Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/V/11

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. 652-706).
LIVRE ONZIÈME.


des diverses parties de la face et en particulier des mâchoires.


Chapitre i. — Galien se propose d’achever les parties de la face dont il n’a pas encore parlé, ou qu’il n’a fait qu’indiquer ; il rappelle ce qu’il a dit des oreilles et des muscles temporaux.


Toutes les parties de la tête qui n’ont pas encore été expliquées, le seront dans le présent livre. Il reste, ce semble, toute la face on peu s’en faut, plusieurs des parties supérieures, comme les muscles dits crotaphytes (temporaux), et l’appendice externe (pavillon) des oreilles. En effet, nous avons traité auparavant (VIII, vi, p. 545-546), de leur base interne où se perçoit d’abord la sensation de la voix. Quant aux muscles temporaux, nous avons seulement dit (IX, viii et xiii), qu’ils s’insèrent de chaque côté à l’extrémité allongée (apophyse coronoïde) de la mâchoire inférieure (voy. plus loin, chap. v, init.), et que chacun d’eux, en vue d’une utilité indispensable, a plusieurs principes de nerfs, afin que si parmi eux, un ou deux viennent à être lésés, les autres du moins communiquent le mouvement à la mâchoire inférieure.


Chapitre ii. — Pourquoi les muscles temporaux sont-ils profondément situés tandis que les autres muscles sont ordinairement superficiels. — Galien répondant d’abord à la première question établit que le volume de ces muscles est en rapport, non avec la masse totale du corps, mais avec le volume de la mâchoire et avec les instincts plus ou moins carnassiers des animaux ; exemples à l’appui de ces assertions. — Comparaison sous ce rapport de l’homme avec le singe et les autres animaux.


Pourquoi la nature a-t-elle caché presque entièrement ces muscles dans les os de la tête, creusant profondément les os sur lesquels ils s’avancent, et relevant le plus possible en saillie les parties environnantes, tandis qu’elle fixe simplement les autres muscles sur les os, comme serait un tégument foulé, c’est ce qu’il convient d’expliquer maintenant.

Nous dirons également pourquoi elle a créé la masse de presque tous les autres muscles en rapport avec la grandeur des animaux, à l’exception des seuls muscles temporaux ; car ceux-ci, contrairement aux proportions de tout le corps, varient considérablement de grandeur ou de petitesse, selon les espèces animales[1].

Ainsi, chez les hommes, ils sont très-petits et peu nerveux (tendineux), ils sont très-grands et très-nerveux chez les lions, les loups, les chiens, en un mot, chez tous les animaux à dents aiguës et inclinées alternativement (carnassiers)[2]. Chez d’autres animaux, les porcs, les ânes, ils sont aussi très-grands, mais moins nerveux. Après eux viennent les bœufs, puis les chevaux. Ils sont petits et faibles comme chez l’homme dans les singes, les lynx et les cèbes (espèce de singe), viennent les chèvres, les moutons, les cerfs. Les singes qui ont le plus d’analogie avec l’homme, ont les muscles temporaux les plus semblables. Ceux qui s’en écartent pour se rapprocher du type du cynocéphale, ont des muscles plus robustes et plus grands, comme le cynocéphale même. Car celui-ci tient le milieu par sa nature entre le singe et le chien ; aussi son muscle temporal dépasse autant en force et en grandeur celui des singes, qu’il est plus petit et plus faible que celui des chiens. Or, de tous les animaux, le singe pithèque ressemble le plus à l’homme[3], attendu qu’il a particulièrement une face arrondie, les dents canines petites, la poitrine large, les clavicules plus longues, qu’il est le moins velu des singes, et enfin qu’il se tient debout avec aisance, de manière à marcher sans gêne et à courir rapidement. Dans ce singe, donc, comme dans l’homme, le muscle temporal n’occupe qu’une petite partie du chevelu de la tête ; dans les autres espèces, comme dans le cynocéphale, il s’étend sur le haut de la tête ; chez tous les carnassiers, il dépasse les oreilles en arrière et s’étend sur la plus grande partie de la tête. Chez ceux-ci, en effet, ce muscle est non-seulement grand, mais encore le plus fort, eu égard au volume du corps. Chez les ânes, les bœufs, les porcs, et généralement chez les animaux à grande mâchoire, le muscle temporal est seulement très-grand, eu égard à la grandeur de la mâchoire ; mais il n’est pas fort comme chez les animaux de proie.

La nature a créé grands les muscles temporaux en vue de deux résultats : la vigueur de l’action de mordre et la grandeur de la mâchoire inférieure. Comme les temporaux existent naturellement pour la mâchoire, ils sont en rapport avec sa fonction et sa structure. Donc, comme chez les animaux carnassiers, la force réside dans l’action de mordre, leur muscle a été créé à la fois très-grand et très-fort. Il est aussi très-grand, mais il a moins de nerfs (fibres tendineuses), de ressort, de vigueur, chez les ânes, les bœufs, les porcs, et chez tous les autres animaux doués, il est vrai, d’une grande mâchoire inférieure, mais dont la force ne consiste pas dans l’action de mordre. Il était mieux, en effet, qu’une grande mâchoire fût mue par un grand muscle. Chez l’homme, au contraire, qui a une petite mâchoire et des dents propres seulement à broyer la nourriture[4], le muscle temporal, avec raison, a été créé petit. Car la grandeur du muscle était superflue dans un être qui ne devait pas avoir la grande mâchoire et l’action énergique du lion et du chien. Car si l’homme est fort, ce n’est pas en mordant, et ce n’est pas par là qu’il dompte les autres animaux ; c’est comme il a été démontré au commencement de ce traité (I, iii), par sa raison et par ses mains.

Célébrons l’habileté de la nature, comme Hippocrate qui, dans son admiration, la qualifiait toujours d’équitable (cf. I, xxii, p. 163, et IX, xvii, p. 603), parce qu’elle a choisi, non pas ce que suggère la première idée, mais ce qui est conforme à la fonction, à l’utilité ; or, c’est là, je pense, l’œuvre d’une divine équité, d’inventer ce qui est nécessaire, de le distribuer à chacun selon son mérite, et de ne rien créer de plus ou de moins que ce qui est convenable. Or, il eût été superflu que le muscle temporal fût grand, quand il devait mouvoir une petite mâchoire. Il y aurait défaut s’il n’eût pas été grand, quand il doit mouvoir une grande mâchoire. Or, aucun animal n’a [comparativement] une mâchoire plus petite que l’homme, ni plus grande que l’âne et le cheval. C’est donc avec raison que les muscles moteurs des mâchoires ont été créés chez l’homme très-petits, et très-grands chez ces animaux.

Pourquoi la mâchoire inférieure a-t-elle été créée si grande chez les porcs, les ânes, les bœufs, les chevaux, si petite chez les hommes, les singes, les cèbes et les lynx, d’une dimension moyenne dans d’autres animaux, c’est ce que nous avons dit précédemment (VIII, i, p. 526), quand nous démontrions que les animaux, pourvus de mains comme est l’homme, ou d’une sorte de mains comme les singes, n’ont pas besoin de se baisser pour prendre leur nourriture avec la bouche, que ceux qui en sont dépourvus, comme les chevaux, ont un cou plus grand et conséquemment une plus longue mâchoire ; les oiseaux à longues jambes ont aussi un long cou et un bec allongé, parties dont ils doivent se servir en guise de mains pour se fournir d’aliments. Mais la nature ayant coutume de s’éloigner peu à peu des extrêmes dans les genres d’animaux (c’est-à-dire, de passer graduellement d’une espèce à une autre), comme Aristote l’a justement démontré, (Hist. anim., VIII, i, § 2-3 ; cf. dans ce vol. la note de la p. 326), les singes sont en conséquence les premiers animaux qui, après les hommes, ont la mâchoire allongée. Car souvent déjà nous avons démontré, dans ce qui précède (I, xxii ; III, xvi ; cf. aussi XIII, xi), que le singe est une copie ridicule de l’homme.

Puis vient une seconde espèce, puis une troisième, puis toutes les autres, successivement selon la proximité du rang ; naturellement aussi les animaux placés entre ceux qui ont des mains et ceux qui en sont complétement dépourvus, comme les animaux appelés carnassiers et onguiculés (σκιζόποδα, aux pieds fendus), sont par la longueur du cou et des mâchoires également éloignés des types extrêmes. En effet, ils se servent de leurs pieds en quelque sorte comme de mains. Aussi, de tous les animaux, l’homme a-t-il le muscle temporal le plus petit, parce qu’il a la mâchoire que meut ce muscle à la fois très-petite et faible d’action.


Chapitre iii. — La nature a caché profondément les muscles temporaux, parce qu’elle a prévu les dangers qui résulteraient pour le cerveau de leur lésion. — Comparaison de ces muscles avec ceux des yeux. — De quels moyens la nature s’est servi pour protéger les muscles temporaux. — De l’arcade zygomatique.


Pourquoi ce muscle seul est-il caché sous les os de la tête, les uns le recevant dans leurs cavités, les autres l’embrassant circulairement de sorte qu’une faible partie fait saillie à l’extrémité du front, ou plutôt ce muscle n’est pas le seul dans ce cas, mais cette disposition est une utilité commune à ceux des yeux. En effet plus que tous les muscles, ces derniers, s’ils sont lésés, occasionnent des spasmes, des fièvres, le carus, le délire. Pour qu’ils soient le moins possible lésés par le choc de corps étrangers capables de meurtrir ou de couper, la nature les a entourés circulairement d’un rempart d’os durs. Mais pourquoi leur lésion est-elle si dommageable ? C’est qu’ils sont les plus proches du principe des nerfs[5] (c’est-à-dire, de l’encéphale) et qu’un seul os empêche leur contact avec l’encéphale même. Les muscles temporaux, vu leur grandeur, peuvent blesser l’encéphale plus encore que ceux de l’œil ; d’ailleurs une seule branche de nerfs arrive aux muscles des yeux (voy. IX, viii) tandis qu’il en arrive plusieurs aux muscles temporaux (ibid. et chap. xvii). Si donc, comme le disait Hippocrate (Des humeurs § 4 fine, t. V, p. 482 ; Des articul., § 53, t. IV, p. 237 ; Conf. Gal. in lib. De hum. II, 6, t. XVI, p. 233), les parties confinant et les parties communes [aux lieux affectés] souffrent plus gravement, et s’il n’est pas un muscle plus proche de l’encéphale que ceux des tempes, ni en communication avec lui par plus de nerfs, il est naturel que le principe ressente à l’instant les lésions dont ils sont atteints. Aussi Hippocrate (Des articul., § 30, t. IV, p. 149 ; voy. aussi Coaq. 498) a-t -il dit avec raison que les blessures à la tempe sont dangereuses et causent le carus.

Avant Hippocrate la nature savait qu’elle exposait l’animal aux plus graves accidents si elle négligeait de garantir les muscles temporaux. Elle a donc fortifié la région autant que possible, en établissant d’abord, pour les recevoir, une cavité semblable à un antre (fosse temporale), puis en creusant comme des lits les faces externes des os environnants et en fixant à leurs extrémités supérieures des crêtes (crêtes frontales, pariétales et occipitales) tournées vers les muscles, afin de les protéger le plus possible et de ne laisser saillir ces muscles qu’excessivement peu au-dessus des os. Cette saillie même, elle ne l’a pas laissée complétement dénuée de protection, mais des os supérieurs de la tête (temporal), et de ceux situés aux extrémités des sourcils (os malaire), ayant fait naître de chaque côté un os allongé, convexe à sa face externe, concave du côté du muscle (arcade zygomatique) elle l’en a comme enveloppé. Dirigeant, pour ainsi dire, vers le sourcil la partie de l’os descendu des parties supérieures (apophyse du temporal) et faisant remonter à une hauteur suffisante la partie de l’os qui s’élève d’en bas (apophyse de l’os malaire), puis les unissant l’un à l’autre vers le milieu, elle a établi en avant de chacun des muscles cette espèce de voûte osseuse qui la première est exposée aux blessures, aux compressions, à toutes les lésions enfin, si quelque corps extérieur vient à heurter les muscles avec force et violence. Aussi ce n’est pas un os comme les autres que cet os zygomatique (car c’est ainsi que le nomment les anatomistes) ; il est sans moelle, dense, dur comme une pierre, insensible autant que possible, la nature ayant voulu établir un rempart en avant de ces muscles.


Chapitre iv. — De la disposition des muscles digastriques chargés d’abaisser la mâchoire inférieure. — Du mode d’insertion et de l’action des masséters. — Dissentiment des anatomistes relativement à ces muscles. Des mouvements particuliers qu’il imprime à la mâchoire inférieure. — La langue et les masséters se prêtent un mutuel secours pour déplacer les aliments dans la bouche.


Telle est la sûreté que procure cette disposition aux muscles temporaux. Chacun d’eux terminé par un grand tendon s’insère sur l’apophyse coronoïde de la mâchoire inférieure qu’il relève s’il est tendu, action qui ferme la bouche de l’animal. Il doit exister aussi pour l’ouvrir des muscles qui tirent en sens inverse, et ces muscles doivent être fixés aux parties inférieures de cette mâchoire, puisque nous avons démontré avec raison (Mouvem. des muscles, I, vi) que chaque muscle tire à lui la partie sur laquelle il s’insère. Quels sont donc ces muscles, combien sont-ils, d’où dérivent-ils et quel est le principe de leur mouvement ? Ces muscles mêmes sont au nombre de deux (digastriques), comme les muscles temporaux placés en antagonisme, chacun à une extrémité de la mâchoire inférieure. Ils tirent leur origine des parties postérieures de la tête (rainure mastoïdienne du temporal), là où se trouvent les éminences (apophyses) styloïdes ; tel est le nom donné vulgairement par les anatomistes à ces apophyses minces qui procèdent des os de le tête. Vous pouvez, si cela vous plaît, les appeler graphoïdes et bélonoïdes (voy. VI, xix). Ces muscles s’insèrent sur la mâchoire inférieure immédiatement après sa courbure (réunion des branches ascendante et horizontale), chacun d’eux s’avançant de chaque côté sur la face interne, jusqu’à la région du menton (à l’apophyse geni). Ces muscles s’ils sont tendus, ouvrent la bouche, de la même façon que les muscles temporaux la ferment.

La nature a créé pour le mouvement de circumduction de la mâchoire dans la mastication deux autres muscles (masséters) qui constituent la partie charnue des joues. Certaines personnes pensent que chacun d’eux est composé non pas d’un seul muscle parce qu’ils ont pour principes trois aponévroses, tendons ou insertions sur les mâchoires ; car les uns nomment ces principes d’une façon, les autres d’une autre, tous cherchant à exprimer clairement l’espèce de muscle différente de tous les autres, mais laissant soupçonner qu’ils ne s’accordent pas entre eux, si l’un prétend qu’il existe trois principes à chacun des muscles, et qu’un autre dise que ce sont des extrémités ou des têtes ou des aponévroses ou des tendons ou des insertions.

Il n’y a pas débat parmi les anatomistes sur le muscle lui-même seulement, mais sur la manière de le décrire. En effet chacun des muscles est triangulaire en quelque sorte , ayant le sommet du triangle sur l’os qu’on nomme os malaire. De ce point un des côtés du triangle s’étend vers l’extrémité [du bord inférieur] de l’os zygomatique (bord supérieur), l’autre vers la mâchoire inférieure (bord antérieur), le troisième et dernier (bord postérieur et inférieur) comme une base, joignant les deux côtés susdits à toutes les parties précitées de la mâchoire inférieure s’étend sur sa longueur (face externe de la branche ascendante depuis l’angle jusqu’à la base de l’apophyse coronoide). La portion de ce muscle la plus fibreuse est celle qui est au-dessous de l’os malaire, là où est situé pour ainsi dire, son sommet. Il meut la mâchoire et lui imprime des mouvements de circumduction d’après l’action multiple des fibres et des insertions ménagée par la nature, afin que la succession rapide de mouvements alternatifs [comme sont ceux d’une meule] rende la mastication plus variée. C’est donc avec raison qu’on nomme ces muscles masséters (masticateurs), bien que la même dénomination ne convienne pas moins parfaitement aux muscles temporaux eux-mêmes. Mais ceux-ci n’ont qu’une fonction dans la mastication, c’est d’engager fortement les dents les unes sur les autres, d’où il suit qu’elles coupent en morceaux les corps placés entre elles. Si les dents molaires broient les aliments comme des meules, c’est l’œuvre des muscles masséters. Ceux-ci en effet mêlent les aliments, replacent, en se tendant et en se contractant, sous les dents ceux qui ont glissé, sans le moindre concours des muscles temporaux. La langue ne contribue pas peu à l’action même[6], en agitant toujours et en retournant, comme une main, les aliments dans la bouche, afin que toute partie de ces aliments soit également broyée. Extérieurement et de chaque côté est établi le muscle masséter comme une autre main venant en aide à la langue. Les parties inférieures des joues lui sont du plus grand secours pour déplacer les aliments, parties charnues qui avoisinent les lèvres, et auxquelles aboutissent les autres muscles larges qui entourent tout le cou, de chaque côté (peaussiers, voy. IX, xv, p. 600). Les joues avec les lèvres sont mues par ces muscles, même si la mâchoire inférieure et tous les muscles qui la mettent en mouvement restent complétement immobiles. Chacun de ces muscles a un caractère propre que ne possède aucun autre muscle. Je termine ici mes observations sur les muscles masséters.

