Gondokoro, esquisse de voyage au Nil Blanc

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GONDOKORO,

ESQUISSE D’UN VOYAGE AU NIL BLANC.

PAR M. G. LEJEAN[1].
1861. — TEXTE INÉDIT.


Le 22 janvier 1861, vers une heure après midi, comme je regardais avec un peu d’ennui les berges presque nues du Nil Blanc, chez les Bary, un de mes Nubiens cria : El kenisé ! (l’église !) Je sortis vivement de ma cabine, et, à travers une pluie fine qui couvrait d’une gaze légère les savanes du sud, je distinguai au delà d’une riche plantation un grand bâtiment à toiture rouge, qui ressemblait assez à une usine ou à une belle ferme des environs de Nantes. C’était la mission autrichienne de Gondokoro.

Ce nom parlait à mon imagination avec une force inexplicable. Dans dix ans d’ici, sans doute, ce sera un nom vulgaire comme tel village de la Nubie ou de la Guinée ; mais aujourd’hui, comme il y a deux ans, il représente la limite du monde connu de ce côté : au delà, tout était inconnu, sauvage et formidable. J’eus un serrement de cœur violent. Jusque-là, j’avais voyagé dans des conditions normales et prévues, comme un homme qui va à Odessa ou à Singapore ; dans deux heures, j’allais me trouver en face du problème que je venais aborder au prix de tant de luttes et de dangers. C’était avec une sorte de fièvre que mes regards cherchaient à percer l’horizon noyé de brumes par delà Gondokoro, à découvrir la cime quasi-fabuleuse du mont Redjef.

Cependant la barque avançait. Ulibo montrait sur la gauche ses cabanes groupées sur un petit tertre découvert. Un nègre vint à mon bord : c’était un Bary de près de six pieds, fait comme tous ses compatriotes, un véritable Apollon. Le drogman, qui le connaissait, me dit : « C’est homme très comme il faut, et il ne ressemble pas aux autres nègres qui sont devenus mendiants depuis qu’ils fréquentent les blancs. Vous serez content de lui. C’est le chef des forgerons d’Ulibo ; la moitié du village est à lui. »

L’homme entra dans ma cabine et sans façon demanda un verre d’eau-de-vie. Je lui en fis servir un grand verre, qu’il avala d’un trait. Je crus qu’il allait tomber à la renverse, car la liqueur était très-forte et aurait grisé deux des plus forts ivrognes de France ; mais le nègre ne sourcilla pas. Je lui demandai des nouvelles du fameux Nikla, que la plupart des voyageurs ont appelé Niguelo, et qui est bien connu par le livre de Brun-Rollet ; il était devenu l’intermédiaire entre les Bary et les blancs qui remontaient le fleuve. Mon nègre, dont j’ai oublié le nom (un nom en a, qui me parut harmonieux), aspira une énorme bouffée de son calumet, et sans me regarder me dit à peu près ceci :

« Ah ! vous connaissiez Nikla ? Nikla était un homme d’esprit, mais décidément il ne savait pas son métier de sorcier. Voilà cinq ans que la pluie ne tombe pas chez nous ; nous mourons de faim. On a demandé de la pluie à Nikla : il en a promis, il s’est fait donner des bœufs, et malgré ses sortiléges la pluie n’est pas venue. On s’est fâché ; alors Nikla a pris son fusil, a menacé de tuer tout le monde ; il a fallu le laisser tranquille. Cela est arrivé l’an dernier pour la troisième fois ; alors on a perdu patience ; on a fendu le ventre à Nikla, et on l’a jeté au fleuve. Il ne se moquera plus de nous. C’est mon père qui a fait le coup, et alors il a pris tout à fait sa place, il est koudjour (sorcier) et chef de Belegnân.

— Et il ne craint pas qu’on ne lui fende le ventre quelque jour ?

— Oh ! il n’y pas de danger. Mon père est un habile homme, un vrai sorcier, et moi aussi. Voulez-vous me voir avaler du feu ? Passez-moi des charbons ardents. »

Et il exécuta devant moi ce tour assez vulgaire, visiblement mortifié de mon peu d’admiration. Je me débarrassai de lui le plus tôt que je pus, et je dis au drogman :

« Voilà donc votre galantuomo ?

