Genève sous le gouvernement radical

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Genève sous le gouvernement radical
Revue des Deux Mondes2e période, tome 19 (p. 579-606).
GENÈVE
SOUS
LE GOUVERNEMENT RADICAL



Quand on arrive à Genève par le chemin de fer de Lyon, les premiers édifices qu’on remarque sont une synagogue juive, un temple maçonnique, une église catholique, et quelques pas plus loin une coquette petite chapelle anglicane. Ces divers temples, récemment construits sur des terrains donnés par l’état, attestent d’une manière assez éclatante la tolérance qui règne aujourd’hui dans la cité de Calvin. En sortant de la gare, si l’on suit la rue qui conduit au quai du Mont-Blanc, on aperçoit bientôt un bel hôtel appartenant au président du conseil d’état, et dont le premier étage est occupé par une maison de jeu : autre signe, bien différent, qui semble indiquer, dans le domaine des idées morales, une réaction singulière contre le rigorisme calviniste. Ce sont là deux traits tout à fait caractéristiques de la métamorphose que Genève est en train de subir. Pour vaincre les vieux préjugés, les répugnances héréditaires qu’inspirait toute atteinte portée à l’organisation établie par le puissant réformateur, il a fallu donner libre essor à l’esprit révolutionnaire, qui, dans l’ardeur de la lutte, n’a pas craint de fouler aux pieds des principes et des mœurs que trois siècles de durée semblaient rendre inviolables.

La Genève intelligente et lettrée éprouvait-elle donc le besoin de rompre avec son passé ? La chose n’est pas bien démontrée. Elle aimait ses rues étroites, pleines d’anciens souvenirs, ses fortifications, qui l’avaient plus d’une fois préservée. Quoique petite ville par son étendue, elle tenait depuis longtemps sa place au rang des états les plus libres et les plus éclairés de l’Europe. Son rôle dans l’histoire lui paraissait assez beau. N’avait-elle pas eu quelque part à tout ce qui s’était fait de grand dans le monde depuis la réforme ? N’avait-elle pas fourni François Le Fort à la Russie, Delolme à l’Angleterre, Albert de Gallatin aux États-Unis, Necker, Clavière, Dumont, Mallet-Dupan à la révolution française ? Et quelle série d’hommes remarquables dans les sciences et les lettres ! Pour ne citer que les plus célèbres, aux noms de Jean-Jacques Rousseau, de Charles Bonnet, de Saussure, étaient venus se joindre, après le retour de l’indépendance, ceux de Candolle, Pictet, de La Rive, Rossi, Töpffer, etc. Certes Genève, avec ses vingt-cinq mille habitans, pouvait être fière d’une pareille renommée. À l’intérieur, sa prospérité matérielle n’était pas non plus en souffrance. Sous un régime d’entière liberté, le commerce et l’industrie se développaient, l’aisance devenait générale, et grâce aux efforts de la charité privée, la misère semblait bannie de cet heureux coin de terre.

Comment donc une révolution est-elle venue tout à coup troubler cette paix et faire disparaître l’union parfaite qui semblait régner entre tous les citoyens de la petite république ? Il n’y a pas d’effet sans cause. Évidemment cette révolution existait en germe et fermenta longtemps sous le calme extérieur de la société genevoise. Une étude attentive doit permettre d’en découvrir les premiers symptômes et d’en suivre les progrès successifs jusqu’au moment où l’explosion eut lieu. En retrouvant ainsi l’origine des griefs imaginaires ou réels du peuple genevois, on aura l’élément le plus propre à répandre quelque lumière, soit sur le mérite de l’ancien système, soit sur la portée des projets dont le nouveau régime poursuit l’exécution. Il faut interroger l’histoire du passé pour mieux comprendre le présent, rappeler quelles crises a traversées la société genevoise de 1814 à 1846 pour bien apprécier les résultats de la révolution présente, d’abord dans l’ordre moral, puis dans l’ordre économique. C’est ce qu’on essaiera de faire ici avec une complète indépendance et le désir sincère de préciser équitablement le tribut d’éloge ou de blâme que la société genevoise doit à chacun des partis qui l’ont gouvernée depuis quarante ans.


I.

Lorsqu’après la chute de l’empire Genève eut recouvré son indépendance, elle dut, afin de pouvoir être agrégée à la Suisse comme canton, obtenir un agrandissement de territoire destiné à désenclaver plusieurs de ses communes. Grâce à l’appui qu’elle trouva dans le congrès de Vienne, cet appoint qu’exigeait la confédération suisse lui fut concédé par la Sardaigne et par la France. Le traité de Paris du 20 novembre 1815 et celui de Turin du 16 mars 1816 stipulèrent les conditions de cet arrangement, qui dotait Genève d’une population catholique de seize mille âmes, formant environ les deux cinquièmes du nombre total de ses citoyens.

Au point de vue confessionnel, un pareil accroissement n’était pas sans danger pour la petite république, d’autant plus que le traité de Turin lui imposait l’obligation de maintenir et de protéger le culte catholique dans les communes cédées par le roi de Sardaigne, de n’y point permettre l’érection d’églises protestantes, sauf une dans la ville de Carouge, et d’y conserver relativement à la religion les lois et usages en vigueur au 29 mars 1815. Les avantages directs et prochains de la cession firent passer sur l’inconvénient de résultats éventuels dont il était d’ailleurs difficile de prévoir alors toute la portée. Les Genevois ne songèrent qu’au bonheur d’assurer leur indépendance en la plaçant sous la protection du drapeau fédéral, et se mirent aussitôt à l’œuvre pour organiser leur gouvernement. On ne pouvait rétablir l’ancienne constitution, qui rappelait de pénibles souvenirs et n’était plus en harmonie avec la situation nouvelle du pays. D’ailleurs les principaux chefs de la restauration genevoise appartenaient tous à l’opinion aristocratique. Ami Lullin, Joseph Des Arts et Charles Pictet de Rochemont, qui s’étaient mis à la tête de ce mouvement, durent avoir ainsi l’influence la plus grande sur l’œuvre législative. Le but de leurs efforts fut de faire prédominer le système représentatif, comme seul propre à concilier les prétentions rivales de l’aristocratie et de la démocratie, qui, dans le siècle précédent, avaient enfanté des troubles perpétuels pour aboutir aux déplorables excès de la période révolutionnaire.

La nouvelle constitution, empreinte d’une tendance bien prononcée à restreindre l’exercice de la souveraineté populaire dans les limites les plus étroites, offrait cependant, à certains égards, une organisation libérale susceptible de développemens ultérieurs. Elle posait en principe l’égalité complète de tous les citoyens devant la loi, la liberté de la presse, l’indépendance et la publicité des tribunaux, le vote des impôts et des lois par des députés directement élus et partiellement renouvelés chaque année, le droit accordé à ces députés d’exercer, sous forme de proposition, une sorte d’initiative, et de modifier les projets de loi, enfin la faculté d’introduire des changemens dans la constitution même. Il est vrai que le mérite de ces précieuses garanties se trouvait en partie annulé, pour le moment du moins, par les conditions du système électoral. Ici dominait l’esprit aristocratique, naturellement enclin à concentrer le pouvoir dans les mains du petit nombre. On avait eu recours aux expédiens du cens, de l’âge, et même de l’élection indirecte, pour le cas où la majorité absolue ferait défaut. Le conseil représentatif ainsi nommé choisissait dans son sein les vingt-quatre membres du conseil d’état, dont les fonctions, très faiblement rétribuées, ne pouvaient évidemment convenir qu’à des hommes jouissant d’une certaine fortune. Le pouvoir exécutif était dévolu au conseil d’état, avec l’initiative exclusive des lois. Les réformes constitutionnelles n’étaient pas impossibles, mais entourées de formalités qui devaient en rendre la marche difficile et lente.

Aussi, malgré les principes vraiment libéraux dont elle contenait le germe, la constitution de 1815 fut accueillie avec froideur. Le peuple lui reprocha surtout d’avoir aboli l’ancien conseil-général, où l’élection des magistrats et le vote des lois importantes subissaient l’épreuve du suffrage universel. Il ne tint pas compte de ce qu’en retour, détruisant aussi les castes privilégiées, elle accordait à tous les citoyens les mêmes droits civils. C’est surtout comme gage de paix et d’indépendance qu’on accepta le nouveau code constitutionnel. La joie d’être admis dans la confédération suisse, la brillante perspective qui semblait s’ouvrir pour Genève, prévalurent sur toutes les objections. Deux ans s’écoulèrent à peine d’ailleurs avant que des modifications relatives à la publicité des jugemens, comme aux lois éventuelles concernant le nouveau territoire, eussent mis hors de doute la possibilité d’obtenir par la voie légale toutes les réformes jugées nécessaires. En effet, on réduisit successivement la durée des fonctions du conseil d’état, les séances du conseil représentatif devinrent publiques, et la sphère de son activité s’agrandit considérablement sous l’empire du règlement si sage et si libéral à la fois dont l’avait doté M. Dumont; d’importantes améliorations furent introduites dans l’ordre judiciaire; enfin on abaissa le cens électoral jusqu’à la modique somme de 3 francs 25 centimes, dont le paiement fut rendu facultatif aux citoyens qui, ne se trouvant pas imposés pour une valeur équivalente, désiraient être électeurs et éligibles.