Chapitre v. — Disposition particulière des temporaux et de leurs antagonistes, les digastriques, surtout eu égard à leurs tendons. — Raison de cette disposition pour les deux genres de muscles. — Ces muscles ne pourraient occuper une autre place que celle qu’ils ont actuellement.


Les muscles temporaux et leurs antagonistes inférieurs (digastriques), qui ouvrent la bouche, diffèrent, eux aussi, d’une autre façon, de tous les autres muscles. En effet, du milieu des muscles temporaux se produit le tendon qui s’insère, disions-nous (chap. i), à la pointe supérieure de la mâchoire inférieure (apophyse coronoïde), vous ne trouveriez jamais un seul muscle dont le tendon naisse de la sorte.

Chacun des muscles antagonistes (digastriques), venant de la région postérieure de la tête, une fois arrivé au voisinage des parties qu’on nomme amygdales, et à l’angle de la mâchoire inférieure, au lieu de rester un muscle, devient un tendon parfait dénué de toute substance charnue. Il est aussi, cela est vrai, dans la nature des autres muscles, de se terminer en tendon ; mais je vais indiquer le caractère spécial de ces muscles et qui ne se rencontre dans aucun autre : chacun de ces tendons, en avançant un peu, ne reste plus tendon, mais redevient muscle, s’insérant à la mâchoire inférieure comme il a été dit plus haut. Il est donc évident que les parties charnues de ces muscles se trouvent au commencement et à la fin, et les parties tendineuses au milieu, ce qui n’existe dans aucun autre muscle, comme aussi on ne voit pour nul autre, que pour le muscle crotaphyte, le tendon naître du milieu du muscle.

Quelle est donc encore la raison de ces faits, car la nature ne fait rien en vain ? Il faut vous rappeler les observations précédentes et en connaître quelques nouvelles. Souvenez-vous de ce qui a été dit d’une manière générale sur les muscles (Mouvem. des muscles, I, iii), pourquoi les uns se terminent en tendons et les autres non. Apprenez en outre maintenant ce qu’il faut savoir à ce sujet. Quant à la raison pour laquelle il fallait que chacun des muscles temporaux, se terminant en un grand tendon, s’insérât par ce tendon à l’extrémité de la mâchoire, extrémité mince et dure de sa nature (apophyse coronoïde), longue et s’étendant en hauteur, il vous est très-facile de la trouver, même sans mon aide, si vous n’avez pas prêté une attention tout à fait distraite à mes raisonnements. Je les rappelle néanmoins en peu de mots : Si la mâchoire n’avait pas été relevée par des tendons si puissants, d’abord elle se fût disloquée mille fois, car de faibles corps n’auraient pu soutenir une telle masse ; ensuite elle aurait été mue difficilement, car ni un autre muscle plus petit, ni une substance simplement charnue n’auraient pu la tirer en haut. Maintenant, je vais dire pour quel motif ce tendon se produit au milieu des muscles, en rappelant ici encore ce que j’ai déjà démontré au commencement de ce livre (chap. iii).

Le point capital était que les muscles temporaux ayant besoin d’une grande sécurité, devaient être entourés d’os de toutes parts, afin qu’une faible portion seulement saillît de la cavité qu’ils occupent. Si vous vous rappelez ce point, et que vous connaissiez les parties de la tête, vous pouvez déjà comprendre comment, si la nature eût disposé ces muscles en longueur, suivant la longueur même de la tête, en les portant directement sur les apophyses, elle n’aurait pu trouver aucun tégument pour les protéger, à moins de créer en cet endroit une énorme saillie et de laisser vides et rétrécies les régions où ils sont actuellement ; car elle n’aurait pu disposer là aucune autre partie d’une façon convenable, ni les yeux, ni le nez, ni les oreilles ; or, nous avons expliqué précédemment (cf. particul. VIII, iii, v, vii) la cause de la position de ces organes. On ne saurait dire quel os zygomatique elle eût établi devant eux, comme il existe actuellement, si elle eût tendu les muscles dans la longueur de la tête, ou quelles crêtes elle eût disposées sur les os. Si donc la direction des muscles selon la longueur de la tête, les rendait proéminents, les privait de sécurité, et faisait créer sur toute la tête des saillies et des cavités inutiles, et si, au contraire, leur position dans la région actuelle garantissait aux muscles leur sûreté, et à toute la tête sa régularité, il ne pouvait être plus opportun de les établir ailleurs. Mais s’il en est ainsi, il est évident que le centre de ces muscles a été créé dans la direction de l’apophyse coronoïde qui avait besoin d’être mue, de façon que de ce point devait nécessairement partir le tendon.

Quant aux muscles antagonistes pourvus d’un tendon qui réunit les deux extrémités charnues, ils manifestent un art bien plus grand. Or, il faut prêter attention surtout aux choses qui offrent quelque particularité singulière, inusitée, et qu’on ne retrouve pas dans les parties de même genre. En effet, ou bien la nature à leur égard a oublié l’analogie, ou bien, inventant quelque artifice ingénieux, elle a introduit une modification de la disposition commune.

J’ai déjà démontré, ce me semble, dans tout l’ouvrage, que nulle part la nature ne s’écarte en vain de l’analogie, que c’est au contraire en vue d’une utilité spéciale qu’elle crée une partie avec un cachet distinct des autres ; ou que, par une nécessité impérieuse, abandonnant la structure primitive et dominante, elle en adopte une autre, une seconde, comme elle l’a fait à l’égard de ces muscles[7]. Car le lieu propre de leur production n’était pas la partie postérieure d’où ils naissent maintenant, mais la partie antérieure du cou ; de cette façon, en effet, l’un et l’autre eussent tiré en bas la mâchoire dans la direction de son propre principe ; mais s’ils avaient été disposés en cet endroit, en naissant des vertèbres du cou, ils eussent été eux-mêmes les premiers fort à l’étroit, et ils auraient rétréci l’espace occupé par toutes les parties qui sont établies dans cette région. En effet, dans presque aucune autre partie du corps on ne saurait voir en un espace si borné un amas d’organes aussi considérables, et ce n’eût pas été en vue dû mieux qu’on en eût déplacé un seul, ni l’œsophage, ni la trachée-artère, ni le larynx, ni beaucoup moins encore les muscles qui les enveloppent, non plus que les artères, les veines, les glandes et les nerfs. En effet, de ces parties, les unes devaient d’en bas monter aux régions élevées, et les autres d’en haut descendre aux régions basses ; autrement la tête aurait été privée d’artères et de nerfs, et le tronc de nerfs et de muscles. Il est évident encore que les aliments, les boissons et l’air inspiré devaient prendre cette dernière route, tandis que l’air expiré et la voix devaient remonter, pour procurer aux animaux de nombreuses utilités. Il était nécessaire, cela est également évident pour tout le monde, que les artères se partageassent en cet endroit et se distribuassent à l’une et à l’autre mâchoire, à la langue, à la bouche, aux parties postérieures et antérieures de la tête, à celles du col entier en même temps qu’à celles de l’épine dorsale même. — Une chose non moins nécessaire que la précédente, c’est qu’il existât des glandes aux bifurcations des vaisseaux, pour les préserver de toute lésion en les consolidant.

La nature a créé encore en cet endroit quelques autres glandes dont j’ai parlé précédemment (VII, xvii), dans l’intérêt de la trachée-artère. Un si grand nombre d’organes si considérables, qui ne pouvaient être déplacés sans le plus extrême dommage pour l’animal, avait occupé d’avance tout l’espace en cette région.

C’est donc avec raison que les muscles qui font jouer la mâchoire inférieure naissent, non pas des vertèbres du cou, mais du lieu indiqué plus haut, et qu’à l’endroit le plus rempli de nombreux organes, dans les parties voisines des amygdales, chacun des tendons se trouve dépouillé de fibres charnues et aminci. Plus épais, en effet, ils n’auraient pu traverser un passage si rétréci. D’un autre côté, minces comme ils sont actuellement, s’ils fussent encore restés [dans toute leur étendue] à l’état de muscles, ils eussent été trop faibles. Comme ces muscles devaient être à la fois résistants et grêles, il en résulte que la nature, avec raison les a, en cet endroit, dépouillés de toute leur chair, prolongeant seulement les tendons dénudés, lorsqu’elle les a tirés du défilé ; alors elle les revêt peu à peu de chair et refait d’eux des muscles.

Tels sont les trois genres de muscles que la nature a créés pour mouvoir la mâchoire, les uns l’ouvrant (digastriques), d’autres la fermant (temporaux), d’autres lui imprimant diverses flexions (masséter, et accessoirement peaussier)[8], sans qu’elle ait rien négligé ni pour les positions, ni pour les formes, ni pour l’opportunité des insertions. En effet chacun d’eux paraît arriver précisément à cette partie de la mâchoire qui offre le plus de prise et qui est la mieux appropriée au mouvement pour lequel le muscle a été créé.

Chapitre vi. — Grandeur comparative des muscles temporaux, digastriques et masséters. — Indication des ptérygoïdiens interne et externe que Galien considère comme un seul muscle.


Si vous voulez examiner la différence de grandeur de ces muscles et le principe des nerfs moteurs, vous trouverez admirable aussi en ce point l’équité de la nature, car il était raisonnable que les muscles qui relèvent et soutiennent toute la mâchoire inférieure, pour ainsi dire attachée et suspendue à eux, fussent les plus grands par la taille, que les muscles antagonistes de ceux-ci, qui en bas meuvent une région sur laquelle porte naturellement toute la pesanteur, fussent d’une dimension bien moindre, enfin que les autres muscles fussent par rapport aux précédents de grandeur moyenne, comme étant par leur position placés entre ceux-ci.

Deux autres muscles (ptérygoïdiens) situés dans les parties internes de la mâchoire inférieure, à l’endroit où elle est le plus creuse (face interne de l’angle ; branche montante, et fossette du col du condyle de la mâchoire infér.), se dressant vers l’os de la tête (fosse et apophyse ptérygoïdes ; face latér. du sphén.), ont été donnés comme auxiliaires aux temporaux ; car ils peuvent eux aussi tirer la mâchoire. En effet, par la même raison qu’il existait plusieurs principes des nerfs moteurs des muscles, il a été créé un auxiliaire aux muscles internes.


Chapitre vii. — Moyens admirables employés par la nature pour la distribution de la 3e paire de nerfs (5e des modernes) à la face, et aux parties qu’elle contient. — Différence entre les œuvres de l’art et celles de la nature. — Attaque indirecte, mais très-vive, contre les sectateurs d’Épicure et d’Asclépiade.


La troisième paire de nerfs issus de l’encéphale (trijumeaux ; 5e p. des modernes ; voy. IX, ix) est le principe des nerfs de tous les muscles de la face et pour ainsi dire de toutes les autres parties qui s’y trouvent. En effet cette troisième paire se distribue aux muscles temporaux et aux masséters, aux muscles internes de la bouche (ptérygoïdiens), aux lèvres, au nez et à tout le derme de la face, les os étant percés pour eux et leur livrant passage, partout où veut se porter chacune des ramifications nerveuses. Or elles se portent toujours vers la partie qui a besoin de sensation ou de mouvement, en sorte que dans aucune partie un filet nerveux ne fait défaut ni ne surabonde, mais que toujours il y en a précisément un proportionné à l’importance et à l’utilité de la partie.

Si toutes ces dispositions avaient été prises sans art, les os n’auraient pas dû être percés de trous nombreux et rapprochés. Une fois percés on doit trouver qu’ils ont été percés inutilement par le hasard, si aucun organe ne les traverse. Quant aux parties internes de la bouche et aux parties externes de la face, il fallait qu’à certaines parties il n’arrivât absolument pas un nerf, et qu’aux autres, il s’en distribuât, non pas un, mais plusieurs ; car telles sont les œuvres du hasard. Mais que toutes les parties en reçoivent et que chacun soit de la dimension exigée par la partie, je ne sais s’il est permis à des hommes de sens, d’attribuer un tel résultat à l’œuvre du hasard. Autrement quelle chose trouverait-on faite avec prévoyance et art ? En effet, l’action du hasard serait complétement différente [de celle d’une nature prévoyante].

Ainsi d’abord, en s’en rapportant au hasard, il arriverait que chacun des nerfs serait descendu ou intérieurement par la bouche, ou en dehors des os de la face, de telle sorte qu’ils auraient été lésés infailliblement les uns par les aliments durs, et les autres par le choc des corps extérieurs. Ensuite parmi les racines des dents, les unes auraient eu des nerfs, les autres point ; les racines des dents molaires qui sont grosses en auraient eu de petites et celles des autres dents qui sont petites en auraient eu de grosses. Il faudrait encore qu’une partie des muscles masséters fût dépourvue de nerfs ; car quelle nécessité que toutes leurs fibres soient mises en mouvement ? Il faudrait enfin qu’une partie du derme reçût les ramifications des nerfs, que l’autre n’en reçût point, car il n’était pas nécessaire que tout le derme fût créé sensible. Ces dispositions et autres semblables, nous les déclarerons l’œuvre de l’art et de la raison, si les dispositions contraires sont celles du hasard. Le proverbe sur les fleuves qui remontent leur cours (voy. Parémiographes grecs, éd. de Schneidewin et Leutsch, t. I , p. 47 et 185, et note de la p. 219 ; t. II, p. 96 et 747) serait réalisé si nous jugions que les choses laides, illogiques, injustes, sont les œuvres de l’art et que les choses contraires sont les œuvres du hasard.

Pour moi, je ne dispute pas sur les noms, et s’il vous plaît d’appeler hasard la puissance qui a conformé avec tant de précision toutes les parties de l’animal, pourvu seulement que vous ayez bien compris et reconnu que vous forgez injustement de nouveaux sens aux mots, vous pouvez, contemplant le soleil suspendu sur la terre, appeler nuit sa lumière, et si vous voulez, appeler le soleil lui-même non pas lumière éclatante, mais ténèbres. Il vous est permis de ne vous écarter en aucune circonstance d’un raisonnement aussi sensé, comme à nous de ne pas abdiquer notre ignorance, et quand nous trouvons que toutes les parties ont précisément la structure qui leur convient, de déclarer qu’elles ont pour cause l’art et non pas le hasard.

Mais, au nom des Dieux, car j’ai pitié de votre folie, pourquoi dans toutes les parties de la face, est-ce des nerfs supérieurs qu’il naît des ramifications lesquelles traversent les os ? Pourquoi aucune d’elles ne se détache-t-elle pour s’insérer aux muscles qui ouvrent la bouche, bien que ces muscles soient proches ? Pourquoi de ces muscles aucun ne remonte-t-il aux muscles temporaux, comme de ces derniers non plus, aucun ne descend aux muscles qui ouvrent la bouche ? Pourquoi enfin le derme a-t-il été complétement fendu pour former la bouche ? Car l’occasion est venue maintenant d’aborder cette question-là. Comment ne le trouve-t-on pas fendu au dos, à la tête ou à quelque autre partie du corps ? C’est le hasard, dit-on, qui a fait cela. Mais si c’est la chaleur incompressible ou le pneuma (car telles sont leurs raisons futiles) qui en déchirant le derme a engendré la bouche, comment n’ont-ils pas produit ce même effet au sommet de la tête, comment n’y a-t-il pas eu rupture en cet endroit, par là aussi ascension du pneuma, puisque la chaleur et le pneuma s’ élèvent naturellement ? Si des atomes, par leur assemblage et leur entrelacement, ont constitué nos corps, comment n’ont-ils pas plutôt percé la tête ou quelque autre partie du corps, pour engendrer la bouche en cet endroit ? Comment, si elle a été percée au hasard, a-t-elle immédiatement renfermé et les dents et la langue ? Et comment les méats du nez et du palais qui purgent le cerveau ont-ils été percés pour communiquer ensemble. Il n’était pas indispensable que des dents existassent dans les parties fendues du corps. En effet, à l’anus et aux parties génitales, surtout à celles de la femme, il existe bien une fente, mais on n’y trouve ni dent, ni os, si petit qu’il soit.

