Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Juillet (COLONNE DE)

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 1094-1095).

Juillet (colonne de). Ce monument en bronze, ainsi nommé parce qu’il doit perpétuer la mémoire des trois journées de juillet 1830, s’élève à Paris au centre de la place de la Bastille, dont le nom rappelle tant de souvenirs. La colonne de Juillet appartient au style corinthien, avec chapiteau composite.

Le projet d’élever sur l’emplacement de la Bastille une colonne à la Liberté date de la première Révolution. Il avait été soumis à l’Assemblée législative par Palloy. L’érection de ce monument fut décrétée le 16 juin 1792, et les travaux furent commencés immédiatement. Le monument devait être construit avec des matériaux de la forteresse ; les outils même, le fer, le bois, tout en provenait : c’était une coutume mise en vogue par Palloy, qui posa la première pierre le 14 juillet 1792, en présence d’une députation de l’Assemblée nationale, où figurait Talleyrand. Nous trouvons dans le procès-verbal authentique de cette cérémonie un détail caractéristique. La députation de l’Assemblée s’étonnant que le roi ne fût pas présent, quoiqu’il eût été invité, fit effacer sur-le-champ ces mots de l’inscription : En présence de Louis XVI. Un mois plus tard, la rature devait s’étendre sur la monarchie elle-même.

Au milieu des événements, la colonne de la Liberté fut oubliée, et les travaux ne furent pas poussés plus loin.

Après la Révolution de 1830, une loi proposée par la Chambre des députés ordonna l’érection de la colonne actuelle, qui fut commencée en 1833, sur les dessins d’Alavoine, continuée à la mort de ce dernier par M. Duc, et finie en 1840. Les fondements sur lesquels repose la colonne de Juillet sont placés à cheval sur le canal Saint-Martin, qui passe sous la place de la Bastille. Une ogive de la forme la plus vigoureuse se dresse du fond de ce canal, et présente sa pointe hardie pour base à l’édifice. Autour de cette voûte ogivale, isolée du reste des terrassements, est pratiquée une autre construction circulaire qui s’enfonce comme un puits dans la terre ; dans les parois de cette tour ainsi suspendue sur l’eau sont percées huit ouvertures qui s’abîment dans les ténèbres intérieures. Ces ouvertures avaient dû servir autrefois à faire monter l’eau du canal dans la fameuse fontaine de l’Eléphant, qu’il avait été question d’élever en ce même endroit ; elles sont devenues les portes des caveaux funéraires dans lesquels reposent les victimes des trois jours. Sous l’ogive qu’elles entourent et qui les domine, l’eau du canal coule profonde, obscure et lente, « comme celle d’un fleuve infernal, et qui complète merveilleusement cet horizon souterrain, de la mort, » a dit un écrivain anonyme. Quatre grands caveaux, percés de portes à chacune de leurs extrémités, renferment dans un grand sépulcre commun les cadavres, placés par dizaines dans des tombes particulières. Ainsi, la colonne de Juillet n’est pas seulement un monument symbolique : les restes humains qui lui sont confiés en font encore un monument funéraire ; ils lui donnent, en outre, ce caractère de reconnaissance publique et de religion patriotique auquel le ciseau du plus habile artiste ne saurait suppléer. Ces constructions souterraines sont enveloppées et protégées par deux étages de maçonneries au-dessus du sol ; ce sont comme deux grandes marches sur lesquelles est posé le piédestal de la colonne, piédestal quadrangulaire, en bronze comme le fût, strié à la manière de beaucoup de sarcophages antiques, surmonté d’un coq gaulois à chaque angle, et décoré, sur la face du Sud, d’un lion qui, par une heureuse circonstance, se trouve être à la fois le signe zodiacal du mois de juillet et l’emblême de la majesté du peuple. Ce lion, qui est comme la mélodie dominante de la décoration, se détache en entier du piédestal ; il est dû au ciseau de M. Barye ; sa tête reparaît dans les quatre colliers ornés qui partagent le fût de la colonne en trois parties, indiquant les trois journées de la révolution ; elle reparaît encore dans le chapiteau qui résume tout le monument. Au-dessus du lion, on lit l’inscription suivante, gravée en lettres dorées :


à la gloire
des citoyens français
qui s’armèrent et combattirent
pour la défense des libertés publiques,
dans les mémorables journées
des 27, 28, 29 juillet 1830.