Ces sages réformes coïncidaient avec un essor remarquable dans les sciences, dans les lettres, dans les arts, et surtout dans le domaine des intérêts matériels. De 1815 à 1830, Genève offre certes un spectacle des plus intéressans. On y voit l’esprit républicain se développer avec une énergie féconde. Les citoyens rivalisent avec le gouvernement pour doter leur pays d’institutions libérales. Le respect entoure la magistrature, qui s’en montre digne par son zèle, ses lumières et son dévouement. À cet égard, Genève était privilégiée. La restauration avait ramené dans son sein plusieurs hommes d’un mérite supérieur autour desquels se forma comme un foyer d’intelligence. Il suffit de nommer d’Ivernois, Sismondi, Dumont, de Candolle, et l’illustre réfugié italien Rossi, qui ne dédaigna pas de consacrer quelque temps ses hautes facultés au service de la petite communauté genevoise. Avec des esprits de cette trempe, les discussions du corps législatif ne pouvaient qu’être fertiles en heureux résultats. Par l’autorité du talent, du savoir, de l’expérience, ainsi que par leur parole éloquente, ils stimulaient et modéraient tour à tour les efforts de l’opposition, qui longtemps n’eut pas d’échos en dehors des conseils. Les divergences portaient plutôt sur les principes, et dans la pratique on était généralement d’accord pour repousser les innovations précipitées. Cependant Genève, loin de rester en arrière, devança bientôt non-seulement ses confédérés, mais encore la plupart des autres états de l’Europe. Elle fut le premier pays du continent où s’introduisit l’institution bienfaisante des caisses d’épargne; elle établit un pénitencier modèle, promulgua une loi de procédure civile[1] admirée par tous les jurisconsultes, rendit à son académie l’ancien lustre qui l’avait distinguée, se préoccupa vivement des besoins de l’instruction, soit primaire, soit secondaire, et ne négligea pas non plus le développement matériel du pays. Des sociétés indépendantes du gouvernement contribuèrent aussi, durant cette période, à favoriser l’essor des arts et de l’industrie. Sous leur influence naquit une école genevoise de peinture; la ville s’enrichit d’un musée, don généreux de Mlle Rath, d’un conservatoire de musique fondé par M. François Bartholony, et la fabrique d’horlogerie put ajouter de nouveaux titres à sa vieille renommée. D’autres sociétés, obéissant aux inspirations d’une philanthropie éclairée, dotèrent Genève d’établissemens qu’on eût en vain cherchés dans toute autre ville de même grandeur.

Malheureusement la prospérité a ses écueils pour les peuples comme pour les individus. On s’endort dans la jouissance du bien-être; on s’habitue volontiers à croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Cette tendance, de plus en plus manifeste dans la classe dominante, peut être signalée comme la première source du mécontentement populaire qui rouvrit l’ère des révolutions pour Genève. D’autres causes, plutôt sociales que politiques, vinrent s’y joindre. Dans une république, on est facilement enclin à la jalousie. L’inégalité, chassée de la loi, se réfugie dans les habitudes sociales. A défaut de rangs bien marqués, il se forme des coteries plus fermées et plus exclusives encore. A Genève, la classe aristocratique se montrait divisée en maintes catégories, suivant l’ancienneté des familles ou le chiffre des fortunes, et la petite bourgeoisie ainsi que la classe ouvrière elle-même offraient autant de groupes non moins attentifs à ne pas se mélanger. Chacun était ainsi parqué dès sa naissance dans une sphère plus ou moins étroite d’où il avait beaucoup de peine à sortir, car les talens et la richesse ne suffisaient pas toujours pour vaincre le préjugé. Sans doute des tendances analogues se rencontrent à peu près partout, mais nulle part elles ne sont plus marquées qu’à Genève, où malheureusement cette espèce de hiérarchie artificielle n’est point accompagnée de la discipline qui seule pourrait la rendre salutaire. On veut bien avoir des inférieurs; mais dès qu’il s’agit de reconnaître une supériorité quelconque, l’amour de l’égalité reprend le dessus, et l’on se révolte contre les prétentions même les plus légitimes. Un tel état de choses engendre nécessairement la défiance, suscite une animosité déplorable entre les citoyens, et contribue à faire prédominer des considérations particulières ou des sympathies personnelles sur les vrais intérêts du pays. On s’habitue à traiter les affaires en petit comité, sans tenir compte des exigences de l’opinion publique.

A Genève, la forme du gouvernement favorisait encore ce fâcheux morcellement des forces sociales. Les charges étant honorifiques ou très peu rétribuées, on avait institué de nombreuses commissions auxiliaires, afin de répartir plus largement le travail, et quoiqu’elles fussent en général composées d’hommes honorables et dévoués, leur personnel ne se renouvelait pas assez fréquemment pour empêcher la routine d’y produire ses effets ordinaires. Elles ne pouvaient échapper à l’esprit de coterie, qui paralyse si tristement l’action généreuse et féconde du patriotisme. Ces commissions, animées de vues excellentes, mais toujours plus ou moins exclusives, restaient trop étrangères à ce qui se passait en dehors de leur cercle d’activité. C’est ainsi qu’une opposition put naître et grandir sans qu’on fît rien pour conjurer le péril. Genève était libre, heureuse, paisible au dedans, considérée à l’extérieur, et les jouissances du bien-être endormaient l’esprit républicain. Le tort général fut d’oublier à quel prix s’acquièrent et se conservent de semblables avantages.

Dans un écrit publié en 1832, M. Rossi avait signalé avec beaucoup de justesse la nature du mal et les conséquences qu’on en pouvait attendre. Après avoir rendu hommage à ces citoyens énergiques et dévoués auxquels était due la restauration genevoise, il se demandait si la génération nouvelle, fort sage, fort respectable, plus instruite peut-être que la précédente, désirant le bien, amie de l’ordre et de la règle, serait capable de la même énergie et du même dévouement. « Et, s’écriait-il, comment pourrions-nous ne pas craindre lorsque nous voyons des jeunes gens travailler sans passion, s’amuser sans plaisir, faisant leurs études, dansant leurs valses de la même manière, comme deux tâches qu’un homme bien né doit remplir régulièrement? Grand Dieu! qu’est-on à l’âge d’homme quand on est de glace à vingt ans! Pour toute chose, on se fait à petit bruit de petits arrangemens pour son usage particulier : une petite politique, une petite philosophie, une petite religion, une petite littérature. L’essentiel est qu’il n’y ait rien de saillant, rien de bruyant; rien qui dépasse une certaine ligne de convention... On se prépare ainsi des jours qui paraissent d’or; mais par un effet nécessaire d’une jeunesse monotone, sans passion, sans ardeur, passée dans l’état de ceux que Dante ne savait où placer, et sur le compte desquels il s’écriait :

Non ragiouar di lor, ma giiarda e passa !


on arrivera insensiblement à une vie toute matérielle, à l’insouciance de la chose publique, à l’incapacité pour les affaires, surtout si jamais ils se renouvelaient ces temps de crise et d’orage, ces événemens aussi graves qu’imprévus, qui, au milieu de malheurs de toute espèce, firent cependant briller d’un si vif éclat les vertus civiques des vieux Genevois ! »

Les prévisions de l’illustre publiciste ne se réalisèrent que trop exactement. Cet oubli des conditions indispensables de la république exerça la plus funeste influence. Dans les pays libres, une aristocratie ne se maintient qu’à force de vigilance, d’abnégation et de dévouement. Le peuple de Genève, on ne devait pas l’ignorer, a des souvenirs essentiellement démocratiques, et son caractère porte l’empreinte bien prononcée des institutions qui l’ont formé. On chercherait peut-être vainement ailleurs un exemple aussi frappant de l’action des lois sur les mœurs. La population genevoise se compose des élémens les plus divers. C’est un mélange de toutes les races, dont l’Italie, l’Allemagne et la France ont fourni la part principale, mais où l’on retrouve bien d’autres origines encore. Il a fallu donc une puissance d’assimilation singulièrement forte pour faire de cette tour de Babel un peuple ayant sa nationalité distincte, vigoureuse, indélébile. A cet égard, le rôle de Genève semble digne de fixer l’attention du philosophe et de l’historien. Dès le XVIe siècle, elle fut la ville du refuge pour les victimes des persécutions, soit politiques, soit religieuses, qui vinrent lui demander asile, et contribuèrent à combler ainsi les vides causés par une force expansive non moins remarquable dont elle est également douée, car on trouve des Genevois dispersés sur tous les points du globe. Quelques années de séjour dans la cité calviniste suffisaient pour imprimer aux nouveau-venus le cachet national. Ce phénomène se manifeste encore aujourd’hui d’une manière assez sensible. Il n’est point rare par exemple de voir, dans des familles allemandes récemment naturalisées à Genève, les fils ne conserver aucune trace de leur origine étrangère, ordinairement si tenace, ni dans leur langage, ni dans leurs habitudes, ni dans les tendances de leur esprit : le milieu genevois a tout absorbé. Un peuple qui, durant plusieurs siècles, s’assimile ainsi des élémens de toute nation sans rien perdre de son caractère original est naturellement enclin à l’orgueil. Chez lui, le sentiment de la nationalité présente je ne sais quoi d’individuel qui ne se rencontre guère dans un autre pays. Il s’identifie beaucoup plus avec les institutions de son pays, et porte dans tout ce qui les concerne une ardeur passionnée, que n’arrêtent le plus souvent ni les sacrifices, ni la crainte de compromettre son avenir.

