Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LAMARTINE (Alphonse-Marie-Louis DE PRAT DE), un des plus illustres poëtes de la France

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 102-103).

LAMARTINE (Alphonse-Marie-Louis de Prat de), un des plus illustres poëtes de la France, né à Mâcon le 21 octobre 1791, mort à Paris le 1er mars 1869. Son père, le chevalier de Lamartine, capitaine d’un régiment de chevau-légers, avait pris le nom de De Prat, tiré d’une terre patrimoniale de Franche-Comté, pour se distinguer de ses frères aînés ; il épousa Mlle Alix des Roys, fille de l’intendant général des finances du duc d’Orléans, qui fut la mère du poëte. Arrêté après le 10 août, comme royaliste, il resta incarcéré jusqu’au 9 thermidor. Il se retira alors dans ses terres, au château de Milly, près de Mâcon, que les poésies de Lamartine ont rendu presque aussi célèbre que le château de Saint-Point.

Lamartine reçut l’éducation religieuse conforme aux idées de sa famille et à ses propres instincts ; sa mère lui apprit à lire dans la Bible et le confia à l’abbé Dumont, un brave homme qui avait oublié son latin pour la chasse au lièvre et qui connaissait mieux son fusil que son bréviaire. Le moment venu de livrer son disciple aux études sérieuses, il le fit envoyer chez les pères de la foi, à Bellev. En sortant de ce séminaire, Lamartine était déjà poëte, ainsi qu’en témoigne une pièce de vers, d’une facture un peu sèche, mais non dépourvue de beautés, les Adieux au collège de Belley. Le roman de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, la Jérusalem délivrée, traduction de Lebrun, Berquin et quelques livres de Mme de Genlis furent ses lectures favorites, avec le Génie du christianisme et le pseudo Ossian de Macpherson. La poésie vague et nébuleuse d’Ossian convenait surtout à ses secrètes aspirations, et Lamartine a conservé toute sa vie pour ce fantôme l’admiration la plus enthousiaste et la moins réfléchie. Il avouait plus tard, dans tout le rayonnement de sa gloire, que, en fait de bibliothèque, un Tacite, un Ossian, une Jérusalem délivrée, un tome dépareillé de Bernardin de Saint-Pierre et une Imitation de Jésus-Christ, ayant appartenu à sa mère, lui avaient toujours suffi. Son génie, tout personnel, fait de méditations et de rêveries, n’avait pas besoin de l’aliment que l’on cherche d’ordinaire dans la lecture ; mais il se priva en même temps d’un appui nécessaire.

Vers l’âge de vingt ans, sa famille le fit voyager ; son père, qui voulait en faire un soldat, était trop bon royaliste pour lui permettre de servir sous Napoléon. Il parcourut l’Italie, résida quelque temps en Toscane, puis à Rome et à Naples, où il rencontra un de ses amis de collège, A. de Virieu, auquel il a dédié un grand nombre de poésies ; il ébauchait à cette époque les principales pièces des Méditations. Lamartine passa l’hiver à Rome et l’été à Naples ; il aimait à vivre en pleine liberté, avec les pécheurs, et c’est en ce moment de sa vie qu’il fut aimé de la pauvre fille idéalisée plus tard par lui sous le nom de Graziella. Le récit poétique et émouvant qu’il a fait de cette liaison de jeunesse est remarquable comme œuvre littéraire, mais donne une bien mauvaise idée des qualités de l’homme ; il y joue le rôle d’un froid égoïste, d’un élégant dandy qui se laisse adorer : le poète ne se retrouve que lorsqu’il s’agit de pleurer, en beaux vers, sur la tombe de l’humble ouvrière morte d’amour : Il paraît que Graziella n’était pas une corailleuse, comme elle est présentée dans le roman, mais une jolie cigarière ; le poète nous a maladroitement révélé, dans des confessions qui détruisent tout le charme des Confidences, qu’il lui avait plu de donner un autre cadre que le véritable à ce gracieux visage, et il a eu tort d’entretenir le public de tous ces détails intimes : la poésie ne gagne rien à soulever ses voiles. Elvire et Graziella, comme Béatrix, Juliette et Mignon, sont des créatures idéales qui ne peuvent que perdre en redevenant des femmes.

