Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Mémoires et correspondance du prince Eugène, publiés et annotés par A. Du Casse

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 1p. 4-5).

Mémoires et correspondance du prince Eugène, publiés et annotés par A. Du Casse (Paris, 1858-1860, 10 vol.). Cet ouvrage est divisé en un certain nombre de livres, précédés tous d’un sommaire relatif aux événements qu’ils embrassent. Une narration nette et concise des faits, écrite sans préoccupation aucune quant à la conformité du récit avec ce qu’on dit ou ce qu’on pense généralement, se place en tête des lettres de Napoléon et du prince Eugène relatives à ces faits et à ces événements. Ce système ingénieux équivaut à faire écrire l’histoire par ceux qui l’ont faite, en les mettant dans l’impossibilité absolue de la dénaturer. Une telle méthode est certes plus sage, plus impartiale et plus précise que celle de ces écrivains qui convertissent l’histoire en thèse, qui la traitent avec une intention préconçue, avec le désir fermement arrêté d’assigner à un homme et à un événement une physionomie et une signification qu’on invente pour les besoins de la cause. L’ouvrage publié par M. Du Casse est précédé d’une biographie dictée par le prince Eugène, à laquelle on a peut-être donné à tort le titre de Mémoires ; ce titre annonce, en effet, des souvenirs, des confidences, des portraits, des jugements qu’on ne trouve point ici. On n’a donc pas les mémoires du prince Eugène, mais on nous livre sa correspondance. Ses lettres et les préfaces ou sommaires analytiques de l’éditeur forment une histoire presque complète de 1796 à 1814 ; dans la correspondance de Napoléon avec son fils adoptif se trouvent groupées des explications précises et détaillées sur les innombrables faits politiques, militaires et administratifs de cette période. Le prince Eugène fit partie de l’expédition d’Égypte et on le retrouve à la campagne de Russie, sans qu’il ait cessé un seul instant, dans ce long intervalle, d’être mêlé aux conquêtes, aux victoires, aux péripéties qui abondent dans le règne de Napoléon.

Les lettres de Napoléon à son fils adoptif sont nombreuses. « Elles nous montrent le despote s’appliquant à un sujet particulier de son œuvre politique, prescrivant au prince Eugène les règles de sa vice-royauté en Italie, non pas d’une manière froidement didactique, mais au milieu des péripéties produites par des événements imprévus, des obstacles, des circonstances extraordinaires. On y voit un peuple brusquement réveillé d’une torpeur plus que séculaire, mis en demeure de grandir vite, inquiet, tourmenté par les souvenirs de son antique gloire, résistant, prenant parfois pour une oppression nouvelle la violence faite à son indolence, travaillé en tous les sens par les ennemis du nom français, ayant pour la méfiance et le dénigrement des facultés toutes spéciales. En ces conjonctures difficiles et délicates, l’empereur n’abandonne pas son lieutenant. Il connaissait à fond les Italiens ; il écrivit donc au prince Eugène pour l’instruire et le diriger. De son côté, le vice-roi expose ce qu’il fait, ses embarras, et demande ce qu’il doit faire. Le rôle du vice-roi n’est pas complètement effacé à côté de cette personnalité envahissante qui commande de loin. « Les lettres du prince Eugène, dit M. Du Casse qui professe pour Napoléon un enthousiasme fort exagéré, ont moins de portée que celles de l’empereur, mais elles sont empreintes d’une véritable loyauté, d’une franchise admirable et d’un désir constant d’être utile aux grands desseins de Napoléon Ier ; on reconnaîtra chez le prince, au commencement du gouvernement de sa vice-royauté, la volonté du jeune homme qui cherche à s’instruire aux leçons du maître et à prouver sa reconnaissance au bienfaiteur ; vers 1809, l’aplomb du souverain qui peut voler de ses propres ailes, les talents du général qui a vite appris à gagner les batailles ; à la fin de l’Empire, le héros résigné qui lutte contre la fortune, préférant le sort obscur d’un prince déchu au sort brillant d’un roi sur le trône, mais parjure à sa patrie et à son père adoptif. » Dans chacune de ses lettres au despote, à côté de sa fidélité et de son dévouement, qui va jusqu’à l’obéissance la plus passive, on voit aussi percer le profond amour d’Eugène pour son père adoptif et l’incessant désir de mériter son approbation. Il se montre, dans les lettres où il traite avec Napoléon des affaires les plus graves et les plus solennelles, l’instrument docile et soumis du maître ; toutefois, malgré sa modestie, il n’hésite point à signaler un jour à Napoléon les périls que lui faisait courir son ambition véritablement insensée. Nous avons cité à ce sujet, à l’article Beauharnais, un fragment très-curieux de la Correspondance du prince Eugène.