Le Genevois d’ailleurs, fier de sa vieille indépendance, fut toujours peu soumis aux nécessités du gouvernement même le plus bénévole. Il délègue avec peine sa part de souveraineté, se montre jaloux de l’usage qu’on en fait, soumet ses mandataires à une impitoyable surveillance. Ce n’est pas lui qui démentira l’ingratitude proverbiale des républiques. Ses magistrats doivent se résigner à ne recueillir d’autre témoignage que celui de leur propre conscience; car, tant qu’ils sont en charge, on les suspecte, et dès qu’ils en sortent, on les oublie. Pour conduire une population pareille, qui joint à ces travers beaucoup d’intelligence, de l’esprit, du courage, de la générosité, il faut certainement des hommes habiles. Genève en avait eu quelques-uns depuis sa restauration. Autour de ceux que j’ai déjà nommés comme ayant pris en 1813 la courageuse initiative du rétablissement de la république s’était groupée une élite remarquable par ses lumières ainsi que par un zèle dévoué. Genève y trouva des magistrats dignes à tous égards de la confiance publique, des administrateurs intègres et des légistes éminens. Grâce à leurs efforts, elle était entrée dans la voie du progrès sage et régulier; mais à mesure que la mort vint éclaircir les rangs de ces citoyens formés à l’école de l’expérience, on s’aperçut des effets du bien-être sur l’éducation; il fut bientôt impossible d’envisager l’avenir sans inquiétude. Les caractères fortement trempés devenaient de plus en plus rares, surtout chez la jeune aristocratie, qui se montrait en général peu disposée à suivre l’exemple de ses prédécesseurs. Quoique dirigé d’une manière non moins libérale que prudente par le syndic Rigaud, dont la haute influence réussit pendant plus de dix années à dominer les partis, le gouvernement perdit rapidement sa force et son prestige. Il se trouva réduit aux vaines illusions du régime paternel, précisément en 1830, à l’époque où commençait en Europe une nouvelle période d’agitation.

Tandis que la classe riche paraissait ne plus attacher la même importance à la direction des affaires publiques, le peuple prêtait l’oreille aux bruits du dehors. Il suivait avec un intérêt sympathique les mouvemens de la France et ceux de l’Italie. Bientôt la contagion le gagna. Quoiqu’il n’eût ni tyrannie à combattre, ni liberté à conquérir, d’ambitieux meneurs, comme il s’en trouve toujours dans des occasions pareilles, lui persuadèrent aisément qu’il devait se révolter pour l’honneur de ses traditions. Dans les temps passés en effet, lorsque la république de Genève renfermait des habitans, des domiciliés, des natifs et des citoyens ayant des droits différens, la sédition était en quelque sorte à l’ordre du jour. Dès qu’une mesure contrariait les désirs du souverain populaire, on prenait les armes, on se tirait des coups de fusil dans les rues : si le gouvernement avait le dessous, des concessions étaient accordées, quitte à les retirer plus tard; si ses partisans au contraire triomphaient, on exilait les principaux mutins, et tout rentrait dans le calme. Tels furent les souvenirs qu’après 1830 on évoqua complaisamment à Genève. Quant aux griefs, ils ne manquent jamais aux agitateurs. Par crainte du réveil démagogique, les auteurs de la constitution avaient incliné vers une espèce d’oligarchie difficile à maintenir; mais grâce au patriotisme éclairé de quelques hommes d’élite, les vices des institutions nouvelles disparaissaient l’un après l’autre, et la voie était ouverte à tous les progrès désirables. On était arrivé de cette manière aussi près que possible du suffrage universel, sans en avoir les inconvéniens, puisqu’il suffisait pour être électeur de payer un impôt facultatif de 3 francs 25 cent. Une si faible barrière ne pouvait empêcher que l’invasion du prolétariat sans exclure aucun électeur sérieux; cependant elle devint l’objet de plaintes vives et nombreuses. La prudence politique est en général peu comprise ou mal interprétée. Faute de pénétrer ses motifs, on l’accuse volontiers, soit de faiblesse, soit de trahison, et les Genevois, enclins par caractère à la méfiance, saisirent ce prétexte pour incriminer les vues de leur gouvernement. Ils prétendirent le rendre responsable des inégalités sociales et de tous les froissemens d’amour-propre qui en sont la suite. Suivant eux, l’aristocratie usurpait des privilèges intolérables en se consacrant au service du pays avec un désintéressement inaccessible aux classes moins favorisées de la fortune. Ils lui reprochaient à la fois ses mœurs simples, ses principes austères et ses richesses acquises par le travail et l’économie. Une opposition taquine se manifesta d’abord par des caricatures, par des satires mordantes, par des pamphlets propres à réveiller tous les mauvais instincts de la foule. Dans cette guerre dirigée contre les gens du haut, l’envie répandit son venin sur les actes même les plus indifférens. Une parole mal comprise, un salut oublié, la moindre apparence de supériorité hiérarchique, fournirent autant de griefs qu’on exploita pour persuader au peuple qu’il gémissait sous un joug humiliant. Les travers des habitudes sociales furent attribués au régime politique, et la constitution représentée comme un obstacle à l’esprit de concorde qui devait régner entre tous les citoyens.

Quand on en est là, ce n’est plus de simples réformes qu’il s’agit; un bouleversement général paraît seul pouvoir atteindre les abus vrais ou supposés qu’on veut détruire : je dis vrais ou supposés, parce qu’il y en avait des uns et des autres. Dans un pays où l’éducation publique met le développement intellectuel à la portée du pauvre comme du riche, les hautes classes ont tort de tenir trop à des distinctions fondées sur le hasard de la naissance ou sur le caprice de la fortune : il est évident que cette raideur est contraire à leur propre intérêt, puisqu’elles donnent ainsi prise aux accusations perfides et provoquent des haines implacables; mais on ne doit pas oublier non plus combien peu les relations sociales se prêtent à certaines exigences égalitaires et quelles difficultés rencontre sur ce point la volonté même la mieux inspirée. Le ménage universel est une utopie qu’il faut laisser au socialisme; on ne comprend pas d’ailleurs comment un changement constitutionnel produirait ce résultat.

Quoi qu’il en soit, le peuple de Genève, qui passe pour très intelligent, se laissa persuader qu’il était fâcheux d’avoir des magistrats intègres, tenant à l’honneur plus qu’à l’argent, des représentans éclairés, de sages administrateurs, et surtout de les conserver plusieurs années. Il s’éprit d’un bel enthousiasme pour les gros traitemens, pour les élections fréquentes, qui favorisent l’intrigue et l’ambition, pour le suffrage universel direct, qui donne la majorité à la partie la moins instruite de la nation. Le progrès de ces nouvelles tendances put être déjà constaté lorsque en 1834 la tentative des réfugiés italiens et polonais sur la Savoie donna lieu à une manifestation populaire telle que Genève n’en avait pas vu depuis fort longtemps. On craignit un instant qu’elle ne dégénérât en émeute. Le gouvernement toutefois possédait encore l’appui de la grande majorité des citoyens, et l’effervescence fut bientôt calmée.

L’année suivante, la célébration du jubilé de la réforme vint donner un aliment aux querelles religieuses, depuis quelque temps ravivées, soit par l’introduction à Genève du méthodisme anglais, soit par l’humeur militante du curé de la ville, M. Vuarin, chez lequel l’énergie d’un ancien militaire s’unissait à la tactique habile des jésuites. La controverse commença dès lors à se mêler aux questions politiques en les compliquant d’une manière très fâcheuse. C’est sur ce terrain mixte qu’eut lieu en 1837 le premier essai d’émeute. Le gouvernement ayant voulu abolir le jeûne genevois, fête religieuse qui se trouvait remplacée par le jeûne fédéral, célébré dans tous les cantons suisses, les protestans s’émurent de ce qu’ils regardaient comme une atteinte à leurs plus chères traditions. Le 7 septembre, la foule se porta vers les églises, entraînant avec elle les prédicateurs de son choix, exigea qu’elles lui fussent ouvertes, et fit célébrer le service malgré les ordres de l’autorité. Celle-ci, réduite à sévir le lendemain contre un désordre qu’elle n’avait pu empêcher, se contenta de faire interdire la chaire pendant six mois à l’un des pasteurs qu’on accusait d’avoir pris part au mouvement. Cette mesure, aussi malheureuse qu’insuffisante, frappait le membre le plus populaire du clergé protestant et décelait l’impuissance du conseil d’état, qui n’osait mettre en cause les véritables chefs de l’émeute. On semblait craindre d’approfondir les motifs de la sourde fermentation révélée par de tels symptômes.