Rentré en France en 1813, il assista aux dernières convulsions de l’Empire, et, à la Restauration, s’engagea dans le régiment des gardes du corps. Au retour de l’île d’Elbe, il accompagna Louis XVIII jusqu’à la frontière, et, sa compagnie ayant été licenciée à Béthune, il voyagea en Suisse et en Savoie pendant la durée des Cent-Jours. Après Waterloo, il reprit du service dans son ancien corps, mais pour peu de temps, et retourna en Savoie, où Louis de Vignet, un autre de ses amis, le présenta à Joseph de Maistre ; aux eaux d’Aix, il fit la connaissance d’une femme qu’il a rendue célèbre sous le nom d’Elvire et qu’il aima profondément : elle lui inspira ses plus beaux vers. C’était une créole de Saint-Domingue, élevée à la maison de la Légion d’honneur et mariée à dix-sept ans à un vieillard. Le poëte la suivit à Paris (1817), fut mis en relation avec Suard, de Bonald, Mounier, Lally-Tollendal, introduit dans les salons de Mmes de Saint-Aulaire et de Broglie, et y lut ses premiers essais. Malgré le dédain qu’il a toujours affecté pour le monde, il fréquentait la plus haute société, et il y obtenait de grands succès plutôt comme gentilhomme accompli, de belle mine et de belle prestance, que comme poëte. « La nature, a-t-il dit, ne m’a pas fait pour le monde de Paris ; il m’afflige, il m’ennuie. Je suis né Oriental et je mourrai tel. La solitude, le désert, la mer, les montagnes, les chevaux, la conversation intérieure avec la nature, une femme à adorer, un ami à entretenir, de longues nonchalances de corps, pleines d’aspirations d’esprit, puis de violentes et aventureuses périodes d’action, comme celles des Ottomans et des Arabes, c’est là mon être : une vie tour à tour poétique, religieuse, héroïque, ou rien. » Quoi qu’il en dise, Lamartine passa la plus grande partie de sa vie dans cette société dédaignée, où il se créa des relations nombreuses par sa naissance, sa grande fortune, son élocution agréable et facile ; sa feinte misanthropie n’était qu’un charme de plus pour les jeunes femmes sensibles.

En 1819, il revit, avec sa maîtresse, la vallée d’Aix et le lac du Bourget ; la mort la prit dans cette excursion pittoresque, et diverses pièces des Méditations, le Lac, entre autres, un chef-d’œuvre, et le Crucifix, qui lui est à peine inférieur, resteront comme des monuments éternels de la douleur du poëte. De retour à Paris, il publia les Premières méditations (1820, in-8o). L’effet que produisit ce volume de poésies, d’une mélancolie pénétrante, sur la génération d’alors fut immense. Les jeunes gens, les femmes, toutes les organisations nerveuses et sentimentales, fatiguées du vieux genre monotone et sec du XVIIIe siècle, comme du genre sceptique et fatal de Byron, s’éprirent jusqu’à l’enthousiasme de ce poète qui faisait parler à l’amour une langue nouvelle et associait avec un art incomparable l’âme humaine aux grands spectacles de la nature. Tout un monde nouveau, inexploré, apparaissait dans ces beaux vers, d’un grand souffle et d’une harmonie enchanteresse ; on récitait l’Isolement, le Lac, l’Épître à lord Byron, sans pouvoir se lasser de cette poésie toute neuve qui emportait, d’un coup d’aile, vers les régions idéales, et répondait aux aspirations les plus chastes et les plus élevées. Ce fut comme un enivrement ; trente éditions successives satisfirent à peine à l’avidité de la foule et le nom de Lamartine fut-dans toutes les bouches.

Une jeune et jolie Anglaise, Elisa-Marianne Birch, séduite par cette poésie, et par le poëte lui-même, qu’elle avait rencontré en Savoie, devint, à Genève, Mme de Lamartine, et apporta à son époux une brillante fortune (1823). Depuis son mariage, Lamartine habita tour à tour Naples, Rome et Paris. En 1823 il publia ses Nouvelles Méditations, qui obtinrent presque autant de succès que les premières ; ses vers avaient les mêmes qualités d’ampleur et de sonorité, avec des formes plus arrêtées et plus précises ; quelques pièces, comme l’Ode à Bonaparte, faisaient même vibrer une corde énergique et attestaient qu’au milieu de ses préoccupations mystiques le poëte savait trouver, au nom de la conscience humaine, les plus sévères accents. La Mort de Socrate, excursion dans le néo-platonisme, le Dernier chant du pèlerinage de Childe-Harold, hommage au génie de lord Byron, où, toutefois, il est resté inférieur à son modèle, furent les premiers essais de Lamartine dans le poëme ; il n’a réussi à faire de ces deux compositions que deux longues élégies, qui ne peuvent point passer pour des épopées, mais dont quelques fragments sont admirables.

Lamartine était entré dans la diplomatie au moment où il publiait le Pèlerinage de Childe-ilarold ; nommé, en 1824, secrétaire de légation du marquis de Maisonfort, à Florence, il le remplaça comme chargé d’affaires en 1826. Douloureusement affecté, comme poëte, de l’asservissement des Italiens, il avait mis dans la bouche de Byron une apostrophe virulente qui est un des plus beaux morceaux de la suite de Childe-Harold. 11 lui faisait dire adieu à l’Italie et prononcer ces paroles :

Terre où les fils n’ont plus le sang de leurs aïeux,
Où sur un sol vieilli les hommes naissent vieux,
Où sur les fronts voilés plane un nuage sombre,
Où le fer avili ne frappe que dans l’ombre,
Adieu ! Pleure ta chute, en vantant tes héros
Sur les bords où la gloire a ranimé leurs os !
Je vais chercher ailleurs (pardonne, ombre romaine !)
Des hommes, et non pas de la poussière humaine.