— Ah ! monsieur, me dit le drogman penaud, il n’était pas comme cela il y a cinq ans. Comme ces messieurs l’ont changé ! »

Ces messieurs, c’étaient les nouveaux seigneurs de Gondokoro, les hauts et puissants négriers de toute race et de toute langue, réunis là par le besoin commun de mal faire.

Mon petit negher, tiré à la corde, continuait à raser la rive orientale, couverte de villages élevés à la hâte, bordée de canges de tout tonnage sous pavillon égyptien, anglais, français. Dans cette forêt de mâts, deux groupes principaux attiraient le regard : l’un voisin de la mission, l’autre à un grand kilomètre plus loin, autour d’une belle dahabié facile à reconnaître pour être la maison flottante d’Alfred Peney.

Je pris terre juste à l’angle du jardin d’acclimatation, et je passe rapidement sur les détails d’établissement. En un clin d’œil, mes hommes m’eurent construit une fort jolie cabane en paille, aérée et abritée, où j’installai mes caisses, ma table et mon angareb ; puis ils bâtirent leur village à dix pas de là. Mon premier soin fut de prendre langue et d’aller visiter mes voisins européens. Peney était parti pour une excursion chez les Nyamnyam ou Gnamgnam, et l’absence de ce savant et aimable voyageur était pour moi un rude contre-temps ; à la place je trouvai le Maltais Andrea Debono, dont l’accueil à peine poli ne fut pas de nature à me faire oublier ma déception.

Je laisse de côté les griefs personnels dont je ne veux pas ennuyer le public, et je dirai seulement que M. Debono, comme la plupart de ses confrères, mettait par trop de maladresse à me prouver qu’un témoin impartial et humain était à Gondokoro un gêneur et un ennemi public. Il essaya pourtant de me donner le change, parla avec feu (et il parlait fort bien) de son intention de faire la police du fleuve avec ses quatre cents hommes, et de déclarer la guerre aux enleveurs d’esclaves, parce que toute violence troublait le commerce honnête, etc. Il me raconta qu’il avait pris pour quartier général provisoire les bâtiments abandonnés de la mission, mais qu’il était en train de faire bâtir un village à près d’un mille au sud, avec magasin, arsenal en briques, etc. ; que cette dernière construction portait grand ombrage aux nègres, parce qu’ils attribuaient à celle de Gondokoro, toute en briques cuites, la famine qui ne cessait de les décimer depuis cinq ans.

Nous visitâmes ensemble la mission en ruines. C’était un carré dont la grande entrée était tournée vers le sud ; les trois autres côtés étaient formés par l’église, les logements des missionnaires et ceux des employés et ouvriers. L’ensemble avait dû, dans des temps plus prospères, rappeler une jolie ferme de la Souabe ; mais quand je la vis, la mission abandonnée n’était plus qu’une ruine. Les missionnaires avaient emporté toutes les ferrures, tous les objets mobiliers, et n’avaient laissé qu’une grande croix dorée qu’ils eussent bien dû emporter aussi, car pendant deux ans elle n’a guère vu passer sous son ombre que l’écume des bandits musulmans de Khartoum, ou des Européens au niveau de ces musulmans.

Le jardin d’acclimatation, semé de fleurs, de plantes et de légumes d’Égypte et d’Europe, était aussi abandonné ; mais la nature, plus persistante que les hommes, triomphait en face des ruines, et les belles plantes des tropiques, croissant au hasard sur la pente assez rapide du coteau, miraient dans l’eau calme et jaunâtre du fleuve le vert sombre de leurs rameaux vigoureux. En avant de la mission se prolongeaient deux haies vives et touffues d’euphorbe, l’euphorbe candélabre de Trémaux, si je ne me trompe. Ce nom peint bien la forme de ce magnifique arbuste aux branches quadrangulaires, dont la séve est un suc laiteux, poison dangereux bien connu des nègres. En longeant la haie, j’y cueillis quelques baies vertes, et j’allais, par distraction, les porter à ma bouche, quand mon cuisinier Heissein, qui me suivait, se précipita vers moi : Haouaga ! haouaga ! cheder es sin ! ( « monsieur ! monsieur ! c’est l’arbre à poison ! » ) Je me hâtai de jeter ces petits fruits meurtriers, en réfléchissant aux bizarreries du sort qui avait failli, après que j’avais échappé aux fièvres du Kordofan, me réserver la mort vulgaire que jadis la police municipale infligeait aux caniches en contravention.

