Gustave III et la Cour de France/08

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Gustave III et la Cour de France
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 60 (p. 113-146).
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GUSTAVE III
ET
LA COUR DE FRANCE

VIII.
L’EMIGRATION FRANÇAISE ET LES PLANS DE COALITION EUROPÉENNE.


I.

Il aura été donné à notre temps de commencer à juger équitablement et sans colère, comme cela convient à ceux qui profitent de la victoire, les fautes des amis de la révolution et celles de ses adversaires. Plus les idées dont l’esprit français était alors l’interprète s’approchaient d’un idéal de justice universelle, plus on doit déplorer les violences de ceux qui prétendaient en hâter le triomphe et la profonde erreur de ceux qui crurent le pouvoir empêcher. Ne répétons pas, comme font les esprits absolus, que les excès et les malheurs de la révolution étaient nécessaires. «La philosophie commune, a dit Mme de Staël, se plaît à croire que tout ce qui est arrivé était inévitable; mais à quoi serviraient donc la raison et la liberté de l’homme, si sa volonté n’avait pu prévenir ce que cette volonté a si visiblement accompli? » Sachons distinguer la part de la liberté humaine dans les erreurs qui préparèrent la terrible réaction de 89, dans celles qui en précipitèrent le développement et qui faillirent, en compromettre les utiles résultats; ne cherchons pas d’ailleurs qui a été le plus imprudent ou le plus coupable dans l’histoire des derniers temps de notre vieille France de la royauté, qui a profité de l’hostilité des divers ordres de la nation pour la subjuguer et lui imposer un absolutisme dont le fardeau devait l’accabler elle-même; — du tiers-état, qui se livra trop entièrement sans doute à la puissance royale en vue d’obtenir par cette ligue la ruine de l’aristocratie; de la noblesse enfin, qui, par son avidité à reconquérir des privilèges sans cesse contestés, finit par exciter dans la nation ce que Mme de Staël a encore bien défini « l’enivrement sauvage d’une certaine égalité. » Chacun a erré quand tous étaient solidaires. Avant de succomber, la royauté a vu détruire cette noblesse française sur laquelle en particulier il serait peu juste de faire peser tous les torts. Sans compter les pages éclatantes que lui doit notre histoire, le dernier tiers du XVIIIe siècle n’a-t-il pas vu une partie de l’aristocratie française indiquer au pays quelques-uns au moins des dangers qui le menaçaient et les voies vraiment libérales qui eussent permis peut-être de tourner les écueils? La nuit du 4 août s’est-elle fait longtemps attendre? Malheureusement il est vrai qu’une autre portion de l’aristocratie, après avoir profité des abus de l’ancien régime, l’a voulu défendre les armes à la main. Les émigrés n’ont pas distingué le terme au-delà duquel l’émeute devenait révolution et la résistance aveuglement fatal, jusqu’à faire méconnaître la voix même de la patrie. Les vrais coupables parmi eux ont été ceux qu’entraînait dans une pareille erreur l’égoïsme, une longue habitude des jouissances ou bien simplement une incurable légèreté d’esprit. A vrai dire, ceux-là furent nombreux dès les premiers temps de l’émigration; ils se groupèrent autour des princes, et c’est précisément avec eux que Gustave III brûla de faire cause commune[1].

