Grammaire de la langue volofe/Préface

La bibliothèque libre.

PRÉFACE

L’apostolat catholique s’exerce par la prière et la prédication. Pour nous, dit le Prince des Apôtres, c’est à l’oraison et au ministère de la parole que nous nous appliquerons (acr. IV, 4).

La prédication exige, dans le prédicateur, la connaissance de l’idiôme du peuple qu’il veut évangéliser. Aussi le missionnaire catholique regarde-t-il l’étude de la langue indigène comme le premier de ses devoirs. C’est l’unique raison qui nous a fait entreprendre l’étude de la Langue volofe dès notre arrivée en mission au mois de mars 1849.

La difficulté d’apprendre une langue non écrite et n’ayant même pas de caractère d’écriture, et la vue de tant de missionnaires qui sont morts victimes du climat avant d’avoir pu se faire comprendre par les infidèles, nous ont fait désirer dès le principe un travail qui pût faciliter aux jeunes missionnaires l’étude de cette langue et par suite la prédication de l’Évangile. C’est ce qui a donné origine à la rédaction de la Grammaire de la Langue volofe et à sa publication.

Quatre ouvrages ont paru sur la matière : la Grammaire wolofe par Dard en 1826 ; les Recherches philosophiques sur la langue ouolofe par Roger en 1829 ; les Principes de la langue wolofe par les missionnaires du Saint-Esprit et du S. Cœur de Marie en 1855 ; la Grammaire de la langue wolofe par l’abbé Boilat en 1858. Ouvrage tout nouveau, notre travail n’a de rapport avec les publications précédentes que l’identité de la matière.

La Langue volofe est un des nombreux idiômes de l’Afrique méridionale. Elle est parlée dans une grande partie de la Sénégambie[1], savoir dans les royaumes du Diolof, du Valo, du Kayor, de Dakar, du Baol, du Sine, et du Saloum, et dans les villes coloniales de S. Louis du Sénégal, de Gorée et de Sainte-Marie de Gambie. Elle a été importée en plusieurs points du littoral par les traitants, les ouvriers et les matelots sortis des colonies du Sénégal et de la Gambie, et elle est devenue en ces localités la langue des courtiers.

Le peuple qui parle la Langue volofe s’appelle olof ou volof[2], comme la langue. Ce nom vient du royaume de Diolof (Dolof), aujourd’hui peu considérable, dont le roi réunissait autrefois sous son sceptre tous les pays que nous venons de nommer. Les volofs sont en partie mahométans et en partie fétichistes.

La Langue volofe est une des langues les plus importantes des côtes occidentales de l’Afrique. Elle est, sur le littoral du moins, la première non sémitique, la première qui commence, au nord, la série des nombreuses langues de l’immense Nigritie. C’est le fleuve du Sénégal qui fait la ligne de séparation entre les langues arabe et volofe, comme il la fait entre la race arabe ou maure et la race noire. Sur la rive droite sont les maures parlant et écrivant l’arabe, sur la rive gauche les Noirs[3] parlant le volof.

Le volof semble être une langue primitive ; car d’abord elle a plusieurs mots qui sont pour ainsi dire le cri de la nature, comme é ( éveiller), ( appeler), rakakaki (grincement des dents), puis elle a un grand nombre de monosyllabes ou de dissyllabes, dont la dernière est presque toujours un peu muette, enfin on ne connaît aucune langue dont elle dérive. Quoiqu’elle ait adopté plusieurs mots de l’arabe, son génie cependant en diffère radicalement.

Nous ne croyons pas devoir entrer dans de grands détails sur la nature du travail auquel nous nous sommes livrés pour rédiger la Grammaire de la Langue volofe. Les personnes familiarisées avec les études comparatives des langues sauront l’apprécier par la simple lecture, et il ne nous serait pas possible de relever toutes les objections que nous avons entendu faire par les personnes étrangères à ces mêmes études. Nous dirons seulement que nous avons fait le travail d’un mineur, qui ayant découvert une mine précieuse, a fouillé, déterré, étalé, classé, collationné les trésors qu’il a trouvés enfouis. Le trésor, la variété des bijoux, leur nouveauté, leur étrangeté, sont des choses entièrement préexistantes au travail du mineur. La fouille, l’étalage, le classement seuls sont de son fait. Lorsque ses bijoux ressemblent à d’autres déjà connus, il leur assigne des noms connus ; quand il découvre un bijou inconnu, il lui assigne une dénomination nouvelle. C’est ce que nous avons fait pour la Langue volofe. Nous avons étalé la totalité de ses usages quant aux sons, aux mots et aux propositions, et nous les avons distingués et classés. Aux choses connues nous avons donné les noms connus, aux choses nouvelles des noms nouveaux. Nous avons trouvé la grammaire préexistante dans la langue, et nous avons mis au jour cette existence cachée jusqu’ici.