Chapitre viii. — Du nombre et de la division des dents. — Que leurs conditions de structure et d’implantation, leurs mutuelles correspondances dans les deux mâchoires sont les meilleures dispositions qu’on puisse imaginer eu égard aux usages auxquels elles sont destinées. — Continuation de l’attaque contre Épicure et Asclépiade. — Tant d’heureuses dispositions qui se trouvent chez tous les animaux et qui, du reste, sont en harmonie avec celles d’autres parties ne sauraient être l’œuvre du hasard, mais d’un art consommé.


Voulez-vous aussi attribuer aux atomes ces heureux résultats ?

Pourquoi avons-nous précisément trente-deux dents, fixées seize sur un rang à chaque mâchoire, celles de devant (au nombre de huit) nommées incisives, tranchantes et larges, capables de couper en mordant ; à leur suite les [quatre] canines, larges à la base, acérées au sommet, capables de briser les corps trop durs que n’auraient pu couper les incisives, puis les [vingt] mâchelières qu’on nomme aussi molaires, raboteuses et larges, dures et longues, faites pour triturer exactement les aliments coupés par les incisives ou brisés par les canines ?

Supposez, une seule modification dans les dents, vous verrez aussitôt leur utilité anéantie. Si [les molaires] eussent été entièrement polies, elle n’auraient pas été propres à leurs fonctions. En effet, toute espèce de corps sera mieux broyée par des dents inégales et raboteuses. C’est pour cette raison même que les meules avec lesquelles on moud le blé, venant avec le temps à s’émousser et à se polir, on les taille et on les repique de nouveau.

Supposez-les raboteuses, si elles n’étaient pas dures aussi, quel avantage en résulterait-il ? car elles seraient brisées avant d’avoir broyé les aliments. Fussent-elles raboteuses et dures, si elles n’étaient larges, il n’y aurait pas plus de profit, car les instruments de trituration ont besoin d’être affermis par une large base. C’est pourquoi les incisives ne sauraient broyer parce qu’elles sont étroites. Avec toutes ces qualités, si elles étaient petites, ce défaut seul ne détruirait-il pas l’utilité même des autres qualités, puisqu’il nous faudrait un temps très-considérable pour broyer les aliments ? Il en est de même des dents incisives et des suivantes (canines) qui sont acérées. Vous trouverez que leur utilité est abolie, si une de leurs qualités, n’importe laquelle, est modifiée.

Mais admettons que toutes ces combinaisons si sages soient le fruit d’un hasard heureux ; changez la disposition seule des dents, et voyez ce qui en résultera. Supposez que les molaires soient situées en avant, les incisives et les canines en arrière, et examinez quelle serait encore l’utilité de ces dents, quelle serait celle des dents larges. Toutes les autres qualités si habilement combinées par la prévoyance des atomes ne seraient-elles pas anéanties par cette seule erreur dans la disposition des dents ? Si quelqu’un réglait selon la mesure un chœur de trente-deux danseurs, on le louerait comme un homme habile. Et la nature qui a disposé avec tant d’harmonie cet ensemble de dents n’obtiendra-t-elle pas nos éloges ?

Si vous voulez, ne nous contentons pas d’attribuer au bonheur des atomes la création de dents, les unes aiguës, les autres émoussées, celles-ci polies, celles-là raboteuses, d’autres grandes ; admettons en outre que leur disposition si heureuse se soit effectuée sans art, c’est encore une concession que nous faisons ; mais que dirons-nous des racines ; n’en voit-on pas une seule aux petites dents, deux aux dents plus fortes, et trois ou quatre aux plus grandes ? Car ici encore par un hasard merveilleux le concours des atomes a produit une œuvre d’art, comme si le Créateur le plus équitable les eût dirigés.

Si, parmi les molaires, celles du milieu sont les plus grandes, et celles de chaque côté d’une dimension moindre, n’est-ce pas encore une disposition admirable des atomes ? Car il ne fallait pas, je pense, que la partie interne (profonde ?) de la cavité buccale, qui, ainsi que la partie antérieure, est plus étroite, eût des dents aussi larges que la partie moyenne, laquelle est la plus large eu égard aux joues. En effet, il eût été injuste de fixer aux parties étroites de la bouche les grandes dents, et aux parties larges les petites. En outre, la langue, ayant besoin d’être plus large à sa racine, comme je l’ai démontré (voy. plus loin, chap. x), il était préférable que les grandes dents ne fussent pas situées à cet endroit.

Et ces minces prolongements des os de chaque mâchoire que l’on nomme râteliers (φατνίαalvéoles des modernes)[9], par analogie avec les râteliers qui servent aux troupeaux, n’est-ce pas encore là une œuvre admirable du hasard ? Elles enveloppent chacune des dents, les pressent, les maintiennent fortement pour qu’elles ne soient pas facilement ébranlées. Avoir créé des cavités appropriées aux racines des dents, grandes pour les grandes, petites pour les petites, cela me paraît aussi l’œuvre d’une admirable équité. Il n’y a pas un artisan, ni parmi ceux qui avec des chevilles attachent des poutres les unes aux autres, ni parmi ceux qui travaillent la pierre, qui ait jamais adapté les cavités aux saillies qu’elles reçoivent avec autant de justesse que l’heureux tourbillon des atomes l’a fait pour les racines des dents. Car, quoique privé de raison, il savait, je pense, que des cavités trop larges rendraient lâche l’emboîtement des os ; que, trop étroites, elles ne laisseraient pas pénétrer jusqu’au fond les racines des dents. Et ces ligaments solides (périoste ?) qui attachent les dents aux alvéoles, principalement à la racine où viennent s’insérer les nerfs, n’est-ce pas aussi une chose admirable ? Bien plus admirable encore si c’est l’œuvre du hasard, et non celle de l’art !

Mais voici un phénomène beaucoup plus merveilleux ; lors même qu’on aurait attribué aux atomes d’Épicure et aux molécules d’Asclépiade le bonheur dont nous parlions plus haut, on se refuserait encore à l’admettre, et l’on soutiendrait que la régularité des dents est l’œuvre d’un maître équitable plutôt que celle d’un tourbillon heureux : ce phénomène que les dents inférieures correspondent exactement aux dents supérieures[10], bien que les mâchoires ne soient pas semblables, c’est la marque d’une suprême équité. Et s’il y a parité entre les dents de droite et les dents de gauche, alvéoles d’un côté et alvéoles de l’autre, racines et racines, nerfs et nerfs, ligaments et ligaments, artères et artères, veines et veines, comment me persuader encore que c’est l’œuvre du hasard et non pas de l’art ? Que le nombre des unes et des autres soit le même aux côtés droits et gauches de chacune des mâchoires, n’est-ce pas là aussi la marque d’une certaine équité ? Accordons encore cela néanmoins à ces heureux atomes qui se meuvent au hasard, au dire de ces philosophes, et qui ont tout l’air pourtant d’achever toutes choses avec plus de réflexion qu’Épicure et Asclépiade. Car il faut admirer et les autres dispositions prises par les atomes, et celle-ci, que ce n’est pas chez les hommes seulement, mais chez les animaux, qu’ils ont placé en arrière les molaires, et les incisives en avant. Que pour une espèce d’animaux leur tourbillon eût été aussi heureux, cela était admissible ; mais qu’il l’ait été pour toutes les espèces également, cela marque déjà bien du sens et de la réflexion. Si vous ajoutez qu’aux animaux carnassiers ils ont donné de nombreuses dents à la fois acérées et fortes, pour moi je ne puis m’imaginer comment c’est l’œuvre d’un tourbillon aveugle. Si donc vous avez vu des dents de lion et de brebis, vous en connaissez la différence ; mais que les dents des chèvres soient semblable à celles des brebis et les dents des panthères et des chiens à celles des lions, n’est-ce pas étonnant ? Quand on voit les griffes semblables, aiguës et fortes chez les carnassiers, comme des épées données par la nature, tandis qu’il n’en existe de pareilles chez aucun des animaux inoffensifs, la chose paraît plus surprenante encore.

On attribuerait peut-être à un singulier bonheur des atomes la juste conformation des parties adjacentes et voisines ; mais qu’aucun animal n’ait à la fois des griffes fortes et des dents faibles, c’est le fait du Créateur qui a une intelligence précise de l’utilité de chacune des parties. Avoir donné un col plus court aux animaux doués de membres divisés en doigts, et pouvant au moyen de ceux-ci porter les aliments à leur bouche (cf. I, viii), et, au contraire, aux animaux pourvus de cornes ou de sabots, un col plus long qui leur permet de paître en se baissant (cf. VIII, i et XVI, vi), n’est-ce pas aussi le fait d’un Créateur qui a l’intelligence de l’utilité des parties ? Comment ne pas s’étonner encore en voyant que les grues et les cigognes, pourvues de membres très-longs, sont, par cette raison même, munies d’un grand bec et d’un plus long col, tandis que les poissons n’ont ni col ni membres ? En effet, quel besoin les poissons avaient-ils de col et de pieds, s’ils ne doivent ni émettre de sons, ni marcher ? Que, dans la race si nombreuse des poissons, les atomes n’aient pas, par oubli, attribué des pieds à un seul d’entre eux, c’est le fait d’une mémoire bien fidèle. Peut-être s’il s’agissait de l’homme seul ou de quelque espèce d’animaux croirait-on à ce concours heureux des atomes ; mais croire qu’il a réussi également pour toutes les espèces est impossible, à moins de leur supposer l’intelligence.


Chapitre ix. — Variation du nombre des dents des divers genres suivant la nature des animaux. — Variété de grandeur de la bouche chez les divers animaux. — Galien continue à tourner en ridicule les partisans d’Épicure et d’Asclépiade.


Au reste, nous aurons occasion de reprendre un jour la question sur les autres animaux. L’homme, car c’est à lui qu’il faut revenir, ne pousse de chaque côté qu’une canine, tandis que les lions, les loups, les chiens en ont de chaque côté un grand nombre. C’est qu’à cet égard la nature savait clairement, en créant l’homme, qu’elle formait un être doux et sociable qui devait tirer sa force, non de sa vigueur corporelle, mais de sa raison (cf. I, ii, iii et iv).

S’il lui était nécessaire d’avoir assez de dents canines pour écraser quelque corps un peu dur, il lui suffisait pour cela de deux dents, en sorte qu’elle lui a donné avec raison un nombre double d’incisives dont l’utilité est plus grande, et un nombre plus considérable de molaires dont l’utilité est plus grande encore. Le nombre de ces dernières n’est pas limité : il en naît cinq chez ceux qui ont la mâchoire plus allongée ; quatre chez ceux qui l’ont plus petite ; généralement cinq, mais jamais quatre à gauche et cinq à droite, ou, en sens inverse, cinq à gauche et quatre à droite, ou quatre en bas et cinq en haut ; cependant les atomes auraient pu, au moins pour une fois, oublier l’égalité de nombre[11]. Pour moi, tout en rendant mille grâces aux atomes, comment pourrais-je leur attribuer les œuvres dont la mémoire seule est capable ? En effet, les pères eux-mêmes des atomes n’osent pas leur accorder l’intelligence et la raison. Comment dans un atome pourrait se manifester la mémoire de l’égalité ou de l’analogie ?

Comment l’homme a-t-il une petite bouche, tandis que les lions, les loups, en un mot, tous les animaux dits carnassiers en ont une énormément fendue, si à cet égard aussi notre Créateur ne s’était souvenu de l’utilité des parties ? En effet, il était raisonnable que la grandeur de la bouche fùt proportionnée aux ongles et à la force des dents ; car quel avantage des dents et des ongles puissants eussent-ils procuré avec une petite bouche ? Et quel profit l’homme qui a beaucoup de molaires eût-il retiré d’une bouche considérablement fendue[12] ?

Quant aux muscles masséters, il suffit de nos observations précédentes (voy. chap. iv à vii) pour montrer combien la partie voisine de la fente de la bouche contribue à la trituration. Si donc la bouche chez l’homme eût été fendue davantage comme elle est chez le loup, il ne pourrait broyer ses aliments et il ne tirerait de la grandeur de sa bouche aucun surcroît de force puisqu’il n’a pas beaucoup de dents acérées. Si, au contraire, chez ces animaux elle était très-peu fendue, comme chez l’homme, la puissance de leurs dents aiguës serait détruite.

En résumé donc en examinant tous les animaux, vous trouverez que ceux qui mordent avec force ont la bouche très-grande et garnie de dents acérées ; que ceux dont les dents sont destinées à mâcher les aliments, à les triturer, ont une bouche très-peu fendue, garnie intérieurement de molaires nombreuses, et point de canines ou seulement une à chaque partie de la mâchoire.

Cette proportion qui a été observée dans ces parties existe aussi rigoureusement pour les ongles. Chez les animaux apprivoisés ou inoffensifs les ongles sont larges, émoussés, obtus ; chez les animaux sauvages et belliqueux, ils sont aigus, grands, forts, et arrondis. Cette précaution, je pense, n’était pas à négliger par les atomes qui devaient donner aux carnassiers des ongles propres à déchirer et à retenir.

Chapitre x. — Que le volume et la forme de la langue sont parfaitement en rapport avec la capacité et la figure de la bouche. — Les mouvements que les muscles impriment à la langue sont volontaires ; quels sont ces muscles (voy. Dissert. sur l’anatomie). — La langue est double et symétrique comme tous les organes des sens (voy. IX, viii). — Des glandes qui servent à humecter la langue et la bouche tout entière. — De l’utilité du frein de la langue. — Combien la nature est admirable quand elle empêche par sa sagesse tous les dommages qui devraient résulter des écarts qu’on commet dans l’acte de la génération et pendant la gestation. Combien les laboureurs sont plus raisonnables que les hommes quand ils sèment ou plantent.


En outre, le volume de la langue est en parfaite harmonie avec la bouche, car elle la touche aisément de tous les côtés, ce qu’elle ne ferait pas si son volume était moindre. Si en aucune circonstance l’étroitesse du lieu ne lui suscite d’obstacle, inconvénient qui résulterait, je pense, d’un excès de grandeur ; si, au contraire, elle se meut avec aisance de tous les côtés, n’est-ce pas une chose admirable ? N’est-il pas admirable aussi qu’elle se meuve par la volonté de l’animal, et non pas involontairement comme les artères ? Car si ses mouvements n’obéissaient pas à notre impulsion, dépendrait-il de nous de mâcher, d’avaler, de converser ? Mais comme il était mieux que l’impulsion de l’animal la guidât, et conséquemment qu’elle fût mise en jeu par des muscles, une telle disposition ne mérite-t-elle pas nos éloges ? Mais si devant s’élever au palais et se porter vers les côtés, elle possède pour cette raison de nombreux muscles qui lui impriment chacun un mouvement spécial, n’est-ce pas encore une chose admirable ?

D’ailleurs, si la langue est double, comme le sont tous les autres organes des sens, nous avons déjà parlé de ce fait (IX, viii), c’est à juste titre qu’à chacun de ses côtés les muscles se trouvent égaux en nombre et en dimension ; de même encore elle possède deux artères qui viennent s’insérer sur elle, une de chaque côté ; également deux veines (artères et veines linguales) et deux paires de nerfs, l’une molle (lingual, fourni par la 5e p., 3e de Galien) et l’autre dure (grand hypoglosse, ou 12e paire ; 7e de Galien)[13], celle-là se distribuant sur la tunique externe de la langue, celle-ci se ramifiant sur les muscles, l’une devant lui servir à apprécier les saveurs, l’autre, à la mouvoir au gré de la volonté, comme précédemment nous l’avons dit (IX, xiii et xiv ; voy. aussi chap. xii) en expliquant l’origine des nerfs de l’encéphale. Il est même des animaux, par exemple les serpents, qui ont la langue fendue. Chez l’homme, comme il n’était préférable ni pour la nutrition, ni pour la parole que la langue fût fendue, ses parties ont été avec raison unies et rassemblées en une seule. Elle n’en est pas moins double évidemment puisque de droite à gauche, non plus que de gauche à droite, on ne voit passer ni muscle, ni veine, ni artère, ni nerf[14]. La force, la grandeur de la langue à sa base qui la consolide, l’effilement de sa pointe, qui lui permet un mouvement rapide, ce sont là des qualités qui ne me paraissent pas dériver d’une prévoyance vulgaire.