Il semble qu’on n’ait pas suffisamment séparé du parti du roi ce parti des princes, formé de bonne heure dans le sein de l’émigration et devenu promptement redoutable pour la famille royale elle-même. Dès le lendemain de la prise de la Bastille, le comte d’Artois, le prince de Condé et leurs fils avaient donné le signal de quitter la France. Un certain nombre des premiers émigrés partirent pour le Canada, d’autres se dispersèrent dans les plus importantes capitales du continent, où ils portèrent leurs préjugés; mais les principaux par la naissance, comme les Polignac, le maréchal de Broglie, M. de Lambesc, etc., s’attachèrent aux princes. Le premier asile pour ceux-ci fut la ville de Turin, dans les états d’Amédée III, beau-père du comte d’Artois. Là se réunit toute une ardente émigration qui prit en pitié Louis XVI lorsqu’il parut accepter la pensée d’une transaction avec les idées nouvelles. Ce parti ne songeait qu’à rétablir, par la force au besoin, tout l’ancien régime. S’appuyant sur les armées du roi de Sardaigne, sur les promesses de Vienne, sur la coopération d’un autre corps d’émigrés campé à Figuières en Catalogne, il fomenta des troubles dans les provinces méridionales de la France, auxquelles il promettait Lyon pour capitale future au lieu de Paris. Le camp de Jallez, formé sous les inspirations venues de Turin, en septembre 1790, dans les montagnes de l’Ardèche, se crut un instant destiné à devenir un centre important d’opposition contre l’assemblée constituante. Les gentilshommes du Vivarais, du Forez, du Lyonnais et de l’Auvergne commençaient de s’y réunir, et quelques démonstrations des troupes sardes enflaient déjà. leurs espérances. En vain Louis XVI condamnait-il publiquement leurs dangereux efforts ils répondaient que ses manifestes ne contenaient pas sa vraie pensée, et qu’il leur appartenait de les interpréter conformément aux intérêts de la monarchie. En vain Marie-Antoinette écrivait-elle lettre sur lettre à son frère l’empereur d’Autriche ou bien au comte Mercy pour maudire ce qu’elle appelait « l’extravagance de Turin, » pour déclarer que le roi redoutait en vue de sa propre liberté la victoire des princes, et pour supplier qu’on les arrêtât dans leur entreprise, ou qu’on s’abstînt du moins de les secourir elle ne gagna rien en réussissant à entraver leurs tentatives du côté du midi, car de Turin ils se transportèrent à Coblentz et à Worms au commencement de 1791. On les vit, dans la première de ces deux villes, comptant pour rien le roi, organiser, en même temps qu’une armée, un gouvernement qu’ils imposeraient ensuite de toutes pièces à la France conquise par leurs armes. De Calonne prenait en main l’administration des finances, ce qui, dans le désarroi des princes, était pour le moment presque une sinécure, et celle de la police, fonction plus nécessaire au milieu du désordre où l’on se trouvait de Calonne, en récompense, devait obtenir, lors de la restauration, sans doute fort prochaine, le rang de pair du royaume et de premier ministre. Le maréchal de Broglie prit le ministère de la guerre et s’entoura de bureaux. On vendit à l’avance des immunités et des titres, on se partagea toutes les dignités du royaume, comme faisaient les chevaliers qui entouraient Pompée à la veille de Pharsale. L’armée improvisée ne laissait pas que d’être assez nombreuse beaucoup d’officiers nobles avaient passé la frontière; toute une partie du régiment de Berwick Irlandais était sortie de Landau avec armes et bagages. Ce qui manquait toutefois, c’étaient les soldats; tous ces nobles, quels que fussent leur âge et leur expérience, septuagénaires ou imberbes, avaient réclamé des postes dignes de leur nom. Le marquis d’Autichamp, commandant de la gendarmerie, réforma d’un coup quatre-vingt-cinq gendarmes, qui n’étaient pas d’assez beaux hommes à son gré. L’infanterie faisait l’exercice avec des instructeurs prussiens ou suédois, et en se servant de bâtons à défaut de fusils; la cavalerie, en attendant que Gustave III lui fit don de cinq mille chevaux, ne figura que par les cadres brillans de ses officiers. En revanche, on avait une cour; nul n’y était admis qu’assisté de quatre gentilshommes qui attestaient la pureté de ses principes, et, pour compléter l’illusion, le comte d’Artois y trônait avec ses maitresses. On appelait Coblentz la cour ou la ville, et Worms était le camp. Il y avait en effet, non pas précisément dans Worms, cette ville impériale ne l’eût pas souffert, mais dans le château où résidait l’électeur, un corps de noblesse militaire peu nombreux, mais bien commandé par le prince de Condé. Ce groupe-là observait une certaine discipline, entretenait des relations importantes avec la noblesse non émigrée de Lorraine et d’Alsace, et menaçait particulièrement Landau.