Sur la face opposée se trouve placée une autre inscription, ainsi conçue :

Loi du 13 décembre 1830.
Art. XV.
un monument sera consacré à la mémoire
des événements de juillet.
Loi du 9 mars 1830.
Art. II.
ce monument sera érigé sur la place
de la bastille.


La colonne a 50m,52 de hauteur, sur 4m,03 de diamètre. Son mode de construction était nouveau, et n’avait d’analogie qu’avec celui qu’on avait suivi pour la flèche de la cathédrale de Rouen, construite en fonte de fer. Le fût a 23 mètres et se compose de vingt-trois tambours, chacun de 1 mètre de hauteur. Le diamètre du tambour inférieur est de 3m,60 et d’une épaisseur de métal de 0m,02 ; celui du tambour supérieur est de 3 mètres, son épaisseur est de 0m,015. Chacun de ces tambours porte intérieurement huit nervures verticales, et haut et bas des brides horizontales qui servent à les réunir entre eux par des boulons. Cette série de tambours porte ainsi sur huit linteaux et en même temps sur huit poteaux disposés dans le vide du piédestal ; ces poteaux, réunis entre eux par des entretoises et des croix de Saint-André, forment un véritable système de charpente. Sur cette charpente, également en bronze, dont les épaisseurs de métal varient de 0m,02 à 0m,03, sont fixées les plaques du piédestal au nombre de vingt-quatre ; leurs épaisseurs varient de 0m,02 à 0m,15. L’intérieur de la colonne est creux et éclairé par seize gueules de lion ouvertes dans les colliers extérieurs. L’escalier à noyau évidé se compose d’une série de potences agrafées aux nervures soit des poteaux inférieurs, soit des tambours. Cette série de potences porte une double rampe composée de châssis à limon sur lesquels reposent les marches ; toutes ces parties sont aussi en bronze, de même que les marches, au nombre de 204. À partir du pavé, il faut ajouter 36 marches : total, 240 degrés jusqu’au chapiteau, où une lanterne supporte le Génie de la Liberté qui s’envole en brisant des fers et en semant la lumière, achevant ainsi d’expliquer aux yeux la signification du monument. Ce Génie, œuvre de M. Dumont, rappelle le Mercure de Jean de Bologne. On l’a doré, afin de fixer davantage l’attention sur lui, et de couronner le luxe du bronze par un luxe plus grand. Hélas ! à l’insu de l’artiste éminent qui l’a conçu, le Génie de la Liberté s’envole vers le ciel, au lieu de planer sur Paris. Est-ce que son royaume, à lui aussi, ne serait pas de ce monde ? Quoiqu’il en soit, le curieux qui ne craint pas de monter jusqu’à lui jouit, en faisant le tour de la lanterne, qui lui sert de piédestal, d’une des plus belles vues de la capitale qu’on puisse imaginer : il aperçoit la grande ville dans toute sa largeur, dormant dans la vallée qui s’étend entre les deux sommets opposés du Panthéon et de Montmartre. Le fût, nous l’avons déjà dit, est divisé par quatre colliers ornés ; il en résulte trois parties lisses où sont gravés les noms de 504 combattants de la Révolution, tués pendant la lutte glorieuse qui avait pour but la défense, et non la violation des lois. Ces noms composent au monument une robe étincelante, dont le peuple a le droit d’être fier. Voici la liste de ces noms, tels qu’ils sont écrits sur la colonne qui consacre et immortalise le dévouement et le patriotisme de ceux qui les ont portés :

P.-G. Ader. N. Albert. J.-B. André. J.-B. Anselin. M.-J. Artus. O.-L. Aubry. V.-P. Audé. J.-B. Audry.

