Germinie Lacerteux/LVIII

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Charpentier (p. 237-239).
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LVIII.


Deux ou trois jours après cette nuit passée sous la pluie, Germinie avait un visage effrayant de souffrance, le teint marbré, les yeux brûlants. Elle ne disait rien, ne se plaignait pas, faisait son service comme à l’ordinaire.

— Ah çà ! toi, regarde-moi donc un peu, lui dit mademoiselle ; et l’attirant brusquement au jour :

— Qu’est-ce que c’est que ça ? cette mine de déterrée-là ? Allons, voyons, tu es malade ? Mon Dieu ! as-tu chaud aux mains !

Elle lui prit le poignet, et lui rejetant le bras au bout d’un instant :

— Comment, chienne de bête ! tu as une fièvre de cheval ! Et tu gardes ça pour toi !

— Mais non, mademoiselle, balbutia Germinie. Je crois que c’est un gros rhume, tout bonnement… Je me suis endormie, l’autre soir, la fenêtre de ma cuisine ouverte…

— Oh ! toi, d’abord, reprit mademoiselle, tu crèverais que tu ne ferais pas seulement : Ouf ! Attends…

Et, mettant ses lunettes, roulant vivement son fauteuil à une petite table auprès de la cheminée, elle se mit à écrire quelques lignes de sa grosse écriture.

— Tiens, fit-elle en pliant la lettre, tu vas me faire le plaisir de donner cela à ton amie Adèle pour le faire porter par le portier… Et maintenant, à la paille !

Mais Germinie ne voulut jamais aller se coucher. Ce n’était pas la peine. Elle ne se fatiguerait pas. Elle resterait assise toute la journée. D’ailleurs, le plus fort de son mal était passé ; elle allait déjà mieux. Et puis le lit, pour elle, faisait mourir.

Le médecin, appelé par le mot de mademoiselle, vint le soir. Il examina Germinie et ordonna l’application de l’huile de croton. Les désordres de la poitrine étaient tels qu’il ne pouvait encore rien dire. Il fallait attendre l’effet des remèdes.

Il revint au bout de quelques jours, fit coucher Germinie, l’ausculta longuement. — C’est prodigieux, dit-il à mademoiselle quand il fut redescendu, elle a eu une pleurésie, et ne s’est pas alitée un moment… C’est donc une fille de fer ?… Oh ! l’énergie des femmes !… Quel âge a-t-elle ?

— Quarante-et-un ans.

— Quarante-et-un ans ? Oh ! c’est impossible !… Vous êtes sûre ? Elle en paraît cinquante…

— Ah ! pour paraître, elle paraît tout… Qu’est-ce que vous voulez ? Jamais de santé… toujours à être malade… des chagrins… des misères… et puis un caractère à se tourmenter toujours…

— Quarante-et-un ans ! c’est étonnant ! répéta le médecin. Il reprit après une seconde de réflexion :

— Y a-t-il eu dans sa famille, à votre connaissance, des affections de poitrine ? A-t-elle eu des parents qui soient morts…

— Elle a perdu une sœur d’une pleurésie… mais elle était plus âgée… Elle avait quarante-huit ans, je crois…

Le médecin était devenu sérieux. — Enfin, la poitrine se dégage, dit-il d’un ton rassurant. Mais il est de toute nécessité qu’elle se repose… Et puis envoyez-la-moi une fois par semaine… Qu’elle vienne me voir… Qu’elle prenne pour cela un beau temps, un jour de soleil.