Worms et Coblentz convenaient d’ailleurs beaucoup mieux que Turin aux projets des princes. Ils s’y trouvaient à peu de distance de Paris et en relations faciles avec les puissances dont ils convoitaient le plus les secours. Bien plus, l’ardeur intempérante et les préjugés mêmes de l’émigration rencontraient des sympathies qui lui étaient chères auprès de ces petites souverainetés ecclésiastiques et laïques de l’ancien empire d’Allemagne particulièrement groupées dans la région du Rhin et dans celle du Haut-Danube. Le parfum tout féodal qui s’exhalait de ces cours causait à nos émigrés de douces illusions, et leur rendait, au milieu de l’exil, quelques traits d’un idéal qu’en France même ils n’avaient pu rêver qu’à peine. Gustave III en pensait ainsi quand il se sentait attiré vers Aix-la-Chapelle et Spa, où lui venaient non-seulement de France, mais des principautés allemandes, tant d’hommages. Membre lui-même du corps germanique, et la couronne de Suède étant signataire du traité de Westphalie, il songeait à prendre en main, si l’empereur manquait à son devoir, les griefs de ces princes d’Allemagne que la révolution française dépouillait, en dépit de ce traité, de leurs possessions d’Alsace. Faisant d’ailleurs cause commune avec l’émigration française, il aspirait à en être le chef et le sauveur. Que la Russie lui accordât ce qu’il lui fallait de subsides, et il saurait bien, même sans le concours des puissances du midi, si leur apathie ou leur égoïsme les retenait, trouver une armée suffisante pour vaincre la révolution; il montrerait ce dont le nord était capable. Or dans ces premiers calculs il ne manquait pas de faire entrer les ressources que lui offrait, en dehors de la Prusse et de l’Autriche, le concours des états allemands. Il pensait que ces princes germaniques détestaient autant que lui les idées révolutionnaires, qu’ils étaient aussi intéressés que les émigrés eux-mêmes au rétablissement de la monarchie française, et qu’il ne pouvait souhaiter de plus dociles instrumens pour sa propre gloire.

Les petites cours de l’Allemagne ressemblaient alors, il est vrai, à des citadelles de l’ancien régime, qui s’y était cantonné avec tout l’appareil en miniature de l’absolutisme et du bon plaisir. On peut en juger, et apprécier ensuite quelles sympathies ou quels secours Gustave III et l’émigration devaient rencontrer de ce côté, en écoutant les curieux témoignages qu’a laissés un des membres précisément les plus marquans du parti des princes. Je rencontre ces témoignages dans les papiers, encore tout à fait inédits, de M. d’Escars, qu’une offre infiniment obligeante m’a permis de consulter[2]. M. d’Escars réclame dans notre récit une place importante, puisqu’il a été le plénipotentiaire des princes et de la contre-révolution auprès de Gustave III ; il a résidé en cette qualité à Stockholm, et y était encore lors de l’assassinat du roi de Suède. C’est une bonne fortune d’avoir ses propres récits, non-seulement sur ce qui concerne ses relations directes avec le cabinet suédois, mais, lorsqu’il voyage en tous sens à travers l’Allemagne pour les intérêts du parti contre-révolutionnaire, sur l’état politique et moral des pays où Gustave et les princes devaient trouver de naturelles alliances. Ajoutons que le narrateur lui-même nous apparaîtra comme un type intéressant d’une certaine sorte d’émigrés.