A.-D. Ballet. L. Barbette. J.-B.-P. Barbier. N. Barbier. B. Barreau. N. Barette. C.-D. Barquand. J. Barthélémy. J. Bastelica. R. Baudet. E.-M. Baudin. G. Beaubien. J.-F. Beaudoin. M. Beaumet. J.-C. Béguin. S. Belle. A. Bengnot. J.-B. Benoît. C.-E. Bercher. P.L. Berger. L.-M. Bergeret. H. Berrieux. L.-C. Bertin. F. Bertrand. E. Bertrand. C. Besauge. A. Besson. J.-L. Bessonnand. C.-F. Beurrier. P. Bimon. P. Biron. F. Biron. F. Blin. J. Bois. L. Boissel. A.-L. Bonnecaze. C. Bonnal. C. Bonnet. A.-J. Borde. V.-J. Borde. E. Bordeaux. J.-C. Bossonnier. L.-F. Boucot. L.-C. Bougeart. F.-M. Boullée. J.-C. Bourdillat. J.-A. Bourdillat. G.-F. Bourdy. J.-F. Bourgoin. E. Bousquet. J. Boutreux. P. Bouvenot. A. Brasseux. F. Braun. V. Briand. B. Brisevin. J. Brossolette. J. Brotel. F.-J. Broust. C. Brout. C. Brunet. A. Burtaire. C. Buzenot.

F. Cabart. F. Callenge. P. Camus. J. Candellier. N. Canlet. M. Caroujat. T. Carty. J. L. Castiaux. P.-J. Cathala. A.-A. Catherine. J. Cattin. J. Caurière. A. Causin. A. Cavé. J.-P. Cazot. J.-F. Cedelle. N. Cézar. A. Chabot. J.-A. Chalamont. J.-C. Chaudepie de Boiviers. J.-N. Chappe. M.-A. Chappus. P.-M. Charité. C.-M. Chenette. J.-B. Chréon. L.-C. Chevalier. A. Chevalier. F. Chevallie. J. Chevassieux. J. Cheviron. L. Clément. P. Cléry. P.-M. Corbel. P.-A. Corduant. A. Cormier. P. Cortilleux. J. Cottin. J.-L. Coudère. R. Coudray. L. Cousin. J.-F. Couve. L. Crahay. J.-L. Crampon. B.-J. Crespelt. J.-G. Crouillié. J. Crozel. A. Curier. A. Cuvier.

T. Dablies. A. Daisay. A. Dalifar. L.-G. Damas. L.-E. Damas. M. Danse. F. Darbour. J.-J. Dartois. N.-F. Danbert. A. Dauphin. P. Dauteuil. L.-M. David. H. David. H. Deblond. L.-G. Deboves. J. Decourty. J. Dedieu. M. Degoutte. N. Deheurles. L.-J. Dehon. J.-C. Delacourt. P.-F. Delamotte. L.-C. Delattre. A. Delmas. C. Denance. V.-E. Denant. E. Denoyers. V. Deroche. L. Desportes. P. Despréaux. L.-N. Desrondeaux. N. Desveaux. P. Diard. T. Didier. C. Dimanche. B. Doennel. J. Dommain. J. Donaldson. A. D’Orcy-Monty. P. Doupagne. B. Drouet. P.-J. Dubarry. A. Dubray. L.-C. Duchemin. A. Ducroquet. B. Ducroux. J.-C. Dufournaux. J. Dugard. J. Dumergue. J.-P. Dumet. J.-J. Dupont ; H. Durand. C. Durand. A. Duroure. F.-T. Dutet. M. Duvin.

F.-M. Estivin.

F. Faglais. G. Farcy. F. Farnet. M. Faure. J.-G. Fiacre. J. Fondary. J. Forgeron. N. Forient. J.-A. Fountange. A.-F. Fourguiaud. J.-P. Fournier. F. Franzemberg. D. Fremeau. J. Fréville. F. Froment. M. Fuhrer.

J. Gadbin. J.-B. Gagna. C. Gaillard. A. Gallois. C. Gambaré. B. Gamsie. A. Garreau. P. Gassion. J. Gatineau. F. Gaubert. J. Gaudin. J. Gautier. P. Gauvenet. L. Gaveau. J. Geneste. L. Genon. G. Genouille. F. Gibert. J. Giraldon. P. Girard. H. Glasse. E. Gobillot. A. Goichot. J.-L. Goubrit. J.-P. Grand. L. Gravelle. P. Greffe. A. Grenat. J. Grosjean. A. Gruière. P. Guépratte. P. Guérin. F. Guérin. J. Guériot. J.-B. Guignet-Emo. D. Guillemot. J. Guillot. A. Guys.

J.-M. Hallais. J. de Hallard. F. Hapel. F. Hell. P. Hérault. J.-B. Herbé. L. Hérisson. P.-J. Hérochamps. L-A. Hervieux. E.-L. Houdoin. E. Humbert. F. Hytier.