Si, parmi les muscles, les uns devaient élever la langue vers le palais (mylo-hyoïdien), les autres la baisser (hyo-glosse et génio-glosse), d’autres la porter vers les côtés (stylo-glosse), et si, en conséquence, ils sont venus, les uns des parties supérieures, les autres des parties inférieures, ceux-là des côtés, s’insérer sur elle, n’est-ce pas encore l’œuvre d’une admirable prévoyance ? En effet, dans notre traité Sur le mouvement des muscles (I, iv et v), nous avons démontré que chacun d’eux tire la partie dans le sens de son propre principe. Ainsi nécessairement les muscles issus des parties supérieures devaient mouvoir la langue vers le haut ; les muscles issus des parties basses devaient la mouvoir vers le bas, et de même les muscles obliques devaient effectuer les mouvements de la langue vers les deux côtés.

Mais comme la langue, en se desséchant, devient difficile à mouvoir, ce qu’on voit clairement chez les personnes dévorées par la soif ou atteintes d’une fièvre brûlante, qui a consumé toute l’humidité de la bouche, la nature a pourvu, par un expédient admirable, à ce que la langue n’eût guère à redouter une semblable souffrance. Nous avons dit précédemment (VII, xvii), à propos du larynx, qu’en vue d’une utilité analogue la nature a établi les glandes, une de chaque côté. Il en existe également pour la langue (glandes salivaires ; amygdales). De ces glandes, des conduits versent aux parties inférieures et obliques une humeur phlegmatique qui humecte la langue elle-même, les parties inférieures, les côtés et toute la voûte de la bouche. Quant aux parties supérieures, elles avaient aussi des méats qui viennent de l’encéphale et dont j’ai parlé précédemment (VIII, vi, p. 549 et IX, i et iii).

Ainsi, tout ce qui concerne la langue a été disposé par la nature de la façon la plus complète et la plus achevée. En effet, le ligament fixé à sa partie inférieure (frein), manifeste comme le reste, une prévoyance extrême. Chaque muscle étant par sa nature ramené vers son principe, il devait arriver que, tirée par les muscles qui s’insèrent à sa racine, la langue par eux tendue en arrière se rétracterait et pour ainsi dire s’arrondirait de manière qu’elle ne pourrait plus également atteindre les dents antérieures et les lèvres, puisqu’elle manquerait d’une assiette solide, étant libre de toutes parts. C’est pour tous ces motifs que la nature a établi un lien de la dimension qui devait être la plus convenable. Car il n’a pas été fait sans réflexion, ni au hasard, mais avec une mesure admirable. En effet, soit qu’il se fût avancé davantage sur la langue, soit qu’il se fût arrêté en deçà de ce qui était nécessaire, la langue eût été ainsi dans une situation pire pour l’articulation des sons, et elle n’eût pas été moins gênée dans le mouvement de la mastication. Car ce lien contribue à ces deux résultats : que la langue ait une base ferme et que sa pointe se meuve aisément en tous sens. Or, si ce lien se fût peu avancé, la langue dans cet état serait gênée, moins que s’il n’eût absolument pas existé, mais presque autant. S’il se fût trop avancé, il n’aurait permis à la langue de se porter ni vers le palais, ni vers les dents supérieures, ni vers les autres parties de la bouche. La mesure du ligament est donc si parfaite, que, soit qu’on y ajoute, soit qu’on en retranche tant soit peu, la fonction de tout l’organe est altérée.

Il est surtout admirable de voir la nature réussir presque toujours et se tromper si rarement dans ces choses si délicates, lorsqu’on voit, au contraire, nos pères qui nous engendrent, et nos mères qui nous nourrissent dans leur sein, si rarement bien faire et si souvent être en faute dans l’acte de la génération, hommes et femmes cohabitant, plongés dans un tel état d’ivresse et de réplétion, qu’ils ne savent même plus dans quelle région de la terre ils se trouvent.

C’est ainsi qu’à sa naissance même, le fruit de la conception est vicié. Faut-il citer ensuite les erreurs de la femme enceinte qui, par paresse, néglige un exercice modéré, qui se gorge d’aliments, qui s’abandonne à la colère, au vin, abuse des bains, fait un emploi intempestif des plaisirs vénériens ? Qui pourrait compter toutes ses fautes ? Néanmoins la nature résiste à tant de désordres si dommageables et remédie au plus grand nombre. Et cependant ce n’est pas ainsi que les laboureurs plantent ou sèment et le blé, et l’orge, et la vigne et l’olivier ; mais d’abord ils préparent avec grand soin la terre à laquelle ils confient leurs semences. Ensuite, pour les garantir d’une humidité excessive qui les pourrirait en les submergeant, d’un vent desséchant qui les flétrirait, du froid qui les détruirait, ne veillent-ils pas attentivement ? De tels soins sont négligés de l’homme qui procrée, et de la femme qui nourrit l’enfant dans son sein ; comme tous attachent moins de prix à eux-mêmes qu’à toutes les jouissances de la vie, les uns, subjugués par les plaisirs et par les excès de la table, dont ils sont insatiables, d’autres poursuivant les richesses, la puissance, les honneurs, tous ont, par cette raison, peu souci de la procréation première. Mais laissons actuellement ces gens-là et reprenons la suite du discours.


Chapitre xi. — Galien récapitule l’utilité des parties accessoires de la bouche (membrane muqueuse, luette, ouvertures et cavité des fosses nasales, épiglotte, dents, etc.) eu égard à la déglutition, à l’émission de la voix et à la respiration.


Nous avons précédemment décrit (VII, iii et suiv.), toutes les ressources déployées par la nature dans l’épiglotte et le larynx ; en un mot, dans tout ce qui regarde la déglutition et la voix.

Si quelqu’un se les rappelle, il admirera, je pense, la concordance de l’utilité des parties, et sera clairement convaincu que ce n’est pas une certaine chaleur ou le mouvement du pneuma qui a fendu la bouche au hasard ; dans ce cas, en effet, une au moins de ses parties internes se trouverait ou défectueuse ou superflue, ou n’offrant qu’une utilité absolument oiseuse. Si l’on observe, au contraire, que toutes ont été disposées pour la nutrition et la déglutition, pour la voix et la respiration, qu’aucune n’est inactive, ni défectueuse et ne gagnerait à être différemment, c’est une preuve suffisante, je pense, que la bouche même et que toutes les parties en rapport avec elle ont été disposées avec art. En effet, pour la tunique qui tapisse toutes ces parties, nous avons dit précédemment (IX, ix) qu’elle reçoit une portion non médiocre des nerfs mous venant de l’encéphale, dans le but, je crois, d’apprécier les saveurs comme la langue et de conserver une juste mesure de mollesse et de dureté, afin de ne pas devenir insensible ou peu sensible, ainsi que sont les os par trop de sécheresse et de dureté, et de ne pas être trop aisément blessée ou froissée par les aliments un peu durs et acides.

Nous avons dit encore, au sujet de la luette, dans nos Commentaires sur la voix (voy. VII, v et p. 380, note 2), qu’elle contribue à l’élévation et à la beauté de la voix, et cela d’une façon bien rationnelle, puisque d’abord elle coupe l’air à son entrée, amortit la violence de son courant, et par cela même celle du froid ; nous ajoutions que plusieurs personnes ayant eu la luette tranchée jusqu’à la base, non-seulement ont éprouvé dans la voix une altération manifeste, mais encore qu’elles sentent le froid de l’air inspiré, que beaucoup même sont mortes d’un refroidissement du poumon et de la poitrine[15] ; qu’enfin, si l’on coupe la luette, il ne faut pas opérer précipitamment, ni au hasard, mais laisser une partie de la base. Au reste, il est inutile de s’étendre plus longuement sur ce sujet, il nous suffira de rappeler ici les points principaux de la matière.

Nous avons dit aussi dans les livres précédents (VIII, vi et vii), au sujet des ouvertures du nez, avec quel art admirable elles aboutissent à l’os établi en avant des ventricules de l’encéphale, os semblable à une éponge (ethmoïde), et se terminent dans la bouche au palais, afin que l’inspiration ne commence pas immédiatement à la trachée-artère, mais que l’air fasse d’abord un détour, et comme un circuit, avant de pénétrer dans la trachée. De cette disposition, en effet, devait résulter, je pense, un double avantage ; l’un, que le poumon ne se refroidirait pas, car souvent l’air qui nous enveloppe est très-froid, et l’autre, que les particules dont parfois il est chargé, particules de poussière, de suie ou d’autre matière semblable ne pénétreraient pas jusqu’à la trachée-artère.

Dans ce circuit, l’air peut poursuivre sa route, mais les particules de cette espèce sont arrêtées, et s’attachent dans ces détours à des corps de nature humide et molle, imprégnés de viscosité et susceptibles par toutes ces qualités, de retenir les particules au passage. Quelqu’une parvient-elle jusqu’à la bouche, elle s’accroche au palais et à la colonne (κίων), car c’est aussi un des noms qu’on donne à la luette[16]. La preuve la plus frappante de ce fait est ce qui arrive journellement aux gens qui luttent dans des tourbillons de poussière (pancratiastes), et à ceux qui cheminent sur une route poudreuse. Ils ne tardent guère à se moucher et à cracher en expectorant de la poussière. Mais si d’abord les conduits du nez ne remontaient droit à la tête, et ensuite ne se dirigeaient obliquement vers le palais, et si en cet endroit ils n’avaient la luette pour leur succéder, il est évident que rien n’empêcherait la chute dans la trachée de tous les corpuscules de cette nature. C’est précisément ce qui arrive quand on respire par la bouche. J’ai vu maints athlètes vaincus principalement par cette circonstance, et ayant couru risque d’être étouffés, parce qu’ils avaient aspiré la poussière par la bouche. Ils avaient couru ce danger par un besoin subit d’inspirer fortement ; or, c’est la seule circonstance où les animaux respirent par la bouche, du moins à l’état normal[17] ; car s’il survient un phlegmon, un squirrhe ou quelque autre affection qui obstrue les conduits du nez, alors ils sont contraints de respirer par la bouche ; mais seulement quand les conduits ne sont pas dans leur état ordinaire ; à l’état normal on n’a aucunement besoin de la bouche, à moins d’être suffoqué par un accès d’asthme aigu et violent. On voit par là clairement, et c’est ce que déjà nous avons dit précédemment, que le nez est dans l’ordre le principe des organes respiratoires, et que la bouche, quand l’animal ne souffre pas dune affection aiguë, n’est en aucune façon organe de respiration, mais que, dans les cas ci-dessus indiqués, elle aide aussi à l’animal à respirer. Il est encore évident que la luette ne contribue pas peu à ce qu’il ne pénètre dans le larynx ni poussière, ni autre substance semblable.

Apprenez encore une troisième utilité de cette partie, outre les deux utilités susdites. Il est clair déjà que des parties de la bouche, aucune n’est inutile ni défectueuse, mais que toutes, par leur volume, leur consistance, leur conformation, leur situation, ont été parfaitement disposées ; car s’il en est quelqu’une que nous n’ayons pas décrite, son utilité ressort de ce que nous avons dit. Il suffit donc, à propos d’une ou de deux parties, de mentionner l’utilité de ce qui entre dans leur composition, comme nous l’avons fait pour la langue. Ce que nous avons dit, en effet, de la langue, en louant la juste proportion de son volume, s’observe, si l’on examine, sur toutes les parties également. Aucune d’elles n’est assez exiguë pour remplir incomplètement sa fonction, aucune ne tombe dans un tel excès de volume, qu’elle comprime une des autres parties ou soit elle-même resserrée par celles-ci. D’ailleurs, les fosses du nez suffisent à l’inspiration ; le volume de la luette est très-suffisant pour ces trois utilités. Quant à l’épiglotte, elle a précisément la dimension de la partie qu’elle doit fermer (voy. VII, xvi). C’est ainsi encore que les conduits du larynx, de l’œsophage, l’un servant à la respiration et à la voix, l’autre à opérer le trajet des aliments, ont la capacité la plus convenable. De même encore toutes les espèces de dents et toutes les autres parties offrent entre elles une proportion, une harmonie admirables et démontrent d’une manière éclatante, ce que nous avons dit au commencement de tout l’ouvrage, c’est que notre Créateur a disposé toutes ces parties, les yeux fixés sur le but qu’il se proposait dans son œuvre.


Chapitre xii. — Les oreilles et les ailes du nez ont été créées cartilagineuses pour résister plus facilement aux chocs extérieurs. — Les oreilles ont été faites proéminentes pour renforcer le son ; elles ont une figure variée pour leur sûreté et pour celle du conduit auditif.


Nous avions commencé par les muscles temporaux (voy. plus haut chap. ii à v), dans l’intention de dire ensuite quelque chose du front et des oreilles, puisqu’il restait à décrire ces parties de la tête ; mais, entraîné par la connexion des parties, après les muscles temporaux, j’ai discouru sur les autres muscles de la mâchoire inférieure, puis je suis arrivé à parler de la bouche et des parties qui lui sont annexées. Je reviens donc aux parties non expliquées, et je réunirai dans mon enseignement les oreilles et les ailes du nez (nom qu’on donne aux extrémités inférieures et mobiles de cette dernière partie) ; je rattache ainsi la description des parties dont il n’a pas encore été question.

Nous avons déjà dit précédemment (VII, xxi, p. 516) que toutes les parties saillantes, nues, exposées aux chocs extérieurs, veulent être faites d’une substance telle, qu’elles ne puissent être aisément écrasées, ni brisées. L’occasion se présente de rappeler cette nécessité. L’utilité de ces parties étant commune, il est indispensable, je pense, que l’explication soit commune aussi. On voit que les oreilles (pavillon de l’oreille, ou auricule) se replient aisément et n’éprouvent aucun dommage dans cette occasion. Si l’on pose sur sa tête un chapeau ou un casque, les oreilles ne paraissent aucunement lésées par cette compression. En effet, comme elles ont un certain degré de mollesse, par cette raison elles cèdent aisément aux pressions extérieures et en amortissent la violence. Si elles étaient complétement dures à l’égal des os, ou molles comme les chairs, il arriverait de deux choses l’une : ou qu’elles seraient aisément arrachées, ou qu’elles seraient entièrement broyées. C’est pour cela qu’elles ont été créées cartilagineuses.

Je vais dire pourquoi elles sont tout à fait saillantes. Pour tous les organes des sens, la nature invente un tégument ; chez les uns, c’est pour garantir de toute lésion l’encéphale qui leur est voisin ; chez les autres, c’est dans l’intérêt de leur propre sûreté. Nous avons démontré (VIII, vii) que dans ce cas se trouvait l’os dit ethmoïde établi au-devant de l’organe de l’olfaction. Tout le nez lui-même est un rempart de ce genre. Par rapport aux yeux, nous démontrions (X, vi et vii) que les paupières, le nez, la saillie appelée joue, les sourcils et la mobilité de la peau qui les environne ont été créés pour les garantir. Il est inutile, je pense, d’entrer dans des détails sur la langue, qui est enfermée dans la bouche comme dans une caverne. Il ne reste donc que l’organe du sens de l’ouïe, et la nature d’abord y a disposé, dans l’os pétreux (rocher), le repli du conduit (labyrinthe), afin qu’il ne soit incommodé par le choc d’aucun corps extérieur. Un des livres précédents (VIII, vi) vous a suffisamment fait connaître ce circuit. En second lieu, de même que la nature avait placé au-dessus des yeux les poils des sourcils pour recevoir d’abord la sueur, qui de la tête aurait coulé dans les yeux ; de même elle a voulu établir un rempart devant les oreilles[18]. Pour les yeux, qui voulaient être situés sur une éminence, ce point aussi a été démontré (VIII, v), il était préférable de ne pas élever un grand rempart d’une dimension telle qu’il leur cachât le jour. Il en était tout autrement pour l’ouïe, les parties fixées en avant de l’oreille, loin d’empêcher le son de pénétrer, devant, au contraire, l’apporter en le renforçant. Je ne veux pour preuve de cette assertion que l’expédient employé par le consul romain Adrien[19], qui, atteint d’une affection de l’ouïe, plaçait derrière ses oreilles, ses mains fermées en creux et repliées d’arrière en avant, pour entendre plus aisément. Aristote (Part. anim., II, xi ; Gener. anim., V, ii) a aussi remarqué à ce propos que les ânes, les chiens et tous les autres animaux doués de grandes oreilles, les redressent et les tournent toujours du côté du bruit et de la voix, instruits qu’ils sont par la nature de l’utilité des parties. Mais chez les hommes, des oreilles aussi grandes les gêneraient pour se couvrir la tête de chapeaux, de casques ou d’autres coiffures, ce qu’ils devaient faire si fréquemment, car, même chez les chevaux de bataille, qui ont des oreilles beaucoup plus petites que les ânes, on est gêné par la grandeur de ces oreilles quand il faut leur couvrir la tête. Chez l’homme, donc, il était préférable que les oreilles ne s’étendissent et ne couvrissent les conduits qu’autant qu’elles le font maintenant. Car de cette façon, en même temps qu’elles répercutent le son et protègent le conduit, elles n’empêchent aucunement d’appliquer une coiffure sur toute la tête. C’est donc avec raison qu’elles sont complétement immobiles ou susceptibles d’un mouvement léger et imperceptible. En effet, petites comme elles sont, leur mobilité eut été pour nous d’un avantage bien faible ou même complètement nul[20]. Si elles sont convexes extérieurement et creuses intérieurement, c’est pour que rien ne s’introduise dans le conduit auditif et qu’elles ne soient pas lésées facilement ; car souvent déjà nous avons dit (voy. par ex., I, xi, p. 131 ; VIII, xi, p. 559-560 ; X, vi) que la figure ronde était de toutes la moins susceptible de lésions. C’est encore en vue de la même utilité que les deux oreilles sont sinueuses ; de cette façon, en effet, elles peuvent se plier et se replier mieux que si leur figure eût été simple et uniforme.