Né en 1747, d’abord gentilhomme et capitaine des gardes du comte d’Artois, puis colonel d’un régiment de dragons et premier maître d’hôtel du roi, marié en 1783 à la fille du riche fermier-général de Laborde, et compris la même année dans une promotion de maréchaux de camp, le baron d’Escars[3] paraît avoir fait partie de cette noblesse sincèrement dévouée, mais fort imprudente, dont Louis XVI se défiait, même avant la révolution. Le 4 août 1789, quelques jours seulement après l’émigration des princes, il part lui-même avec le caractère d’agent secret près des puissances étrangères, mais reste une année sans recevoir de la cour aucune communication directe. Cela ne l’empêche pas de faire bonne figure et de répandre les bons principes dans les cours qu’il visite sa mission l’amène ainsi, sur les bords du Rhin et du Haut-Danube, chez des souverains fort ennemis de la révolution française. Ce n’est pas toutefois dès sa première étape, c’est-à-dire à Bonn, résidence de l’électeur de Cologne, que M. d’Escars rencontra le plus d’ardeur favorable au parti des émigrés. La double raison en était le caractère du prince-électeur, Maximilien, frère de Marie-Antoinette, et sa dépendance de l’Autriche. Les grandes cours montraient elles-mêmes et imposaient à celles qui subissaient leur influence immédiate plus de réserve que les petits états, et elles les retenaient quelquefois. Quant au prince-électeur, doué de peu d’initiative et fort timide, c’était le même qui, lors de son voyage en France, visitant à Paris le Jardin du Roi, avait répondu à Buffon lui offrant un exemplaire de ses œuvres : « Je ne veux pas vous en priver! » Il avait fallu que Joseph Il, son frère, pendant son voyage de 1777, réparât la faute en allant faire visite à Buffon, pour prendre, expliqua-t-il, les précieux volumes que le jeune archiduc avait oubliés. M. d’Escars le trouva, dans son électorat de Cologne, extrêmement froid sur les événemens de la France, et même, ajoute-t-il, sur les insultes déjà faites à la reine sa sœur, du reste tout absorbé dans sa liaison avec la femme d’un des ministres étrangers qui résidaient à sa cour ce n’était guère qu’à table, à dîner ou à souper, qu’on pouvait parler avec lui; tout le reste de son temps était absolument consacré à sa maîtresse.

En revanche, l’électeur de Mayence, un simple gentilhomme, baron d’Erthal, mais par son titre chancelier de l’empire et directeur de la diète, témoignait d’un grand zèle. « Je n’ai jamais rencontré, dit M. d’Escars, de prince plus prononcé contre la révolution française et en calculant mieux les dangers. Sa cour était brillante il tenait l’état le plus splendide. J’étais sans cesse invité à dîner et à souper, non-seulement aux grands repas de cérémonie, mais aussi dans la société particulière de l’électeur, chez Mmes de F… et de G… qu’on appelait tout bas ses deux ministres. « J’allai de là à la très petite cour de Bruchsal, résidence de l’évêque-prince de Spire. Cette souveraineté était alors occupée par un comte de Limbourg-Vehlen-Styrum. On ne pouvait avoir des états plus voisins de la France; on ne pouvait aussi être plus ennemi des nouveaux principes. Il connaissait à fond la constitution et le droit germaniques, et adressait aux diverses cours allemandes ainsi qu’à la diète des notes très fortes et très bien rédigées dans l’importante vue de préserver l’Allemagne et tous ses princes des dangers de la propagande qui travaillait déjà tous les états voisins de la France.