Quelques mois plus tard, les difficultés qui survinrent entre la France et la Suisse (1838) au sujet du prince Louis-Napoléon contribuèrent encore à raffermir la sécurité trompeuse dans laquelle s’endormait le pouvoir. La seule apparence d’un danger extérieur avait suffi pour rallier tous les citoyens autour de leurs magistrats. En présence de ce réveil du sentiment national, comment croire à l’existence de passions politiques et de haines sociales? L’optimisme est le défaut des gouvernemens paternels ; on se persuada que tout allait pour le mieux, et que si les électeurs ne se présentaient plus au scrutin qu’en fort petite minorité, c’était précisément de leur part une marque de confiance absolue. Aussi les plaintes de l’opposition, loin de rencontrer un meilleur accueil, suscitèrent des débats plus orageux dans le sein des conseils. Ses vœux pour l’institution du jury et pour celle d’une municipalité urbaine furent tour à tour repoussés. A la suite de ces discussions, dans lesquelles d’imprudens orateurs allèrent jusqu’à dire qu’on avait déjà fait trop de concessions, une société politique se constitua dans l’intention d’assurer le triomphe de ce qu’on appela dès lors les intérêts du peuple. Cependant elle ne prit d’autre titre que celui d’association du 3 mars (jour de sa fondation), et parut bien décidée à se renfermer dans la voie légale ouverte aux réformes constitutionnelles; mais le programme s’élargit en raison du nombre des mécontens qui se groupaient autour d’elle. Bientôt ses adversaires purent dire avec assez de justesse qu’elle était l’hôpital des amours-propres blessés. Malheureusement les malades abondèrent dans cet hôpital à tel point qu’en peu de mois ils furent assez nombreux pour tenter ce qui s’appelle en Suisse un putsch, c’est-à-dire une pression sur les dépositaires du pouvoir et sur le corps législatif. Le 22 novembre 1841, la foule assaillit l’hôtel de ville en réclamant une constituante qu’on s’empressa d’accorder à ses vociférations, et qui, quelques semaines plus tard, se mit à l’œuvre. Son travail eut pour objet d’introduire les modifications demandées sans trop changer l’ensemble du système. Elle réduisit le nombre des conseillers d’état de vingt-huit à douze, en élevant leur traitement à 2,000 francs au lieu de 800, divisa le canton en dix collèges électoraux dont quatre pour la ville et six pour la campagne, abolit le cens, institua le jury, et dota la ville d’un conseil municipal élu par les citoyens. La nouvelle constitution semblait ainsi répondre à toutes les exigences que le Trois-Mars avait formulées; mais à son début le suffrage universel trompa l’espoir du parti radical, qui, tout en ayant l’air de ne demander que des réformes, voulait une révolution, dont pour lui le 22 novembre n’était que le prologue. Les conseils sortirent de l’épreuve avec une grande majorité conservatrice, tandis que l’opposition, aigrie par cet échec, jetait le masque et se montrait résolue à recourir aux armes. Alléché par un premier succès, le peuple retrouva ses anciens goûts séditieux. Au mois de février 1843, il essayait de nouveau sa force par une émeute où le sang coula; puis, malgré le bienfait d’une amnistie plus généreuse que prudente, il s’obstina de plus en plus à refuser toute espèce de réconciliation avec le parti, pourtant très libéral, entre les mains duquel le suffrage universel avait remis le pouvoir.

Ce fut le conseil-général qui cette fois servit d’instrument aux agitateurs. Le grand-conseil s’étant prononcé pour de nouvelles tentatives de conciliation avant de déclarer la guerre au Sonderbund, une assemblée populaire s’improvisa sur la place publique, dans le quartier de Saint-Gervais, centre du radicalisme, et se tint en permanence pendant deux jours, à la suite desquels eut lieu le déplorable conflit du 7 octobre 1846, qui porta au pouvoir M. James Fazy. Alors, le conseil d’état ayant abdiqué ses pouvoirs, un gouvernement improvisé dans la rue prit sa place et convoqua les électeurs pour nommer une nouvelle constituante dont la tâche était déterminée d’avance par une proclamation formulant en six ou sept paragraphes les prétendus ordres du peuple. On remania la population électorale, qui fut divisée en trois collèges : ville (environ 29,000 âmes), rive droite du lac (environ 8,000), rive gauche (environ 25,000). Cette division fort inégale avait pour but d’amoindrir l’influence de la ville et de noyer les communes rurales protestantes dans une forte majorité catholique. Le chiffre des membres du conseil d’état fut fixé à sept, et leur traitement à 5,000 fr.; ils devaient être élus pour deux ans par le conseil-général, c’est-à-dire par l’ensemble des électeurs du canton, réunis en un seul collège à la ville. On réduisit également le nombre des députés au grand-conseil ainsi que la durée de leurs fonctions. On étendit le suffrage universel aux assistés ainsi qu’aux faillis, qui en étaient exclus par la constitution précédente. Des fondations créées pour subvenir aux frais du culte protestant furent absorbées par l’état. Enfin jusque dans les moindres détails se manifesta la volonté bien arrêtée de détruire autant que possible les vieilles institutions genevoises.

Les ordres du peuple ainsi formulés n’étaient en réalité que la traduction fidèle des volontés d’un seul homme. M. James Fazy, aristocrate déclassé par une jeunesse orageuse, nourri des doctrines de l’école révolutionnaire cosmopolite, avait très promptement apprécié les ressources que sa ville natale pouvait offrir aux projets des démagogues européens. Il résolut donc de s’en rendre maître, et déploya pour y parvenir des qualités certainement remarquables. Jamais peut-être aucun fauteur de révolution ne fit preuve d’une pareille puissance de sophisme, aucun certes ne montra davantage cet héroïsme de l’audace que rien n’étonne, qui déconcerte ses adversaires à force d’aplomb, et finit par les faire douter d’eux-mêmes. La révolution du 7 octobre 1846, en faisant triompher le programme de M. Fazy, ouvre dans l’histoire de Genève une période qui se continue encore sous nos yeux, et dont il reste à préciser le vrai caractère.


II.

Une révolution ne s’accomplit guère sans être motivée par quelque besoin nouveau qui se trouvait comprimé sous l’ancien ordre de choses. La révolution du 7 octobre 1846 à Genève fut en grande partie le résultat de circonstances tout à fait indépendantes de la volonté de ceux qui la provoquèrent, et les idées démocratiques ne firent que précipiter la marche d’une crise devenue inévitable.

Genève était une ville fermée. Les habitans se trouvaient à l’étroit dans l’enceinte de leurs remparts, et quoique ceux-ci ne pussent être d’une grande utilité pour la défense, on reculait devant l’idée de les abattre, soit par amour des souvenirs qui s’y rattachaient, soit aussi par la crainte de voir augmenter le nombre des citoyens catholiques. Ce dernier motif surtout avait jusqu’alors empêché l’exécution d’une mesure que réclamait impérieusement l’essor du commerce et de l’industrie. A cet égard, le préjugé populaire était d’accord avec les intérêts conservateurs. Aussi la révolution de 1846 s’accomplit-elle au cri de : « A bas les jésuites! » En même temps, par une de ces contradictions étranges auxquelles sont sujets les mouvemens populaires, le premier résultat positif de cette révolution fut d’ouvrir les portes toutes grandes à l’envahissement du catholicisme. L’appât du développement matériel fit taire toute autre considération. L’œuvre s’exécuta sous l’empire d’une espèce de fièvre générale qui ne permettait pas au bon sens de se faire jour. Il y eut même tant de précipitation, que les intérêts administratifs furent complètement mis de côté. Au lieu d’agir en vue des avantages que l’état pouvait retirer d’une opération semblable, on ne songea qu’à la rendre promptement définitive, sans rechercher si des frais immenses ne dépasseraient pas le produit de la vente des terrains.

Quoique fort dispendieuse, cette méthode présentait, à vrai dire, certains avantages, dont le gouvernement sut tirer parti : elle permettait de réaliser tout de suite une partie des améliorations promises. On pouvait offrir au public des plans grandioses et se mettre à l’œuvre sur plusieurs points en même temps. Le peuple, voyant bouleverser les terrains avec tant d’activité, ne douta plus de l’essor merveilleux que Genève allait prendre. Bientôt s’élevèrent comme par enchantement de nouveaux quartiers mieux bâtis que les anciens, de beaux quais et plusieurs édifices publics. L’établissement des chemins de fer vint encore ajouter au prestige de cette rapide métamorphose. Ce fut de tous les côtés à la fois un épanouissement qui doublait presque l’étendue de la ville. On doit reconnaître que les vues du radicalisme étaient en harmonie avec les besoins de l’époque. Profitant de la tendance générale des esprits, le radicalisme s’efforçait d’en faire l’instrument de sa politique, et c’est dans la voie du progrès matériel qu’il voulait gagner ses titres à la reconnaissance. L’idée était ingénieuse assurément. Chez un peuple connu par son aptitude intelligente pour le commerce et l’industrie, elle avait toute chance de réussir. Aussi les résultats obtenus ne sont pas sans importance. Genève est en train de devenir une grande ville; elle offre, à l’extérieur du moins, l’aspect du bien-être et de la prospérité. Sa population s’accroît sans cesse, et les nombreuses maisons qui se construisent sur l’emplacement de ses anciens remparts seront à peine suffisantes pour la contenir. Déjà même on la voit refluer sur les communes voisines, dont elle fait de véritables faubourgs.

Malheureusement les hommes auxquels se trouve confiée la tâche de satisfaire ces aspirations, trop longtemps contenues peut-être, ne possèdent pas toutes les qualités nécessaires pour une entreprise pareille. Leur chef même, très supérieur à tous ses collègues, M. James Fazy, est un révolutionnaire plutôt encore qu’un homme d’état. Pour se soutenir au pouvoir, il continue à se servir des moyens par lesquels il s’en est emparé. L’agitation est son élément, et l’imprévu sa ressource favorite. Personne mieux que lui ne sait exploiter les instincts populaires. Il manie cette arme si dangereuse avec une étonnante dextérité. Aussi douze années de règne n’ont pas usé son influence, et la soumission de ses partisans semble être toujours plus aveugle.