Ces vers soulevèrent la susceptibilité d’un patriote, le colonel Pepe, frère du général de ce nom, proscrit de Naples à la suite d’un mouvement révolutionnaire ; il y répondit par une brochure injurieuse et Lamartine défendit ses vers l’épée à la main. Une rencontre eut lieu dans le jardin même de l’ambassade, et le poëte fut blessé au poignet.

De retour en France, Lamartine se vit proposer, par le ministre des affaires étrangères, le poste de secrétaire général, qu’il refusa, puis celui de ministre plénipotentiaire près du nouveau roi de Grèce (1829). Avant de se rendre à son poste, il publia ses Harmonies poétiques et religieuses (1830, 2 vol. in-8o), qui sont comme la conclusion des Méditations. La manière du poëte y atteignait le suprême degré d’élévation, d’ampleur, mais il devenait presque étranger à l’homme, en se perdant dans les plus hautes régions de l’idéal. Pour les sceptiques, cette poésie vague et solennelle restait vide, et le satirique Barthélémy appela ces Harmonies

Des Gloria patri délayés en deux tomes.

On peut leur reprocher la diffusion et la monotonie, « Plus de rivage ! dit Sainte-Beuve ; rien que les cieux et la plaine sans bornes d’un océan Pacifique. Le bon océan sommeille par intervalle ; il y a de longs jours, des calmes monotones, on ne sait pas bien si on avance ; mais quelle splendeur, même alors, au poli de cette surface ! quelle succession de tableaux à chaque heure des jours et des nuits ! quelle variété miraculeuse, au sein de la monotonie apparente, et, à la moindre émotion, quel ébranlement redoublé de lames puissantes et douces, gigantesques, mais belles, et surtout et toujours l’infini de tous les sens, profundum, altitudo ! » Celui qui a le mieux saisi le caractère particulier de la poésie de Lamartine, c’est Th. Gautier, dans cette magnifique page : « Dans les tableaux de Lamartine, il y a toujours beaucoup de ciel ; il lui faut cet espace pour se mouvoir aisément et tracer de larges cercles autour de sa pensée. Il nage, il vole, il plane comme un cygne se berçant sur ses longues ailes blanches, tantôt dans la lumière, tantôt dans une légère brume, d’autres fois aussi dans des nuages orageux ; il ne pose à terre que rarement et bientôt reprend son essor ; à la première brise qui soulève ses plumes, cet élément fluide, transparent, aérien, qui se déplace devant lui et se referme après son passage, est sa route naturelle ; il s’y soutient sans peine, durant de longues heures, et, de cette hauteur, il voit s’azurer les vagues paysages, miroiter les eaux et pointer les édifices dans un vaporeux effacement. Lamartine n’est pas un de ces poètes, merveilleux artistes, qui martèlent le vers comme une lame d’or sur une enclume d’acier, resserrant les grains du métal, lui imprimant des carres nettes et précises. Il ignore ou dédaigne toutes ces questions de forme, et, avec une négligence de gentilhomme qui rime à ses heures, sans s’astreindre plus qu’il ne faut à ces choses de métier, il fait d’admirables poésies, à cheval en traversant les bois, en barque le long de quelque rivage ombreux, ou le coude appuyé à la fenêtre d’un de ses châteaux. Ses vers se déroulent avec un harmonieux murmure, comme les lames d’une mer d’Italie ou de Grèce, roulant, dans leurs volutes transparentes, des branches de laurier, des fruits d’or tombés du rivage, des reflets de ciel, d’oiseaux ou de voiles et se brisant sur la plage en étincelantes franges argentées. Ce sont des déroulements et des successions de formes ondoyantes insaisissables comme l’eau, mais qui vont à leur but, et, sur leur fluidité, peuvent porter l’idée, comme la mer porte les navires. »