De Bruchsal, M. d’Escars se rendit chez le duc de Wurtemberg, à Stuttgart. Jusque-là il avait été satisfait des dispositions de noc ministres auprès des petites cours d’Allemagne, de M. de Maulevrier à Bonn et du comte d’Okelly à Mayence; mais ici M. de Mackau, frère du marquis de Bombelles, lui parut pencher vers les principes révolutionnaires aussi, bien qu’il l’eût personnellement connu naguère, l’ayant eu sous ses ordres dans les gardes du corps du comte d’Artois, il se tint à son égard dans une soigneuse réserve. — De Charles-Eugène, duc de Wurtemberg, M. d’Escars ne sait trop que penser. Le duc ne pactisait pas avec la révolution, mais il était du nombre de ces princes d’Allemagne qui recevaient leurs inspirations de la Prusse et continuaient l’école philosophique et politique inaugurée par Frédéric II. Le Wurtemberg était devenu sous sa domination un champ d’expériences pour l’actif esprit de réforme qui animait le XVIIIe siècle. Enseignement, industrie, agriculture, avaient reçu de ce prince une impulsion dont les traces ne sont pas entièrement effacées aujourd’hui c’est le duc Charles-Eugène qui a créé le château et le parc de Hohenheim, où l’on voyait de son temps, comme un symbole de l’ardeur tumultueuse d’alors, un confus amas de constructions imitant toutes les époques, des thermes romains et des temples grecs à côté d’églises gothiques, des mosquées turques en face de cottages anglais. De lui aussi datait cette Carls-Schule que le grand nom de Schiller a rendue célèbre. M. d’Escars pensait sans doute qu’il était téméraire d’encourager l’esprit de réforme dans un temps où ses excès étaient si visibles. « Je fus fréquemment invité, dit-il, au château de Hohenheim, qu’habitait alors le duc régnant, homme d’esprit sans doute et fort instruit, mais qui donnait à plein collier dans la ridicule singerie de Frédéric II et dans la manie d’avoir une légion de géans auxquels il payait des engagemens monstrueux. Avec sa petite armée de six à huit mille hommes et sa légion de brigands, ramassis de toutes les nations, il se croyait à l’abri des maximes françaises. » Il avait pourtant auprès de lui, pour prédicateur de sa cour, ce moine apostat Euloge Schneider, qui devint président du tribunal révolutionnaire à Strasbourg, ensanglanta l’Alsace, et périt sur l’échafaud après avoir été arrêté par ordre de Saint-Just et de Lebas.

L’électeur de Bavière, que M. d’Escars visita ensuite, sexagénaire et malade, ne s’occupait de l’administration de ses états que pour piller son propre trésor à l’insu du pays en faveur de ses nombreux bâtards; toutefois son indolence avait laissé le champ libre, là aussi, à l’esprit de réforme.


« Le véritable arbitre de tout à cette cour, dit M. d’Escars, était un Anglo-Américain nommé Thomson, devenu depuis, à une vacance de l’empire, comte de Rumford, les électeurs de Bavière et de Saxe ayant, pendant leur vicariat, le droit de créer des princes et des comtes. C’est le même comte qui est connu par les soupes et les cheminées à la Rumford et beaucoup d’autres objets tenant à l’industrie et à la physique. Retiré en France, il y a épousé la veuve du fameux Lavoisier. Je me procurai les mémoires par lesquels Thomson avait captivé la confiance et la faveur exclusive de l’électeur en lisant les préambules de ceux qui traitent de la guerre, des finances, de l’administration intérieure, des hôpitaux, des manufactures, etc., je croyais lire les préambules emphatiques de M. Necker, et j’y retrouvais tous les principes philosophiques de ce Genevois. »


De Munich, M. d’Escars alla vers Ratisbonne; cette ville impériale, enclavée dans les états de l’électeur de Bavière, était le siège de la diète germanique la représentation diplomatique, particulièrement celle des états allemands, y figurait au complet. M. d’Escars fut bien étonné d’y trouver presque tous les ministres de l’empire faisant partie des illuminés; Ratisbonne était le foyer de la secte malgré la persécution dirigée contre elle par l’électeur de Bavière lui-même. A quelque distance de Ratisbonne enfin, l’émigré français visita la plus aimable, à son gré, de ces petites cours d’Allemagne, celle du prince-évêque de Passau. Par son curieux récit, on jugera de la douce vie que procuraient ces souverainetés demi-féodales tout près de notre frontière en l’an de grâce 1789, et du peu de goût qu’y devaient inspirer les terribles nouveautés de la France révolutionnaire. M. d’Escars nous rend par le menu toutes ses impressions. La féconde période au terme de laquelle il rédige ses mémoires, — de 1789 à 1812, — lui a laissé bien peu de plus vifs souvenirs.


