Génie du christianisme/Partie 4/Livre 3/Chapitre V

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Chapitre V - Tableau des mœurs et de la vie religieuse. — Moines, coptes, maronites, etc

Venons maintenant au tableau de la vie religieuse, et posons d’abord un principe. Partout où se trouve beaucoup de mystère, de solitude, de contemplation, de silence, beaucoup de pensées de Dieu, beaucoup de choses vénérables dans les costumes, les usages et les mœurs, là se doit trouver une abondance de toutes les sortes de beautés. Si cette observation est juste, on va voir qu’elle s’applique merveilleusement au sujet que nous traitons.

Remontons encore aux solitaires de la Thébaïde. Ils habitaient des cellules appelées laures, et portaient, comme leur fondateur Paul, des robes de feuilles de palmier ; d’autres étaient vêtus de cilices tissus de poil de gazelle ; quelques-uns, comme le solitaire Zénon, jetaient seulement sur leurs épaules la dépouille des bêtes sauvages ; et l’anachorète Séraphion marchait enveloppé du linceul qui devait le couvrir dans la tombe. Les religieux maronites, dans les solitudes du Liban, les ermites nestoriens, répandus le long du Tigre, ceux d’Abyssinie, aux cataractes du Nil et sur les rivages de la mer Rouge, tous, enfin, mènent une vie aussi extraordinaire que les déserts où ils l’ont cachée. Le moine copte, en entrant dans son monastère, renonce aux plaisirs, consume son temps en travail, en jeûnes, en prières, et à la pratique de l’hospitalité. Il couche sur la dure, dort à peine quelques instants, se relève et, sous le beau firmament d’Égypte, fait entendre sa voix parmi les débris de Thèbes et de Memphis. Tantôt l’écho des Pyramides redit aux ombres des Pharaons les cantiques de cet enfant de la famille de Joseph ; tantôt ce pieux solitaire chante au matin les louanges du vrai Soleil, au même lieu où des statues harmonieuses soupiraient le réveil de l’aurore. C’est là qu’il cherche l’Européen égaré à la poursuite de ces ruines fameuses ; c’est là que, le sauvant de l’Arabe, il l’enlève dans sa tour et prodigue à cet inconnu la nourriture qu’il se refuse à lui-même. Les savants vont bien visiter les débris de l’Égypte, mais d’où vient que, comme les moines chrétiens objet de leur mépris, ils ne vont pas s’établir dans ces mers de sable, au milieu de toutes les privations, pour donner un verre d’eau au voyageur et l’arracher au cimeterre du Bedouin ?

Dieu des chrétiens, quelles choses n’as-tu point faites ! Partout où l’on tourne les yeux, on ne voit que les monuments de tes bienfaits. Dans les quatre parties du monde la religion a distribué ses milices et placé ses vedettes pour l’humanité. Le moine maronite appelle, par le claquement de deux planches suspendues à la cime d’un arbre, l’étranger que la nuit a surpris dans les précipices du Liban ; ce pauvre et ignorant artiste n’a pas de plus riche moyen de se faire entendre ; le moine abyssinien vous attend dans ce bois, au milieu des tigres ; le missionnaire américain veille à votre conservation dans ses immenses forêts. Jeté par un naufrage sur des côtes inconnues, tout à coup vous apercevez une croix sur un rocher. Malheur à vous si ce signe de salut ne fait pas couler vos larmes ! Vous êtes en pays d’amis ; ici ce sont des chrétiens. Vous êtes Français, il est vrai, et ils sont Espagnols, Allemands, Anglais peut-être ! Et qu’importe ? n’êtes-vous pas de la grande famille de Jésus-Christ ? Ces étrangers vous reconnaîtront pour frère ; c’est vous qu’ils invitent par cette croix ; ils ne vous ont jamais vu, et cependant ils pleurent de joie en vous voyant sauvé du désert.

Mais le voyageur des Alpes n’est qu’au milieu de sa course ; la nuit approche, les neiges tombent : seul, tremblant, égaré, il fait quelques pas et se perd sans retour. C’en est fait, la nuit est venue : arrêté au bord d’un précipice, il n’ose ni avancer, ni retourner en arrière. Bientôt le froid le pénètre, ses membres s’engourdissent, un funeste sommeil cherche ses yeux ; ses dernières pensées sont pour ses enfants et son épouse ! Mais n’est-ce pas le son d’une cloche qui frappe son oreille à travers le murmure de la tempête, ou bien est-ce le glas de la mort que son imagination effrayée croit ouïr au milieu des vents ? Non : ce sont des sons réels, mais inutiles ! car les pieds de ce voyageur refusent maintenant de le porter… Un autre bruit se fait entendre ; un chien jappe sur les neiges ; il approche, il arrive, il hurle de joie ; un solitaire le suit.

Ce n’était donc pas assez d’avoir mille fois exposé sa vie pour sauver des hommes et de s’être établi pour jamais au fond des plus affreuses solitudes ? Il fallait encore que les animaux mêmes apprissent à devenir l’instrument de ces œuvres sublimes, qu’ils s’embrasassent, pour ainsi dire, de l’ardente charité de leurs maîtres, et que leurs cris sur le sommet des Alpes proclamassent aux échos les miracles de notre religion.

Qu’on ne dise pas que l’humanité seule puisse conduire à de tels actes ; car d’où vient qu’on ne trouve rien de pareil dans cette belle antiquité, pourtant si sensible ? On parle de la philanthropie ! c’est la religion chrétienne qui est seule philanthrope par excellence. Immense et sublime idée, qui fait du chrétien de la Chine un ami du chrétien de la France, du sauvage néophyte un frère du moine égyptien ! Nous ne sommes plus étrangers sur la terre, nous ne pouvons plus nous y égarer. Jésus-Christ nous a rendu l’héritage que le péché d’Adam nous avait ravi. Chrétien ! il n’est plus d’Océan ou de déserts inconnus pour toi : tu trouveras partout la cabane de tes aïeux et la cabane de ton père !