Après la publication des Harmonies, Lamartine, patronné par M. Laisné et par Royer-Collard, entra à l’Académie ; il y occupa le fauteuil du comte Daru, dont il sut faire un éloge très-littéraire. Cuvier, qui le reçut (1er avril 1830), lui reprocha, délicatement, de sacrifier la poésie à la politique, car déjà le poëte, arrivé au comble de sa renommée, mais ayant épuisé son génie, aspirait à quitter la diplomatie pour la politique active. Par malheur, la politique lui réservait bien des mécomptes, car la sensibilité qui charme les femmes et les enfants ne suffit pas pour gouverner un peuple. Il se disposait à gagner son poste de ministre à Athènes, et il était déjà en route lorsque survint la révolution de Juillet ; il renonça à la carrière diplomatique et posa sa candidature pour la députation à Toulon et à Dunkerque. À cette occasion, la Némésis le poursuivit d’une façon grossière et l’invita à se présenter aux électeurs de Jéricho. Lamartine répondit en beaux vers, mais n’en subit pas moins un échec électoral ; il résolut alors de voyager, fréta un navire pour l’Orient et se mit en route, avec un faste qui lui a été plus tard amèrement reproché. Il emmenait avec lui sa femme et sa fille Julia, belle enfant d’une douzaine d’années qui lui fut enlevée, à Beyrouth, par une cruelle maladie de poitrine. Lamartine ressentit douloureusement ce coup que lui portait l’adversité, et il se noya de plus en plus dans cette mélancolie vague où il se complaisait. Il continua son voyage, visita Jérusalem, se vit prédire, par une illuminée, lady Esther Stanhope, qu’un jour il aurait en main la suprême puissance, et revint enfin en France, où l’un des collèges du département du Nord l’avait appelé à la députation (1833). Cette pittoresque excursion, effectuée avec une prodigalité tout orientale, nous valut les deux intéressants volumes du Voyage en Orient, pleins de descriptions d’une grande richesse, plus que d’aperçus originaux ; il est douteux que ce livre puisse servir de guide en Orient, mais il déroule une profusion d’idées et d’images dignes d’un grand poëte.

À la Chambre, pour ses débuts, Lamartine se rallia à la monarchie de Juillet, tout en faisant ses réserves. Dans son premier discours (janvier 1834), il se déclara conservateur indépendant, prêt à soutenir le gouvernement dans les crises, mais se réservant de lui faire échec dès que l’ordre matériel et la sécurité publique ne courraient plus de dangers. Il fut dès le premier jour ce qu’il resta durant tout le règne de Louis-Philippe, le chef d’un parti qui se composait de lui seul. Ses discours à la tribune sont, pour la plupart, de magnifiques développements d’éloquence, d’une fluidité admirable, mais peu concluants. Notons, toutefois, ceux qu’il prononça dans la discussion de l’adresse (janvier 1834), au sujet de la loi sur les associations (juin, même année), pour l’abolition de la peine de mort (1836), pour la défense des études universitaires attaquées par Arago (1836) et sur divers projets de loi concernant l’assistance publique. Sa parole charmait la Chambre, sans jamais l’entraîner au vote, et la haute raison qui la dictait souvent semblait trop enveloppée de poésie pour convaincre les esprits positifs ; l’éloquence abondante et fleurie fait toujours l’effet d’un piège sur les hommes prétendus sérieux. Lamartine combattit avec la même vivacité, mais sans plus de succès, les lois de septembre, la coalition qui menaçait le cabinet Molé (1839). Il émit sur la question d’Orient des idées lumineuses, mais trop radicales, car il ne proposait rien moins que la suppression de l’empire ottoman et réclamait un congrès européen pour régler la question d’une manière définitive : Thiers et Guizot le combattirent à outrance. Dans les questions sociales, il se montra un ardent apôtre du progrès, un défenseur éloquent des droits et des souffrances des prolétaires, mais son catholicisme le laissait à peu près sans action sur les masses comme sur la Chambre ; il ne parlait que d’une rénovation religieuse ; il voulait, comme remède à tous maux, « législater le christianisme, » ce qui n’était que le rêve d’un esprit enclin au mysticisme, heureux de planer, dans les nuages, au-dessus des solutions possibles et pratiques. Son hostilité contre le gouvernement s’accentua à la suite de tous ces échecs ; quoiqu’un portefeuille lui eût été offert, par le roi lui-même, dans diverses combinaisons ministérielles, il s’éloigna de plus en plus d’un pouvoir qui « restait immobile, qui muselait la presse, ajournait sans cesse les réformes utiles aux masses, laissait stérile une révolution faite par le peuple et présentait à l’Europe le spectacle démoralisateur d’hommes qui ne se servent des plus saintes espérances de l’humanité que comme d’une arme pour conquérir les positions politiques. » Lamartine s’effrayait de ne trouver dans le gouvernement de 1830 ni action grande, ni idée directrice : « Il ne faut pas se figurer, disait-il, que parce que nous sommes fatigués, le siècle et nous, tout le monde est fatigué comme nous et craint le moindre mouvement. Les générations qui grandissent derrière nous ne sont pas lasses, elles ; elles veulent agir et se fatiguer à leur tour. Quelle action leur avez-vous donnée ? La France est une nation qui s’ennuie ! » (Séance du 10 janvier 1839). Peu de temps après, il appelait le parti conservateur « le parti des bornes » et prédisait, contre Guizot, la « révolution du mépris » (1845). À cette époque, Lamartine était député du collège de Mâcon. Ses compatriotes, jaloux de le voir élu par le collège de Bergues (Nord) en 1833, l’élurent l’année suivante ; mais il opta pour Bergues, où il avait été réélu. En 1837, réélu à la fois dans les deux collèges, il opta pour Mâcon et resta le député de cette ville jusqu’en 1848.

