Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Joyeuses commères de Windsor (LES), comédie en cinq actes, de Shakspeare

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 1060).

Joyeuses commères de Windsor (les), comédie en cinq actes, de Shakspeare (1602). Falstaff, le bon compagnon de débauche du prince Henri, dans Henri IV, en est encore le héros ; mais il y est présenté sous un jour tout autre. C’est bien le même chevalier sans vergogne, vantard et poltron, éventreur de chevaux, défonceur de lits ; mais il n’a plus cette fleur de gentilhommerie qui le rendait si amusant ; il a vieilli ; il est encore plus enfoncé dans ses goûts matériels ; il est uniquement occupé de satisfaire au besoin de sa gloutonnerie. Autrefois, il pouvait s’abuser sur ses goûts et se croire libertin ; aujourd’hui, il n’y songe même plus ; c’est à se procurer de l’argent qu’il veut faire servir l’insolence de sa galanterie. Dans cet espoir, il fait en même temps la cour à deux bonnes bourgeoises fort riches, et que sa fatuité le porte à croire favorablement disposées à son égard. « Je veux être à toutes deux leur receveur, dit-il effrontément, et elles seront toutes deux mes payeuses ; elles seront mes Indes orientales et occidentales, et j’entretiendrai commerce dans les deux pays. »

Mais mistress Page et mistress Ford sont de rusées commères, qui s’entendent pour berner le chevalier et le punir de son incontinence. Au premier rendez-vous que lui accorde mistress Ford, le mari de celle-ci, croyant véritablement à l’infidélité de sa femme, accourt inopinément, et Falstaff est trop heureux de s’échapper dans un panier rempli de linge sale, que les domestiques ont l’ordre de verser dans un fossé boueux. Mistress Ford parvient néanmoins à faire tomber une seconde fois le chevalier dans le panneau ; il est alors obligé de s’esquiver déguisé en vieille bohémienne, tandis que le mari, accouru de nouveau, le roue de coups de bâton, le prenant pour la sorcière qu’il représente. Falstaff ne laisse pas que de tomber une troisième fois dans le même piège, tant sa cupide fatuité aveugle sa clairvoyance et son amour-propre. Les deux amies lui donnent rendez-vous à minuit dans le parc de Windsor, où il devra venir les retrouver sous les traits et le costume d’Eberne le chasseur, garde de la forêt, mort depuis longtemps, et qui passait pour revenir toutes les nuits d’hiver tourner autour d’un chêne avec un grand bois de cerf sur la tête. Falstaff accepte, se croyant enfin parvenu au comble de ses vœux ; mais lorsqu’il se présente dans ce singulier accoutrement, les maris, les enfants, les parents, les amis de mistress Page et de mistress Ford, prévenus et déguisés en farfadets, en fées, en lutins, portant des habillements blancs et verts, des couronnes de bougies allumées sur leurs tètes et des sonnettes dans leurs mains, entourent le malheureux chevalier en chantant, le pincent, le brûlent, font pleuvoir sur lui les quolibets et les railleries, jusqu’à ce qu’enfin tout le monde se fasse connaître et mette ainsi le comble à la confusion de Falstaff. « Je commence à voir, dit-il, qu’on a fait de moi un âne. » La mystification est complète.

Telle est l’intrigue principale de cette pièce, qui, si elle offre un genre de comique moins relevé que la première partie de Henri IV, n’en est pas moins une des productions les plus divertissantes de cette gaieté d’esprit dont Shakspeare a fait preuve dans plusieurs de ses comédies.

Plusieurs nouvelles peuvent se disputer l’honneur d’avoir fourni à Shakspeare le fond de l’aventure sur laquelle repose l’intrigue des Joyeuses commères de Windsor. C’est probablement aux mêmes sources que Molière aura emprunté celle de son École des femmes. Ce qui appartient à Shakspeare, c’est d’avoir fait servir la même intrigue à punir à la fois le mari jaloux et l’amoureux insolent. Il a ainsi donné à sa pièce, sauf la liberté de quelques expressions, une couleur beaucoup plus morale que celle des récits où il a pu puiser, et où le mari finit toujours par être dupe de l’amant heureux. Cette comédie n’était, dans le principe, qu’une sorte d’ébauche, qui fut représentée assez longtemps dans cet état, et qu’ensuite Shakspeare a mise dans la forme où elle est maintenant.