Le système financier inauguré depuis douze ans à Genève ressemble un peu, il faut le dire, à celui du fils prodigue qui s’empresse de dissiper les richesses accumulées par un père avare. Avant 1846, Genève était administrée avec la plus stricte économie. Les budgets annuels se soldaient rarement par de légers déficits, à l’extinction desquels était affecté un fonds de réserve. Si quelque dépense extraordinaire devenait indispensable, on avait soin de la répartir sur plusieurs années successives, afin de ne jamais dépasser les ressources habituelles. Genève possédait un gouvernement à bon marché dans toute l’étendue du terme. Les révolutionnaires de 1846, à peine arrivés au pouvoir, eurent bientôt bouleversé cet ordre de choses. Il leur fallait des serviteurs dévoués, et pour en accroître le nombre ils ne virent rien de mieux que l’attrait de places lucratives. Les fonctions honorifiques durent disparaître, comme essentiellement favorables à l’aristocratie. L’exploitation du crédit public devint le premier objet des réformes radicales. Ce changement nécessitait de lourds emprunts ; mais les impôts, très modiques, restèrent les mêmes, sauf une seule taxe, qui ne pesait que sur la classe riche, et qu’on doubla sans que le peuple s’en émût. Emprunter pour lui faire de belles rues et de belles places, pour lui fournir du travail ou des pensions, c’était une méthode socialiste qui devait lui plaire. Quant au remboursement, il s’en inquiétait, il s’en inquiète encore assez peu. D’ailleurs il n’entend pas beaucoup les questions financières, et ses chefs l’éblouissent par la création de nombreux établissemens de crédit où, suivant le programme, la signature de l’ouvrier prolétaire doit être aussi valable que celle du plus riche capitaliste. Ainsi furent fondées la banque de Genève, la banque hypothécaire, la banque générale suisse, la caisse d’escompte, la caisse centrale de secours. Seulement la pratique ne ressemble pas tout à fait au programme, par la raison fort simple qu’une banque se ruinerait en voulant remplir à la lettre d’aussi absurdes conditions, ou bien serait obligée d’avoir recours aux subventions du gouvernement : triste moyen qui compromet toujours le crédit public[2]. Les résultats d’un tel système ne sont pas de nature à satisfaire beaucoup ceux qui voudraient le juger d’après la balance des chiffres. Le compte général se solde jusqu’ici par un déficit considérable. Loin d’offrir du bénéfice, le nivellement des fortifications absorbe tout le produit de la vente des terrains où l’on s’imaginait trouver une vraie Californie, et les dépenses extraordinaires dépassent chaque année la somme totale des anciens budgets. La question financière est recueil du radicalisme. Sans entrer ici dans d’arides détails, on doit se contenter de résumer en deux mots le bilan de ces douze années. Le 8 octobre 1846, M. James Fazy, s’installant à l’hôtel de ville, trouva 300,000 francs dans la caisse de l’état, qui ne devait rien à personne; aujourd’hui le canton de Genève est grevé d’une dette de 10 millions au moins.

Genève, il est vrai, a des quais magnifiques, un vaste port, une population active et nombreuse. Elle forme sur les deux rives du lac un bel amphithéâtre que rehausse encore la vue des Alpes et de la chaîne du Jura; de nombreux bateaux à vapeur, des barques à voiles latines, des embarcations de toute sorte animent pendant le jour les eaux de son bassin, et le soir, la lumière du gaz s’y reflète en ondulations scintillantes qui produisent des effets admirables. D’ailleurs la vieille cité de Calvin se trouvera bientôt au centre d’un réseau de chemins de fer qui la relieront à la France, à l’Italie, à l’Allemagne par le nord de la Suisse. Déjà les lignes de Lyon et de l’ouest suisse sont ouvertes, et celle d’Annecy va sans doute être construite. On ne peut méconnaître les avantages d’une telle position, surtout lorsqu’ils sont unis à ceux de la liberté. Tout semble promettre à Genève un brillant avenir matériel. Sa bonne renommée, qui, Dieu merci, n’est pas encore tout à fait perdue, favorisera ce nouveau développement, et les dettes du radicalisme seront payées un jour par le travail ou les sacrifices de ceux qu’il accuse d’être les ennemis du peuple. Ce n’est pas là que gît le danger le plus grave. On aura dépensé beaucoup d’argent, contracté beaucoup d’emprunts, rendu très difficile peut-être le rétablissement de l’équilibre dans les finances; mais pourvu que les bonnes traditions du patriotisme se conservent intactes et vivantes, des maux de cette nature ne sont point irréparables. C’est donc l’état moral de Genève qu’il faut maintenant examiner.

La petite république de Genève ne pouvait certainement pas rester en dehors du mouvement général de notre époque. Il fallait, bon gré, mal gré, qu’elle en subît l’influence. Les expédiens révolutionnaires n’ont fait que hâter une métamorphose que le temps aurait nécessairement amenée; mais la violence est mauvaise conseillère, et les peuples ne peuvent pas plus que les individus supporter un changement de régime trop brusque sans en souffrir. A la sage lenteur du progrès régulier ont succédé tout à coup l’audace et l’imprévoyance. On a voulu que Genève rompît subitement avec ses traditions pour se lancer dans les aventures. Comme il arrive d’ordinaire en pareil cas, on est tombé d’un extrême dans l’autre, et le rigorisme un peu exagéré de l’ancien régime a fait place à la licence. On s’est trop souvenu que Genève, avant de devenir la forteresse de la réforme, avait été jadis une ville de plaisir, qu’au XVIe siècle le parti opposé à l’influence du grand réformateur s’appelait le parti des libertins[3]. On oubliait qu’à d’autres époques Genève porta l’austérité même à l’excès. Dans ses efforts pour combattre le débordement des hardiesses philosophiques, elle mit de la raideur, elle apporta souvent une étroitesse de vues peu conciliable avec la doctrine du libre examen. Cela n’étonne pas du reste quand on étudie la puissante organisation, à la fois religieuse et civile, que Calvin avait fondée, un pareil moule peut se briser, mais longtemps encore la société en garde l’empreinte. Le XVIIIe siècle ne réussit pas à l’effacer, et les tendances spiritualistes de Jean-Jacques Rousseau préservèrent sa patrie de l’influence voltairienne. Celle-ci maintenant essaie de prendre sa revanche; mais réussira-t-elle? On peut en douter, si l’on en juge par les étranges moyens qu’elle emploie. Les révolutionnaires qui travaillent à transformer Genève appartiennent à l’école française. L’indifférentisme religieux et le penchant matérialiste sont leurs traits distinctifs, renforcés encore chez eux par des haines personnelles aussi tenaces que violentes. Ils veulent à tout prix faire triompher, non des principes, mais des rancunes; peu leur importe de compromettre les vrais intérêts de la liberté. Le protestantisme, ennemi du joug clérical, favorable aux institutions constitutionnelles, aux mœurs républicaines, prêchant l’amour de l’ordre et le respect de la loi, est un obstacle à leurs projets subversifs, et sans aucun scrupule ils veulent le détruire, au risque de faire ainsi rétrograder Genève. La révolution genevoise ne s’est pas contentée d’une alliance politique avec le parti ultramontain, elle a de plus cherché les moyens d’affaiblir l’église protestante en la privant de ses meilleurs appuis. L’académie d’abord, puis la compagnie des pasteurs, ont été tour à tour en butte aux atteintes du système radical. Ce sont des épisodes d’histoire locale sur lesquels il ne faut pas craindre d’insister.

L’académie de Genève a subi dans son personnel, comme dans son enseignement, de graves modifications. Autrefois la direction des études était confiée au corps enseignant, assisté d’un conseil de l’instruction publique. Maintenant elle se trouve entre les mains d’un conseiller d’état, qui décide en dernier ressort sur toutes les questions. Cette omnipotence est d’autant plus dangereuse qu’avec le suffrage universel il pourrait bien arriver que le conseiller d’état chargé de l’instruction publique fût un homme sans culture, ni scientifique, ni littéraire. Si l’académie de Genève n’a pas perdu tout relief après dix années d’un semblable régime, on peut dire que c’est la force de l’habitude qui domine encore. — dans l’église, on remarque le même phénomène. La nouvelle organisation, établie sur des bases essentiellement démocratiques, n’a pas produit les mauvais résultats qu’on pouvait en attendre. Le suffrage universel appliqué à l’élection des pasteurs donne en général des choix satisfaisans, et le consistoire, issu de la même origine, se distingue par l’esprit de lumière, de tolérance et de piété qui préside à ses délibérations ainsi qu’à ses actes. — Sur ces deux points donc, les efforts du radicalisme ont échoué contre les habitudes, tandis que dans le domaine politique, dès le premier jour, il remportait une victoire complète, en intronisant le droit de la force brutale.

Aujourd’hui même, ces résistances partielles ne modifient point la marche du gouvernement de Genève. Quoiqu’il ait contre lui presque la moitié des électeurs, il repousse toute tentative de conciliation, persiste à se montrer exclusif jusque dans les moindres détails, et poursuit son but avec la plus grande ténacité. L’esprit qui l’anime est une profonde antipathie pour les principes auxquels Genève a dû sa renommée. Ce n’était pourtant pas là ce que voulaient la plupart de ceux qui provoquèrent la révolution de 1846 : ils auraient reculé devant l’idée d’introduire dans leur pays de nouveaux germes d’antagonisme, de discorde et de dissolution; mais une seule volonté règne et gouverne. Le grand-conseil n’a plus guère d’autre mission que d’enregistrer des ordonnances. Chez les partisans du chef, la susceptibilité républicaine a fait place au dévouement monarchique. L’avenir offrirait peu d’espoir, si des symptômes d’un esprit plus sagement libéral ne se montraient dans la cité de Calvin.


III.

L’esprit genevois n’est pas tout à fait mort. On a pu lui porter des coups terribles sans abattre son courage, du moins chez l’élite de la nation. Celle-ci comprend que noblesse oblige, et que son devoir est de maintenir le développement intellectuel et moral qui fit la gloire de Genève. En présence du péril, le zèle s’est réveillé.