F. Jacquet. J.-P. Jacquier. F. Janelle. A. Janin. F. Jarnet. F. Jaudier. F. Jean. P. Jeannisson. A. Jeansonne. G. Jobet. J. Joquet. P. Joly. C. Joly. J.-L. Josse. J. Jouvencel. J. Jouvente. J. Julien. J.-M. Jung.

A. Kesselmeyer.

F. Labarbe. A. Labarthe. J.-B. Labosse. F. Labsolu. E. Lacheaux. C. Lafond. L. Lafrance. P. Lagrion. D. Lallemant. J.-B. Lambert. J.-F. Lamolière. L. Lamy. L Landemaine. A. Langlois. J. Langlois. F. Lanoy. E. Laplace. J. Larchevêque. L. Lasauvagère. M. Laugier. A. Laurin. J. Lavenne. D. Lavigne. A. Leblanc. P. Lecronier. L. Ledoux. J. Leduc. A. Leduc. F. Legé. J.-B. Legoult. D. Legoux. J.-B. Legrain. J. Legrier. P. Lemonnier. F. Lenormand. J. Lepas. V. Lepetit. P.-F. Lerouge. J. Leroux. C. Leroy. C. Leroy. N. Letellier. P. Lethin. G. Leypoldt. L. Lughet. G. Libert. P. Lidière. P. Lièvre. P. Loiraud. J.-B. Lombard. J.-C. Lompy. P. Lontreuil. J.-L. Lootens. P.-L. Lorcet. J. Louvet. A. Lurier.

J. Mahot. A. Maillard. J. Maison. B. Maisse. C. Mallabre. A. Manchon. N. Mandarou. A. Marigny. L. Marion. L. Marnet. G. Marotte. C. Marre. J. Martin. P. Martin. M. Massé. A. Maubant. F.-A. Mauviel. J. Mégévend. F. Ménard. P. Mercier. A. Mesnil. J. Meunier. J. Michelon. J. Middendorp. E. Miel. P. Mignon. F. Mignot. J. Millon. N. Miltgen. P. Mion. L.-L. Mondon. J. Mondot. L. Monmarque. J. Monpansier. F. Monsarrat. P. Monsimier. P. Morand. E. Morel. C. Morin. N. Morisot. J.-B. Moroy. N. Mortier. P. Munier. G. Munier. J. Murgier. J. Muzy.

N. Nancy. J. Nicolle. C. Nicot. P. Nilles. J. Noël.

C. Occident. B. Ollivier. J. Ouarroqui. E. Ozanne.

J.-B. Pacraud. N. Papu. P. Paquet. F. Paris. P. Paris. F. Pascot. A. Pasquet. P. Pasquin. J.-B. Passecloue. A. Passenaud. J. Paturaud. F. Paupe. J.-F. Paymier. E. Pelletier. J.-A. Pellicier. N. Peltier. J.-B. Perin. D. Petermann. A. Petitpas. F. Peuvret. J-L. Peymier. A. Peynaud. L. Pezet. A. Picard. G. Picot. J.-B. Pignol. J.-J. Pinart. F. Pineau. J. Pinlocbe. P. Pinot. E. Piquot. V. Plataret. J. Pléchot. E. Postansque. P. Pother. J. Pottin. P. Prevost. P. Pronier. L. Prudhomme.

J.-B. Quizy. J.-C. Quriot.

L. Rabut. A. Raillard. J. Renal. H. Renaud. J. Renevier. G. Revêche. A. Richer. N. Rigoine. L. Rigot. F. Rocton. D. Rodillon. L. Rossignol. D. Rossignol. L. Rouches. P. Roulin. V. Rousseau. J. Rousseau. L. Rousselet. Cl. Rousselot. A. Rouzée. E. Royer.

J. Saché. N. Sal. L. Salmon. C. Sancy. J. Sanlot. J.-J. Sauce. J. Sauer. C. Saulnier. G. Saunier. J. Savinas. E. Savy. A. Schmidt. G. Schmutter-Maier. F. Schram. L. Séné. A. Sénéchal. F. Senelle. J. Senger. E. Seroupsal. F. Serrot. F. Sidrat. P. Simon. J. Simon. L. Simonneau. F. Simonnot. P. Suimont. J. Suisse.

