Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/FRANÇOIS IV, duc de Modène

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Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 2p. 775).

FRANÇOIS IV, duc de Modène, né à Milan en 1779, mort à Modène en 1846. Il était fils de l’archiduc Ferdinand d’Autriche, gouverneur de la Lombardie, et de Marie-Béatrix d’Este, la riche et ambitieuse héritière des États et des trésors des familles souveraines d’Este et de Cybo. Élevé par un chevalier de Malte et par un jésuite, sous la direction de son orgueilleuse mère, le jeune prince reçut de bonne heure des idées politiques et sociales dignes du moyen âge, ce qui donna à son règne une physionomie bien étrange. Après avoir dédaigné la main de Pauline Bonaparte, et s’être vu enlever par Napoléon celle de l’archiduchesse Marie-Louise, qu’il convoitait, François épousa, en 1812, sa propre nièce, Marie-Béatrix de Savoie, fille de Victor-Emmanuel Ier, qui lui apporta une dot considérable. Mais la jeune princesse n’accepta cette union qu’avec répugnance, et se refusa, dit-on, pendant plusieurs années, à la consommation du mariage. Toujours est-il qu’elle ne le rendit père qu’en 1817. Ils eurent pour enfants : Marie-Thérèse, qui a épousé le Comte de Chambord ; François, qui succéda à son père ; Ferdinand, mort en 1849, laissant une fille, à qui reviendra l’immense fortune des ducs de Modène ; et enfin Marie-Béatrix. Cette dernière, qui a épousé l’infant don Juan d’Espagne, a été peu de temps après abandonnée par son mari. En 1814, François IV fut mis en possession des États de la maison d’Este, c’est-à-dire du duché de Modène, auquel vint se joindre, à la mort de sa mère, le duché de Massa-Carrara. Son premier soin fut de remettre le code modénais de 1771 dans toute sa vigueur, y compris la torture, et de rappeler les jésuites. Forcé de quitter ses États, en 1815, pendant la courte campagne de Murat, il y rentra à la suite des Autrichiens et supprima les pensions de tous les anciens militaires du royaume d’Italie qui s’étaient joints à l’armée de Murat. Le nouveau duc détestait presque autant Metternich que Napoléon. Systématiquement hostile aux idées libérales, François réalisa l’idéal du pouvoir personnel et arbitraire. Il confondit sans scrupule les finances de l’État avec les siennes propres, et les économies qu’il fit sur les revenus publics lui permirent d’accroître, par d’importantes acquisitions en Bohême, son immense fortune, la plus considérable de celles des princes souverains en Europe. Il mit tous les établissements d’instruction publique dans les mains des jésuites, se montra hostile à la jeunesse, et lui défendit d’aller étudier au dehors. En même temps, il distribuait les emplois civils et militaires à la noblesse, supprimait les conseils communaux et multipliait les couvents. À tous ces torts il joignait le tort, plus grave encore, de substituer sa volonté à celle des lois, en annulant ou en modifiant, par des rescrits, les décisions de l’autorité judiciaire, et d’avilir la magistrature par l’abus de la police secrète. Aussi, au congrès de Vérone, fut-il chargé de faire la haute police dans l’Italie entière pour le compte de la Sainte-Alliance. Mais son ambition secrète était beaucoup plus vaste : il voulait se créer une sorte de royaume de la haute Italie, soit aux dépens de l’Autriche, soit plutôt en succédant, en Piémont, à la branche aînée de la maison de Savoie à l’exclusion de Charles-Albert : les événements de 1821 encouragèrent cette dernière espérance. Aussi ne manqua-t-il pas d’exciter contre le jeune prince de Carignan le ressentiment du roi Charles-Félix, qui se trouvait à Modène en 1821. Cette même année vit commencer à Modène les procès des carbonari jugés par des tribunaux extraordinaires, composés d’hommes tarés et jouissant, à ce titre, de l’estime du duc. Il fallait au moins une exécution ; elle eut lieu : ce fut celle d’un nommé Andreoli. Le chef de la police ayant été assassiné, on accusa de ce meurtre un innocent qui, bien qu’acquitté par le tribunal, fut, par ordre du duc, jeté dans un cachot, où il eût sans doute pourri jusqu’à la fin de ses jours si la révolution de 1831 ne fût venue l’en tirer. C’est aussi vers cette époque que François imagina de supprimer les universités et d’enfermer les étudiants des Facultés dans les pensionnats des jésuites : c’était pour donner aux jeunes gens l’habitude de la délation. Cependant le duc intriguait avec les carbonari, et notamment avec Cyrus Menotti, soit qu’il comptât réellement sur leur appui pour devenir roi d’Italie, soit qu’il n’agît ainsi que pour mieux connaître leurs secrets. Toujours est-il qu’au moment où la conspiration allait éclater, François, qui, grâce à sa duplicité, en tenait tous les fils, fit arrêter une trentaine des principaux conjurés, le 3 février 1831, et écrivit aussitôt au gouverneur de Reggio un billet qui a été retrouvé et où on lit ces mots : « Envoyez-moi le bourreau. » Signé : François. Mais la nouvelle de l’insurrection de Bologne et de la prochaine arrivée des insurgés ne laissa pas au duc le temps d’accomplir son atroce projet, et, le 5 février, il partait lâchement, sans avoir essayé la moindre défense ; mais il traînait après lui l’infortuné Menotti, qui avait eu le malheur d’être son ami, et qui devait être la victime expiatoire. Le 8 mars, le duc rentrait, toujours à la suite des Autrichiens, et son premier acte d’autorité fut de faire pendre Menotti et l’avocat Borelli, dont tout le crime était d’avoir rédigé la délibération par laquelle un gouvernement provisoire avait été constitué pendant l’absence du duc. Dès lors, le duc fut dominé par la peur et par deux conseillers pires encore : l’un était l’infâme Canosa, Napolitain trop fameux, l’autre le vil Riccini, ministre du buon governo ou de la police. Ces deux misérables exploitèrent habilement les terreurs de François au profit de leurs intérêts et de leurs rancunes privées. Il fallait à tout prix des conspirations imaginaires : de là les procès et les exécutions de Ricci et de Mattioli, victimes de la haine de Riccini. Canosa rédigeait à Modène, sous le titre impudent de la Voix de la vérité, une feuille san-fédiste furibonde et menteuse, et le duc, qui avait refusé de reconnaître tous les gouvernements constitutionnels, n’ouvrait les barrières de ses États qu’aux partisans du comte de Chambord, de don Carlos et de dom Miguel. Sauf cette exception, il était parvenu à élever une sorte de muraille de la Chine autour de ses frontières, dont il prétendit avoir su éloigner le choléra, mais dont il éloigna aussi les journaux, les idées modernes, les congrès scientifiques et les chemins de fer. Vers la fin de son règne, il voyait toujours les ombres de ses victimes. Mais comme il n’est rien ici-bas d’absolument mauvais, il faut ajouter que ce prince, qui ne manquait ni d’intelligence ni d’activité, favorisa l’agriculture et soulagea, dans une assez large mesure, les classes pauvres, se montra généreux envers les émigrés légitimistes, Espagnols et Portugais, encouragea par des subsides la société scientifique des Quarante, résidant à Modène, augmenta de 15,000 volumes sa bibliothèque publique, et forma un musée de 35,000 monnaies et médailles. Stendhal a donné un tableau saisissant de la cour de ce prince dans la Chartreuse de Parme.