« Ce n’étaient que riches repas et fêtes brillantes, dit-il, chez le prince-évêque de Passau, cardinal d’Auersberg. La première fois que je me rendis à sa résidence d’été, je demandai le maréchal de la cour pour me présenter à son altesse éminentissime; mais, sans me faire attendre, on ouvrit la porte d’un très beau salon, et je vis le cardinal entouré de femmes et de chanoines. Après un excellent accueil, on passa dans la salle à manger, et je fus placé entre le prince-évêque et la comtesse sa nièce. La chère était allemande, il est vrai, mais somptueuse et très bonne, les vins du Rhin et de Hongrie en abondance et parfaits, la comtesse prévenante et aimable. La conversation du cardinal fut celle d’un bon et digne homme il me demanda des nouvelles de tous les ambassadeurs français qu’il avait connus à Vienne. Le repas achevé, « il fait trop mauvais temps, me dit-il, pour vous proposer une promenade dans mes jardins anglais; je vais vous ramener en ville, où nous avons un opéra qui vous amusera peut-être. » En effet, je monte en voiture avec le cardinal, la comtesse et le grand-doyen du chapitre. Nous arrivons dans la plus jolie loge et la mieux décorée; je vois une salle de spectacle charmante, du meilleur goût, quoique petite, et remplie de jolies femmes parfaitement mises. Un coup d’archet imposant annonce l’arrivée du maître; on bat des mains, on applaudit le souverain, qui répond par les salutations les plus affables. Une toile parfaitement peinte se lève, et on représente le célèbre opéra de Don Juan de Mozart. Le cardinal me fit placer entre lui et la comtesse, me fit observer la salle, les décorations du théâtre, me nomma les plus jolies femmes, les acteurs et les actrices, dont partie étaient comédiens par état et partie étaient des amateurs de la ville, ainsi que l’orchestre. Après chaque acte, on apportait dans un salon qui précédait la loge des glaces et toute sorte de rafraîchissemens.

« ….. Invité de nouveau pour le lendemain, un équipage à six chevaux, avec un piqueur devant, deux heiduques et un valet de pied derrière, vint me prendre à mon auberge. Le temps était beau. Après le diner, le cardinal me conduisit dans ses jardins anglais. La seule description que j’en ferai se bornera à dire qu’ils descendent par une pente douce, remplie de toute sorte d’arbres et d’arbustes exotiques, d’une assez grande colline, sur laquelle est bâti un palais du meilleur goût, jusqu’à la rive gauche du Danube, qui coule entre deux rives fort escarpées. On voit en avant de soi deux fortes rivières se jeter avec rapidité dans ce fleuve majestueux. Partout où nous rencontrions dans cette promenade des jardiniers ou d’autres gens quelconques, ils mettaient aussitôt le genou en terre, et le cardinal distribuait à droite et à gauche ses bénédictions.

« Au retour de cette délicieuse et sainte promenade, nous rentrâmes au château. « La soirée est longue, me dit le bon prince. Je vous propose de vous ramener en ville j’aurai chez moi un petit bal. — Allons, monseigneur, répondis-je, hier opéra, aujourd’hui bal; qui peut se refuser à une si douce vie? » En effet, nous montâmes en voiture, et bientôt nous arrivâmes dans une salle de bal des plus jolies, des plus ornées, et certainement des mieux éclairées que j’eusse vues. Il y avait entre autres au moins quinze ou dix-huit lustres en verre de Bohême, d’un éclat étonnant. A peine fûmes-nous placés au fond de la salle, le cardinal, la comtesse et moi, que les valses commencèrent avec une rapidité que je n’ai connue que là et à Vienne. A mesure que la colonne de valse passait devant nous et s’y arrêtait, le cardinal appelait à lui la dame ou la demoiselle, me la nommait, me disait son âge, m’en faisait remarquer la taille fine et svelte, la figure fraîche et adolescente, et chacune, après avoir reçu de son éminence une petite caresse et un compliment, continuait sa valse…. Ce fut le cœur pénétré de reconnaissance et d’un vif regret que je pris congé d’un si digne prélat. Je n’imaginais pas que l’on pût mener une vie plus délicieuse que celle de la cour de Passau. »