Nous avons donné dans la 1re Partie quelques principes sur les éléments de la parole et de l’écriture, afin de montrer la base sur laquelle repose l’alphabet conventionnel que nous avons adapté.

Nous avons conservé la division ordinaire des parties du discours et leur dénomination technique[4]. Mais il nous a fallu modifier la signification de quelques termes. Ainsi, le volof n’ayant point d’adjectifs qualificatifs, nous avons classé sous la dénomination d’adjectif tout mot qui accompagne le nom et le détermine, par conséquent l’article. Le volof n’a point de participe.

Nous aurions pu nous contenter de conjuguer un seul verbe attributif, parce que la forme de conjugaison est toujours la même. Mais nous avons pensé qu’en conjuguant un verbe qualificatif, un verbe d’état et un verbe d’action, nous familiariserions plus facilement le lecteur avec des tournures étrangères aux langues européennes.

Dans la syntaxe nous nous sommes écartés de la méthode des grammaires élémentaires et nous avons donné une plus grande place aux parties logiques du discours. Nous avons fait ressortir les différents caractères de la proposition et de la phrase volofes.

La Langue volofe est essentiellement démonstrative, comme cela se voit dans les adjectifs, dans les différents modes des verbes, dans les prépositions et dans quelques conjonctions. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que la même flexion s’emploie pour la présence locale d’un objet comme pour la présence d’un fait dans le temps (i), la même pour l’éloignement d’un objet comme pour le passé d’un fait (a), la même pour l’indéterminé du lieu d’un objet et pour l’inconnu du temps futur (u). Elle a peu de flexions, mais beaucoup de particules monosyllabiques qui y suppléent.

La formation des mots par dérivation y joue un grand rôle, tant dans le nom que dans le verbe et produit une richesse d’expression et souvent une concision étonnantes. Cette particularité semble être commune à presque toutes les langues de l’Afrique occidentale, d’après quelques grammaires que nous avons pu consulter, et font présumer entre elles une certaine affinité.

Le lecteur, après avoir pris connaissance de notre Grammaire, partagera sans nul doute la surprise que nous avons éprouvée nous-même, de trouver tant d’en semble, de délicatesse, de richesse et de régularité dans une langue qui de prime-abord semblerait devoir être sauvage. Qui l’a inventée ? Qui l’a imposée à un grand peuple ? Qui l’a conservée de génération en génération ? Que les œuvres de Dieu sont admirables en toute chose, en tout lieu et en tout temps !

Nous savons que notre travail n’est pas parfait, et nous sommes disposé à le perfectionner avec le concours du lecteur bienveillant qui voudra bien nous soumettre ses observations. Toutefois nous osons espérer qu’il pourra, tel qu’il est, être profitable non seulement au missionnaire, mais encore au personnel européen du commerce, de l’armée, de la marine et de l’administration, et même, si nous ne nous faisons pas illusion, à la science linguistique.

Saint-Joseph, le 21 juin, fête de S. Louis de Gonzague, anniversaire du Couronnement de Sa Sainteté PIE IX. 1869.


  1. La Sénégambie ou la Nigritie occidentale du Nord s’étend, du nord au sud, de puis le Sahara jusqu’à la côte de Sierra-Léone, de l’est à l’ouest depuis le Soudan jus qu’à l’océan atlantique, du 100 au 200 long. O., et du 170 à 100 lat. N. Les géographes lui assignent 12 millions d’habitants. Le Vicariat apostolique de la Sénégambie est limité au sud par celui de Sierra-Léone, à l’ouest par l’océan ; au nord et à l’est les limites ne sont pas déterminées.
  2. Nous disons à la page 36e pourquoi nous écrivons volof et non yolof.
  3. Nous disons Noirs au lieu de Nègres, parce que le mot nègre est devenu, sur les plages africaines, un terme injurieux. Le mot nègresse cependant est toujours pris en bonne part.
  4. S’il nous avait été permis d’innover en cette matière, l’étude de la langue volofe nous aurait conduit à une division des mots triplement trinitaire, savoir : 1° nomen (nom), adnomen (adjectif), pronomen (pronom), 2° verbum (verbe), adverbum (adverbe adjonctif), proverbum (adverbe substitutif et interjection), 3° prænomen (préposition), præverbum (conjonction conjugative), præpropositio (conjonction de proposition).