Je consacrai le lendemain à deux excursions. Je pus me traîner à pied jusqu’au village de Debono, suivi de mon drogman noir Bilâh, qui causait chemin faisant avec deux colosses indigènes. Je leur demandai le nom du Nil ; ils me répondirent karè (le fleuve). « J’entends bien, lui dis-je, que c’est le grand fleuve ; mais les Bary ne lui donnent-ils pas un autre nom ? » Ils répondirent : Tchoudiri. C’est évidemment le nom que les explorateurs de 1840 ont écrit Tubirih, et M. Debono, dans son journal de 1856, Tchouper (avec l’orthographe italienne Ciuper). M. D. Barthelemy m’avait dit et Khartoum que cela signifiait canal dans la langue bary ; mais il m’a bien semblé que mon informateur me le donnait comme le nom propre du fleuve.

À quinze minutes de la mission, le petit plateau qui domine le fleuve d’une hauteur d’une vingtaine de pieds s’abaisse presque à pic, et fait place à une plaine marécageuse qui doit être inondée aux hautes eaux. Une sorte de marigot peu profond vient là aboutir au fleuve, et son embouchure forme une crique, un petit port en miniature où la dahabié de Peney était ancrée. Je m’arrêtai au bord du plateau, et avisant un nègre qui flânait, je me fis nommer par lui tous les sommets qui formaient une sorte de ceinture brisée autour de l’horizon, depuis la chaîne boisée de Belegnân, à ma gauche, jusqu’aux dentelures du Konobi, sur la droite. Au milieu de cet arc de douze à quinze lieues de développement, un point isolé attirait obstinément mon regard : c’était un cône abrupt que le nègre m’avait nommé Logwek. Je savais que les indigènes donnaient ce nom à la montagne que les Arabes appelaient Redjef (la tremblante), et sur laquelle les contours du fleuve avaient brodé tant d’histoires fantastiques. Ce qui ajoutait à ce prestige, c’est que généralement les expéditions les plus hardies n’avaient pas dépassé ce point, arrêtées court par des rapides et plus encore par l’attitude hostile et la réputation guerrière des Makedo, tribu riveraine de ces cataractes. Le Redjef était donc le bout du monde ; et, de plus, quelques savants prenant les hâbleries arabes au pied de la lettre, avaient écrit que le Redjef devait être un volcan ou du moins l’avoir été. Mon vekil Mohammed fut celui qui me parla des merveilles du Redjef avec le plus de sincérité. « On assure, dit-il, que c’est une montagne qui tremble quand un musulman met le pied dessus. Pourtant j’y ai monté une fois par curiosité, et je n’ai senti aucun tremblement. » Sur quoi j’observai, sans vouloir humilier ce brave homme : « Il y a longtemps que les musulmans ne font plus rien trembler du tout. »

Les dix ou douze massifs qui cernent au sud l’horizon de Gondokoro m’ont semblé isolés les uns des autres, et ils ont semblé tels à Werne, si j’en juge par sa carte. Cependant, je n’oserais rien affirmer, car si d’une part le Soudan m’a accoutumé, en fait de reliefs orographiques, à des dislocations dont aucune autre partie du globe ne peut offrir d’exemple, j’ai su par expérience que rien n’est trompeur comme la ligne d’horizon de ses steppes et de ses déserts, et qu’une sierra interrompue n’offre souvent, à huit heures de distance, que des sommets dont rien n’accuse la continuité. Cette réserve faite, je dirai que dans tout cet ensemble deux groupes seulement m’ont paru hors de discussion : le Korek, au couchant, et le Lokaïa-Belegnân, à l’est du fleuve.

