Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (Essais sur l’histoire de)

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France (Essais sur l’histoire de), de M. Guizot (1823, 1 vol. in-8º). C’est un des ouvrages les plus considérables de notre temps sur les origines de la nationalité française. M. Guizot y étudie spécialement les caractères de nos institutions primitives et la situation sociale de la France depuis le ve siècle jusqu’au xe. Plutôt anatomiste qu’historien, M. Guizot, que Gustave Planche appelle quelque part avec injustice « ce pesant rhéteur, » ne sait pas grouper avec intérêt des personnages ni faire des récits entraînants ; mais, s’il s’agit d’analyser une époque, une race, une institution, de décrire des caractères et des passions, de faire toucher du doigt les ressorts secrets, il n’a point de rival dans cette science. A peu près à la même époque où Augustin Thierry envisageait ces mêmes questions d’origine par leurs côtés pittoresques et, avec une érudition si séduisante, faisait pénétrer le lecteur, par ses Récits mérovingiens, dans la vie intime de nos aïeux, M. Guizot appliquait ses puissantes facultés d’analyse à débrouiller les questions confuses de race, de nationalité, à montrer l’enchaînement des institutions, par quelles transitions la France a passé du régime municipal établi par les Romains au régime féodal, pour revenir enfin à la commune. Les Essais sur l’histoire de France sont un recueil tout politique, on pourrait même dire parlementaire ; car le but de M. Guizot est surtout de rechercher par quelles causes le gouvernement représentatif s’est implanté si facilement dès le xiiie siècle en Angleterre, et n’a pu jouer en France, avec les états généraux, qu’un rôle tout à fait secondaire.

Six essais composent ce recueil, et on peut suivre dans leurs titres la filiation des idées de l’auteur : 1o Du régime municipal dans l’empire romain au ve siècle ; 2o De l’origine et de l’établissement des Francs dans les Gaules ; 3o Des causes de la chute des mérovingiens et des carlouingiens ; 4o De l’état social et politique de la France du ve au xe siècle ; 5o Du caractère politique du régime féodal ; 6o Des origines du gouvernement représentatif en Angleterre. En apparence, cette dernière étude ne semble pas se rattacher aux précédentes ; elle en forme cependant la véritable conclusion. C’est que, pour celui qui a suivi la déduction des faits et des idées pendant les cinq premiers chapitres, l’examen des causes qui ont déterminé, en Angleterre, le succès du système représentatif est, comme aux yeux de M. Guizot, le plus court et le plus sûr moyen d’expliquer son mauvais sort dans notre pays. Au moment où l’auteur arrête ses Essais (xiiie siècle), la marche des deux pays, l’un vers la monarchie pure, l’autre vers le gouvernement parlementaire, est décidée. « Les efforts de l’aristocratie, dit-il, pour se saisir du pouvoir souverain, et les essais de la nation pour se constituer au centre de l’État, selon le système représentatif, n’ont été chez nous, durant ce long intervalle, que des accidents, effets de causes peu profondes, crises passagères où le système monarchique a rencontré des obstacles et quelques périls, mais qui, en dernière analyse, n’ont servi qu’à accélérer ses progrès. Chez les Anglais, au contraire, ce sont les tentatives de la monarchie pure qui se présentent comme des accidents, des déviations momentanées de la route où s’avance le pays. » M. Guizot aperçoit les causes de cette divergence singulière, chez deux peuples si voisins, dans le peu de cohésion et d’unité qu’avait la Gaule au moment de la conquête ; les barbares, en s’y établissant, ne rencontrèrent aucune vitalité dans les institutions gallo-romaines ; la féodalité s’établit sans violence et sans lutte. En Angleterre, au contraire, les Normands (car c’est de ce point que part l’histoire anglaise) rencontrèrent des institutions déjà puissantes, un peuple fortement attaché à ses lois, à ses coutumes. Tandis que, d’une part, en France, les résistances n’étaient qu’individuelles, elles furent générales en Angleterre et exigèrent un accord profond, une association intime de la haute aristocratie d’un côté, et de l’autre l’union du peuple rallié à ses anciennes institutions. Ce sont ces différences profondes, toutes d’origine et se rattachant à la formation même de la nationalité française que M. Guizot a exposées avec beaucoup de clarté dans ces Essais. Son style abstrait, s’imposant plus par la force des idées que par les grâces du langage, prête à ce livre une certaine austérité ; mais la finesse des analyses, la logique des déductions, la rectitude des jugements finissent également par séduire, et on arrive à compter la gravité comme un charme de plus. Dans la préface de la neuvième édition (1S37, in-8º), M. Guizot termine ainsi : « Je n’ai trouvé, dans un travail déjà si ancien, rien d’important à changer. En le réimprimant au bout de trente-trois ans, j’ai la confiance qu’il peut encore servir aux solides études sur notre histoire nationale et à la propagation des idées qui, tôt ou tard, fonderont dans notre patrie les institutions libres auxquelles elle aspire depuis tant de siècles. » En composant cet ouvrage, M. Guizot n’avait l’intention d’abord que de donner une suite aux Observations sur l’histoire de France, de l’abbé Mubly. Entraîné par la beauté du sujet et par les grands horizons que chaque pas fait en avant déroulait devant lui, il s’est fort éloigné de son modèle et l’a de beaucoup surpassé. M. Guizot a fait l’histoire, fondée sur des bases certaines, de ces institutions dont le savant abbé n’avait pour ainsi dire fait que le roman. Les assertions qu’il y développe, d’abord admises avec une certaine réserve, comme en fait foi l’article que Daunou consacra aux Essais sur l’histoire de France dans le Journal des savants (décembre 1823), font aujourd’hui autorité et n’ont pas peu contribué à la révolution opérée de nos jours dans les études historiques.


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