P. Talet. J. Tardif. C. Teigneaux. F. Testu. P. Thébert. A. Thibault. J. Thomas. C. Thomassé. L. Thory. A. Tison. P. Trebutin. J. Tridon. C. Trouillard. J.-B. Trouvé. P. Turlure.

L. Valette. P. Valluche. J. Vandeuvre. A. Vanesse. L. Vanneau. L. Vannier. J. Varenne. J. Vasselin. J. Vauflair. P. Veau. P. Veiller. A. Verdier. F. Verheye. G. Veschambres. A. Vial. E. Vicq. A. Vidalenc. A. Vieille-Marchiset. J.-F. Vieux. J.-B. Viéville. J.-P. Vignon. P. Viray. J. Virvoudet. F. Vollée.

C. Weisskilliam. J. Willhelm.

Parmi ces noms, on remarque celui du jeune poète Georges Farcy, tué sur la place du Carrousel, à quelques pas de l’hôtel de Nantes, contre les murs duquel on lui avait érigé une pierre funéraire ; le nom, donné à une rue du faubourg Saint-Germain, de Vanneau, un des élèves de l’Ecole polytechnique qui guidèrent les colonnes populaires, tué à l’attaque de la caserne de la rue de Babylone ; enfin le nom, donné à une autre rue de Paris, du garde national Jeannisson.

Le plan primitif de la colonne de Juillet avait été tracé par M. Alavoine. À la mort de cet architecte, M. Duc fut chargé, les adjudications étant faites et les dépenses réglées, de revoir les détails et de surveiller l’exécution. « Il s’est surtout préoccupé, disait le Magasin pittoresque de 1840, de trouver un système général de décoration qui fît valoir d’une manière particulière le métal sur lequel il avait à opérer ; il a voulu prêter au bronze la vie qui lui est propre, celle que le bronze lui-même prendrait si, animé tout à coup, il pouvait se tordre et se façonner d’une manière conforme à son intime nature. Les formes déliées, vives, que le métal en fusion aurait affectées de lui-même s’il avait pu diriger sa cristallisation, lui ont été données par l’architecte. Les découpures nettes et élégantes du feuillage, des broderies qui réunissent la finesse à la vigueur, composent presque toute la parure du monument, très-différent, sous ce rapport, de toutes les colonnes sculptées qui rappellent les bas-reliefs et le travail du marbre. » L’auteur de ces lignes, après avoir vanté la simplicité excellente des ornements, qui produit un effet qu’on ne trouve dans aucun autre ouvrage de notre temps, la délicatesse infinie des détails, la sévérité du plan général, ajoute : « Il y a une partie dans laquelle M. Duc a voulu que, même de loin, on pût voir ce qu’il y avait d’élégant et de triomphal dans sa colonne ; cette partie, c’est le chapiteau. La colonne Vendôme, toute chargée de ses riches sculptures, a pu se passer de cet ornement ; M. Duc a mis, au contraire, tout le luxe de la colonne dans la coiffure qu’il lui a dessinée… Aussi la composition de son chapiteau est-elle la partie la plus savante, la plus riche et la plus importante de son dessin. La partie inférieure du chapiteau est ornée d’un rang de palmes qui sont comme le dernier écho de la plainte lugubre qui s’élève vers le ciel ; au-dessus de cette base commence le mélange des symboles de la victoire. Au milieu crime végétation plus élancée qui s’en va porter appui aux volutes des angles, on voit passer les extrémités du panier dont nous avons aperçu l’indication dans les régions inférieures de la colonne ; c’est de l’intérieur de ce panier que se déploient les jets puissants qui supportent le tailloir. Mais, autour de la corbeille de fête, quatre enfants d’une allure audacieuse forment une ronde animée, tenant leurs pieds posés sur les feuilles funéraires, portant dans leurs mains la guirlande des réjouissances, appuyant leurs têtes au-dessous de celles des lions, lesquelles, escortées de deux hautes feuilles triomphales, complètent les fleurons. La balustrade qui repose sur le tailloir a été dessinée avec une rare élégance, de manière à lui servir de diadème. Ce chapiteau rivalise de luxe avec les œuvres les plus opulehtes de la Renaissance ; mais c’est dans l’antiquité et à Pœstum même qu’il en faut chercher les véritables modèles. »

La dépense totale pour la construction du monument a été évaluée à 1,172,000 francs. Le poids total du bronze est de 184,802 kilogrammes. L’alliage du bronze employé dans la colonne est celui des frères Keller.