Malgré ces travaux parlementaires, Lamartine montra que, chez lui, l’homme politique n’avait pas absorbé le poëte et le grand écrivain. Il avait publié le Voyage en Orient (1835, 3 vol. in-8o) ; il le fit suivre de Jocelyn (1836, 2 vol. in-8o) et de la Chute d’un ange (1838, 2 vol. in-8o), deux grandes épopées, l’une tout intime et mélancolique, l’autre presque héroïque et chantant les mystérieuses époques de l’humanité primitive. Elles ne devaient être que deux anneaux, le premier et le dernier, d’une longue chaîne d’épopées, embrassant l’histoire entière de l’homme, et que le poëte n’a pas eu la force d’achever. Jocelyn, avec ses pages émues, ses peintures de l’amour chaste et souffrant, ses splendides paysages alpestres, excita de vives sympathies ; la Chute d’un ange obtint moins de succès, à cause de l’étrangeté de la fiction et malgré ses larges inspirations bibliques, ses éblouissants tableaux de la vie orientale. Lamartine avait dit son dernier mot, comme poëte, dans ces deux œuvres ; il ne publia plus de vers qu’un volume de Recueillements poétiques, vibrations prolongées d’une lyre qui commençait à se détendre (1839, in-8o) ; mais l’écrivain allait obtenir son plus grand triomphe par l’Histoire des Girondins (1846, 6 vol. in-8o). Les élections, grâce à la corruption ministérielle, venaient d’être favorables au pouvoir, plus ébranlé que consolidé par cette comédie électorale ; ce fut le moment que choisit Lamartine pour lancer ce livre dans lequel, dit Daniel Stern, l’image si grande des héros de 1789 était un reproche à nos petitesses. La fantaisie tient trop de place dans l’Histoire des Girondins pour qu’on puisse la considérer comme une œuvre définitive sur la Révolution ; mais des pages pleines de souffle, des portraits faits de main de maître, quoique démesurément agrandis, une poésie étincelante jetée sur les plus sombres figures suffirent à l’enthousiasme irréfléchi de la foule. L’effet produit fut immense et l’on put y voir comme le frisson précurseur des orages. C’était l’époque des banquets réformistes ; à celui que la ville de Mâcon offrit à son plus illustre citoyen, Lamartine annonça publiquement la chute prochaine de la maison d’Orléans. Il touchait à l’apogée de sa carrière, et, comme le lui avait prédit lady Stanhope, il allait tenir dans ses mains les destinées de son pays.