Dès 1847, l’opposition conservatrice débuta par user largement des ressources que mettait à sa disposition une entière liberté de la presse. Pendant cinq ou six années, la lutte politique fut très vive, et l’on vit paraître à côté des feuilles locales de nombreux pamphlets, dont plusieurs étaient assez remarquables. Pour les publicistes genevois, auxquels manquent en général les qualités de l’écrivain, la passion est un stimulant précieux. Dans l’ardeur de la polémique, ils s’abandonnent plus que de coutume, et montrent souvent une verve spirituelle et piquante. Il est malheureux que cette verve ne sache pas se contenir. Quand un sujet préoccupe l’attention publique, il n’est guère de classe de la société qui ne soit plus ou moins atteinte de la fièvre d’écrire. Ce n’est du reste point là un fait nouveau. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le chef des natifs, Isaac Cornuaud, simple ouvrier horloger d’abord, puis teneur de livres, publiait une brochure presque chaque jour. La collection de ses pamphlets forme cinq gros volumes in-8o, et de plus il a laissé dix volumes in-4o de manuscrits relatifs aux affaires de son temps. Les Genevois d’aujourd’hui ne le cèdent pas sous ce rapport à ceux du XVIIIe siècle, à en juger par le nombre des brochures, chansons et caricatures publiées surtout dans les années 1847, 1848 et 1849. Si la plupart valent mieux par le fond que par la forme, quelques-unes cependant ont un vrai mérite littéraire. On peut citer par exemple celles du docteur Baumgartner, ancien membre de l’association du 3 mars, qui, après la révolution de 1846, rompit avec le parti radical et se rangea bientôt parmi ses plus ardens adversaires. C’est un rude jouteur, dont la plume a le tranchant de l’acier. Il saisit corps à corps le chef du radicalisme, dévoilant ses faiblesses, et perçant à jour sa politique avec une impitoyable ironie. La passion, qui le domine souvent, éclate en saillies vraiment originales. Chez lui, pensée et style sont fortement empreints du cachet genevois, mais il y joint la vivacité de l’esprit français. Ses pamphlets, où le sarcasme et les personnalités abondent, obtinrent beaucoup de vogue, et contribuèrent à réveiller l’esprit national, en combattant les tendances cosmopolites qui semblaient vouloir faire de Genève le centre de la propagande révolutionnaire. Un autre écrivain non moins éminent, l’auteur anonyme des Épanchemens d’un homme d’état, eut l’idée fort ingénieuse de mettre en scène le dictateur lui-même, exposant à l’un de ses intimes les secrets de sa tactique. Il sut avec une rare sagacité jalonner en quelque sorte d’avance la route qu’allait suivre le radicalisme.


« Souvenez-vous (faisait-il dire à l’homme d’état) que la plus précieuse de nos ressources, c’est que nous disposons des places et de l’argent, de l’argent et des places. Or nous sommes dans une situation particulièrement favorable pour tirer de cet énergique levier toute la force qui est en lui. En répudiant et en stigmatisant comme une tradition surannée de l’aristocratie le dévouement désintéressé, en posant comme un principe dont il faut tirer gloire que l’argent est un mobile démocratique, nous avons donné au système radical un admirable point d’appui, nous avons déblayé et facilité sa marche...

« Le nerf d’un gouvernement est dans sa caisse ; les hommes, comme les animaux de basse-cour, sont toujours prêts à reconnaître pour maître celui de qui ils attendent la pâtée. Pour gouverner, il ne faudrait à la rigueur qu’une chose, une seule chose : avoir beaucoup d’argent et savoir s’en servir. Dépenser, dépenser beaucoup, dépenser encore, dépenser toujours, tout est là!...

« Un avantage accessoire d’un large emploi des fonds de l’état serait encore de rendre la place intenable pour d’autres que nous, car l’aristocratie bourgeoise et financière se croit perdue dès que son coffre ne regorge pas, ou, pour parler son langage pédantesque, dès que les services ne sont pas assurés pour six mois au moins à l’avance... »


Voilà pour les finances, voici pour le mécanisme électoral :


« Le vrai régime démocratique, tel qu’il doit être compris et pratiqué pour que le pays marche sans heurt et sans secousse, est celui où tout est disposé de manière que les élections soient en fait dans la main du gouvernement, ou, pour mieux dire, du chef du gouvernement. Dès lors tout se réduit pour celui-ci à composer convenablement sa liste de députés...

« Après avoir prélevé quelques billets de faveur pour les gens envers qui vous avez contracté des obligations que vous ne pourriez reconnaître autrement, formez le gros de votre liste d’hommes notoirement nuls au point de vue du talent et de l’instruction, habitués à ne voir que par vos yeux et à ne jurer que par votre nom !... »


Enfin le socialisme, ce danger qui, dit-on, menace surtout les gouvernemens populaires, n’est pour le radicalisme qu’une arme de plus.


« C’est lui qui a fait jusqu’ici notre force et nous a valu notre succès ; c’est lui qui est au fond de toutes les agitations, de toutes les insurrections, de toutes les révolutions radicales : il en est l’âme, le foyer; il est le grand ressort de la montre dont nous sommes, nous, le balancier régulateur...

« Le socialisme ne pourrait se passer de nous; seul et livré à lui-même, il n’a pas de chance de succès; il ne peut exister dans sa nudité, et l’on reculera toujours d’effroi devant les conséquences rigoureuses de son principe. Oui, mon cher, appelez cela un paradoxe si vous le voulez, mais j’estime que la faiblesse du socialisme vient précisément de ce qu’il a un principe et qu’il l’affiche. « N’en proclamer aucun, s’abstenir soigneusement de rien formuler, telle est au contraire une des causes de l’ascendant du radicalisme. Son précieux scepticisme lui permet d’aller où il veut, de ne traiter en ennemi que ce qui lui résiste, de se faire des armes de tout, comme aussi de prendre des alliés partout...

« Au moyen de quelques concessions, qui porteront d’abord sur le droit au travail et ses applications pratiques, sur la propriété, sur l’hérédité, sur les impôts ; au moyen de la démolition des institutions préexistantes, au moyen surtout de l’hostilité qui ne cessera de régner entre lui et la classe aisée et bourgeoise, un gouvernement radical, pour peu qu’il soit habile, se maintiendra favorable l’élément socialiste...

« Le socialisme est un auxiliaire, un pourvoyeur du radicalisme; il ne saurait devenir son rival. L’un n’est que le bras, l’autre sera toujours la tête. »


Ces prévisions, qui datent de 1849, se sont pleinement réalisées. On a multiplié les places, et de plus établi des ateliers nationaux. Les travaux publics offraient un moyen d’influence électorale dont le nouveau régime s’est habilement servi pour se créer des partisans. Une organisation très serrée tient le suffrage universel dans la dépendance de quelques hommes dévoués au chef, et quand cela ne suffit pas, on a recours à la menace, au tumulte, à la violence même, pour intimider le parti contraire. En 1849, et plusieurs fois depuis, les élections ont été troublées par des scènes déplorables. Quant au dédain des principes, les prévisions du publiciste anonyme sont encore dépassées. On suit une politique d’expédiens, qui n’a d’autre règle que l’intérêt du jour. Ce sera tantôt la liberté poussée jusqu’à la licence, tantôt des tendances tout opposées et non moins extrêmes. Le seul trait qu’on y retrouve infailliblement est une intention bien arrêtée d’étendre autant que possible l’action du pouvoir. On incline ainsi vers le socialisme juste assez pour s’assurer son appui, en ayant soin de ne lui faire de concessions qu’aux dépens des conservateurs. Les Épanchemens d’un homme d’état résument donc très fidèlement l’histoire des dix années qui viennent de s’écouler. Aussi resteront-ils comme le plus brillant spécimen de la polémique genevoise, dont au reste les productions même les plus médiocres décèlent une aptitude générale à discuter les questions législatives et administratives. On y voit combien l’éducation républicaine familiarise tous les citoyens avec les intérêts de la chose publique. Malheureusement elle ne réussit pas de même à les mettre en garde contre les dangereux appâts du sophisme, et le peuple genevois se montre plus que d’autres accessible à ce genre de séduction.

La guerre de plume eut pour résultat d’aigrir de plus en plus les esprits. Quelques scènes de violence, qui signalèrent les élections de 1849, vinrent démontrer que, sur le terrain de la politique, toute tentative de rapprochement était inutile. Le radicalisme afficha très ouvertement l’intention d’escamoter à son profit le suffrage universel, ou de le fouler aux pieds toutes les fois qu’il ne lui serait pas favorable. Ses adversaires comprirent alors la nécessité de le combattre par d’autres moyens et d’opposer à l’influence du pouvoir gouvernemental celle des associations privées. C’est ainsi que, l’académie de Genève paraissant menacée, on s’empressa de jeter les bases d’un établissement rival destiné à la remplacer, s’il en était besoin. Des souscriptions volontaires soutinrent pendant plusieurs années un gymnase libre, où les jeunes gens pouvaient faire leurs études préparatoires pour le baccalauréat, soit ès-lettres. soit ès-sciences. La rapidité avec laquelle cette concurrence se forma et l’action qu’elle eut bientôt sur l’enseignement académique prouvent combien Genève est riche en ressources intellectuelles. Une fois cependant le but atteint, c’est-à-dire l’académie réorganisée de manière à dissiper toute inquiétude sur son existence, le gymnase libre se ferma volontairement, car l’opposition n’avait eu d’autre objet que d’assurer le maintien de cette antique et féconde institution nationale dont les Genevois peuvent être fiers à juste titre.