Chapitre xiii. — Du soin que la nature prend pour l’embellissement des parties.


Vous pouvez maintenant considérer avec quelle sollicitude la nature a pourvu à la beauté des oreilles ; car elle s’occupe par surcroît de ce soin, ne laissant sortir de ses mains aucune partie sans lui avoir donné tout son poli, son fini, son harmonie. De même, en effet, que les ouvriers habiles pour fournir, en dehors de leur travail un échantillon de leur savoir-faire, se plaisent soit sur des couvercles et des boucliers, souvent sur la poignée des glaives, soit même sur des coupes, à ajouter quelque ornement étranger à l’utilité de l’objet et emprunté à la statuaire, ils y cisèlent des feuilles de lierre, ou les tiges tortueuses de la vigne, ou quelques cyprès ; de même la nature a par surcroît embelli tous les membres, principalement ceux de l’homme. En bien des endroits, cet embellissement brille aux yeux, mais parfois il se dérobe sous l’éclat de l’utilité. Pour les oreilles, la beauté y apparaît clairement, comme aussi, je pense, à l’extrémité du membre viril, dans la peau que l’on nomme prépuce (voy. cepend. plus loin, chap. xiv et xvi), comme encore dans les chairs qui existent aux fesses (voy. XV, viii). Regardez un singe, et vous reconnaîtrez évidemment combien laide serait cette partie si elle eût été dépourvue de chairs. Dans l’œil, partie bien plus belle que toutes celles que nous venons d’énumérer, on dédaigne la beauté, parce qu’on admire grandement l’utilité de l’organe. On dédaigne aussi la beauté du nez, des lèvres et de mille autres parties, parce que la beauté de l’utilité est bien supérieure au plaisir des yeux. Toutefois, si une partie des lèvres et du nez avait été retranchée, on ne saurait dire à quel degré de laideur toute la face serait réduite. Mais toutes ces choses ont été, ainsi que je l’ai dit, créées par la nature, non par un premier calcul, mais comme additions à l’œuvre principale et comme délassements. Les choses auxquelles la nature s’applique et qu’elle considère constamment, ce sont celles qui concernent les fonctions et les utilités. Nous avons dit précédemment (I, viii et xvi) en quoi la fonction diffère de l’utilité ; nous avons dit aussi que, si par rapport à la structure et à la création de la partie, la fonction est la première pour la dignité, l’utilité est la première et la fonction la seconde. Nous avons établi encore (I, ix, p. 128) que la beauté véritable se résume dans la perfection de l’utilité, et que le but premier de toutes les parties est l’utilité de la structure.


Chapitre xiv. — De la double utilité des poils : par exemple, la barbe sert à protéger les mâchoires et les joues, et en même temps à orner le visage. — Pourquoi la femme en est dépourvue. — Des cheveux dans les deux sexes. — Pourquoi le front n’est-il pas couvert de poils comme le reste de la tête. — Causes de la mobilité de la peau du front. — Des sourcils et des cils. — À ce propos discussion contre Moïse qui dans la Genèse accorde à Dieu le pouvoir de faire faire ce qu’il lui plaît. — Galien sans bien comprendre Moïse met des bornes à cette omnipotence. — Comparaison de la production des sourcils et des cils à celle des plantes.


Quant à cette nécessité de viser par surcroît à la beauté de la forme, nécessité reconnue de ceux qui étudient les œuvres de la nature, comme je n’en ai parlé en aucun endroit des livres précédents, j’ai pensé que, maintenant surtout, il était convenable d’en dire un mot : Par exemple, les poils des joues, non-seulement protègent ces parties, mais encore contribuent à les orner ; car l’homme paraît plus respectable, surtout avec le progrès de l’âge, si une belle barbe vient à entourer tout son visage. C’est pour cette raison que la nature a laissé nues et glabres les parties appelées pommettes (μῆλα) et le nez ; car tout le visage aurait pris un caractère farouche et sauvage, qui ne convient nullement à un être doux et sociable. Mais l’épaisseur même des os contribue à protéger la pommette ; la chaleur de l’air expiré est favorable au nez, en sorte que ces parties non plus ne sont pas absolument délaissées. Vous pouvez aussi toucher les yeux, surtout quand il fait froid, alors vous sentirez très-nettement qu’ils sont chauds. Les yeux donc non plus ne sont pas complétement négligés ni dénués de protection contre le froid, puisqu’ils ont pour défense propre leur chaleur naturelle, qui n’a aucun besoin des téguments extérieurs.

Pour la femme, dont le corps est délicat, toujours semblable à celui d’un enfant et glabre, cette absence de poils au visage ne devait pas manquer de grâce ; d’ailleurs, comme ce sexe n’a pas des mœurs aussi graves que le sexe mâle, il n’a pas non plus besoin d’un extérieur grave (voy. XIV, vi) ; car nous avons démontré souvent déjà (voy. I, ii, iii, iv, xxii, et III, xvi fine), sinon dans tout l’ouvrage, que la nature a créé la figure du corps en rapport avec les habitudes de l’esprit. Mais si les femmes étant la plupart du temps renfermées dans leurs habitations, n’avaient pas besoin d’un tégument spécial et protecteur contre le froid, leur tête du moins réclamait une chevelure, à la fois comme tégument et comme parure, et il leur en a été donné une ainsi qu’aux hommes.

De plus, c’est en vue d’une autre utilité indispensable que nous avons des poils aux joues et sur la tête. En effet, comme l’exhalaison des humeurs se fait vers la tête, la nature en emploie surtout les superfluités les plus grossières à la nutrition des poils. Si donc les hommes, à proportion qu’ils ont plus de chaleur naturelle que les femmes, ont une plus grande abondance de ces superfluités, la nature a pour celles-ci imaginé une double évacuation, celle des poils de la tête et celle des poils des joues. Il suffit de ces détails sur cette matière.

Mais pourquoi le front n’a-t-il pas de poils comme la tête tout entière, et pourquoi la peau à cet endroit se meut-elle seulement par la volonté de l’animal ? C’est ce que nous allons expliquer : Le front s’ombrage aussi des poils de la tête, autant que nous voulons, il n’a donc nul besoin d’avoir lui-même des poils, et s’il en produisait nous serions, je pense, obligés de les raser constamment, attendu que le front domine les yeux. Or, nous avons démontré ailleurs et spécialement à l’égard des organes de la nutrition (IV, xvii, et xviii) que la nature a pourvu soigneusement à ce que l’homme ne dût pas s’occuper perpétuellement de son corps, ni être l’esclave éternel de ses besoins impérieux ; car il était convenable, je pense, qu’un être doué de raison et sociable s’inquiétât médiocrement de son corps, n’imitant pas ces gens qui, si quelque ami vient réclamer leur aide, prétextent d’affaires, courent se renfermer chez eux, et là, loin des regards, s’épilent, se peignent à loisir et consument toute leur vie à soigner leur corps sans nécessité, ne sachant même pas s’ils ont quelque chose de supérieur au corps. Il convient donc d’avoir pitié de ces gens, et cherchant à résoudre les questions proposées de montrer que la peau du front non-seulement est dépourvue de poils à cause des yeux, mais aussi que, si elle se meut volontairement, c’est encore dans l’intérêt des yeux.

Il leur était nécessaire, en effet, de s’ouvrir considérablement quand ils cherchent à voir en une seule fois un grand nombre des objets extérieurs, puis d’être ramenés et pressés en se cachant sous tous les corps qui les enveloppent exactement s’ils viennent à craindre le choc de quelque corps. En vue donc de ces deux utilités, toute la peau qui entoure les yeux, celle du front et aussi celle des joues, a été créée par la nature, mobile à volonté, afin que tour à tour tendue ou repliée sur elle-même elle suffise à ouvrir ou à refermer les yeux.

La nature n’a pas négligé non plus les poils des sourcils ; ce sont parmi ceux qu’elle a créés, les seuls poils, avec ceux des paupières qui conservent toujours la même longueur, tandis que ceux de la tête et des joues peuvent s’accroître considérablement. Ces derniers, en effet, présentaient à la fois une utilité double, l’une relative à la défense des parties, l’autre à la consommation des superfluités grossières ; la première, présentant des variétés assez nombreuses, puisque nous n’avons pas également besoin de protection selon les âges de la vie, les saisons de l’année, les différents pays ou les prédispositions du corps ; car la même chevelure ne convient pas à l’homme et à l’enfant, au vieillard et à la femme, en été et en hiver, dans un climat chaud et dans un climat froid, à celui qui souffre des yeux et de la tête, et à celui qui est en bonne santé. Mieux valait donc, obéissant à la diversité des circonstances, laisser les cheveux tantôt plus longs, tantôt moins longs. Quant aux poils des yeux et des sourcils, soit que vous y ajoutiez, soit que vous en retranchiez, vous détruisez leur utilité. En effet, les premiers ont été disposés comme un retranchement avancé, pour prévenir la chute de quelque corpuscule dans les yeux ouverts ; les seconds devaient les abriter en arrêtant d’abord, au passage, toutes les matières qui découlent de la tête. Si donc vous les faites plus petits ou plus rares qu’il ne convient, vous détruisez d’autant leur utilité. Ces matières, que naguère ils écartaient, ils les laisseront, les unes pénétrer, et les autres couler dans les yeux. D’autre part, si vous les faites plus grands ou plus épais, ils ne seront plus pour les yeux un retranchement ou un mur protecteur, mais un tégument semblable à une enceinte fermée ; ils voileront et offusqueront les pupilles, ceux de tous les organes qui ont le moins besoin d’être offusqués. Est-ce donc que notre Créateur a enjoint à ces poils seuls de conserver toujours leur longueur égale, et que ceux-ci, respectant l’injonction ou redoutant le Dieu qui avait commandé, ou convaincus eux-mêmes qu’il valait mieux agir ainsi, conservent leur dimension comme ils en ont reçu l’ordre ?

Est-ce que cette façon dont Moïse résolvait les questions naturelles est meilleure que celle dont se sert Épicure ? À mon avis, il est préférable de ne prendre ni l’une ni l’autre explication ; et tout en conservant, comme Moïse, le principe de la génération par un Créateur dans toutes les choses engendrées, il faut ajouter à ce principe celui qui dérive de la matière (voy. XV, i)[21]. Si donc notre Créateur a fait des poils qui étaient dans la nécessité de conserver toujours la même longueur, c’est que cela était préférable. Quand il eut décidé qu’il fallait créer des poils de cette sorte, il étendit en conséquence sous les uns un corps dur comme un cartilage ; sous les autres une peau épaisse, unie au cartilage par les sourcils[22]. En effet, il ne suffisait pas seulement de vouloir que les poils eussent cette propriété, car lorsqu’il voudrait d’une pierre faire à l’instant un homme, cela ne lui serait pas possible. Et c’est en cela que diffère de l’opinion de Moïse notre opinion et celle de Platon et des autres philosophes grecs qui ont traité convenablement des questions naturelles. Pour Moïse, il suffit que Dieu ait voulu orner la matière et soudain la matière est ornée ; car il pense que tout est possible à Dieu, voulut-il même, avec de la cendre, faire un cheval ou un bœuf. Pour nous, nous ne jugeons pas ainsi, mais nous prétendons que certaines choses sont impossibles à la nature ; que Dieu, loin d’en faire l’épreuve, se contente parmi les choses possibles, de choisir la meilleure.

Si donc pour les poils des paupières il était mieux qu’ils fussent de grandeur et de nombre invariable, nous ne disons pas que Dieu l’a voulu ainsi, et qu’à l’instant les poils ont été créés avec cette propriété. Non, car le voulut-il mille fois, jamais ils ne naîtraient tels qu’ils sont, s’ils sortaient d’un derme mou. En effet, sans parler du reste, il leur serait absolument impossible de se maintenir droits, s’ils n’étaient implantés dans une substance dure. Nous disons donc que Dieu est le principe des deux choses : et du meilleur choix dans les œuvres mêmes à exécuter, et du choix relatif à la matière. En effet, comme les poils des paupières devaient à la fois se maintenir droits, et demeurer toujours égaux en grandeur et en nombre, il les a fixés sur un corps cartilagineux. Mais s’il les eût fixés sur une substance molle et charnue, il eût été plus inconséquent, non-seulement que Moïse, mais qu’un mauvais général qui dresserait un mur ou un retranchement sur un terrain marécageux. Si les poils des sourcils se maintiennent toujours dans le même état, cela résulte du choix même de la matière. De même, en effet, que, parmi les herbes et les plantes, les unes, sortant d’une terre humide et grasse, parviennent à une hauteur considérable, tandis que les autres naissant d’un terrain pierreux et aride, restent petites, dures et privées d’accroissement ; de la même façon aussi, je pense, les poils qui naissent des parties humides et molles prennent un grand accroissement, comme sur la tête, aux aisselles et aux parties génitales ; tandis que ceux qui sortent des parties dures et sèches restent grêles et petits. C’est pourquoi la production des poils, comme celle des herbes et des plantes, a une double cause : l’une est la prévoyance du Créateur, l’autre la nature du lieu où ils naissent.

On a souvent occasion de voir un champ à l’époque où le blé et l’orge poussent encore comme une herbe simple et frêle, et quelque autre terrain aussi bien fourni que le champ, mais rempli de mauvaise herbe. Dans ce dernier terrain, c’est l’humidité nourricière qui a épaissi l’herbe ; dans le champ, c’est la prévoyance du cultivateur. Pour ceux qui ne peuvent distinguer de l’autre herbe les tiges des semences récemment sorties de terre, l’alignement seul de la plantation suffit pour les reconnaître. En effet, la hauteur égale des tiges et l’enceinte extérieure tracée au cordeau indiquent de reste que c’est grâce à l’art et à la prévoyance du cultivateur que le terrain s’est couvert d’herbe. Pour celle qui croît spontanément, tout le contraire a lieu. En effet, les tiges sont inégales de hauteur, et il n’existe pas de bornes qui marquent les limites. Telle est la nature des poils qui naissent aux aisselles et sur les autres membres, des lignes précises ne les bornent pas comme ceux des sourcils, des paupières et de la tête, mais ils ont des limites inégales, étant disséminés au hasard. En effet, c’est l’humidité des parties qui les engendre ; ils ne sont pas l’œuvre de la prévoyance du Créateur. Aussi naissent-ils abondants chez les tempéraments chauds, tandis que chez les tempéraments froids ils manquent absolument ou sont excessivement rares. Ceux, au contraire, dont s’est préoccupé le Créateur même, comme le cultivateur d’un champ, naissent avec tous les tempéraments, chauds, froids, humides et secs, à moins qu’ils ne soient implantés chez un individu affecté d’une dyscrasie excessive et complète, comme est une terre pierreuse et sablonneuse.