La colonne de Juillet devait être naturellement le centre des mouvements populaires à cause des souvenirs qu’elle évoquait, et du principe de la souveraineté du peuple qu’elle semblait consacrer, dit Émile de La Bédollière dans le Nouveau Paris. Avant qu’elle ne fût élevée, le 5 juin 1832, l’insurrection était partie de la place de la Bastille. Le contingent formidable du faubourg Saint-Antoine sy réunit le 24 février 1848, et, le 27 du même mois, on transférait à côté des victimes de la Révolution de 1830 celles de la Révolution de 1848. Le service s’était fait à la Madeleine. Depuis cette église jusqu’à la colonne de Juillet, un double cordon tricolore bordait les deux côtés des boulevards, se rattachant aux candélabres à gaz et au peu d’arbres qui n’avaient pas été abattus pour les barricades. Des écussons chargés d’inscriptions s’élevaient de distance en distance. La garde nationale à cheval, les dragons, les cuirassiers et l’artillerie à cheval ouvraient la marche. Puis, venaient les musiques de six légions de la garde nationale et d’autant de régiments d’infanterie. Marchaient ensuite, sur quatre rangs, la garde nationale, la garde mobile et la ligne entremêlées, précédant six chars pavoisés de drapeaux tricolores et ne contenant que seize cercueils de combattants morts dans les hôpitaux. La plupart des victimes avaient été immédiatement enterrées ou déposées antérieurement dans la crypte de la colonne. Après ces chars funèbres, venaient le Gouvernement provisoire, entouré des faisceaux de la République portés par les élèves des Ecoles polytechnique et de Saint-Cyr, les députations des divers corps de l’État, des corporations d’ouvriers, des sociétés artistiques et littéraires, des journalistes ; des députations des Polonais, des Belges, des Italiens, des Allemands et les détenus politiques. On remarquait, dans un cabriolet de place, le condamné Hubert, que les souffrances de la prison avaient rendu si faible, au dire de M. de La Bédollière, qu’il n’avait pu suivre à pied le convoi. Au milieu de ce cortège, marchaient les orphéonistes, Enfants de Paris et Union chorale, chantant la Marseillaise et le Chant du Départ. Derrière les députations, on admirait l’emblème de la République, traîné par huit chevaux blancs richement caparaçonnés. Ce char, pour ainsi dire improvisé, était remarquable par sa grandeur et par la belle disposition de ses ornements. Des faisceaux partant des angles du char supportaient un trophée composé des attributs des arts et de toutes les professions. Deux bras de bronze venaient unir leurs mains fraternelles et soutenir la main de justice, symbole de la liberté sous la loi. Sur le devant du char, tout entier recouvert de velours pourpre, on lisait : Vive la République ! sur les côtés : Liberté, Egalité, Fraternité. Des branches et des couronnes de chêne et de laurier couvraient le char. Les abords de la colonne étaient gardés par la 8e légion ; mais la foule était si compacte en cet endroit, qu’il fallut toute la bonne volonté des assistants pour laisser pénétrer les membres du Gouvernement provisoire jusqu’aux caveaux. Au moment où le char s’arrêta, le ciel, qui avait été gris et froid toute la journée, s’illumina soudain, et un magnifique soleil fit resplendir tout à coup la statue de la Liberté, dont le chapiteau avait été enveloppé pour la circonstance d’un crêpe immense semé d’étoiles d’argent. Pendant que les parents des victimes se précipitaient pour dire un dernier adieu à des restes chéris, M. Dupont (de l’Eure) déposait une couronne d’immortelles et de laurier sur les cercueils et terminait quelques paroles prononcées d’une voix émue par le cri de Vive la République ! aussitôt répété par tous les assistants qui couvraient la place, étaient groupés aux fenêtres des maisons avoisinantes et échelonnés sur les toits.

Pendant le siége de Paris, la colonne de Juillet fut l’objet de nombreuses démonstrations patriotiques de la part surtout des bataillons sédentaires et des bataillons de marche de la garde nationale. À la chute de la Commune, de sanglants combats eurent lieu autour d’elle et de nombreux projectiles l’atteignirent sans cependant lui causer de dommages sérieux.