’Éléonore de Guyenne ; l’Aunis, qu’Éléonore avait aussi porté en dot à l’Angleterre, devint français en même temps que la Saintonge, en 1371, sous Charles V.


Le Limousin, où revit le nom des Lemovices, nation gauloise, avait 1 million d’hectares, tant dans le Haut que dans le Bas-Limousin. Il étendait ses froides pelouses sur le bassin supérieur de la Vienne et sur des affluents de la Dordogne, et se terminait à la vallée, ou plutôt aux couloirs de ce demi-fleuve, en face de l’Auvergne ; ses châtaigneraies, ses prairies, ses brandes, ses monts, ses plateaux, sont maintenant la Corrèze et la plus grande partie de la Haute-Vienne ; il a aussi fourni des terres à la Creuse et à la Dordogne. Sa capitale était Limoges.


Le Maine, dont, peut-être à tort, on a fait venir le nom de celui des Cenomani, peuplade gauloise, avait également un million d’hectares. Il appartenait presque en entier aux bassins de la Sarthe et de la Mayenne. Parmi ses pays, le plus important était le Perche, si bien que ce gouvernement s’appelait de son nom complet, Maine-et-Perche. Réuni par Louis XI, en 1481, le Maine, qui avait suivi le destin tour à tour anglais ou français de l’Anjou, a formé la Sarthe et les quatre cinquièmes de la Mayenne. Le Mans en était la capitale.


L’Anjou (894 000 hectares) était en équilibre sur les deux rives de la Loire, entre la Touraine et la Bretagne, il tenait son nom des Andecavi, nation gauloise. Il appartint quelque temps aux Anglais, quand ses comtes, les Plantagenets, devinrent rois d’Angleterre. C’est Louis XI qui l’unit à la France. On en a tiré le Maine-et-Loire et des lambeaux de la Mayenne, de la Sarthe et de l’Indre-et-Loire. Sa capitale était Angers.


La Corse (875 000 hectares), île de la Méditerranée, nous fut vendue en 1768 par les Génois pour 40 millions ; l’année suivante, ses défenseurs avaient mis bas les armes. Elle forma d’abord deux départements, le Golo et le Liamone ; elle n’en fait plus qu’un seul, la Corse. La capitale était Bastia.


Le Bourbonnais (789 000 hectares) tirait son nom de Bourbon-l’Archambault, ville d’où sortirent ses ducs, tige d’une grande famille royale. Confisqué par François Ier sur le connétable de Bourbon, c’était, avec le Berry, la province la plus centrale de la France : de l’ouest à l’est, il s’étendait sur le Cher et l’Allier jusqu’au cours de la Loire. On en a fait le département de l’Allier, le sixième du Puy-de-Dôme et des fractions de la Creuse et du Cher. Sa capitale était Moulins.


Le Lyonnais, vaste de 781 000 hectares, comprenait le Lyonnais proprement dit, que Philippe le Bel annexa dans les premières années du xive siècle, le Forez et le Beaujolais, qui ne revinrent à la couronne que sous François Ier. Coupé en deux par la ligne de faîte européenne, il avait deux versants : à l’est, la Saône et le Rhône coulaient droit au sud vers la Méditerranée ; à l’ouest, la Loire, tributaire de l’Atlantique, marchait droit au nord dans les plaines et les gorges du Forez. Le Lyonnais forma d’abord le département de Rhône-et-Loire, bientôt divisé en Loire et en Rhône ; il a aussi donné quelques milliers d’hectares au Puy-de-Dôme. Sa capitale était Lyon.


L’Alsace, annexée sous Louis XIV, presque entièrement perdue en 1870, tirait son nom allemand, Elsass, de sa rivière l’Il ou Ell. Grande de 768 000 hectares, cette province, d’où nous avions tiré le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, et où nous n’avons conservé que le Territoire de Belfort, avait pour bornes, à l’est le Rhin qui la séparait de l’Allemagne, à l’ouest les Vosges qui la séparaient de la Lorraine. Sa capitale était Strasbourg.


La Touraine, sur la Loire, l’Indre, le Cher et la Vienne, se nommait ainsi de son ancien peuple gaulois, les Turones. Elle fut anglaise en même temps que le Maine et l’Anjou. Réunie sous Louis XI, elle contenait 694 000 hectares et renfermait divers petits pays. On en a formé les neuf dixièmes de l’Indre-et-Loire, un peu plus du septième de la Vienne et un très petit lambeau du Loir-et-Cher. Sa capitale était Tours.