Au milieu de l’agitation générale, les Chambres s’ouvrirent le 27 décembre 1847 ; Guizot gardait le pouvoir, appuyé par une majorité de trente-trois voix. Le banquet du XIIe arrondissement, plusieurs fois retardé, avait été définitivement fixé au 22 février ; les députés conviés hésitent et ne s’y rendent que sur les instances de Lamartine : ils trouvent le lieu du banquet occupé par la troupe ; ce fut le signal de la prise d’armes. Lamartine se mit résolument à la tête du mouvement révolutionnaire ; le 24 février, au moment d’entrer à la Chambre, il s’écriait : « Je n’entrerai que dans un mouvement complet, c’est-à-dire dans la République ; » et, lorsque les opposants modérés proposèrent la régence, contre toute attente, il repoussa le projet de loi, par cette phrase fort juste, mais qui surprenait chez un poëte : « Défions-nous des surprises du cœur ! » Il demanda la nomination d’un gouvernement provisoire et se refusa pourtant à ce que la république fût immédiatement proclamée. Les paroles de Lamartine avaient sonné l’agonie de la royauté et de la régence ; la Chambre suivait l’impulsion de l’orateur. En ce moment, le palais du Corps législatif fut envahi par le peuple en armes, l’orateur fut couché en joue ; le président Sauzet leva la séance au milieu d’un tumulte indescriptible. Lamartine se rendit à l’Hôtel de ville, avec une partie de ses collègues, et la liste des membres du gouvernement provisoire fut arrêtée ; dans la distribution des ministères, il s’était fait donner le portefeuille des affaires étrangères. Le lendemain, la République, qu’il n’avait d’abord voulu proclamer que conditionnellement, sauf ratification par la France entière, il la proclamait absolument, sous la pression des circonstances. On lui reprocha de n’avoir pas eu les mêmes scrupules pour l’élection des ministres du gouvernement, de n’avoir pas soumis leurs noms à un vote populaire ; c’est mal reconnaître ce que la situation avait d’urgence et ce qu’elle exigeait de promptes décisions. Le rôle de Lamartine, dans ce pouvoir improvisé, fut prépondérant ; il avait pour lui le prestige de son talent et de son éloquence, sinon l’appui de convictions arrêtées, et il apparut aux conservateurs comme un médiateur entre les partis extrêmes. Le malheur fut qu’il croyait être un homme politique et qu’il n’en avait que les aspirations, avec un ferme désir de faire le bien ; mais les époques tourmentées exigent autre chose que d’excellentes intentions. Disons qu’il montra, en face de l’émeute, un certain courage, et, dans son département, une grande activité diplomatique. Le 25 février, une troupe de malheureux prolétaires, affamés par la fermeture des ateliers, vint sommer le gouvernement de l’Hôtel de ville d’arborer le drapeau rouge. Lamartine calma ces infortunés par des paroles empreintes d’émotion, leur promit de prompts secours, mais refusa d’accepter l’emblème révolutionnaire par excellence : « Le drapeau rouge ! s’écria-t-il dans une péroraison restée célèbre ; si vous êtes assez mal inspirés pour imposer une république de parti et un pavillon de terreur, le gouvernement est aussi décidé que moi-même à mourir plutôt que de se déshonorer en vous obéissant. Quant à moi, jamais ma main ne signera ce décret ! Je repousserai jusqu’à la mort ce drapeau de sang et vous devriez le répudier plus que moi : car le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple, en 1791 et 1793, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! » Le même jour, il fit décréter l’abolition de la peine de mort en matière politique, une des gloires de la République de Février. Le 4 mars suivant, dans une éloquente circulaire adressée aux cours de l’Europe, il annonçait que la France déclarait alliance et amitié avec tous les peuples ; qu’elle avait conscience de sa mission pacifique et civilisatrice et qu’aucun des trois mots de sa devise, Liberté, Égalité, Fraternité, ne signifiait guerre ; il la montrait, cependant, prête à tirer l’épée pour l’indépendance des peuples qui demanderaient son assistance, et les Mémoires récents de lord Normanby montrent que l’Europe était en ce moment même prête à se coaliser encore une fois contre nous. Lamartine conjura ce danger suprême, et, vraiment, la guerre étrangère eût été de trop au milieu des complications qui naissaient chaque jour. Presque toutes les semaines étaient marquées par des manifestations populaires plus ou moins violentes ; le 16 mars, manifestation de la garde nationale, qui, pleine de confiance en Lamartine, voulait en faire un instrument de réaction ; le lendemain, manifestation menaçante des faubourgs, effrayés du mouvement de la veille et jaloux d’en faire la contre-partie. Un mois après, nouvelle manifestation plus menaçante encore (16 avril) ; Lamartine se crut obligé d’appeler, pour la dissiper, les baïonnettes de Changarnier, le général orléaniste devenu depuis si ridicule. Le calme fut rendu pour quelques jours à la cité, mais la popularité de Lamartine s’émiettait dans ces luttes incessantes ; en voulant concilier tout le monde, donner des gages à tous les partis, il ne satisfaisait personne. Élu représentant du peuple par dix départements (Seine, où il eut 259, 800 voix, Côte-d’Or, Bouches-du-Rhône, Saône-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Dordogne, Finistère, Gironde, Nord, Seine-Inférieure), il se croyait appelé à la future présidence de la République, et, dans un but fort louable d’apaisement et de fusion, il insista pour que ses collègues du gouvernement provisoire, et Ledru-Rollin lui-même, fissent partie de la commission exécutive nommée, le 9 mai, par la Chambre ; impuissant, le 15 mai, à prévenir l’invasion de l’Assemblée, comme il essayait sur la foule un de ces arguments oratoires qui lui avaient jusqu’alors si bien réussi, il s’entendit répondre : « Assez de lyre comme ça ! » par une voix populaire. Ainsi, il n’était plus écouté des prolétaires, dont ses paroles ne guérissaient pas les maux, et les conservateurs allaient l’annihiler en confiant le pouvoir à des mains plus fortes que les siennes. Les funestes journées de juin lui portèrent le coup de grâce, ainsi qu’à la commission exécutive. Désormais, le rôle de la parole était terminé et celui de l’épée commençait, à la grande joie de la réaction qui, d’ailleurs, y poussait par d’incessantes manœuvres. Le peuple se divisait en deux partis, Paris se couvrait de barricades, le canon de la guerre civile retentissait, et, des deux côtés, des milliers de victimes tombaient en criant : « Vive la République ! » C’est, en effet, pour la République que, du fond de leur cœur, croyaient combattre les malheureuses victimes d’une lutte fratricide, qui frayait le chemin à l’Empire.