J’ai dit que je fis ce jour-là une autre excursion : ce fut celle d’Ulibo, village assez important par la circonstance qu’il se trouve porté sur presque toutes les cartes, et peut servir à les coordonner). Il est vrai que les orthographes diffèrent : Ulibo, Libo, Ulibari. Il est bâti sur une faible élévation dominant à pic le fleuve à l’ouest, s’abaissant au nord vers un bras du Nil, qui coule rapidement en rongeant quelques îles basses et verdoyantes, et finissant en pente douce du côté d’un assez joli lac et d’une plaine aujourd’hui inculte, mais qui ne l’était pas, m’a-t-on dit, avant l’arrivée des négriers. Je demandai à voir la tombe d’Angelo Vinco, ce courageux missionnaire italien qui avait été le premier pionnier des missions chrétiennes au Nil Blanc, et qui, éloigné de Gondokoro par des contrariétés sur lesquelles je ne dois pas insister ici, était venu mourir à sa résidence favorite d’Ulibo, parmi les noirs dont il était adoré. La chanson d’Angelo est encore aujourd’hui la ronde favorite des danseurs du fleuve Blanc. J’ai vu à Khartoum des enfants barys de six ou sept ans marquer la mesure du pied en entendant fredonner cette vive et alerte mélodie, l’une des nombreuses preuves de la supériorité musicale des noirs sur les Arabes :

Adjilo ! Adjilo !
Iti Belegnân

Voici la traduction des premières strophes :

Angelo ! Angelo ! — Va-t’en à Belegnân (Belenia).
Il n’y a ici que maladies. — Non, non, je suis bien ici !
Va-t’en à Belegnân. — Là il n’y a pas de moustiques.
Non, non, je suis bien ici ! — Vive, vive Angelo !

Je demandai donc à voir la tombe de cet homme de cœur. Les nègres me menèrent hors du village, sur un petit terrain couvert d’une plantureuse végétation de chardons ; ils en firent le tour, examinèrent divers endroits avec un visible embarras, et finirent par me dire : « Il est enterré là quelque part, mais nous ne savons pas au juste où. » Je sortis de là le cœur oppressé. C’était pourtant pour l’amélioration matérielle et morale de ces gens-là que le jeune apôtre était venu de Venise mourir dans les steppes du fleuve Blanc ! La plaine que je traversai à mon retour était loin, par les souvenirs qu’elle me rappelait, de dissiper cette impression. C’est là que six ans auparavant le malheureux Vaudey avait péri avec tout son monde dans une lutte meurtrière occasionnée par le plus déplorable malentendu, et où le hasard seul fut le coupable. La famine effroyable qui a décimé depuis cette époque les tribus des Barys leur a semblé un châtiment céleste de la mort du grand chef blanc ; et cette famine a dépassé tout ce qu’on peut imaginer. Les mères mourantes, ne pouvant plus nourrir leurs enfants, venaient les jeter dans le Nil pour leur épargner les tortures de la faim. M. Jules Poncet rencontra une de ces femmes qui allait noyer son enfant âgé de cinq ans, et emmena le négrillon en faisant à la mère l’aumône d’une écuelle de maïs. L’enfant élevé à Khartoum chez M. Peney, où je le vis, devait être ramené l’année suivante à sa famille, dont il me semblait du reste ne plus guère s’inquiéter.

Je revins à mon quartier que je trouvai un peu en émoi. Un nègre était venu essayer ses flèches sur la sentinelle de Debono à la porte de la mission, et l’ayant manqué deux fois de très-près, s’en allait comme un homme qui vient de remplir un devoir, quand il fut happé par les gens du Maltais et reçut cinquante coups de bâton. Il n’y avait rien à dire, et certes M. Debono se montrait bon prince en ne faisant pas fusiller ce maladroit.