Le passé de l’académie de Genève donne une haute importance au mouvement qui avait pour but de la maintenir sous une forme nouvelle. Ce fut Calvin qui la fonda. Son puissant génie organisateur avait bien compris que là devait se trouver le moyen d’influence le plus sûr et le plus durable. Ayant surtout en vue les besoins de l’église réformée, il n’institua que quatre chaires : une de théologie, confiée à Théodore de Bèze; une d’hébreu, dont le titulaire devait consacrer quelques heures par semaine à l’exégèse de l’Ancien Testament; une de philosophie, qui se bornait aux élémens des sciences avec un peu de rhétorique et de dialectique; enfin une de belles-lettres, qui avait pour objet principal l’enseignement du grec. Après la mort de Calvin, et pour accomplir ses derniers vœux, Théodore de Bèze obtint la création d’une école de droit, sur laquelle deux Français distingués, Bonnefoy et Hotman, répandirent dès l’origine un certain éclat. Cette académie naissante ne tarda pas à se développer, grâce aux efforts de professeurs éminens qu’elle sut attirer, ou qui se formèrent dans son sein. Joseph Scaliger, Isaac Casaubon, Jacques Godefroy, J. Leclerc, Alphonse Turrettini, établirent sa renommée sur des bases solides, et durant le XVIIIe siècle l’essor de la philosophie et des sciences physiques y trouva de précieux auxiliaires dans les Charles Bonnet, les Cramer, les Prévost, les Pictet, les Jalabert, les de Saussure, etc. Le goût de l’étude fut comme une espèce de patrimoine qui se transmettait de père en fils dans les familles aristocratiques. On voyait souvent les plus hautes charges de l’état occupées par des professeurs de l’académie, qui n’en continuaient pas moins à donner leurs leçons, car ils sentaient vivement combien il importait à Genève de conserver un lustre scientifique et littéraire qui lui assurait l’estime des souverains étrangers. En effet, c’est ainsi que la petite république parvint à neutraliser l’action de ses nombreux ennemis. Elle trouva plus d’une fois des protecteurs soit dans le monde savant, soit chez les familles nobles ou princières dont les fils étaient venus profiter des ressources de son instruction publique. Parmi les instituteurs, les ministres, et même les négocians qu’elle fournissait en abondance aux autres pays, il se rencontrait aussi parfois des hommes d’un talent supérieur, qui, s’élevant à de hautes positions, purent la servir utilement. Cette ville hospitalière, dotée d’institutions sages et libérales, féconde en citoyens intelligens, actifs, probes et dévoués, qui, par leurs entreprises ou leurs écrits, faisaient connaître son nom de la manière la plus honorable dans toutes les contrées du monde, s’était acquis certainement des droits au respect. On ne peut nier la valeur de titres pareils, et dans plusieurs circonstances Genève leur dut son salut; elle leur dut notamment la bienveillance des souverains au congrès de Vienne, où Capodistrias put parler de la petite république comme d’un grain de musc parfumant l’Europe. A l’intérieur, l’académie genevoise rendit des services non moins précieux. Elle favorisa l’instruction populaire, cet élément indispensable de la vie républicaine. Sous son influence, on vit se répandre dans tous les rangs de la société genevoise une culture intellectuelle qui partout ailleurs n’existe guère que chez les hautes classes. On se rappelle que Rousseau dit, en parlant de son père : « Je le vois encore, vivant du travail de ses mains et nourrissant son âme des vérités les plus sublimes. Je. vois Tacite, Plutarque et Grotius mêlés devant lui avec les instrumens de son métier. »

Quoique les tendances studieuses de Genève ne soient plus tout à fait ce qu’elles étaient autrefois, ces paroles peuvent encore trouver leur application parmi les ouvriers de la fabrique d’horlogerie. Les élémens étrangers dont cette population se recrute sans cesse apportent sans doute avec eux d’autres mœurs et d’autres habitudes; mais le caractère national résiste cependant et montre encore une force d’assimilation très remarquable. Il semble que souvent l’admission à la bourgeoisie ait pour effet de transformer le candidat d’un jour à l’autre. Hier il était Allemand, Italien, Hongrois, Polonais; aujourd’hui c’est un fervent citoyen genevois. Aussi le radicalisme a-t-il commis une grave erreur en voulant détruire ce qu’il appelait des nids d’aristocratie, c’est-à-dire les hautes études, pour ne laisser debout que l’enseignement primaire. On l’a d’abord applaudi, parce qu’il ouvrait des écoles gratuites et que le peuple aime assez ce qui ne lui coûte rien; mais bientôt la réflexion est venue dissiper l’enthousiasme. Les parens ont compris qu’au lieu de l’égalité qu’on prétendait atteindre, l’unique résultat de cette mesure serait d’interdire les professions libérales à tous ceux qui ne possèdent pas une fortune suffisante pour envoyer leurs fils étudier hors du pays. Dès lors la réaction devint manifeste. Plusieurs sociétés de jeunes gens prêtèrent leurs salles pour des cours littéraires ou scientifiques. Les conférences religieuses, les séances d’histoire, les lectures instructives se multiplièrent, et partout l’affluence des auditeurs fut telle que le gouvernement ne tarda pas à s’apercevoir qu’il avait fait fausse route. Inquiet du parti que ses adversaires pouvaient tirer de son erreur, il changea de tactique, abandonna ses projets contre l’académie, maintint l’école de droit, dont la suppression était à peu près décidée, et résolut à son tour de faire donner des cours publics le soir dans une salle de l’hôtel de ville. Ainsi la tentative dirigée contre l’instruction supérieure aboutit au contraire à l’établissement d’une espèce de succursale, excellente pour populariser la culture des sciences et des lettres.

Un second fait non moins frappant que la réaction intellectuelle, c’est la réaction morale, c’est le réveil du protestantisme. Genève n’avait pas pu se garantir tout à fait des atteintes de l’indifférence religieuse propagée par le XVIIIe siècle. Elle était restée moins incrédule que ses voisins, mais sans arborer franchement non plus le drapeau de la foi. Le rigorisme calviniste, tombé en désuétude, n’avait plus l’appui du pouvoir civil, et l’autorité ecclésiastique trouvait peu d’écho dans l’opinion. La plupart des partisans de l’ancienne orthodoxie se ralliaient de préférence autour des petites communautés libres établies par le méthodisme anglais. C’était une nouvelle cause de divisions et de querelles. On peut dire qu’elle contribua presque autant que la politique à créer entre les citoyens des antipathies et des préventions déplorables. Le bouleversement révolutionnaire eut pour première conséquence de faire cesser de tels débats. Pour résister à la tempête, on mit de côté l’orgueil de secte, et, sauf de rares exceptions, le parti conservateur se trouva bientôt plus uni qu’il ne l’avait été depuis fort longtemps. Cette paix s’est consolidée davantage encore devant l’alliance des radicaux avec les ultramontains. Son caractère, d’abord essentiellement politique, a fini par être plutôt religieux. La nouvelle organisation de l’église protestante étant fondée sur le suffrage universel, sa cause devient celle du peuple. D’ailleurs jusqu’en 1815 protestantisme et nationalité se confondaient chez le Genevois dans un même sentiment, plus ou moins éclairé, mais très vif et très tenace, que l’adjonction de quelques communes catholiques n’a pu détruire.

Au sein même du parti radical, la question confessionnelle suscite donc encore bien des difficultés. On redoute les tendances ultramontaines, et l’on a raison. Quand elles se laissent voir trop à découvert, le mécontentement éclate aussitôt. Sur ce point, l’autorité du dictateur a déjà subi plusieurs échecs. Genève n’entend pas perdre son titre de ville protestante ; elle veut la liberté des cultes, la tolérance pour tous, et non la suprématie d’un clergé quelconque. Or, par les traités de 1815, la position des catholiques est tout à fait privilégiée dans le canton de Genève. Les communes détachées de la Savoie ne sont point soumises, en ce qui concerne les naissances, les mariages et les décès, au régime de l’état civil ; elles conservent de droit la majorité catholique dans leurs conseils municipaux ; elles peuvent interdire la construction de temples protestans sur leur territoire ; enfin l’organisation de leur église demeure exactement ce qu’elle était avant le triomphe de la démocratie, c’est-à-dire fort indépendante soit du peuple, soit du gouvernement. Le système électoral et l’esprit de tolérance qui règne aujourd’hui leur assurent de plus une grande part dans la direction des affaires publiques. Elles ne sauraient donc avoir aucun grief légitime, et tout semble leur prescrire, sinon la reconnaissance, du moins l’oubli des vieilles animosités. Cependant Rome ne se tient pas encore pour satisfaite. Peu lui importe d’entretenir la discorde et de compromettre les intérêts du pays. L’organe de ses prétentions les exprime avec une audace imprudente. En présence du péril qui menace la plus précieuse des libertés, celle de la pensée, les querelles intestines cessent, les ressentimens se taisent : on ne songe plus qu’à sauver une conquête si chèrement achetée, si vaillamment défendue pendant trois siècles.