De même donc que tout terrain, à l’exception d’un terrain aussi mauvais, comporte l’art du cultivateur, de même aussi, je pense toute saine constitution du corps admet l’art du Créateur des animaux ; et il faut une affection sérieuse de la partie pour faire tomber les poils des paupières ou des sourcils ; comme aussi il faut une affection, mais moins grave, je pense, pour enlever les cheveux de la tête. En effet, les plantes sorties d’un terrain dur et desséché, si elles ont plus de difficultés à naître et exigent beaucoup de soins, résistent mieux à la destruction ; car elles sont solidement enracinées, maintenues et pressées de toutes parts. C’est ainsi que la tête des Éthiopiens qui n’engendre, vu la sécheresse de la peau, que des cheveux grêles et privés de croissance, se dégarnit malaisément.

Le Créateur, instruit par avance de tous ces faits, sachant qu’il valait mieux donner aux paupières et aux sourcils des poils petits et incapables de croissance, il est vrai, mais stables, a implanté leurs racines sur une peau dure et cartilagineuse, comme en un terrain argileux et pierreux ; car il est tout à fait impossible de déposer dans le rocher le germe d’une plante, comme de fixer dans un os la racine d’un poil. Mais sur la tête (en effet, ce lieu était bien tempéré) il a fait germer une moisson de poils destinés d’une part, à absorber l’humidité surabondante, pour qu’elle ne nuise pas aux parties sous-jacentes, d’autre part à protéger la tête même. Quant aux abords des parties génitales, des poils devaient nécessairement y prendre naissance, car ces lieux sont chauds et humides ; ces poils servent à couvrir et à orner les parties situées en cette région, comme sont les fesses pour l’anus et le prépuce pour le membre viril (voy. chap. xiii). En effet, les choses ont une génération nécessaire (voy. V, iii) ; notre Créateur, éminent en toutes choses, et si ingénieusement habile à choisir et à exécuter ce qui est le mieux, les utilise à plusieurs fins.


Chapitre xv. — Des différentes espèces de peau et en particulier de celle de la face. — Que la peau des lèvres se distingue plus spécialement de toute celle du reste du corps.


Lors donc que le Créateur ornait ainsi toutes les parties, il n’a pas négligé les sourcils ni aucune autre ; mais, comme nous venons de le dire plus haut (chap. xiv, p. 687), il choisit d’abord comme substratum la matière convenable à chacune des parties futures ; puis avec cette matière il exécute ce qui est nécessaire. Nous avons dit qu’il était préférable que la peau du front fût mobile (Ibid., p. 686 ; cf. aussi IX, xv). Mais, sachant que dans une partie le mouvement volontaire ne pouvait exister sans un muscle, le Créateur a étendu sous la peau une couche mince de substance musculeuse. En effet, il crée toujours le volume des muscles proportionné à la grandeur des parties qui doivent être mues. Ce n’est qu’ici que le derme est uni à la substance musculaire, tandis qu’il est adhérent au tendon de la paume des mains et de la plante des pieds. Ce n’est pas par un souci minutieux des mots, c’est pour exprimer la différence des choses que j’ai employé le mot uni pour la peau du front, et celui d’adhérent pour celle des mains et des pieds ; vous le comprendrez clairement si vous voulez disséquer avec soin les parties. En effet, comme nous le disions dans les livres où ils sont décrits (II, vi), les tendons qui, des muscles supérieurs, aboutissent à la peau intérieure de la main et à la peau inférieure du pied, font qu’à la fois elle est plus sensible, plus glabre et moins mobile que la peau d’autres parties. Pour le front, la partie superficielle de la substance musculeuse sous-jacente devient elle-même peau.

Il existe une troisième différence dans la peau du corps entier, peau à laquelle vient s’attacher, mais non adhérer, la substance musculeuse sous-jacente (peaussier, chez les singes). Il en existe une quatrième dans les lèvres, où pour ainsi dire les muscles viennent se perdre et s’intriquer intimement avec la peau (voy. IX, xv). Aucune de ces différences n’a été créée inutilement, et sans but. Du reste, nous venons d’expliquer, à propos de ces parties, qu’il ne leur était pas possible d’être mieux autrement qu’elles ne sont.

Au sujet de toute la peau des yeux, nous avons dans le livre actuel (cf. Hoffmann, p. 262) commencé de démontrer qu’elle ne peut pas être détachée de la chair sous-jacente, et qu’il en est de même pour les parties internes des mains et les parties inférieures des pieds. Mais ni l’une ni l’autre de ces espèces de peau n’est lâche comme celle du front, ni douée de mobilité perceptible aux sens, puisque la peau du front n’a pas été créée telle qu’elle est en vue de la même utilité ; mais si cette peau n’était pas lâche, elle ne pourrait se mouvoir au gré de la volonté. Je vais dire comment cette propriété existe en elle : elle est unie complétement à la substance musculeuse sous-jacente, et constitue la couche superficielle de cette substance musculeuse. Cependant elle n’est pas en contact avec les os sous-jacents, elle en est séparée par le périoste, lequel aussi est complétement lâche et appliqué sur les os ; aucune membrane ne s’insère sur ces os, elle y adhère seulement par quelques fibres minces. Nulle part ailleurs il n’existe une telle nature de peau, car elle serait sans utilité.

Dans les parties des joues (os malaires) en rapport avec les yeux, vous ne trouverez pas de la substance musculeuse sous-jacente, mais un périoste étendu sur les os et lâche comme toute la peau[23]. Si sa partie inférieure s’incorpore aux mâchoires, et si sa partie supérieure s’unit à la substance musculaire sous-jacente du front, c’est pour être mue avec ces parties. Vous pouvez cependant, si vous voulez, compter cette disposition comme une cinquième espèce de peau, outre les quatre espèces susdites, mais elle ne se distingue aucunement par une forme spéciale de la peau de l’animal entier. Étant seule en connexion avec deux espèces de peau mobile, unie à l’une et adhérente à l’autre, elle participe conséquemment au mouvement volontaire, et par là aussi elle diffère de la peau de l’animal entier.

Grâce à la même sagesse du Créateur, la substance seule des lèvres est faite de telle sorte, qu’on peut l’appeler justement muscle dermateux ou derme musculeux. En effet, elle avait besoin d’être mobile à volonté et beaucoup plus résistante que les autres muscles ; aussi le Créateur l’a-t-il composée d’un mélange intime de peau et de muscle.


Chapitre xvi. — Des quatre muscles des lèvres et de leurs mouvements. — Que la disposition de ces muscles (auxquels Galien ajoute le peaussier) est parfaitement en rapport avec leurs fonctions. — (Voy. pour le nombre et la détermination de ces muscles la Dissertation sur l’anatomie.)


Il existe quatre principes de mouvement pour les muscles qui aboutissent aux lèvres, muscles manifestes et évidents avant de s’être confondus avec la peau, mais complétement invisibles et inséparables de la substance de cette dernière quand ils lui sont unis. En effet, les lèvres des animaux, comme nous l’avons dit (chap. xv fine), ont été constituées par un mélange intime de toute la substance musculeuse avec toute la substance dermateuse. Pourquoi quatre muscles viennent-ils s’insérer aux lèvres ? Pourquoi deux ont-ils leur principe à l’extrémité inférieure de la mâchoire inférieure (triangulaire et carré du menton ?) et les deux autres un peu au-dessous des joues (petit et grand zygomatiques, élévateur propre ; — partie de l’élévateur commun ou pyramidal ?) Pourquoi n’en fallait-il ni plus ni moins, ni de plus grands ni de plus petits, ni dérivés d’un autre endroit ? C’est ce que je vais expliquer : Il existe quatre muscles, parce qu’il devait y avoir quatre principes de mouvement aux lèvres, deux à chacune d’elles, la dirigeant par un mouvement de circumduction, l’un à droite, l’autre à gauche. La grandeur des organes à mouvoir est proportionnée à ces muscles. Les extrémités sont pour les muscles supérieurs attachées du côté des joues, car ils devaient imprimer des mouvements obliques à l’une et à l’autre partie de la lèvre ; dans les muscles inférieurs leur position est tout oblique, et les mouvements sont également obliques. Ici encore apparaît cette sagesse du Créateur, que déjà mille fois nous avons signalée. En effet, il a attribué huit mouvements à quatre muscles ; quatre obliques, dont deux à chaque lèvre ; et outre ceux-ci, quatre autres mouvements directs, deux exactement droits ; l’un, quand les lèvres sont le plus écartées l’une de l’autre, celle-ci étant relevée vers le nez, celle-là étant tirée vers le menton, et l’autre quand elles se rejoignent, la lèvre supérieure s’inclinant en bas, et la lèvre inférieure en haut.

À propos du carpe et du bras, nous démontrions (II, iv et xvi) que des mouvements obliques résultent les mouvements droits ; il en est de même pour les lèvres. En effet, si un seul muscle de l’une des deux lèvres agit, il se produit un mouvement oblique ; mais si tous les deux sont tendus, dans ce cas, alors, la lèvre est tirée en haut par les muscles supérieurs, et tirée en bas par les muscles inférieurs. De plus, si les fibres externes sont tendues, il arrive aux lèvres de se tourner en dehors ; et si les fibres internes sont tendues, de se tourner en dedans, et de se replier ; de sorte qu’en additionnant ces deux mouvements [composés] avec les mouvements exactement droits, vous trouverez quatre mouvements accessoires, et huit en tout pour le mouvement des lèvres, car il en existe quatre obliques. De ces mouvement externes additionnels, et dont nous venons de parler à l’instant même, le premier a lieu quand les lèvres s’écartent, le second quand elles se réunissent, le troisième quand elles se tournent en dehors, le quatrième quand elles se replient en dedans.

Afin que non-seulement ces mouvements mêmes, mais avec eux encore ceux des mâchoires fussent susceptibles du plus grand développement, la nature a étendu extérieurement un muscle large et mince, un de chaque côté, lequel s’étend jusqu’à l’épine du cou (peaussier). Parmi les fibres de ces muscles, les unes, venant du sternum et de chacune des clavicules là où elles s’articulent avec le sternum, remontent droit à la lèvre inférieure ; les autres, venant du reste des clavicules, se dirigent obliquement vers les côtés des lèvres. Plus obliques encore que celles-ci sont les fibres qui, des omoplates, remontent aux côtés des lèvres et aux parties avoisinantes des joues. Pour les autres parties des joues, d’autres fibres les tirent en arrière du côté des oreilles. Ce muscle était inconnu des anatomistes, bien qu’il reçoive à travers presque toutes les vertèbres du cou un nombre très-considérable de nerfs ; mais son mouvement vous apparaîtra clairement, si, ayant fermé exactement la mâchoire, vous voulez tirer, autant que possible, les lèvres et les joues vers chacune des parties que j’ai désignées. Étant connue la fonction de ce muscle, à l’instant apparaît son utilité, et il est manifeste qu’il contribue grandement à la parole et à la mastication.

Il était préférable, cela je pense aussi est évident, d’amener à la lèvre inférieure des nerfs pris parmi ceux qui traversent la mâchoire inférieure, et pour la lèvre supérieure de tirer des nerfs de ceux qui traversent la mâchoire supérieure (branches du trifacial). De même encore pour les artères et les veines, les amener des artères et des veines voisines (branches des artère et peine faciales) à chacune des lèvres valait bien mieux que de chercher une source éloignée et de les en tirer. Mais dans un des livres suivants (le XVIe), il sera traité de l’équitable distribution des artères, des veines et des nerfs dans tous les membres.


Chapitre xvii. — Pourquoi les ailes du nez sont cartilagineuses, et pourquoi jouissent-elles d’un mouvement volontaire (voy. chap. xii, cf. aussi, p. 679). — Voy. pour la détermination des muscles du nez que Galien réduit à une seule paire, la Dissertation sur l’anatomie. — Du nerf qui se distribue à ces muscles. — De la tunique (membrane muqueuse) qui revêt les fosses nasales. — Du canal lacrymal et du canal nasal.


Nous avons précédemment expliqué en partie, et nous allons maintenant encore rappeler pourquoi les ailes du nez devaient être à la fois cartilagineuses et mues par la volonté de l’animal[24]. Le mouvement des ailes n’aide pas médiocrement aux inspirations un peu fortes, comme aussi aux exsufflations. C’est pour ce motif qu’elles ont été créées mobiles ; elles sont faites de cartilage, parce que cette substance est très-difficile à briser ou à rompre. Que le mouvement des ailes dépende de la volonté, au lieu de n’obéir à aucune impulsion comme celui des artères, c’est une disposition heureuse ; et pour ne pas comprendre cela maintenant par soi-même, il faudrait avoir prêté une attention bien distraite à tous nos raisonnements précédents (cf. X, ix et x). Qu’il fût nécessaire aussi d’insérer des muscles sur les ailes du nez, si elles devaient être mues de cette façon, c’est une chose qu’à présent on doit comprendre quand on a entendu mille fois parler du mouvement et de la nature des muscles. Mais peut-être veut-on apprendre de nous quels sont ces muscles, quels sont leur volume, leur situation, leur principe et leur trajet jusqu’aux ailes du nez. Ces questions, en effet, ne se résolvent pas par le raisonnement, mais par la dissection.

Nous enseignons donc d’abord que leur origine se trouve au bas des joues, à côté du principe des muscles qui se rendent aux lèvres (partie de l’élévateur commun de la lèvre sup. et de l’aile du nez ou pyramidal ?) ; ensuite pour leur position, qu’après avoir accompagné ces muscles quelque temps, ils s’en séparent toujours de plus en plus, en se dirigeant obliquement vers le nez. Ils sont petits, proportionnés aux parties qu’ils meuvent, circonstance qu’il était inutile de rappeler, puisque ceux qui lisent ce traité sont déjà bien convaincus de la prévoyance du Créateur. Il serait superflu encore d’ajouter qu’il se détache sur eux de petites ramifications des nerfs qui traversent la mâchoire supérieure (rameaux du maxillaire supér. — Voy. IX, viii, xiii et xv) ; néanmoins mentionnons ce fait pour ne laisser aucune lacune dans ce livre.

De même, il est peut-être encore inutile de parler à un auditeur qui a de la mémoire de la tunique qui tapisse les conduits du nez (voy. IX, xv et xvi ; voy. aussi VII, iii). Disons cependant qu’elle a été créée chez les animaux en vue d’une double utilité : la première est analogue à celle que procure au larynx et à toute la trachée la tunique qui les revêt intérieurement ; la seconde consiste à communiquer la sensibilité à tout l’organe, car l’os du nez et le cartilage ne pouvaient être sensibles. Quant aux nerfs qui viennent s’insérer sur cette tunique, je n’ai pas besoin d’en parler. J’en ai précédemment (IX, viii, xiii et xv) dit assez long à leur égard quand je décrivais les paires de nerfs issues de l’encéphale.

De même pour les trous du nez (canal lacrymal et canal nasal) qui lui sont communs avec les yeux, et aboutissent de part et d’autre au grand angle, j’en ai parlé précédemment (X, xi) en exposant les autres parties des yeux. Il ne faut pas vouloir entendre une seconde fois ce que nous avons dit précédemment. Quant aux questions sans importance que nous passons sous silence, et qui sont faciles à résoudre pour les lecteurs attentifs de nos écrits, on doit croire que si nous les omettons c’est volontairement. Après avoir expliqué mille fois déjà des choses analogues, nous pensons qu’on trouvera sans peine celles que nous croyons devoir omettre.

Chapitre xviii. — La diversité de structure des os, et la variété de leur mode d’articulation tient à la nature des fonctions qu’ils ont à remplir, et à la nature même des animaux. — Pourquoi certains os ont de la moelle tandis que d’autres n’en ont pas. — Conformation particulière de la plupart des os à moelle. — Application de ces principes aux os maxillaires.


