Funérailles

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La Cité des eauxMercure de France (p. 79-86).
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FUNERAILLES



Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !

Victor Hugo.


FUNÉRAILLES


Le bûcher dressé là pour ce nouvel Hercule,
Emplit l’horizon rouge et le ciel empourpré ;
Et la nuit s’illumine et tout entière brûle
À l’ardente splendeur de ce couchant sacré.

Au brasier fraternel où se tordent ensemble
Le laurier odorant et le chêne fumeux,
Une foule sans cris se hâte et se rassemble
Afin d’en emporter le reflet en ses yeux ;


Et quelques-uns, penchés sur la flamme féconde,
Y viennent allumer leur torche et leur flambeau,
Pour éclairer encor les ténèbres du monde
Quand le bûcher noirci ne sera qu’un tombeau.

Et c’est ainsi qu’ayant emprunté l’étincelle
À l’énorme incendie en sa gloire écroulé
Ils s’en repasseront la clarté mutuelle,
Et l’une brillera quand l’autre aura brûlé,

Jusqu’à l’heure où ce feu vacillant et débile
Ne soit plus au regard du passant incertain
Que le dernier rayon de la lampe d’argile
Que ménage le pas et que couvre la main.


*



Qu’il éblouisse l’ombre ou couve sous la cendre,
Au geste de l’Amour comme aux doigts de Psyché,
Qu’il monte la montagne ou qu’il la redescende,
Qu’il soit lampe, foyer, flambeau, torche ou bûcher,

Sa flamme inextinguible, éternelle et divine,
Ira jusques au fond des siècles à venir.
Que le souffle la courbe ou que le vent l’incline,
Car elle est immortelle et ne peut pas finir ;

Puisque l’âme de l’homme en elle se consume
Et qu’elle est née en lui de ce jour enchanté
Où, sereine et debout devant son amertume,
Apparut à ses yeux ton image, ô Beauté !


Ton doigt blanc s’est posé sur son cœur qui palpite
Et qui bat à jamais et qui brûle en son sein,
Et depuis lors un Dieu mystérieux l’habite,
Et l’éclair a jailli qui ne s’est plus éteint.



*



Et maintenant bûcher, gronde, rougeoie, éclate.
Change la feuille en flamme et la branche en tison
Et dresse les cent nœuds de ton hydre écarlate
Dont les langues d’or clair dévorent l’horizon !

Celui qui rassembla ta masse formidable
A détourné le fleuve à travers la forêt
Et, comme au seuil des temps son frère de la Fable,
Une course éternelle a tendu son jarret.


Le lion a rugi sous sa massue ardente ;
Il empoigna le noir sanglier par son crin
Et, du fauve farouche à la bête fumante,
Ses pieds nus ont rejoint la biche aux pieds d’airain ;

Mais, au lieu de percer de sa flèche intrépide
L’engeance aux rauques cris du lac aux noires eaux
Et de saisir, fougueux, l’étalon par la bride,
Il a forcé les Sons, il a dompté les Mots.

Ils ont autour de lui dansé comme des Faunes.
Les Nymphes ont souri de sa témérité
Et, grave, il a tressé d’immortelles couronnes
Et des guirlandes d’or au front de la Beauté.

Sa main forte a cueilli les pommes à la branche
Du jardin bleu gardé par le Dragon rampant.
La neige de l’hiver fleurit sa barbe blanche,
Et sa lyre d’ivoire a des cordes d’argent.


Plutôt que de dormir sous le marbre et sous l’herbe,
Ô flamme, prends sa chair et consume ses os ;
Donne à cet autre Hercule et qui dompta le Verbe
Le bûcher mérité par ses Mille Travaux !