Évidemment ici les efforts du radicalisme n’ont pas atteint leur but. Genève garde son cachet traditionnel, l’esprit de lumière et d’examen, contenu dans de sages limites. Ses écrivains sont fidèles aux convictions spiritualistes de leurs devanciers, et l’essor intellectuel conserve en général une activité non moins saine que féconde. On doit pourtant redouter l’abaissement du niveau moral. C’est un résultat presque inévitable des principes démocratiques poussés à l’extrême. Le peuple souverain a des préjugés, des passions, des caprices ; il fait les lois, et s’il ne lui plaît pas de les suivre, qui pourra l’y contraindre ? Jaloux du pouvoir, il refuse au gouvernement les moyens de répression nécessaires. La police est impuissante, à moins que les citoyens ne la fassent eux-mêmes, et l’on peut craindre que chez eux les notions de droit et de justice ne soient profondément altérées par l’esprit de parti. La haute direction que le gouvernement devrait conserver à cet égard risque ainsi d’être abandonnée à tel ou tel club politique, formé pour agir dans les élections, mais qui, bientôt exalté par ses victoires sur ce terrain, prétend régenter l’état, et devient un auxiliaire fort incommode. N’osant rompre avec lui, le pouvoir s’en sert comme d’un instrument, afin d’obtenir par voie indirecte les effets de l’intimidation dans certains cas où il serait dangereux de l’exercer d’une manière plus franche. Des assemblées tumultueuses, des banquets, des menaces, quelquefois même des pressions effectives qu’il désavoue, mais ne prévient ni ne réprime, lui permettent d’atteindre le but sans trop se compromettre. Ce sont là des armes fort dangereuses, car, une fois l’impulsion donnée, on a bien de la peine à contenir la multitude mise en mouvement, et le sort de presque toutes les révolutions est de se voir débordées par ces auxiliaires incommodes. Ici surtout éclate l’habileté du maître, qui sait user tour à tour d’audace, de fermeté, de faiblesse, de ruse ou de franchise, suivant que les circonstances l’exigent. Il faut que sa volonté paraisse toujours d’accord avec celle du peuple; c’est la condition .essentielle du succès. Pourvu qu’il la remplisse, peu importe le reste : des fautes qui pour d’autres seraient fatales passent inaperçues, la démagogie s’incarne en lui, et dès lors accepte la responsabilité de tous ses actes. Il peut sans scrupule faire bon marché des principes, se retourner, se démentir ou se rétracter avec l’aisance la plus dégagée; les contradictions ne l’embarrassent guère, et son autorité n’en est point compromise. Un pareil homme d’état offrirait vraiment le type du dictateur populaire, dont l’œuvre la plus difficile est de garder entre ses mains un pouvoir qui dépend des caprices de la foule inconstante et passionnée.

Cependant on s’étonne de voir le régime radical, après douze ans de règne, recourir encore à de tels moyens révolutionnaires. Cela paraît d’autant plus étrange que, soit lassitude, soit découragement, l’agitation politique tend chaque jour davantage à se calmer. C’est donc faire de l’anarchie mal à propos, et risquer de produire une réaction qui ne serait certainement pas favorable au radicalisme. En effet, des habitudes de liberté qui datent de trois cents ans ne peuvent être supprimées tout à coup. Si le pouvoir manque d’énergie, les citoyens y suppléeront; mais à coup sûr la violence ne triomphera pas : l’esprit républicain est encore trop vivace. Il réagira tôt ou tard contre la tendance radicale, qui poursuit à la fois deux buts également funestes pour les intérêts de la liberté. En effet, d’une part elle affaiblit l’autorité morale du gouvernement par son penchant à se mettre au-dessus de la loi, tandis que de l’autre elle incline de plus en plus vers le despotisme et l’arbitraire. Cette dernière tendance s’est révélée par des faits malheureusement incontestables. Il suffit de citer l’établissement d’une maison de jeu, formellement interdit par les prescriptions du code français, qui sont encore en vigueur dans le canton de Genève, l’insouciance trop cavalière avec laquelle la chancellerie laisse en arrière de deux ans au moins la publication du recueil officiel des lois, les empiétemens de pouvoir auxquels ont été tour à tour en butte l’ordre des avocats[4], la société des arts[5], la faculté de médecine[6], etc., enfin les dispositions peu bienveillantes du gouvernement vis-à-vis des autorités fédérales. Sur ce dernier point encore, le radicalisme fait certainement fausse route. L’esprit suisse a trop profondément pénétré dans la population genevoise pour qu’il soit possible de le déraciner. L’admirable élan national provoqué par les menaces de la Prusse en janvier 1857 ne laisse aucun doute à cet égard. La vieille république s’est ralliée de cœur au régime fédéral malgré ses imperfections; elle comprend que là se trouvent pour elle les meilleures garanties d’indépendance et de sécurité. Les souvenirs de son passé comme les intérêts de son avenir lui font un impérieux devoir d’être suisse avant tout, et c’est d’ailleurs la réalisation d’un vœu qui fut dès le XVIe siècle celui de ses citoyens les plus dévoués. Elle a droit aussi d’exercer sa part d’influence dans les conseils de la commune patrie, et ne saurait renoncer pour toujours au rôle honorable que jouèrent pendant nombre d’années ses députés à l’ancienne diète. Déjà les autres cantons demandent avec inquiétude ce que sont devenues les lumières et les traditions de la cité qui produisit jadis tant d’hommes éminens. Ils déplorent cette apparente décadence morale, et devant l’opinion presque unanime de leurs organes de toutes les nuances, il semble impossible qu’un salutaire réveil se fasse attendre longtemps encore.

Genève doit sans doute se résigner désormais aux inconvéniens de la démocratie. Elle est forcée de subir toutes les éventualités. du suffrage universel, et ne peut songer au rétablissement de ses anciennes institutions. La seule espérance raisonnable qui lui reste est de combattre l’action des élémens étrangers dont elle est inondée par la même énergie persévérante contre laquelle vinrent échouer jadis les efforts de ses ennemis extérieurs. Une révolution aussi complète que la sienne, quels que soient les motifs qui lui ont servi de prétexte, a ses causes premières dans les besoins de l’époque. Tout en repoussant l’invasion de la licence et des doctrines subversives, l’emploi funeste du mensonge et du sophisme, il faut reconnaître que les conditions qui firent prospérer jadis la petite cité calviniste ne sont plus compatibles avec le développement matériel dont aujourd’hui l’essor impérieux ne souffre guère de résistance. Quant à ce qui concerne le domaine moral, ne serait-ce pas faire injure au principe du libre examen que de le croire impuissant à supporter le régime de la tolérance et de la libre discussion? Au contraire on peut dire qu’il sortira vainqueur de cette nouvelle épreuve, pourvu qu’il l’accepte résolument et sache maintenir son indépendance envers et contre tous.

Jusqu’ici le parti conservateur est resté compacte. Ses échecs successifs ne l’ont point désorganisé. Il compte à peu près toujours le même nombre de voix dans le pays, et la génération qui s’élève, moins imbue des préventions et des rancunes suscitées par la lutte, lui sera plutôt favorable. Probablement donc une réconciliation s’opérera plus tard sur le terrain de la vraie liberté, dégagée de l’alliage impur que lui impose le radicalisme. Sans nier l’imminence du danger présent, on peut attendre des jours meilleurs. Le peuple genevois, malgré tous ses défauts, offre à l’observateur attentif quelques signes rassurans. L’amour du travail, le respect de l’honnête et du juste, les idées morales et religieuses, y comptent de très nombreux adeptes. Quand on songe aux circonstances qu’il a traversées, à l’action exercée sur lui par tant d’influences extérieures, aux réfugiés de toute sorte que le cataclysme de 1848 a jetés dans son sein, on est plutôt surpris que sa nationalité n’ait pas complètement disparu. Il ne faut pas oublier non plus que Genève est dans une période de transition, où le mal et le bien se confondent, où l’impatience des uns et la résistance des autres empêchent le progrès de suivre tranquillement sa marche régulière. Les principes qui firent l’honneur et la durée de l’ancienne république protégeront aussi son avenir. Le roc de Genève, où, suivant l’expression de M. Michelet, l’âpre génie de Calvin fixa la réforme, a éprouvé une de ces tempêtes qui soulèvent les flots de l’océan et font monter à la surface les impuretés cachées dans ses profondeurs. L’eau se retire en déposant un noir limon sur les riches campagnes naguère couvertes de récoltes abondantes, les conquêtes faites par le travail sur un sol ingrat semblent perdues; mais le roc demeure solide sur sa base, inaltérable dans sa forme, et la population réfugiée sur son sommet reprend déjà courage. Elle se met à l’œuvre de nouveau, et place encore une fois son espoir dans les principes de l’éternelle vérité.


J. CHERBULIEZ.

  1. Œuvre du savant professeur Bellot.
  2. Deux ou trois fois déjà le grand-conseil a voté des prêts de ce genre, dont la conséquence la plus directe est d’habituer la classe ouvrière à compter sur les secours de l’état. On entre de cette manière dans la voie du socialisme, on ouvre la porte à des appétits dévorans, et, si les habitudes traditionnelles neutralisent en partie l’effet de si funestes mesures, ce n’en est pas moins une grave atteinte portée à la fierté républicaine qui jusqu’alors avait distingué le caractère genevois. Il y a de plus un autre péril : la confiance dont Genève jouit dans le monde financier est encore intacte ; mais ne pourrait-elle pas finir par être ébranlée, surtout s’il arrivait une de ces crises dans lesquelles on voit souvent les entreprises les mieux conçues et les plus prudentes faire naufrage ?
  3. Il est vrai qu’alors ce nom désignait plutôt les défenseurs de la liberté contre les prétentions de Calvin.
  4. Pour exercer les fonctions d’avocat, un examen de capacité n’est plus obligatoire; il suffit d’avoir vingt-cinq ans et de prêter au conseil d’état le serment d’homme de loi.
  5. Le gouvernement s’est emparé de la direction du musée Rath malgré l’intention formelle du donateur, qui l’avait confiée à la société des arts.
  6. Sous l’ancien régime, il fallait, pour exercer la médecine, subir un examen devant la faculté : aujourd’hui c’est le gouvernement qui donne l’autorisation nécessaire.