Ces récits et la physionomie même du narrateur ne sont-ils pas également instructifs ? Voilà quelles délices la révolution allait sans pitié dissiper à jamais. Ce monde féodal qu’abritait encore l’édifice vermoulu du saint empire germanique, ces naïfs héritiers du moyen âge, dont le doux sommeil paraissait devoir être éternel, jouissaient dans la profonde sécurité qu’on vient de voir de leurs dernières heures. Et quant aux alliés de Gustave III, on voit qui ils étaient des politiques comme cet excellent M. d’Escars, des souverains comme ce bon cardinal-évêque de Passau, et, pour les conduire, les chefs inconsidérés, vaniteux, exaltés, de l’émigration. Impatiens d’agir, ces derniers ne furent d’abord retenus que par leur propre impuissance et par l’attitude des grandes cours, qui, ne conservant pas beaucoup d’illusions, attendaient les agressions révolutionnaires pour les combattre ouvertement, mais ne refusaient pas cependant de prêter l’oreille à ce que proposeraient les Tuileries. Le cabinet de Vienne en particulier, sous les deux règnes de Joseph II et de Léopold, frères de Marie-Antoinette, se prêtait aux instances de la reine contre les princes. Léopold s’efforça d’arrêter la fougue du comte d’Artois, refusa de le recevoir, et ne put empêcher cependant qu’en janvier 1791 l’étourdi de Calonne, venu secrètement à Vienne, ne laissât deviner à demi son incognito dans un bal masqué, au risque de faire croire en ville et de voir imprimer dans les gazettes que le comte d’Artois en personne venait s’entendre avec l’empereur, — cela au moment où la situation de Louis XVI et de Marie-Antoinette dans Paris devenait assez critique pour que le bruit d’une connivence avec l’étranger leur pût devenir fatal. M. d’Escars, en racontant cet épisode avec de curieux détails dans ses mémoires, montre bien que de Calonne, son oncle, a été comme lui-même un type de cette brillante et dangereuse émigration.

L’échec de Varennes, qui brisait les espérances du parti du roi, ouvrit libre carrière aux présomptions du parti des princes. Précisément la révolte des Brabançons contre l’Autriche venait d’être domptée le parti de Van der Noot, dédaigné par La Fayette et l’assemblée constituante, abandonné à ses propres forces, avait été facilement abattu; une patrouille de hussards s’était emparée de Bruxelles, et en quelques jours on avait tout fini. Comme s’il y avait eu quelque rapport entre cette faible révolte, toute favorable à la cause des privilèges ecclésiastiques ou féodaux, et la révolution française, les émigrés assimilaient le facile triomphe de l’Autriche à celui que bientôt ils remporteraient eux-mêmes. De Paris, les chefs du côté droit de l’assemblée, partageant cette confiance, engagèrent tout ce qui restait de nobles en France à partir pour Coblentz et Worms au nom de l’honneur et du roi. Les femmes s’en mêlaient et envoyaient des quenouilles à ceux qui voulaient rester. Il ne s’agissait, disait-on, que d’une promenade sur les bords du Rhin; dans cinq ou six semaines, on serait de retour avec la victoire. Il ne fallait que montrer son panache un mouchoir blanc, la botte du prince de Condé, et six francs de corde pour pendre les chefs de la révolution, que faudrait-il de plus? Une feuille périodique fondée à Coblentz sous le titre de Journal de la contre-révolution avertissait amis et ennemis deux millions d’hommes, à l’en croire, s’avançaient au secours des émigrés; si l’on avait quelques doutes, les initiés répondaient en confidence que ces troupes ne marchaient que la nuit, pour mieux surprendre les démocrates. Le triomphe obtenu, on rétablirait l’ancienne constitution avec les trois ordres, car de prêter l’oreille au système représentatif, c’eût été conspirer avec l’Angleterre et avec l’esprit nouveau. Si l’émigration même, dans ce qu’on appelait le parti du roi, offrait de tels conspirateurs, c’étaient les pires ennemis. En attendant l’intime alliance de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, dont on ne doutait pas, on acclamait le roi de Suède.

