Gaspard de la nuit (éd. 1895)/L’Alchimiste

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Gaspard de la nuitMercure de France (p. 66-68).

VIII

L’ALCHIMISTE


Notre art s’apprend en deux manières, c’est à savoir par enseignement d’un maistre, bouche à bouche, et non autrement, ou par inspiration et révélation divines ; ou bien par livres lesquelx sont moult obscurs et embrouillez ; et pour en iceux trouver accordance et vérité moult convient estre subtil, patient, studieux et vigilant.
La Clef des secrets de filosofie de Pierre Vicot.


Rien encore ! — Et vainement ai-je feuilleté pendant trois jours et trois nuits aux blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques de Raymond Lulle.

Non, rien, si ce n’est, avec le sifflement de la cornue étincelante, les rires moqueurs d’un salamandre qui se fait un jeu de troubler mes méditations.

Tantôt il attache un pétard à un poil de ma barbe, tantôt il me décoche de son arbalète un trait de feu dans mon manteau.

Ou bien fourbit-il son armure, c’est alors la cendre du fourneau qui souffle sur les pages de mon formulaire et sur l’encre de mon écritoire.

Et la cornue toujours plus étincelante siffle le même air que le diable, quand saint Éloi lui tenaille le nez dans sa forge.

Mais rien encore ! — Et pendant trois autres jours et trois autres nuits je feuilleterai, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques de Raymond Lulle !