Grammaire de l’hébreu biblique/Introduction/Paragraphe 128

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Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 383-385).
§ 128. Accusatif avec verbe passif.

a L’accusatif indirect peut évidemment s’employer avec un verbe passif. De même, il n’y a aucune difficulté pour l’accusatif d’objet interne, p. ex. Ex 21, 12 מוֹת יוּמַת il sera mis à mort ; Is 45, 17 נוֹשַׁע … תְּשׁוּעַת עֽוֹלָמִים il a été sauvé d’un salut éternel ; et semblablement pour l’accusatif d’objet effectué.

b On a l’accusatif d’objet affecté avec le passif impersonnel : Gn 27, 42 וַיֻּגַּד לְרִבְקָה אֶת־דִּבְרֵי עֵשָׂו il fut annoncé (= on annonça) à Rébecca les paroles d’Ésaü. Cette curieuse construction s’explique probablement ainsi : dans une forme de passif impersonnel, telle que וַיֻּגַּד, la valeur transitive de la forme active correspondante הִגִּיד annoncer persévère en quelque façon ; ainsi וַיֻּגַּד il fut annoncé est senti comme on annonça[1]. C’est ainsi qu’à côté de la construction classique legitur Virgilius s’introduisit dans le latin du moyen âge la construction hybride legitur Virgilium au sens de on lit Virgile, construction qu’on expliquait diversement[2]. Semblablement en italien une forme réfléchie telle que si vede aboutit au sens on voit, p. ex. la casa si vede : « la maison se voit = est vue », mais si vede la casa : « on voit la maison » ; lo si vede : « on le voit » ; si compra, si vende mobili : « on achète, on vend des meubles »[3]. — Autres exemples : 2 S 21, 11 et 1 R 18, 13 (encore avec הֻגַּד on annonça) ; Nb 32, 5 יֻתַּן אֶת־הָאָ֫רֶץ הַזֹּאת qu’on donne cette terre ; 1 R 2, 21 (encore יֻתַּן) ; Gn 4, 18 וַיִּוָּלֵד לַֽחֲנוֹךְ אֶת־עִירָד et il fut enfanté (on enfanta) à Hénoch ʿIrad = à Hénoch naquit ʿIrad) (encore avec נוֹלַד 21, 5 ; 46, 20 ; Nb 26, 60) ; Jér 35, 14 הוּקַם אֶת־דִּבְרֵי יְהוֹנָדָב on a exécuté les ordres de Jonadab ; Ex 21, 28 לֹא יֵֽאָכֵל אֶת־בְּשָׂרוֹ on ne mangera pas sa chair ; 13, 7 מַצּוֹת יֵֽאָכֵל on mangera des azymes (sans את à cause de l’indétermination) ; Lév 6, 13 (Nb 7, 10) בְּיוֹם הִמָּשַׁח אֹתוֹ au jour où on l’oindra (avec pronom) ; Nb 11, 22 הֲצֹאן וּבָקָר יִשָּׁחֵט לָהֶם וּמָצָא לָהֶ֑ם אִם אֶת־כָּל־דְּגֵי הַיָּם יֵֽאָסֵף לָהֶם וּמָצָא לָהֶם est-ce que, si on leur égorgeait moutons et bœufs, cela leur suffirait ? Est-ce que, si on leur réunissait tous les poissons de la mer, cela leur suffirait ? (Dans a la construction est la même que dans b, mais את est omis devant le nom indéterminé). Dans Jos 7, 15 הַנִּלְכָּד est au nominatif et יִשָּׂרֵף est passif personnel : il sera brûlé ; puis la phrase continue en supposant à cette même forme le sens de passif impersonnel : [on le brûlera] lui et tout ce qu’il a. Voir encore : Gn 17, 5 ; 21, 8 ; 40, 20 ; Ex 25, 28 ; 27, 7 ; Nb 26, 55 (opp. 53) ; Is 21, 2 ; Jér 50, 20 ; Ps 87, 3 (avec participe).

c Le second objet d’un verbe doublement transitif reste à l’accusatif quand le verbe est employé passivement (cf. § 125 u-w). Ainsi, dans les cas de § 125 u, le type הֶרְאָ֫נוּ אֶת־כְּבוֹדוֹ Dt 5, 21 il nous a fait voir (= a montré) sa gloire deviendrait au passif : *הָרְאֵ֫ינוּ אֶת־כְּבוֹדוֹ nous avons été faits voyant sa gloire = sa gloire nous a été montrée, p. ex. Ex 26, 30 כְּמִשְׁפָּטוֹ אֲשֶׁר הָרְאֵ֫יתָ selon son modèle qui t’a été montré (אֲשֶׁר virtuellement à l’acc. = א׳ הר׳ אֹתוֹ) ; 25, 40 (id.). Dans Lév 13, 49 on a étrangement le premier objet (logique) à l’acc. : וְהָרְאָה אֶת־הַכֹּהֵן (la plaie) sera montrée au prêtre (on attendrait וְהָרְאָה אֹתוֹ הַכֹּהֵן). Autres exemples : Job 7, 3 ; p.-ê. Is 1, 20 ⸮. — Avec les verbes copiae et inopiae, induendi et exuendi : Ex 1, 7 וַתִּמָּלֵא הָאָ֫רֶץ אֹתָם le pays fut rempli d’eux[4] ; Is 6, 4 ; 38, 10 ; — Ps 80, 11 כָּסּוּ הָרִים צִלָּהּ les montagnes ont été couvertes de son ombre. (Voir aussi les exemples avec le participe § 121 o). — Dans le cas du § 125 v : 1 R 6, 7 (⸮) אֶ֫בֶן שְׁלֵמָה נִבְנָה (la maison) fut bâtie en pierres intactes (comp. Dt 27, 6). — Dans le cas du § 125 w : Mich 3, 12 צִיּוֹן שָׂדֶה תֵֽחָרֵשׁ Sion (in) agrum arabitur = Sion sera labourée (en) champ (= Jér 26, 18) ; Is 6, 11 ; 24, 12 ; Zach 14, 4 (comp. Hab 3, 9, cité § 125 w).

  1. Une autre explication dans Brockelmann, Grundriss, 2, 126 sqq.Kropat (Syntax der Chronik, p. 3) nie l’existence de la construction ; d’après lui le את serait exposant du sujet (cf. § 125 j). Il peut y avoir doute sur la construction dans certains cas, avec את et surtout sans את, mais il est difficile de ne pas voir le את de l’accusatif dans des cas nombreux, p. ex. Gn 27, 42. Du reste on a את également avec le pronom : Lév 6, 13.
  2. Cf. Thurot, Doctrines grammaticales au moyen âge, p. 302 sq., 503 (dans Notices et extraits des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale, t. XXII, 2e p.).
  3. En néo-syriaque il s’est développé une construction semblable à celle de l’hébreu : ʾeṯkeṯeḇ laḵṯåbå hånå « on a écrit ce livre » (Brockelmann, 2, 128).
  4. Avec ce même verbe נִמְלָא on a étrangement les deux objets à l’acc. dans Nb 14, 21 (= Ps 72, 19) ; mais את est p.-ê. ici exposant du sujet.