Le Béarn, au pied des Pyrénées, dans le bassin de l’Adour, avait près de 650 000 hectares d’étendue en y comprenant la Navarre française. Il se nommait ainsi de son antique ville de Beneharnum, qui a disparu[4]. Réuni par Henri IV, il a donné les quatre cinquièmes des Basses-Pyrénées et un morceau des Landes. Sa capitale était Pau.


Le Nivernais, ainsi nommé de sa capitale, fut acheté par le cardinal de Mazarin, ministre de Louis XIV, en 1659. De ses 640 000 hectares, qui s’étendaient sur les monts du Morvan et le val de la Loire, on a composé le département de la Nièvre. Sa capitale était Nevers.


La Flandre française, conquise sous Louis XIV, assurée à la France par la paix de Nimègue en 1678, touchait à la Flandre belge, ainsi qu’au Hainaut, province wallonne de la Belgique. Ses trois pays, la Flandre propre, le Hainaut français et le Cambrésis, couvraient ensemble 581 000 hectares, dont on a tiré le Nord et un tout petit coin des Ardennes. Sa capitale était Lille.


La Marche s’appelait ainsi de ce qu’elle était la marche, c’est-à-dire la frontière de la France du côté du Limousin. Confisquée par François Ier sur le connétable de Bourbon, elle s’appuyait au Massif Central. Elle avait 490 000 hectares, qu’on a distribués entre la Creuse, la Haute-Vienne, la Charente et l’Indre : ces deux derniers pour une part minime. Sa capitale était Guéret.


L’Artois, acquis par les armes sous Louis XIII, tirait son nom des Atrebates, antique peuplade. La Flandre le séparait de la Belgique, la Picardie de la mer. Ses 478 000 hectares se sont fondus dans le Pas-de-Calais, et pour très peu dans la Somme. Sa capitale était Arras.


Le comté de Foix, au pied des Pyrénées, a donné ses 406 000 hectares au département de l’Ariège. Nous le devons à Henri IV. Il avait pour capitale Foix.


Le Roussillon, sur la Méditerranée et dans les Pyrénées, tenait son nom de Ruscino, ville disparue depuis bien des siècles, et dont le site, jadis riverain de la Têt et de la Méditerranée, est maintenant fort éloigné de la mer, au milieu de prés et de vignes, au lieu dit Castel-Roussillon ou Castell-Rossello, à mi-chemin de Perpignan à Canet. C’est une conquête de Louis XIII. Cette province avait 365 000 hectares, formant divers petits pays : Vallspire, Aspres, Conflent, Cerdagne, Capsir. On en a tiré les neuf dixièmes des Pyrénées-Orientales. Sa capitale était Perpignan.


Le Comtat Venaissin (181 000 hectares), annexé en 1791, a disparu, avec la principauté d’Orange (16 000 hectares) et avec Avignon, dans le département de Vaucluse. Terre papale, il était ainsi nommé de Vénasque, l’une de ses villes. Il avait Carpentras pour capitale.


À ces provinces de l’ancienne France il faut ajouter la Savoie et le comté de Nice, qui sont à nous depuis 1860, à la suite d’un vote unanime des Savoisiens et des Niçois.


La Savoie, environ 1 100 000 hectares, est le pays élevé d’où sont descendues l’indépendance et la puissance de l’Italie. Comprise tout entière dans les Alpes, elle versait toutes ses eaux dans le Rhône. Elle comprenait un grand nombre de petits pays : Tarentaise, Maurienne, Haute-Savoie, Savoie propre, Beauges, Faucigny, Chablais, Génevois. On l’a disloquée en deux départements : la Savoie et la Haute-Savoie. Sa capitale était Chambéry.

Le Comté de Nice, adossé aux Alpes et regardant la Méditerranée, n’avait pas 300 000 hectares. Il a formé les deux tiers des Alpes-Maritimes. Sa capitale était Nice.



  1. Il fut précisément annexé en cette année 1791.
  2. Guyenne, répétons-le, est la corruption d’Aquitaine, mot où l’on trouve le radical Ausk, qui signifie Basque. Quant à Gascogne, ce nom vient, à n’en pas douter, du mot Basque.
  3. Sur un coteau rapide au pied duquel passe la Bayse, tributaire de la Garonne, le bourg de Moncrabeau a sous sa halle une pierre fameuse, la Pierre de la Vérité, ainsi nommée par antiphrase, car c’est la Pierre du Mensonge : on y fait encore asseoir, avec une solennité plaisante, tout homme digne d’entrer dans la société des menteurs, hâbleurs et craqueurs.
  4. C’est peut-être Lescar, à 8 kilomètres de Pau.