Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MARGUERITE DE BOURGOGNE, reine de Navarre

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1170).

MARGUERITE DE BOURGOGNE, reine de Navarre, née en 1290, morte en 1315. Fille de Robert II, duc de Bourgogne, et d’Agnès, fille de saint Louis, elle fut fiancée en 1299 à Louis le Hutin, qui devint, en 1304, roi de Navarre, en 1315, roi de France, et elle fut mariée à ce prince en 1305. Marguerite était douée d’une grande beauté, vive, spirituelle, et elle aimait avec passion les plaisirs. En dépit des nombreux édits somptuaires de Philippe le Bel, Marguerite et sa belle-sœur, Blanche de Bourgogne, femme de Charles, comte de La Marche, vivaient à l’abbaye de Maubuisson au milieu de tous les enchantements que peut donner la richesse. Les deux jeunes femmes (quelques historiens, aux noms de Marguerite et de Blanche ajoutent celui de Jeanne, la troisième belle-fille de Philippe le Bel) se laissèrent bientôt emporter à toute la fougue de leurs passions. Elles nouèrent une intrigue amoureuse avec deux chevaliers normands attachés à leur service : Philippe et Gaultier d’Aulnay ou de Launay, « assez mal faits de leurs personnes, » dit l’historien Velly. L’abbaye de Maubuisson devint alors le théâtre des désordres, des débauches, des scènes honteuses du libertinage de Blanche et de Marguerite de Bourgogne (1314). Philippe le Bel, en ayant été informé, ordonna l’arrestation des frères d’Aulnay. Ceux-ci, au milieu des tortures, avouèrent que depuis trois ans ils péchaient avec leurs jeunes maîtresses, « et même dans les plus saints jours, » et furent condamnés à la peine capitale. Leur supplice fut atroce. Amenés sur la place du Martroy, à Pontoise, ils y furent écorchés vifs, châtrés, décapités et pendus par les aisselles. Là ne se borna point la vengeance royale. On arrêta une foule de malheureux, qu’on prétendit complices des désordres des princesses ; on tua secrètement les uns, on jeta les autres, enfermés dans des sacs, à la rivière.

Des trois princesses, Jeanne, comtesse de Poitiers, seule fut déclarée innocente. « Philippe le Long, son mari, dit un historien, n’avait garde de la trouver coupable, car il lui aurait fallu rendre la Franche-Comté, qu’elle lui avait apportée en dot. » Quant à Marguerite et à Blanche, après avoir eu la tète rasée, punition des femmes adultères, elles furent conduites au château fort des Andelys, puis au château Gaillard, où elles eurent à endurer toutes sortes de souffrances. Lorsque, en 1315, Louis le Hutin succéda à son père comme roi de France, il résolut de se débarrasser de sa femme pour épouser Clémence de Hongrie, et, d’après son ordre, Marguerite fut mise à mort dans sa prison. Selon quelques historiens, elle périt étouffée entre deux matelas ; selon d’autres, on l’étrangla avec ses cheveux. Elle avait eu de son mariage avec Louis le Hutin une fille, Jeanne, née en 1312, qui épousa Philippe d’Évreux (1317) et devint reine de Navarre en 1328.

C’est à tort qu’on a fait de Marguerite de Bourgogne la sanglante héroïne de la légende de la tour de Nesle, qu’on l’a accusée d’y attirer des jeunes gens pour satisfaire ses passions effrénées et de les faire précipiter ensuite dans la Seine. Les écrivains du temps ne font aucune allusion à de pareils faits et il ne paraît pas que Marguerite ait habité la tour de Nesle. D’après quelques historiens, la reine qui se rendit coupable de ces crimes fut Jeanne, femme de Philippe le Bel, Villon, qui fut presque contemporain de Jeanne, est de cette dernière opinion et il prétend que Jean Buridan, le philosophe nominaliste, fut l’étudiant qui, jeté à la Seine, parvint à se sauver et dénonça les crimes de la reine. Dans le drame de la Tour de Nesle, MM. Gaillardet et Alex. Dumas, ont fait de la jeune princesse Marguerite, morte à vingt-cinq ans, la mère des deux d’Aulnay, transformé le philosophe Buridan en un capitaine bourguignon et mis sur le compte de la femme de Louis le Hutin les crimes accomplis dans la célèbre tour. Il va sans dire que toute cette trame est de pure fantaisie et n’a rien de commun avec la vérité historique.