Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France nouvelle (La)

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France nouvelle (la), par Prévost-Paradol (1868, in-8º). Ce livre n’est autre chose qu’une théorie compléte de gouvernement posée, d’une façon très-vaillante, en face des institutions impériales alors dans toute leur vigueur.

La première partie contient quelques études générales sur la démocratie. L’auteur établit une distinction nécessaire entre une société démocratique, c’est-à-dire une société qui a l’instinct de l’égalité, et un gouvernement démocratique qui donne à ces instincts leur entière satisfaction : dans le premier cas, les mœurs publiques peuvent établir l’accession de tous aux honneurs ; mais, dans le second cas seulement, le pouvoir appartient à tous : distinction fort importante, car elle met à néant plus d’un mensonge officiel et coupe court aux déclamations de ce gouvernement qui ne donnait au principe démocratique que de vaines satisfactions. Le publiciste examine comment une société devient démocratique. Pour lui, l’inégalité des conditions n’est point, comme pour Rousseau, l’œuvre de la société civilisée, mais le résultat de la société de nature. Ces inégalités de forces qui créent à l’origine deux partis, l’un opprimé, l’autre oppresseur, passent bientôt dans les institutions, et c’est pour cela que les sociétés sont d’abord aristocratiques.

Dans une seconde période, les instincts d’égalité se font jour ; enfin, après de longues luttes, tantôt par un progrès continu, tantôt par une secousse violente, ils finissent par triompher et passent dans les lois. L’humanité arrive alors à sa seconde phase, à la démocratie, à cet état de choses plus légitime et plus parfait que les Etats modernes souhaitent, conquièrent ou possèdent. Il est à craindre alors que cet état social, inattaquable en théorie, mais dont la pratique est pleine de périls, n’engendre d’abord l’anarchie, et bientôt après, par dégoût de l’anarchie, le despotisme démocratique. M. Prévost-Paradol trace, avec une modération sous le voile de laquelle un œil exercé peut reconnaître de vifs ressentiments, le portrait de ce despotisme démocratique qui se fonde sur la prétendue nécessité de pourvoir à la conservation générale, qui se soutient en donnant aux intérêts matériels et aux droits civils une apparente satisfaction, mais sans leur accorder en même temps la garantie nécessaire des intérêts politiques ; qui fait illusion à la démocratie en gardant toutes les fictions démocratiques, les réalités étant supprimées, « jusqu’au jour inévitable où, étourdi par sa prospérité même, et saisi d’une sorte d’ivresse, il se heurte à quelque misérable obstacle et s’écroule au milieu d’une anarchie pire que celle qui lui a servi de berceau. » L’écrivain trace dans la seconde partie un plan complet et fort net de gouvernement démocratique. Indiquons seulement que cette seconde partie se termine par des théories sur la justice, la presse, les cultes, œuvres de ce radicalisme sage que tous les bons esprits ont déjà appris à goûter dans le Parti libéral de M. Laboulaye. La troisième partie offre une triste revue des échecs de la liberté depuis 1789.

L’auteur terminait son livre, en 1868, par des paroles de confiance et d’espoir dans l’avenir ; mais, hélas ! après tant d’attaques mordantes dirigées par lui contre l’empire, il se rallia au ministère Emile Olivier, et il en était réduit à se tuer le jour même où le parti libéral allait à son tour prendre en main les destinées de la France.