Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Jacobins (LE SOUPER DES), comédie en vers, de Charlemagne (Théâtre Molière, 15 mars 1795)

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 866).

Jacobins (le souper des), comédie en vers, de Charlemagne (Théâtre Molière, 15 mars 1795). Après thermidor, la chasse aux jacobins était à l’ordre du jour ; les jeunes gens à grosse canne poursuivaient sans merci les tout-puissants de la veille, maintenant proscrits, calomniés, ridiculisés. Parmi les pièces qui servirent le mieux la réaction, il faut citer le Souper des Jacobins, qui donne une idée de la façon dont s’exerçaient les représailles. Jouée dans cette même salle Molière qui s’était appelée le Théâtre des sans-culottes, elle mettait en scène quatre ou cinq « terroristes, » obligés de se cacher, se retrouvant, après la chute de leur parti, à souper dans un hôtel garni. Un des convives attendus fait défaut. « Son excuse, ami, se lit sur son épaule, dit son ami Crassidor. — Un petit mal de reins ? demanda Solon. — Précisément. — Je sais ce que c’est ; nos amis y sont sujets. » Cela signifie que l’absent aura reçu une volée de coups de canne. Bientôt le souper est troublé par une violente querelle ; les amis se jettent à la face toutes sortes de forfaits dont l’auteur se plaît à les gratifier. Deux autres personnages sont venus chercher un gîte dans le même hôtel ; le premier, un tailleur, les a eus pour clients. Il les reconnaît et les apostrophe ainsi :

… Pour acquitter vos dettes,
Vous aviez, on le sait, des ressources secrètes,
Et plus d’un, pour périr, n’eut d’autre tort certain
Que d’être créancier de quelque jacobin.
Un d’eux même l’a dit : « Qu’importe la dépense ?
C’est sur les échafauds que nous aurons quittance. »

Inutile de faire ressortir les exagérations grossières d’un tel langage. Il fallait, à tout prix, donner satisfaction aux triomphateurs du jour. Il restait pour fonds de magasin, à notre industriel, un assortiment de carmagnoles et de pantalons ; qu’en fera-t-il ?

La mode en est passée : on veut des redingotes,
Des habits d’honnête homme, et surtout des culotte.

Ces méchants vers, à force de vouloir prouver, tombent dans la niaiserie. Écoutons maintenant l’autre arrivant, un certain Forlis, sorti depuis peu de prison :

Je mettais de la poudre, et mon linge était un,
Et mon écrou porta que j’étais muscadin.
On sait qu’il n’en fallait alors pas davantage
Pour aller en charrette, ou pour le moins en cage.

Forlis raconte par quel concours de circonstances il est obligé de se loger en garni ; comment, lorsqu’on l’arrêta, tout son élégant mobilier, argenterie, bijoux, etc., fut mis sous les scellés, et comment il ne s’en retrouva plus rien, quoique les scellés fussent restés intacts, au moins en apparence. Crassidor ayant tiré de son gousset une fort jolie montre, Forlis la reconnaît pour la sienne, et comme il est, au fond, d’humeur accommodante, il se contente de reprendre son bien. Comme dans la plupart des ouvrages du même tonneau, survient un officier de police, accompagné de la force armée, qui s’assure des convives. En revisant leurs comptes, on ne s’occupera pas, dit-on, de leurs opinions, ce qui paraît bien improbable, mais seulement de leurs actes.

Cette pièce obtint un grand succès, parce qu’elle répondait à un nouveau courant d’idées. L’exagération, l’esprit de parti, la mauvaise foi y étaient évidents ; mais il s’agissait alors de frapper fort, et, comme toujours, il se trouva dans les bas-fonds des auteurs tout disposés à se mettre au diapason. Les uns par intérêt, les autres par peur, s’enrôlèrent dans les rangs de la réaction ; la plupart furent abjects, et il y a plus d’un enseignement à tirer des déclamations en vers et en prose qui retentirent alors dans tous les spectacles, envahis par les muscadins, les élégantes, avides de plaisirs, après la compression formidable qui avait précédé.