Gay-Lussac (Arago)/06

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide3 (p. 33-38).
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VII  ►


SOCIÉTÉ D’ARCUEIL. — MÉMOIRES SUR LE MAGNÉTISME. — LOIS DES COMBINAISONS GAZEUSES. — CATHÉTOMÈTRE.


En 1807, Berthollet forma une Société scientifique particulière, composée d’un très-petit nombre de personnes, qu’on appela Société d’Arcueil, du nom de la commune, voisine de Paris, dans laquelle se trouvait la maison de campagne de l’illustre chimiste. Gay-Lussac, comme chacun peut le deviner, fut un des premiers membres de la Société nouvelle.

Avant d’aller plus loin, disons un mot des critiques auxquelles donna lieu, dans le temps, cette sorte de démembrement de la première classe de l’Institut. C’était, pour de jeunes débutants dans la science, une circonstance éminemment flatteuse que d’avoir pour premiers juges et conseils dans leurs travaux, des hommes d’une célébrité européenne, tels que les Laplace, les Berthollet, les Humboldt, etc. ; mais pourrait-on assurer que des idées préconçues, auxquelles les meilleurs esprits s’abandonnent plus facilement dans une réunion pour ainsi dire intime, que devant un public nombreux, ne fussent pas de nature à arrêter la spontanéité du génie et à courber ses recherches sous un niveau convenu ? D’autre part, le désir de donner des preuves de fécondité, en présence des savants les plus célèbres de leur époque, ne devait-il pas quelquefois amener des esprits enthousiastes à se jeter dans des théories hasardées ?

Quoi que l’on puisse penser de ces doutes que je mentionne avec une extrême réserve, le jugement indépendant et sobre de Gay-Lussac l’aurait mis à l’abri des influences qui ne se fussent exercées que sans le couvert d’un mérite éminent et des utopies de l’imagination. Ses publications dans les trois volumes des Mémoires de la Société d’Arcueil, méritent à tous égards par leur variété, leur nouveauté, et aussi par leur exactitude, de prendre la place la plus distinguée dans une histoire impartiale de la science.

Le premier volume du recueil publié par la Société d’Arcueil commence par un Mémoire dans lequel Gay-Lussac a réuni les résultats de toutes les observations magnétiques faites de concert avec M. de Humboldt, pendant le voyage de France, d’Italie et d’Allemagne, dont nous avons déjà longuement parlé. Cette branche de la science a notablement progressé depuis quelques années, et néanmoins on peut recommander avec confiance aux physiciens les pages dans lesquelles Gay-Lussac examine toutes les causes d’erreur qui peuvent affecter les mesures d’inclinaison, d’intensité, et les précautions à prendre pour s’en affranchir. On sait aujourd’hui que la force horizontale qui dirige l’aiguille aimantée est sujette à une variation diurne qui dépend en partie, mais en partie seulement, d’une variation correspondante dans l’inclinaison. On a appris également que dans un lieu donné et à une époque donnée, la durée des oscillations d’une aiguille dépend de sa température ; on aurait donc maintenant, si l’on entreprenait un voyage magnétique, à tenir compte de toutes ces causes perturbatrices ; mais, disons-le sans flatterie, à l’époque où il fut publié, le travail de MM. de Humboldt et Gay-Lussac était un modèle.

Si nous jetons les yeux sur le second volume des Mémoires d’Arcueil, nous y trouvons, entre autres travaux très-dignes d’intérêt, un Mémoire sur la combinaison des substances gazeuses entre elles ; ce Mémoire contient des résultats tellement remarquables, tellement importants, qu’on a pris l’habitude de les appeler les lois de Gay-Lussac.

Il me serait maintenant très-difficile de tracer un historique détaillé et parfaitement exact de la théorie atomique. Cet historique devrait, je crois, remonter à Higgins, chimiste irlandais, dont l’ouvrage, publié en 1789, ne m’est connu que par de très-courtes citations de Humphry Davy. Viennent ensuite les recherches de Dalton, qui sont de 1802. Ce qu’il y a de certain, c’est que la loi des volumes fut démontrée expérimentalement par notre confrère en 1808, sans que notre ami eût rien appris des premiers essais plus ou moins systématiques de ses prédécesseurs.