Revenons à l’exposition des parties de la tête qui ont besoin d’être expliquées, en les décrivant aussi brièvement que possible, et commençons par exposer le nombre et la situation des os. Pourquoi en existe-t-il sept à la tête même, neuf à la mâchoire supérieure, deux à la mâchoire inférieure (voy. la Dissert. sur l’anat.) ? C’est une chose que doit connaître celui qui ne veut laisser sans examen aucune des œuvres de la nature ; or c’est le seul homme qui mérite le titre de physicien. Il faut ici encore se rappeler ce que j’ai dit précédemment (voy. particul. I, xv ; II, viii, xi, xiv, xv, xvii ; III, viii, xiii, xv ; IX, xvii ; XIII, viii) sur l’union des os en général. En effet, les os ont été joints ensemble en vue du mouvement (voy. Arist., Part. anim., II, ix) ou de la perspiration (voy. IX, i et xvii), ou pour laisser un passage (voy. VIII, ix, XI, i, v, vii, xvii), ou à cause de la diversité des parties (IX, xviii), ou encore en vue de leur sécurité et de leur résistance aux lésions (II, viii ; X, v ; XI, xvii). Cette fonction existe en vue du mouvement dans les doigts, le coude, le carpe, l’épaule, la mâchoire, le genou, le coude-pied, les côtes, les vertèbres, en un mot dans toutes les diarthroses. C’est en vue de la perspiration, comme nous le rappelions à propos des sutures, en vue à la fois de la production du péricrâne et d’un moyen de passage, en vue de certains vaisseaux circulant de dedans en dehors et de dehors en dedans que les sutures de la tête ont été créées. Nous avons encore démontré, dans notre explication sur les sutures, et également à propos des mains, que la résistance aux lésions et la sécurité se trouvent dans toutes les parties composées de pièces nombreuses. Nous disions encore qu’en vue de la différence de densité des os, le Créateur a imaginé des sutures squammeuses. C’est pour la même raison que dans les membres il existe des têtes que l’on nomme épiphyses et condyles. En effet, quand un os contient de la moelle, vous pouvez voir qu’à chacune de ses extrémités il existe le plus souvent une tête en guise d’opercule.

Je crois devoir commencer par cette remarque la série de mes propositions, et démontrer d’abord pourquoi, tandis que le maxillaire inférieur renferme de la moelle, le supérieur est complètement dépourvu d’une semblable substance ; en second lieu, pourquoi, bien que le maxillaire inférieur contienne de la moelle, il n’existe à aucune de ses extrémités d’épiphyse comme on en voit à l’humérus, au cubitus, au radius, au fémur, au tibia, au péroné, en un mot, à tous les os qui renferment de la moelle. Nous démontrerons encore en même temps pourquoi chez certains animaux le maxillaire supérieur ne contient pas de moelle comme le maxillaire inférieur. Quand nous aurons expliqué ces divers points, alors seulement nous reviendrons aux détails sur le nombre et la fonction des os.

Commençons donc par le fait le plus évident qu’on observe chez tous les animaux, c’est qu’aucun des petits os ne contient de moelle, aucun ne renfermant une cavité grande et importante, mais chacun seulement étant percé de canaux irréguliers petits et étroits. En effet, si, outre qu’il est mince, l’os encore avait été creux, il eût été tout à fait fragile ; de même que, si un des grands os eût été plein et dense, il eût été extrêmement lourd et incommode par son poids. Ainsi, si, dans l’état actuel le tibia, le fémur, l’humérus et tous les autres os semblables exigent les plus grands muscles pour les mouvoir, qu’arriverait-il s’ils ne renfermaient pas des cavités aussi considérables qu’ils en ont, ou s’ils n’étaient pas d’ une consistance spongieuse ? La plus grande preuve de ce fait, c’est que dans tous les animaux faibles les os ont été créés plus spongieux et plus creux que dans les animaux forts, où ils sont plus denses et très-pleins, la nature évitant, je pense, d’attacher de grands poids à de trop faibles organes. C’est pourquoi le chien, le loup, le léopard, et tous les animaux pourvus de nerfs (tendons) et de muscles vigoureux, ont la substance des os beaucoup plus dense et plus dure que les porcs, les brebis, les chèvres et d’un autre côté que le lion, le plus impétueux et le plus robuste de tous les animaux, n’a, dit-on, que des os sans moelle. En réalité, chez le lion, telle est évidemment la substance des os de presque tous les membres (c’est-à-dire qu’ils sont sans moelle) ; mais dans les fémurs et autres os semblables on voit serpenter au centre une cavité étroite et imperceptible[25]. C’est là une preuve manifeste, s’il en existe, que la nature, ayant égard à la faiblesse et à la vigueur des muscles, a créé le poids des os proportionnés à ceux-ci.

La nature se proposait un double but dans la structure générale des os, la dureté en vue de leur propre sûreté, la légèreté en vue du mouvement de l’animal. Comme il n’est pas facile de réunir ces deux propriétés, car l’une provient de la densité et de la dureté, et l’autre des qualités contraires, il est clair que le mieux était de choisir la plus utile des deux. Or le mouvement est plus utile pour les animaux, puisqu’il fait partie de leur propre substance. En effet, ce qui constitue l’animal, ce n’est pas la faculté de résister aux lésions, c’est celle de se mouvoir spontanément. Cependant, chez tous les animaux auxquels, vu la vigueur de leurs muscles et la force générale du corps, il était possible de ménager les deux facultés, la nature a créé les os denses et durs comme des pierres ; elle en agit de même avec tous les animaux ; en sorte que non-seulement il n’y a pas un seul animal terrestre, mais même ailé ou aquatique, qui soit dans une condition différente. Ainsi, chez les aigles, la structure des os est très-dure et très-dense ; ensuite viennent les espèces robustes, les éperviers, par exemple, le busard, l’autour et autres espèces analogues. Après ceux-ci, chez les autres oiseaux, coqs, canards, oies, la substance des os est à la fois spongieuse, creuse et légère.

Si donc l’homme n’a pas la vigueur des muscles et du corps entier qu’on trouve chez le lion, c’est avec raison que les plus grands de ses os, non-seulement sont creux, mais encore spongieux. Or, si c’est avec raison qu’ils sont creux, la nature (nous avons précédemment démontré mille fois qu’elle emploie fort bien pour un autre but les choses créées pour une certaine fin. — Voy. VII, xx, p. 521), la nature ne devait pas laisser vides ces os, quand elle pouvait déposer en eux une provision d’aliments propres à leur nutrition. Or nous avons démontré dans nos Commentaires sur les facultés naturelles (III, xv) que la moelle est l’aliment propre des os, et que les os privés de cavité en contiennent quelque peu dans leurs cellules (voy. cepend. I, xv, et note de la p. 140) ; en outre qu’il ne faut pas s’étonner si la moelle est plus épaisse que le suc des cellules, bien qu’elle existe en vue de la même utilité que ce dernier. Voilà pourquoi tous les os creux renferment de la moelle. Mais tous ceux qui ont de la moelle n’ont pas par cela même des têtes. En effet, le maxillaire inférieur contient un peu de moelle, mais il n’a pas de tête. Il est trop dense pour avoir une pareille épiphyse. Quand le même os se trouve à la fois spongieux et creux, on voit immédiatement par cela même, à ses extrémités, une tête qui s’y est produite, parce que l’os a besoin d’un opercule et que cet opercule doit être dense et dur, surtout quand il se termine en s’articulant. Il faut, en effet, de la dureté dans les os qui s’articulent, puisqu’ils doivent se mouvoir continuellement et se frotter les uns les autres. On doit se rappeler une des utilités indiquées plus haut (I, xv ; voy. aussi XII, iii et XVI, ii ; Arist., Part. anim., II, ix) ; car il n’est pas possible que dans aucun os des parties contraires par leur nature puissent s’unir convenablement. En effet, comment le dense et le rare, le dur et le mou en viendraient-ils à une union amicale et indissoluble ? Nous disions donc (voy. IX, xviii) que la nature avait très-sagement inventé les os écailleux de la tête qui unissent les os mous et poreux du bregma (pariétaux) aux temporaux, lesquels sont denses et durs.

C’est en vue d’une semblable utilité que les têtes qui terminent les os des membres, os poreux et rares, sont, chez tous les animaux, denses et durs. Comment donc la nature a-t-elle agi à cet égard ? Elle a renoncé à unir des substances contraires, et par le mode d’insertion elle a inventé un rapport inoffensif en appliquant sur l’un et sur l’autre un cartilage en guise de soudure, ou en comblant les cavernes poreuses des extrémités ou en aplanissant les aspérités. Confondu extérieurement avec l’os dur, le cartilage les unit entre eux et les rattache si bien par son intermédiaire, qu’à moins de faire cuire ou dessécher ces os, on n’apercevra pas trace de leur juxtaposition.

Quand il n’y a pas entre les os une grande différence, mais que l’extrémité qui ferme la cavité de l’os qui en contient une est quelque peu plus dense que celle qui la recouvre, la nature, dans ce cas, n’a aucun besoin d’inventer une épiphyse. Or c’est la conduite qu’elle a tenue pour le maxillaire inférieur. En effet, si cet os est plus dense que l’humérus, le fémur et les autres os semblables, ce n’est pas d’un peu seulement ; il en diffère complétement et suffit donc par lui seul à enfermer la moelle sans le secours d’une épiphyse extérieure. S’il est beaucoup plus dur que les os sus-nommés, s’il ne renferme qu’une petite cavité, sa nudité en est cause. En effet, s’il ne trouvait pas dans sa substance propre le moyen de résister aux lésions, il serait facilement écrasé et meurtri, étant si saillant et si nu. S’il renferme une cavité, bien qu’il lui soit nécessaire d’être dur, la cause en est aux muscles temporaux qui, chez nous, ne sont pas comme chez les lions, assez forts pour tenir relevé sans peine un os dense, dur et plein. Et certes le lion, dont la force réside surtout dans la morsure, avait besoin d’une mâchoire vigoureuse. La nature n’y aurait pas fixé des dents solides si d’abord elle n’avait créé la mâchoire elle-même telle qu’elle est. De même encore elle a donné de la force au col du lion tout entier, en unissant les vertèbres par des ligaments robustes. Mais l’homme, être sociable et doux, ne réclamait pas une mâchoire aussi vigoureuse ; comme il avait besoin cependant qu’elle fût plus garantie contre les lésions que l’humérus et le fémur, et qu’elle fût en même temps légère, à cause des muscles temporaux, il a une mâchoire parfaitement adaptée à l’une et à l’autre utilité. Grâce à la même prévoyance, le maxillaire supérieur ne renferme absolument pas de moelle (voy. Dissert. sur l’anat.), parce qu’il n’est pas destiné à être mobile. En effet, l’autre utilité étant supprimée, cet os a été disposé seulement pour la résistance ; or cette faculté de résistance résulte, nous l’avons démontré, de la quantité de la substance osseuse.

Chapitre xix. — Du mode particulier d’articulation des os de la face. — Que ce mode est en rapport avec la nature même des os. — L’articulation de l’os sphénoïde est conforme à sa substance et à ses fonctions. — Voy. pour ce chap. et pour le suivant la Dissertation sur l’anatomie.


Il était mieux encore, nous l’avons démontré (X, xviii) que les os qui, vu les différences qu’ils présentent, ne sauraient être convenablement unis, fussent terminés par des lignes (articul. par synarthrose). Cela se rencontre surtout dans la mâchoire supérieure. Elle se compose, en effet, d’os différents de substance, parce que leurs utilités sont différentes. Les os malaires sont très-épais ; les os du nez sont très-minces ; les autres sont très-durs. Les premiers sont garantis des lésions par leur épaisseur, les derniers par leur dureté. Si les os du nez sont plus faibles, c’est que la lésion du nez ne devait pas causer à l’animal un grand dommage, comme l’eût fait celle d’une des autres parties de la mâchoire supérieure. En effet, dans le cas où les autres parties (celles qui sont dures) sont affectées, le mal doit nécessairement aboutir aux nerfs qui traversent la mâchoire ou aux muscles masséters ; parfois il peut arriver jusqu’aux parties mêmes de la tête, si les parties voisines de la tête ont été atteintes. Les affections du nez sont donc très-peu préjudiciables à l’animal ; aussi cette partie est-elle inférieure pour la dureté et l’épaisseur aux parties les plus importantes. Conformément donc à cette différence des os, les malaires doivent avoir une délimitation propre, ceux du nez une également, de même les autres (maxillaire supér. propre dit) et l’os placé au-dessus des malaires (frontal ?) et l’os fixé au sommet de la mâchoire (intermaxillaire) et ceux qui se trouvent à l’ouverture du nez dans la bouche (os palatins).

La suture longitudinale médiane qui existe à chaque maxillaire, a été créée parce que le corps est double, ayant un côté droit et un côté gauche. Nous avons parlé souvent de l’utilité de cette duplicité[26]. Elle ne paraît pas dans les os très-denses, par exemple, dans l’occipital, le frontal, l’os du palais (sphénoïde) et le maxillaire inférieur. C’est cette circonstance qui, je pense, a fait naître à leur égard une discussion parmi les anatomistes ; les uns affirmant que ces os manquent complétement de suture ; les autres prétendant que la substance compacte et dure des os empêche de voir cette suture ; mais que si l’on cuit et si l’on dessèche les os pendant longtemps, elle devient visible. Nous avons d’ailleurs abondamment parlé des matières qui font l’objet du débat[27]. Un fait reconnu par les deux parties suffit au présent discours : savoir que chacun des os susnommés est fort dur. Si nous trouvons l’utilité de ce fait, il ne nous sera pas non plus difficile désormais de trouver la raison du nombre des os.

Ces os sont très-durs parce qu’ils sont disposés pour la résistance, étant plus que tous les autres en saillie, et qu’il y a chez eux absence de la cause qui fait que les os du haut de la tête sont rares et caverneux. En effet, la plus grande partie des vapeurs du corps entier est dirigée par la nature vers ces os qui sont les plus élevés ; aussi, comme nous l’avons précédemment démontré (VIII, vii ; IX, i à iii), la nature leur a ménagé une évacuation variée. Pour les os situés latéralement, outre qu’ils ne sont pas dans de semblables conditions, ils devaient, en cas de chute, de coups ou de tout autre accident, être souvent endommagés. En effet, on ne tombe pas facilement sur le sommet de la tête et on ne reçoit guère de coups en cet endroit[28] ; au contraire, tous les autres os, ceux de l’occiput, du front, des oreilles, sont exposés à des coups fréquents et sont souvent lésés par des chutes. Les premiers étant donc moins exposés aux coups et ayant besoin d’évacuation, et les seconds courant risque continuellement d’être lésés et n’ayant pas besoin d’évacuation, c’est avec raison que ceux-là ont été créés rares et caverneux, et ceux-ci denses et durs. De son côté l’os du palais (sphénoïde. Voy. Dissert. sur l’anat. et Hoffmann, l. l., p. 270) s’enfonce comme un coin entre la tête et la mâchoire supérieure, renfermant déjà les trous des conduits qui purifient le cerveau. D’ailleurs il est situé à la base de toute la tête, comme aussi la partie de la continuation de l’os de l’occiput qui lui est contiguë. Pour tous ces motifs donc, il a été créé dense et dur. Peut-être une seule de ces causes aurait suffi pour le faire créer tel qu’il est. Il se trouve, en effet, parmi les os situés à la base de la tête auxquels il est nécessaire d’être durs, et de plus il est traversé par des superfluités qui viennent d’en haut, en sorte qu’il eût bientôt été gangrené et pourri, s’il eût été spongieux. : aussi a-t-il été créé dur et dense ; attendu qu’il est situé entre la mâchoire supérieure et la tête, c’est donc pour lui une nécessité d’être solide. Il engendre des excroissances osseuses semblables à des ailes (apophyses ptérygoïdes)[29], lesquelles doivent fournir à la fois abri et protection aux muscles des parties latérales de la bouche. En effet, les têtes de ces muscles viennent s’insérer dans les cavités formées par ces ailes. Ainsi, dans cet état de choses, que les parties susdites des os soient dépourvues de suture ou que leur jonction si exacte empêche de les voir, il n’en est pas moins démontré clairement qu’ils doivent être durs et denses. Ils ne pouvaient donc convenablement s’unir aux os voisins qui sont rares. Aussi la jonction de ces os est-elle évidente ; d’ailleurs ils remplissent, dans plusieurs circonstances, les utilités que nous signalions tout à l’heure, servant au passage de certains organes, à l’enchaînement des parties, à la perspiration des superfluités ou à la résistance.


Chapitre xx. — Énumération, situation et mode d’articulation des os de la face. — De la suture médiane et du mode d’articulation de la mâchoire inférieure.


