Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/vendange s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 3p. 838-839).

VENDANGE s. f. (van-dan-je — lat. vindemia, mot qui se rattache probablement à la racine sanscrite vid, vind, obtenir, acquérir. Le mot latin désignerait ainsi proprement le produit, la récolte). Agric. Récolte du raisin destiné à la confection du vin : Faire la vendange.

Messire Jean, c’était certain ami
Qui prêchait peu, sinon sur la vendange.
               La Fontaine.

|| Raisin récolté : Porter la vendange au pressoir. Fouler la vendange.

.... On va répandre la vendange
Dans le sein odorant des énormes cuviers.
                A. Barbier.

La tragédie, informe et grossière en naissant.
N’était qu’un simple chœur, où chacun, en dansant
Et du dieu des raisins entonnant les louanges,
S’efforçait d’attirer de fertiles vendanges.
                     Boileau.

|| Temps de la récolte du raisin : Il ne rentrera qu’après les vendanges. Ne s’emploie guère qu’au pluriel.

— Fig. Gain considérable et le plus souvent illicite : Il faisait la vendange dans cette maison de jeu.

Être pâle comme une écuelle de vendange, Avoir le teint excessivement coloré. || Adieu, paniers, vendanges sont faites, Proprement Les paniers sont inutiles, car il n’y aura pas de raisin cette année, et, au figuré, C’est une affaire perdue sans ressource.

— Encycl. L’opération de la vendange est le couronnement des travaux du vigneron ; il serait donc superflu d’insister sur son importance. Avant tout, il faut choisir le moment convenable, qui est ordinairement l’époque de la complète maturité du raisin. Nous disons ordinairement, car il arrive assez souvent que les circonstances ou les coutumes locales forcent à devancer ou à retarder cette opération. Certains vins se fabriquent avec des raisins qui ne sont pas encore parfaitement mûrs, tandis que d’autres exigent que les grains aient déjà subi un commencement de décomposition. D’un autre côté, l’automne est souvent une saison pluvieuse, et dans bien des pays les froids arrivent de bonne heure, tandis que l’été n’a pas été assez chaud pour mûrir le raisin. Enfin, les vignobles sont fréquemment composés de divers cépages mûrissant à des époques très-différentes. La fixation du commencement et de la fin de la vendange est donc une question très-délicate, mais dont la masse des cultivateurs ne se préoccupe guère dans les localités nombreuses où règne encore l’usage du ban de vendange.

Dans tous les cas, comme dans les opérations de la vendange ou dans celles qui la suivent, le moindre retard peut occasionner des pertes considérables, un propriétaire prévoyant doit s’y prendre à l’avance afin de n’être pas surpris. Dans le courant de l’été, il fait ses dispositions et ses préparatifs, se pourvoit des futailles nouvelles nécessaires et fait réparer les anciennes, visite le pressoir, les cuves, les bannes et en général tout le matériel ; puis, quand le moment approche, il s’occupe d’arrêter un nombre suffisant de vendangeurs ou de vendangeuses, de charretiers, d’attelages et de véhicules, pour pouvoir rentrer sa récolte dans le moindre temps possible.

On reconnaît que le raisin est mûr ou bon à vendanger, quand son pédoncule prend une teinte brun rougeâtre, que la peau des grains s’attendrit, que le liquide qu’ils contiennent devient sucré, puis visqueux. Mais souvent on devance cette époque ; on préfère perdre un peu sur la qualité du vin, que de s’exposer à une perte bien plus grande, en quantité comme en qualité, par suite des pluies abondantes ou des gelées hâtives. Si le vignoble est composé de différents cépages, il peut arriver que certains raisins sont trop mûrs et commencent à pourrir, tandis que d’autres sont encore verts. Alors, on peut choisir entre trois partis : ou bien adopter un terme moyen approximatif, mais plutôt en avant qu’en arrière ; ou bien faire la vendange au moment de la maturité du cépage qui prédomine par le nombre ou la qualité ; ou bien, enfin, la pratiquer en plusieurs fois, à mesure que chacun des cépages arrive à sa maturité.