Les lois dont nous parlons peuvent être énoncées en ces termes :

Les gaz, en agissant les uns sur les autres, se combinent en volume dans les rapports les plus simples ; tels sont ceux de 1 à 1, de 1 à 2, ou de 2 à 3.

Non-seulement ils ne se réunissent que dans ces proportions, mais encore la contraction apparente de volume qu’ils éprouvent quelquefois par la combinaison, a aussi un rapport simple avec le volume d’un des gaz combinés.

Gay-Lussac a plus tard eu la hardiesse de déduire de ses lois la densité des vapeurs de plusieurs corps solides, tels que le carbone, le mercure, l’iode, parties intégrantes de certaines combinaisons gazeuses. Cette hardiesse, comme des expériences ultérieures l’ont prouvé, a été couronnée d’un plein succès.

Récemment, on a cru pouvoir déduire de l’inégale dilatation des divers gaz par la chaleur, la preuve que la loi des volumes n’est pas mathématiquement exacte. Supposons, disent implicitement les savants critiques, que deux gaz se combinent à volume égal, à une température déterminée, à celle de 20 degrés centigrades, par exemple, et que la combinaison se fasse de molécule à molécule : portons à 40° la température des deux gaz. Si à 20° des volumes égaux renfermaient le même nombre de particules élémentaires, il n’en sera plus ainsi à 40° ; ce seront donc des volumes inégaux qui entreront en combinaison, en supposant que l’union doive toujours s’effectuer de molécule à molécule.

On voit que la critique implique la vérité absolue de la théorie atomique des combinaisons, laquelle, par parenthèse, peut paraître moins bien établie que la loi de Gay-Lussac.

Ne serait-ce pas d’ailleurs un hasard bien singulier qui aurait conduit notre confrère à opérer précisément aux températures où la loi serait rigoureusement exacte ?

Remarquons, en point de fait, que, dans l’étude de la nature, il n’est presque jamais arrivé que l’expérience ait conduit, à travers quelques légères déviations, à des lois simples, sans que ces lois soient devenues les régulatrices définitives des phénomènes : le système du monde offre un exemple frappant de cette vérité. Les lois du mouvement elliptique des planètes ne sont exactes qu’en négligeant les inégalités connues sous le nom de perturbations, et qui placent chaque planète tantôt en avant, tantôt en arrière de la position que les immortelles vues de Kepler lui assignent.

Si jamais on établit par des expériences directes que les principes posés par Gay-Lussac ne se vérifient pas lorsque les températures viennent à varier, ce sera le cas de chercher s’il n’existe point une cause naturelle à laquelle ces perturbations puissent être attribuées.

Dans le cadre restreint qui m’est tracé, je ne pouvais présenter sur la question délicate que j’ai osé aborder, que de simples doutes ; en tous cas, l’assimilation dont ils m’ont donné la pensée me semble de nature à satisfaire les partisans les plus enthousiastes de la gloire scientifique de Gay-Lussac.

Lorsque Laplace, envisageant sous un jour nouveau les phénomènes capillaires, désira comparer les résultats de ses savants calculs à ceux de l’observation lorsqu’il voulut avoir à ce sujet le dernier mot de l’expérience, il s’adressa à Gay-Lussac. Celui-ci répondit complétement à la confiance de l’immortel géomètre. Je dois faire observer que l’instrument qu’il imagina est dans de petites dimensions, celui-là même qui sous le nom de cathétomètre est devenu d’un usage si général parmi les physiciens. Je laissé à ceux qui se croiront en droit de le faire, le soin de réclamer la priorité quant à l’emploi du mot de cathétomètre, généralement adopté aujourd’hui ; mais l’instrument, dans son principe et même dans sa forme, n’en restera pas moins une des précieuses inventions dont notre confrère a doté la science.