Après la défaite des prolétaires insurgés, Lamartine rentra à la Constituante ; mais sa parole était désormais éclipsée, et, devant un vote de l’Assemblée, il résigna le pouvoir entre les mains du général victorieux. Du moins était-il pur de tout le sang versé, car il avait joué sa popularité en voulant prévenir par la conciliation la lutte qu’il prévoyait, Par un scrupule exagéré pour le suffrage universel, peut-être par un aveuglement de l’ambition, il contribua à faire rejeter l’amendement Grévy, qui voulait transférer à la Chambre l’élection du président. Il se trompa, mais avec la majorité des républicains. S’il pencha pour l’élection directe par ambition personnelle, il dut être bien déçu de ses espérances, car il n’obtint pour la présidence que 7,810 voix, en face des 5 millions échus à Bonaparte. Il vaut mieux croire que ce fut par un scrupule de légalité. On va voir qu’il ne se faisait guère d’illusion, mais que, peu confiant dans l’avenir, il ne voulait pas assumer de responsabilité : « Je sais, dit-il, qu’il y a des moments d’aberration pour les multitudes, qu’il y a des noms qui entraînent les foules comme le mirage entraîne les troupeaux, comme les lambeaux de pourpre attirent les animaux privés de raison ; je le sais, je le redoute plus que personne, car aucun citoyen n’a mis peut-être plus de son âme, de sa vie, de sa responsabilité et de sa mémoire dans le succès de la République. Si elle se fonde, j’ai gagné ma partie humaine contre la destinée ; si elle échoue ou dans l’anarchie ou dans une réminiscence de despotisme, mon nom, ma responsabilité, ma mémoire échouent avec elle et sont à jamais répudiés par mes contemporains. Eh bien, malgré cette redoutable responsabilité personnelle dans le danger que peuvent courir nos institutions problématiques, bien que les dangers de la République soient nos dangers, et sa perte mon ostracisme et mon deuil éternel, si j’y survivais, je n’hésite pas à me prononcer en faveur de ce qui vous semble le plus dangereux, l’élection du président par le peuple ! Oui, quand même le peuple choisirait celui que ma prévoyance, mal éclairée peut-être, redouterait de lui voir choisir, n’importe, aléa jacta est ! Que Dieu et le peuple prononcent !… Si le peuple se trompe, s’il se laisse aveugler par un éblouissement de sa propre gloire passée, s’il se retire de sa propre souveraineté après le premier pas, comme effrayé de la grandeur de l’édifice que nous lui avons ouvert et des difficultés de ses institutions…, s’il nous désavoue et se désavoue lui-même, eh bien, tant pis pour le peuple ! » Comme mouvement oratoire, cette fin de discours est fort belle, mais la raison se refuse à y voir la haute pensée d’un homme politique ; le rôle d’un grand esprit, dans ces conjonctures difficiles, était de barrer le chemin aux éventualités prévues et non pas de faire retomber sur le peuple, masse inerte et inconsciente, la responsabilité de l’avenir. M. Grévy, dans une sphère infiniment moins brillante que celle où se mouvait Lamartine, montra un sens politique bien supérieur. Sa proposition, si elle eût été soutenue par Lamartine, avait toutes chances de prévaloir, et elle eût épargné à la France bien des souffrances et bien des hontes. La mort de la République, les républicains mitraillés, déportés ou proscrits, vingt ans de despotisme, et, au bout, l’invasion, voilà ce qui était au fond de l’élection du président par le peuple.

Malgré les services rendus, Lamartine était dès lors tombé dans un complet discrédit ; il ne fut pas même réélu à la Législative, quoiqu’il eût posé sa candidature dans une dizaine de départements ; il n’entra à l’Assemblée que grâce à une élection partielle, dans le Loiret. Son rôle y fut sans éclat ; il montra plus d’activité dans le journalisme, soutint, dans le Pays, la république modérée, fonda le Conseiller du peuple, journal hebdomadaire, qu’il dirigeait presque à lui seul (1849), le Civilisateur (1851), dans lequel il fit paraître surtout d’intéressantes biographies des grands hommes, et publia : Trois mois au pouvoir (1848, in-8o) ; Histoire de la révolution de février (1849, 2 vol. in-8o), récits des événements auxquels il avait pris part, et dont Louis Blanc, dans son Histoire de la Révolution de 1848, a contesté quelques points importants. Rendu aux lettres, et, d’ailleurs, pressé d’énormes besoins d’argent, Lamartine entassa volumes sur volumes, payés chèrement par les éditeurs ; quelques-uns obtinrent un légitime succès : Raphaël, pages de la vingtième année (1849, in-8o) ; Confidences (1849, in-8o) ; Toussaint-Louverture, drame joué au théâtre de la Porte-Saint-Martin (6 août 1850) : Nouvelles confidences (1851) ; Geneviève, histoire d’une servante (1851) ; le Tailleur de pierre de Saint-Point (1851), livres où s’étalaient de vagues théories humanitaires, noyées dans la plus nuageuse sensiblerie ; Graziella (1852), fragment des Confidences, renfermant des pages d’une grande poésie, mais à propos desquelles on put justement accuser Lamartine de trop se mettre en scène pour de l’argent, et de battre monnaie avec ses souvenirs les plus intimes. L’Histoire de la Restauration (1851-1863, 6 vol. in-8o), moins bien accueillie que celle des Girondins, témoigne de la même insuffisance d’études, mais renferme des morceaux pleins d’intérêt, des pages dramatiques, des appréciations remarquables sur tous les hommes de l’époque ; c’est encore un livre brillant. La décrépitude de l’historien apparaît davantage dans la longue et fastidieuse Histoire de la Turquie (1854, 6 vol. in-8o), et dans l’Histoire de la Russie (1855, 2 vol. in-8o), qui ne furent guère publiées que comme primes du Constitutionnel ; elles étaient, dès leur apparition, ce qu’on appelle en argot de librairie des rossignols. Le Nouveau voyage en Orient (1853, 2 vol. in-8o), récit des impressions de Lamartine dans une seconde excursion entreprise en Asie Mineure, sur la demande du sultan, n’offrit qu’un bien faible reflet des splendeurs du premier. À l’occasion de ce voyage, le sultan fit don à l’illustre écrivain de grands domaines en Turquie, et, dit-on, de trente mille livres de rente. Une série de Vies des grands hommes, publiées séparément ou dans le Civilisateur, puis réunies en corps d’ouvrage (1863-1866, 4 vol. in-8o), renferme encore de belles pages ; notons les études sur Homère, Cicéron, Shakspeare, le Tasse, et surtout une Vie de César (1865), satire éloquente des coups d’État, dirigée moins contre César que contre l’homme du 18 brumaire et l’homme du 2 décembre. C’était une protestation de la conscience indignée contre les flagorneries adressées à ce dernier par Troplong, sous le masque de l’histoire, dans sa prétendue étude sur la Chute de la république romaine (1858).

