Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Provençales (LES), recueil de poésies en dialecte provençal

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 322).

Provençales (LES), recueil de poésies en dialecte provençal, par divers auteurs contemporains (1852, in-18). Les trois principaux auteurs du recueil sont MM. Roumanille, Aubanel et Mistral, que d’autres œuvres ont rendus plus célèbres et autour desquels sont venus se grouper soit de simples amateurs, comme MM. d’Astros et Moquin-Tandon, soit de véritables poètes, comme MM. Crousillat, C. Reybaud et d’autres, à qui le loisir ou l’haleine ont manqué pour produire un livre. La plus grande partie du volume est remplie par divers poèmes des trois premiers, gracieuses compositions qui faisaient bien augurer du réveil de la vieille langue des trouvères. Tous les trois s’y manifestent complètement, avec les tendances particulières, intimes, qui sont restées comme le cachet de leur poésie. M. Roumanille, dans les pièces intitulées:les Crèches, les Deux séraphins, Pauvreté et charité, montre l’esprit religieux et tendre, un peu mystique, qui lui avait déjà inspiré Li Margarideto; sa manière s’y rapproche de celle d’Alfred de Vigny dans Eloa, mais il a un bien plus haut sentiment de la nature ou, pour mieux dire, des choses agrestes. Ce sentiment perce surtout dans le petit poème rustique:Se ren fasiam un avouca, qui est à la fois sentimental et railleur et dans lequel, pour prémunir les braves gens de la campagne contre des visées trop ambitieuses, le poète a trouvé moyen d’esquisser des tableaux de mœurs populaires d’une grande franchise.

M. Th. Aubanel a inséré dans les Provençales des morceaux d’une énergie peu commune. Ce n’est ni Jasmin ni Alfred de Vigny qu’il a pris pour modèles ; ce serait plutôt Dante, Barbier, les poètes concentrés et puissants. Sa forme est généralement sombre, sévère ; elle donne l’idée d’une gravure à l’eau-forte où les détails ressortent en traits vigoureux. Le rustique tableau intitulé Li Segaire (les Faucheurs), dit M. Saint-René Taillandier, « est l’œuvre d’un burin qui n’hésite pas ; chaque détail recueilli par l’observation est accusé d’une main ferme et les trivialités mêmes, s’il est possible d’en tirer parti, ne font pas reculer l’artiste. Voilà bien les rudes travailleurs, avec leurs culottes trouées et leurs visages bronzés au soleil ; voilà les faux qui reluisent comme des épées, la luzerne qui tombe, les sauterelles qui bondissent. Du matin au soir on les voit, sous l’ardent ciel de juin, frapper, tailler, suer à la peine, avancer, avancer toujours, jusqu’à l’heure où ils reviennent sous leur toit manger la soupe à l’ail. Le poète ne glorifie pas la vie active à la manière de M. Roumanille ; ce n’est pas une prédication affectueuse et souriante; il montre seulement par un petit coin du grand tableau du monde que le travail est la condition humaine et que dans le.plus humble des métiers manuels, chez les natures les plus incultes, il y a place encore pour une certaine joie d’artiste. » Dans un autre genre, le Neuf thermidor a la vigueur et la passion des ïambes, avec une lueur fantastique à la Henri Heine.

Il y a moins de sévérité, plus de grâce, dans les pièces de M. Mistral:la Belle d’août, la Folle avoine, l’Ode au mistral, la Course de taureaux, etc. La première pièce est une poétique légende, la seconde une satire, sous forme d’apologue rustique ; la Folle avoine, c’est l’oisiveté insolente qui se pavane, lève haut la tête et n’est en somme qu’une herbe inutile ; dans la Course de taureaux, le poète décrit avec beaucoup de vérité ces jeux hardis qui sont encore en grand honneur dans tous les villages de la vallée du Rhône.

En résumé, ce recueil des Provençales est d’une grande originalité ; mais, après avoir un moment intéressé le public, cette résurrection d’un vieil idiome a éprouvé du discrédit ; les poètes délicats qui l’ont composé n’écrivent évidemment que pour les lettrés et, de jour en jour, la langue dont ils se servent. n’est plus parlée ni entendue que dans les villages de la Provence.