La première méthode est celle qu’on emploie dans les pays où l’on vise plutôt à la quantité qu’à la qualité ; on obtient ainsi un vin âpre, peu généreux et d’une couleur peu flatteuse, comme on peut l’observer notamment aux environs de Paris. La dernière est bien préférable, et le léger surcroît de dépense qu’elle occasionne est largement compensé par la valeur supérieure du vin ; c’est celle qu’on pratique dans plusieurs parties de la Bourgogne et de la Champagne, ainsi qu’à Malaga et dans d’autres localités. Le meilleur moyen de remédier aux inconvénients que présente le mélange des cépages, serait de supprimer peu à peu les plus hâtifs et les plus tardifs, de manière à arriver à n’en avoir qu’un petit nombre mûrissant à la même époque. Dans les palus des environs de Bordeaux, on plante les variétés hâtives dans les sols humides et les variétés tardives dans les terrains secs ; alors on peut vendanger le tout ensemble. Dans d’autres localités du Midi, on vendange le plus tard possible, et souvent on ne termine qu’en novembre ; mais alors on a à craindre le ravage des grives et autres oiseaux.

Autant que possible, il faut choisir pour la vendange un beau temps et un soleil brillant. On ne doit pas la faire par un temps froid, à cause du retard qu’une température trop basse apporterait à la fermentation. On doit éviter aussi de la faire par un temps pluvieux, parce que l’eau qui reste attachée aux grappes affaiblit d’autant le vin ; la rosée trop abondante produit les mêmes effets que la pluie et influe défavorablement sur la qualité. Mais l’observation de ces préceptes ne dépend pas toujours de la volonté du cultivateur ; elle est souvent influencée par les circonstances atmosphériques ou par les conditions économiques dans lesquelles il est placé.

Dans le midi de la France, on emploie pour vendanger des paniers en osier qu’on place au-dessous du cep, de manière que les grappes y tombent d’elles-mêmes. Il en résulte, surtout quand les paniers sont neufs et bien remplis, qu’une partie du suc, et la meilleure, s’écoule à travers les interstices. Aussi commence-t-on à remplacer le panier primitif par des seaux en toile imperméable. En général, on coupe le pédoncule des raisins avec la serpette ; il en résulte un ébranlement qui ferait perdre une partie des grains, avec des vendangeurs maladroits et des raisins très-murs. Les ciseaux sont bien préférables sous ce rapport, et leur emploi devient même indispensable dans certains cas, par exemple dans les vignobles où, pour faire des vins de premier choix, on coupe, non pas les grappes entières, mais seulement les grains bien mûrs.

Au fur et à mesure que les paniers sont remplis, on les vide dans des hottes ou dans des comportes ambulantes ; les hommes chargés de ce travail passent entre les rangées de ceps ; puis ils vont verser leur cueillette dans d’autres comportes ou dans des cuviers placés sur le bord de la vigne, à l’endroit où on doit les charger sur les voitures de transport. Dès que l’une de celles-ci a son chargement complet, on la conduit au vendangeoir, où elle est déchargée. « Pour ne pas faire chômer les vendangeurs, dit M. J.-A. Barral, il faut calculer le nombre des attelages d’après la distance qui sépare la vigne de la ferme, en sorte qu’il y ait toujours une voiture en charge sur le point le plus accessible du vignoble. »

Le propriétaire qui ne possède qu’une médiocre étendue de vignes et pour qui la production du vin ne constitue en quelque sorte qu’un accessoire, se contente de consacrer à cette branche de l’exploitation une partie de ses bâtiments, souvent même une seule pièce, où se font toutes les manipulations ; cette pièce, qu’on appelle en général vinée, sert en même temps de cellier et communique avec une cave où l’on descend les vins après le premier soutirage. Dans tous les cas, ce local, situé dans un endroit commode, doit être vaste, élevé, bien aéré ; il faut qu’on puisse le fermer facilement, pour y maintenir une température égale pendant les nuits d’octobre et l’aérer de manière à éviter l’accumulation de l’acide carbonique.