Écarté de la politique par le 2 décembre, mais ayant conservé par ces publications diverses sa légitime célébrité d’écrivain, Lamartine aurait passé le reste de sa vie honoré de tous, dans ce repos plein de dignité que Cicéron, son modèle, ambitionnait, comme couronnement de la carrière de l’homme d’État. D’incessants besoins d’argent le forcèrent au travail ; heureux s’il s’en fût tenu là ! Mais de continuels appels de fonds au public, présentés sous toutes les formes, loteries, souscriptions en argent, souscriptions à des livres, dotations à titre de récompense nationale, lui aliénèrent les plus fermes sympathies. Une loterie tentée par ses amis pour dégrever d’hypothèques le château de Saint-Point échoua misérablement, et l’on s’égaya du poëte qui parlait gravement de racheter les chenets de ses pères. La souscription au Cours familier de littérature (1856 et années suivantes) fut très-fructueuse, et Lamartine, disons-le à son honneur, dépensa dans ce dernier labeur, non sans succès, à part quelques défaillances, tout ce qui lui restait de verve et de talent. De nouveaux fragments des amours et des aventures de sa jeunesse, Fior d’Aliza (1865), qui est devenu un opéra, et Antoniella, sont loin du charme des premières Confidences, et lassèrent le public, fatigué de voir toujours Lamartine puiser aux mêmes sources, et jeter d’autres récits dans les mêmes cadres que Raphaël et Graziella. Une édition de luxe de ses œuvres complètes, revue par lui, et enrichie de notes biographiques d’un à-propos contestable (1860-1865, 40 vol. in-8o), obtint encore un grand succès de vente. Mais le déficit entr’ouvrait toujours son gouffre, et, pour comble d’humiliation, l’ancien membre du gouvernement provisoire accepta du gouvernement impérial une aumône d’un demi-million. Déjà le poëte avait manqué de respect pour lui-même et pour sa gloire acquise, en changeant, comme on le lui dit malicieusement, sa lyre en tire-lire ; il oublia toute dignité en recevant ce secours du gouvernement, de celui qui avait tué la République. Il méritait bien cette cruelle épigramme de Rochefort : « Lamartine est surtout célèbre comme poète et comme chrétien ; comme poëte, il a gagné des millions, et comme chrétien il n’a cessé de manger des asperges en plein mois de décembre. Vous seriez bien surpris, si vous invitiez à dîner un homme du monde, de l’entendre vous répondre : « Si ça vous est égal, j’aime mieux que vous me donniez ma part en argent. » Lamartine est cet homme ; on lui a offert la gloire avec toutes ses auréoles, et il a répondu : « J’aime mieux que vous me donniez ma part en argent ! »

Lamartine passa tristement et presque oublié les dernières années de sa vie ; il se survivait, écrasé, comme par le pavé de l’ours, sous le poids du rapport emphatique présenté à la Chambre par Émile Ollivier, pour lui faire obtenir la donation de 500,000 francs (séance du 9 avril 1867). Des pertes cruelles, la mort de sa femme (1863), de son neveu, M. de Cessiat (1866), avaient encore assombri son caractère. Il s’éteignit le 1er mars 1869, dans un élégant chalet de Passy, où il vivait très-retiré et très-morose, et que la ville de Paris avait mis à sa disposition, sa vie durant. L’Empire, pour achever de le déconsidérer, décréta que ses funérailles auraient lieu aux frais du trésor public ; ses proches eurent du moins le bon esprit de lui épargner ce suprême affront, et demandèrent que la cérémonie funèbre eût lieu à Saint-Point, sans l’attirail des pompes officielles. Ainsi finit cette existence pleine de grandeurs, de défaillances et d’amertumes.