Je reçus pour ma part une visite plus pacifique. Un grand nègre entra dans ma case, posa à terre son tabouret peint en rouge, complément obligé du costume bary, s’assit dessus et se mit à fumer.

« C’est Medi, » me dit le drogman. L’homme me regarda de ses yeux mi-clos, comme pour étudier l’effet de ce nom sur le maître du logis.

« Bien, dis-je. Mais qu’est-ce donc que Medi ?

— Medi, c’est le roi du pays, un grand guerrier ; c’est lui qui a tué Vaudey de sa main. Recevez-le poliment, car sans sa protection vous ne pourrez pas vous procurer seulement une poule ici.

— Et que veut-il ?

— De l’eau-de-vie.

— Dites-lui que je n’ai que faire des écornifleurs. J’ai besoin d’un mouton, et s’il m’en procure un, je le payerai, et Medi aura un plein verre d’ean-de-vie pour sa peine ; sinon, non. »

Medi reçut le compliment sans s’émouvoir, promit le mouton et continua à fumer. Un visiteur. m’arriva, et j’oubliai complétement Sa Majesté qui, au bout d’une demi-heure, voulut reprendre l’entretien :

« Et de l’eau-de-vie ?

— Tu n’es qu’un ivrogne ; je n’ai rien pour toi.

— C’est ainsi qu’on traite mata Medi ? Bonsoir. »

En sortant, il demanda encore de l’eau-de-vie au drogman, qui voulant le ménager, lui répondit que moi seul je pouvais en disposer, sans quoi il eût été heureux de lui en donner. Medi rejoignit les siens et résuma ainsi son opinion : « Le drogman est un homme comme il faut, mais le monsieur ne sait pas vivre. » Le soir, mon drogman ayant rencontré un Italien de ses amis se grisa comme un pacha à mes frais et proposa d’aller fusiller Medi pour venger Vaudey : propos d’ivrogne qui ne m’inquiéta point.

Grenier aérien sur les bords du Nil Blanc. — Dessin de Karl Girardet d’après M. Bolognesi.

Medi était un franc coquin, passant les journées à courir d’une barque à l’autre, suivi de ses deux femmes dont la plus jeune était assez jolie, et il la faisait remarquer avec complaisance à ses bons amis, les fatiguant de ses prières et de ses menaces, et leur extorquant de l’eau-de-vie pour lui et des verroteries pour sa favorite. Il est vrai que son peuple ne valait pas mieux que lui. Quand on a lu le portrait certainement véridique que font de ce peuple brave et fier les visiteurs de 1840 et des années suivantes, on croit rêver en tombant à Gondokoro au milieu de ce troupeau de mendiants, d’ivrognes et de femmes dépravées.

J’insiste sur ce dernier point, car il constitue l’un de mes principaux griefs contre les négriers qui ont laissé des souvenirs si néfastes au fleuve Blanc ; ils ont encore plus dépravé peut-être que volé, tué et mendié. La négresse, à défaut d’éducation morale, m’a semblé avoir une certaine fierté personnelle capable de neutraliser un peu même de mauvais instincts. Je la crois supérieure sous ce rapport à la femme arabe et surtout à la Nubienne, femme libre s’il en fut au monde. Du moins, il y a sept ou huit ans, il en était ainsi, mais depuis, les marchands d’hommes y ont mis bon ordre. Ils ont largement exploité la hideuse misère qui décime les Barys, et quand j’arrivai à Gondokoro j’y fus le témoin forcé des plus lamentables spectacles. La barque de Debono, appelée, je crois, Zeit eu Nil (la crue du Nil), me fut signalée comme le théâtre de scènes honteuses à éviter. Je suivis le conseil, mais malgré moi, le soir, je dus subir le voisinage d’une orgie soudanienne, car une bamboula effrénée vint rugir et bondir devant la porte de la mission, à trente pas de ma case.

Tels sont les enseignements que les fils de Cham reçoivent des enfants réunis de Sem et de Japhet.

G. Lejean.

(La suite à une autre livraison.)



  1. Voy. t. II, p. 97 ; t. III, p. 139 ; t. V, p. 177.