Les os, qu’on appelle os du bregma, au nombre de deux (pariétaux), spongieux, situés à la partie supérieure de la tête et entourés de tous côtés par des os denses et durs, en arrière par l’occiput, en avant par le frontal, de chaque côté par les temporaux ont été, avec grande raison, terminés par des lignes (articulat. par synarthrose). Après eux, et le septième, vient l’os du palais (sphénoïde) qui, selon les uns, fait partie de la mâchoire supérieure, et, selon les autres, de la tête ; os intercalé entre ses voisins en forme de coin. Tous les autres os de la mâchoire supérieure sont au nombre de neuf : deux pour le nez (os propres du nez) ; un troisième en avant de ceux-ci (intermaxillaire) qui renferme, disions-nous, les incisives ; de chaque côté les deux os des joues (portion externe ou zygomato-faciale du maxill. supér.) où sont enchassées toutes les autres dents ; au-dessus de ceux-ci les deux os (malaires ou jugaux) voisins de l’excroissance antérieure qui constitue le zygoma (arcade zygomatique) et situés au bas de la cavité des yeux ; les deux derniers près des conduits qui s’ouvrent du nez dans la bouche (os palatins). Comme nous avons, dans les Commentaires sur l’anatomie[30], indiqué les lignes qui limitent chacun des os susdits, nous n’avons plus besoin d’en parler. C’est en supposant déjà connus les faits révélés par la dissection que nous avons adopté toute cette marche du raisonnement.

Quant à l’os de la mâchoire inférieure, il n’offre qu’une seule division à l’extrémité du menton (voy. Dissert. sur l’anat. et Hoffmann, l. l., p. 272), division qui n’existe pas distinctement chez tous les individus, et dont l’existence est due, comme nous l’avons dit (chap. xix), à ce que le corps est double. Ses autres parties, de chaque côté, ne présentent aucune séparation, la nature craignant, je pense, de fractionner en plusieurs os le maxillaire inférieur qui aurait été exposé ainsi dans les mouvements très-violents à se désagréger et à se briser. Or les mouvements de cette mâchoire devaient être considérables et puissants, lorsqu’on mord et qu’on broie des corps durs. C’est pourquoi la nature a pourvu soigneusement à ses articulations, et dans ce but, elle a entouré d’une part, une de ces apophyses, celle qu’on nomme coronoïde, de l’os zygomatique, et y a inséré le grand tendon du muscle temporal ; d’une autre part, elle a également entouré l’autre (condyle) des apophyses dites mastoïdiennes de la tête, comme devant lui servir de protection sûre, afin que jamais dans les mouvements violents elle ne s’échappe de la cavité qui la reçoit. C’est avec raison que cette articulation est reliée avec l’apophyse coronoïde, laquelle se dresse en ligne droite. La bouche, en effet, se ferme au moyen de cette apophyse et du muscle temporal qui soulève toute la mâchoire ; elle s’ouvre, grâce à l’articulation postérieure (condyle) avec les apophyses mastoïdiennes, et grâce aux muscles qui meuvent cette articulation (digastriques), muscles qui, disions-nous (chap. iv et v), sont les antagonistes des temporaux. Cette articulation est entourée de forts ligaments, et de plus elle est enveloppée d’une couche cartilagineuse épaisse.

Il faut, qu’une fois instruit des particularités communes à toutes les articulations, on se les rappelle à propos de chacune d’elles. Car nous devons nous garder, je pense, de répéter souvent les mêmes choses[31]. Les lecteurs ne doivent pas être plus paresseux à réfléchir que la nature n’est lente à créer. En effet, dans l’accomplissement des œuvres et dans l’élaboration des pensées, il convient de ne rien omettre ; mais dans l’explication il suffit de mentionner une fois un fait général. Comme j’ai déjà signalé combien grande est l’habileté que déploie la nature à l’égard de toutes les articulations, et que je dois y revenir dans le livre suivant, je pense que, pour le moment, il n’est pas juste d’y insister. Il convient que pour chacune de ces articulations vous recherchiez, par la dissection même, si elle est douée de toutes les propriétés que nous avons indiquées comme lui étant nécessaires. En effet, le meilleur moyen d’admirer la nature, c’est de ne négliger l’examen d’aucune de ses œuvres.




FIN DU TOME PREMIER.

  1. C’est ce qui ressort aussi des descriptions de Cuvier (voy. Anat. comp., t. IV, Ire part., p. 71 et suiv.).
  2. Τοῖς καρχαρόδουσι ὀνομαξομένοις. — Aristote (Part. anim., III , i, init.), dit qu’on appelle καρχαρόδοτα les animaux qui ont les dents aiguës, et inclinées alternativement (ὀξεῖς καὶ ἐπαλλάττοντας). Pour abréger j’ai presque toujours traduit ce mot par carnassiers.
  3. Voyez pour cette question de la ressemblance du singe et en particulier du pithèque espèce imaginée par Galien la Dissertation sur l’anatomie ; cf. aussi Manuel des dissections, I, ii ; II, ii ; III, v ; VI, i ; Cuvier, Anat. comp., t. II, p. 307 et suiv.
  4. Suivant Aristote (loc. sup. cit. — Voy. aussi II, p. 242, l. 46, éd. Bussemaker), les dents ont pour destination commune de servir à la nourriture, mais chez certains animaux elles servent, soit à l’attaque et à la défense, soit à la défense seulement. Chez l’homme leur nombre et leur disposition sont en rapport avec la parole. Il ajoute que l’homme possède à la fois les dents des carnassiers et celles des ruminants. — Dans le traité De la différence des maladies, chap. viii, med., t. VI, p. 866, Galien, moins absolu que dans le passage qui nous occupe reconnaît aussi que les dents de devant servent à la parole.
  5. Pour bien comprendre cette proposition il faut aussi ne pas oublier que pour Galien les tendons des muscles sont en partie fibreux, en partie nerveux, et que par conséquent ils se rattachent directement au centre cérébro-spinal.
  6. Voy. VIII, v, et Hoffmann, l. l., p. 245.
  7. Voy. particulièrement III, vi ; VI, x, xv, xx et xxi ; VII, xiv ; VIII, i ; où ce principe se trouve appliqué à la structure comparative des pieds et des mains, à la substitution des vaisseaux dans le poumon, à la création des valvules auriculaires, et auriculo-ventriculaires, aux anastomoses des vaisseaux du fœtus, enfin à la longueur comparative du cou et des pieds chez certains animaux.
  8. Voy. la Dissert. sur l’anatomie.
  9. Voy. la Dissertat. sur les termes anatomiques.
  10. Cette proposition n’est pas parfaitement exacte, car dans l’état normal, chez l’homme, sur lequel Galien, dans ce moment, étudie les dents, les dents supérieures dépassent un peu les inférieures ; mais Galien, pour les besoins de sa cause, ne devait pas tenir compte de cette petite différence.
  11. Voy. sur les irrégularités du nombre des dents, Hoffmann, l. l., p. 351 ; et Otto, Lehrbuch der pathologischen Anatomie, t. I. p. 186 suiv.
  12. Après avoir parlé de la mastication, Aristote (Part. anim., III, i — cf. Hist. anim., II, vii) ajoute : « La bouche sert aussi à respirer chez les animaux qui respirent et chez qui la réfrigération se fait par l’extérieur ; car la nature même emploie par elle-même des parties communes à tous les animaux pour plusieurs usages spéciaux. Ainsi, la bouche a pour fonction commune, l’alimentation ; chez certains animaux, elle aide particulièrement à la force ; chez d’autres, elle sert à la parole ; la respiration n’est pas non plus une fonction commune à tous. La nature, réunissant toutes ces fonctions en une seule partie, varie la forme de la bouche suivant les fonctions qu’elle a à remplir. » — Voy. Cuvier, Anat. comp., t. IV, 2e part, p. 379 suiv.
  13. Galien ne parle pas dans ce chapitre des branches linguales fournies par la 9e paire ou glosso-pharyngien. — Voy. la Dissert. sur l’anatomie.
  14. C’est là une proposition théorique évidemment fausse ; car le croisement a lieu pour tous les muscles ; les génio-glosses se croisent sur la ligne médiane, en sorte qu’à ce niveau la division de la langue en deux moitiés latérales disparaît (voy. dans Encyclop. anat. la Splanchn., par Huschke, p. 540). L’isolement sur la ligne médiane des vaisseaux et des nerfs n’est pas non plus aussi absolu que le prétend Galien.
  15. Vésale et Colombus pensent (voy. Hoffmann, l. l., p. 244) que l’ablation de la luette altère le timbre de la voix ; mais Bauhin (Theatr., III, lxxxiii) rapporte le fait d’un marchand à qui on avait enlevé toute la luette, et qui n’en éprouva aucune espèce de dommage. Les chirurgiens modernes paraissent être d’accord avec Bauhin. Quant à ce que dit Galien, qu’à la suite de cette ablation le poumon peut tellement se refroidir, que la mort s’ensuive, c’est une proposition purement théorique, et à laquelle il ne faut, à peine est-il besoin de le dire, accorder aucune foi.
  16. Voy. la Dissert. sur les termes anatomiques.
  17. Galien est en ce point d’accord avec Aristote, qui appelle (Hist. anim., I, xi, med.), le nez τῷ πνεύματι πόρος, et qui ajoute que c’est par le nez que se font l’inspiration, l’expiration et l’éternument. Dans le traité Des parties des animaux (II, xvi med.), en parlant de l’éléphant, il dit : « La trompe de cet animal est pourvue de narines en vue de la respiration, comme en possèdent tous les autres animaux qui ont des poumons. » (Voy. aussi De sensu et sensili, cap. v.) Il est certain que dans l’état ordinaire nous respirons plus habituellement par le nez que par la bouche. Toutefois, la proposition de Galien est un peu trop absolue.
  18. On lit dans Cicéron, De natura Deorum, II, § 57 : « Extra eminent, quæ appellantur aures, et tegendi causa factæ, tutandique sensus, et ne adjectæ voces laberentur, atque errarent, priusquam sensus ab his pulsus esset. Sed duros et quasi corneolos habent introitus, multisque cum flexibus, quod his naturis relatus amplificatur sonus. »
  19. Ἀδριανός. — Hoffmann, l. l., p. 235, suiv., a longuement discuté la question de savoir quel était le personnage dont parle ici Galien ; mais il n’est arrivé à aucun résultat satisfaisant, et il y a peut-être une corruption dans le nom. Toutefois, le manuscrit 2154 porte Ἀδριανός comme les textes imprimés. — On voit par ce passage qu’au temps de Galien, non-seulement on n’avait pas encore inventé le cornet acoustique, mais même que l’usage de mettre sa main derrière son oreille pour renforcer les sons n’était pas répandu ; le geste est cependant pour ainsi dire naturel.
  20. On distingue parmi les muscles extrinsèques de l’oreille externe un élévateur, un rétracteur ordinairement multiple, et un protracteur ; mais il n’y a, comme le remarque Theile (Myologie, p. 16, dans Encyclop. anat.), qu’un petit nombre de sujets, surtout chez les peuples civilisés, sur lesquels on puisse apercevoir l’action de ces muscles. Personne, ajoute-t-il, n’a peut-être encore observé celle du protracteur. Quant à l’action des muscles intrinsèques, elle est encore plus problématique.
  21. Galien, faisant ici allusion au premier chapitre de la Genèse où éclate l’omnipotence du Créateur, refuse à Dieu la toute-puissance absolue, celle par exemple de faire un homme avec une pierre, il veut que Dieu soit astreint aux lois de la matière ; toutefois il reconnaît que la suprême providence de Moïse vaut mieux que le hasard désordonné d’Épicure. La vraie différence qui existe entre Galien et Moïse, c’est que pour Galien les lois de la matière sont antérieures et supérieures à Dieu, tandis que pour Moïse Dieu crée en même temps la matière et ses lois, que, par conséquent, il la gouverne à son gré ; mais il ne s’ensuit pas positivement que le Dieu de Moïse ne tienne pas compte des conditions mêmes de la matière dans les créations ; s’il prend par exemple du limon pour faire un homme, ce limon reçoit à l’instant dans ses mains les qualités de la matière animale ; il ne fera pas plus pousser un oiseau sur un arbre, ou une plante sur un animal que des poils sur un os. Seulement, dans l’opinion de Moïse, Dieu peut transformer la matière à son gré et la mettre dans des conditions propres à chaque créature.
  22. On a, dans tout ce chapitre, un exemple frappant de l’incohérence, de la stérilité et de l’insuffisance des explications physiologiques de Galien, Ainsi, il croit que les superfluités qui s’échappent de la tête à travers le crâne sont destinées à nourrir ces cheveux ; il admet en même temps que les hommes ont plus de ces superfluités que les femmes, et que c’est pour cela qu’ils ont des poils à la fuis sur la tête, aux joues et au menton ; mais il ne s’aperçoit pas d’une part que tous les poils réunis de la face et de la tête chez l’homme ne valent pas l’épaisse et longue chevelure des femmes, et que ces superfluités qui s’échappent du crâne ne peuvent guère servir à alimenter les poils du menton et même des joues. D’un autre côté, il ne voit pas non plus que si les cils ou les sourcils ne s’accroissent pas à cause de l’espèce particulière de peau, ou à cause du cartilage sur lesquels ils sont implantés, les poils de la tête qui reposent sur un cuir chevelu, dense et doublé par le péricrâne ne doivent pas s’accroître non plus ! Certes, pour de pareils faits, le mieux encore puisqu’on n’en sait pas la cause, c’est de dire avec Moïse ou avec Platon : cela est parce que Dieu ou la nature l’ont voulu ainsi. Je n’ai pas besoin de faire remarquer aussi combien Galien fausse à plaisir les faits pour ce qui regarde les poils des aisselles et des parties génitales : si la cause qui fait croître les poils est surtout l’humidité, assurément aucune autre partie ne devrait en avoir de plus longs que ces deux régions ; or, il est loin d’en être ainsi. Ajoutez encore que la femme, plus humide que l’homme dans le système de Galien, devrait avoir généralement plus de poils que lui, et cependant c’est à la tête seulement que la production des poils est supérieure chez la femme. Du reste, plutôt que d’abandonner son système, Galien aime mieux admettre qu’il y a dans le corps des productions abandonnées à la nature des lieux eux-mêmes, et qui ne sont pas réglées par le Créateur. Tels sont, suivant lui, les poils des aisselles et des parties génitales, comme si ces poils n’étaient pas aussi bien limités que ceux de la tête et de la face ! Je n’en finirais pas si je voulais faire ressortir tous les vices de raisonnement qui abondent dans ce chapitre.
  23. Galien confond ici le véritable périoste avec les expansions fibreuses qui doublent la peau des joues. La même erreur est commise plus haut pour le crâne.
  24. Galien (Comm. II, in Epid. III, § 4, t. XVII b) dit qu’il a souvent observé comme un phénomène fâcheux, et comme une preuve de quelque affection grave des voies respiratoires, ce mouvement de dilatation et de contraction des ailes du nez.
  25. « Dans le même animal il y a des os qui ont de la moelle, il y en a qui n’en ont pas, et même certains animaux paraissent n’avoir point de moelle, comme le lion, attendu que cette moelle est très-peu abondante, ténue et qu’elle se rencontre dans un petit nombre d’os ; mais en réalité le lion a de la moelle dans les os des jambes de derrière et dans celles de devant. Le lion est de tous les animaux celui qui a les os le plus durs ; ces os ont en effet une telle dureté qu’ils font feu comme les pierres quand on les brise. » Aristote, Hist. anim., III, vii, 5 et 6. — Dans le chap. XX, init. (voy. aussi Part. anim., II, vi), on lit à peu près la même chose après quelques considérations sur la manière dont la moelle est contenue dans les os, et sur son apparence extérieure suivant les âges, II, vi. — Cf. Henle, Anat. générale (Encyclop. anatomique), t. II, p. 387 et 389.
  26. Voyez, pour cette question et pour les passages où Galien y fait allusion, la Dissert. sur l’anatomie et Hoffmann, l. l., p. 267 et suiv.
  27. Sans doute, comme le remarque Hoffmann, l. l., p. 270, dans le traité perdu Sur toute espèce de désaccord en matière d’anatomie. — Voy. p. 419, note 1.
  28. Galien aime mieux nier la fréquence des coups sur le sommet de la tête que de laisser supposer quelque imprévoyance de la nature, mais peut-être cette nature si sage n’avait prévu ni les coups de sabre ni les coups de casse-tête ! Galien répondra sans doute que c’est nous qui sommes en défaut par notre barbarie, mais que la nature ne pouvait pas prévoir la méchanceté des hommes, attendu que les coups naturels sont rares sur le sommet de la tête.
  29. J’ai suivi pour ce passage le texte du ms. 2154.
  30. On ne sait pas précisément à quel traité Galien renvoie ici, ni ce qu’il appelle Ἀνατομικὰ ὑπομνήματα (voy. Hoffmann, l. l., p. 272). — J’examine cette question dans la Dissertation sur l’histoire littéraire de Galien.
  31. Voyez, sur cette méthode d’enseignement et sur les passages où Galien y fait allusion, Hoffmann, l. l., p. 273.