Mais, dans les grandes exploitations vinicoles qui constituent l’occupation principale ou à peu près exclusive du propriétaire, il doit y avoir un ensemble de bâtiments spécialement affectés à ce service ; c’est ce qu’on nomme, suivant les localités, cuvage, vinoterie, et mieux vendangeoir. On y trouve, en général : 1° un logement pour le propriétaire et un autre pour l’économe chargé de la surveillance journalière des caves, des tonneliers et des vignerons ; 2° une vinée assez vaste pour recevoir les cuves nécessaires, les fouloirs, les égrappoirs et autres appareils analogues ; 3° une pièce dans laquelle est placé le pressoir et qui en porte aussi le nom ; 4° un cellier suffisant pour recevoir tous les vins nouveaux jusqu’à leur premier soutirage ; 5° des caves susceptibles de contenir au moins la récolte de deux années ; 6° enfin, des emplacements commodes pour resserrer dans les meilleures conditions les cercles, échalas, perches, tonneaux et tout le matériel nécessaire à l’exploitation ;

Il faut donc qu’un vendangeoir renferme des bâtiments assez nombreux et assez étendus pour satisfaire à tous les besoins de la culture ; il ne suffit pas même que leur dimension soit proportionnée aux produits présumés de l’exploitation ; elle doit être augmentée en raison du temps pendant lequel on devra conserver ces produits afin d’attendre le bon moment pour la vente. Il faut encore que ces bâtiments soient disposés et distribués de manière à rendre le service plus commode et la surveillance plus facile ; car on ne doit pas oublier que la récolte du vin est une des plus coûteuses, celle qui donne le plus de prise aux tentations des employés et qu’enfin sa fabrication ne souffre aucune négligence.

— Iconogr. La vendange était, chez les Romains, l’occasion de réjouissances et de fêtes que les poëtes et les artistes ont célébrées à l’envi. Anacréon lui a consacré une ode qui débute ainsi : « De jeunes vendangeurs, d’aimables vendangeuses portent sur leurs épaules des corbeilles de raisins qu’ils jettent dans le pressoir... » Le poëte parle ensuite d’un vieillard qui danse en agitant sa chevelure blanche et d’un jeune homme, échauffé par le vin, qui caresse une jeune vierge appesantie par le sommeil... Il termine par ces mots : « Bacchus est un dieu libertin. » Les nombreuses représentations de Bacchanales (v. ce mot) que nous a léguées l’antiquité, ne confirment que trop cette assertion poétique. La vendange est figurée d’une façon qui n’a rien d’obscène dans un bas-relief antique du musée du Vatican : de charmants petits génies sont occupés à pousser un char rustique chargé de corbeilles de raisins, en présence du dieu Terme, protecteur des champs. La fête des vendanges, que les Grecs appelaient Neoinia et les Romains Vinalia, est représentée sur un vase (olla) de Nocera, qui appartient au musée des Études et qui est justement admiré pour l’excellence du dessin, l’harmonie de la composition, le grand caractère des figures, la variété des poses et l’élégance des draperies ; on y voit, fixé au sommet d’un pieu, un hermès de Bacchus indien, la tête coiffée d’un modius radié, avec un petit tympanum à chaque oreille, le corps orné de tiges de lierre et de branches de laurier ; devant cette idole, de forme primitive, des vases, des fruits sont placés sur une table ; à gauche, paraît la prêtresse Dioné, couronnée de lierre, les cheveux flottant sur les épaules que recouvrent une nébride, occupée à puiser avec un sympule le vin d’un grand vase pour le verser dans une urne qu’elle tient à la main ; derrière cette figure est une Bacchante, portant d’une main une torche allumée, et de l’autre un thyrse et levant les yeux au ciel ; à droite, une Ménade s’approche en agitant son tympanum ; elle est suivie d’une Bacchante qui tient deux torches allumées, l’une baissée et l’autre élevée au-dessus de la tête ; le thissos bachique se continue sur l’autre côté du vase et offre, entre autre figures, celle de Thalie et celle de Choréias, une des Ménades.

Dans une composition qui a été admirablement gravée par Marc-Antoine, Raphaël a représenté la Vendange antique comme une sorte de pastorale et non comme une orgie : Bacchus (ou Silène), tenant une coupe pleine du jus de la vigne, s’appuie sur un tonneau et domine une cuve dans laquelle un homme, agenouillé sur le premier plan, verse des raisins. Derrière lui, une jeune femme, à la taille élancée, porte sur sa tête une corbeille pleine de fruits ; des pampres ombragent son front et des grappes mûres descendent le long de ses joues. À ses pieds sont deux beaux enfants qui soulèvent un panier de raisins. Une gracieuse composition de Prudhon, intitulée la Vendange, a été lithographiée par Aubry-Lecomte et gravée sur bois par L. Dujardin dans l’Histoire des peintres de toutes les écoles. D’autres compositions ont été peintes par Oudry (au grand Trianon), Jean Gigoux (Salon de 1853), Henri Lehmann, F. Winterhalter (gravé par Girard), etc. Un artiste contemporain, M. Alma-Tudema, a exposé au Salon de 1873 un très-remarquable tableau représentant lu Fête des vendanges à Rome : devant un autel de marbre, surmonté d’un trépied de bronze, est un grand vase de terre cuite (olla) enguirlandé de lierre ; une femme blonde, couronnée de pampres, s’avance en tenant une torche allumée ; derrière elle viennent trois autres femmes qui jouent de la double flûte, puis deux autres encore qui jouent du tympanum ; une de celles-ci se renverse légèrement en arrière ; deux hommes, vêtus de blanc et couronnés de feuilles de vigne, ferment la marche et portent de longues jarres pleines de vin. Diverses personnes assistent à cette procession bachique. Cette peinture, exécutée avec autant de délicatesse de pinceau que d’érudition, a été gravée par M. Auguste Blanchard.

Des scènes de vendanges modernes ont été représentées par Jacopo Bassano (musée du Louvre), Francesco Bassano (musée de Madrid), Hermann Saftleven (muséede Dresde). M. Huffner a peint les Vendanges en Alsace (Salon de 1850) ; M. Boichard, les Vendanges en Berry (Salon de 1841) ; M. Baudouin, les Vendanges dans le bas Languedoc (Salon de 1875) ; Jules Breton, les Vendanges à Château-Lagrange (Salon de 1864) ; M. Clément Boulanger, les Vendanges dans le Médoc (musée de Bordeaux) ; G. Courbet, la Vendange à Ornans (Salon de 1849) ; Turner, la Vendange à Mâcon ; Henri Baron, les Vendanges en Romagne (Salon de 1855) ; Naigeon, les Vendanges à Àmalfi (Salon de 1841} ; E. Reynaud, la Vendange dans les Àbruzzes (Salon de 1873) ; A. de Cuzzon, la Vendange à Procida (Salon de 1864) ; Winterhalter, les Vendanges à Naples (gravé par Girard), etc. Ch. Daubigny a exposé, en 1850 et 1863, des tableaux représentant des Vendanges ; il a reproduit à l’eau-forte celui de 1863.

Vendanges de Xérès (LES), opéra-séria en deux actes, avec un ballet, musique du chevalier de Beramendi ; représenté sur le théâtre de Tivoli, à Paris. Garcia père, Consul, Angrisani, Domange, Mlles Gebauer et Edwige ont interprété cet opéra italien, écrit dans le style de Guglielmi et de Paisiello. Garcia père a joui d’un de ses derniers succès dans le rôle de basse comique de la pièce, comme chanteur et comme comédien. Cette fantaisie n’a coûté que 11,000 francs à l’amateur espagnol. Les artistes n’étaient pas alors si exigeants que de nos jours.