Jusqu’à Varennes, Gustave ne s’était pas entièrement livré à ce parti extrême; il distinguait même l’excès choquant de ses vaines prétentions. Il écrivait par exemple en arrivant à Aix-la-Chapelle, le 16 juin 1791. « J’ai trouvé ici presque tout ce qu’il y a de plus grand en France. Tous ces illustres proscrits forment une société très agréable. Ils sont tous animés d’une haine égale contre l’assemblée nationale, et aussi d’une exagération sur tous les objets dont vous n’avez aucune idée. C’est un spectacle vraiment curieux, et en même temps triste, de les entendre et de les voir. » Gustave III ne conserva point après Varennes cette modération, qu’autour de lui tout contribuait à lui faire oublier. On le saluait comme le protecteur avoué de tous. Marie-Antoinette lui envoyait une épée d’or avec cette devise : Pour la défense des opprimés, et les feuilles parisiennes, en l’insultant, augmentaient son crédit. Il tenait cour à Aix-la-Chapelle avec Fersen, d’Escars, le baron de Breteuil, M. et Mme de Saint-Priest, de Calonne, le marquis de Bouillé, Mmes d’Harcourt, de Croï et de Lamballe. Le comte d’Artois, le prince de Condé et ses fils venaient de Trèves, où ils avaient transporté leur quartier-général, pour le visiter, et se rencontraient avec les délégués des petits princes allemands, surtout du prince-évêque de Spire, de l’électeur de Mayence et de l’électeur de Trèves, oncle du comte d’Artois. Aux émigrés Gustave offrait toute son assistance[4] : trois fois la semaine sa table était servie pour eux à cent couverts, ce qui causait un sensible plaisir à une foule de gentilshommes que l’absence de solde réduisait quelquefois à se nourrir de lait et de pommes de terre. Devenu le héros de la contre-révolution, il rencontrait sur sa route des femmes et des enfans qui lui tendaient les bras pour qu’il les ramenât dans leur patrie. Lui que la cour de France avait jadis efficacement protégé, il allait payer sa dette, et au-delà, tout en acquérant pour son propre pays et pour lui-même une gloire nouvelle. Après avoir, comme Gustave Vasa, délivré la Suède de la domination ou des influences étrangères, après avoir battu les Russes comme Charles XII, il lui était réservé de délivrer, comme Gustave-Adolphe, l’Europe entière d’une redoutable tyrannie. Ouvrez l’Almanach de Gotha de 1791, qui s’imprimait au milieu de cette Allemagne dont Gustave III avait recherché les sympathies, vous jugerez, rien qu’en feuilletant ce petit volume déjà répandu dans les cours, du renom dont Gustave et la Suède jouissaient auprès du monde germanique. Les gravures dont la publication est ornée, et qui chaque année devaient consacrer le souvenir des événemens ou des personnages contemporains les plus remarquables, sont consacrées cette fois à peu près exclusivement à la Suède et à son roi, soit qu’elles retracent la révolution de 1772 ou qu’elles empruntent des scènes aux règnes glorieux des prédécesseurs de Gustave III[5].

D’utiles avertissemens ne faisaient pourtant pas défaut et auraient dû préserver le roi de Suède de ses étranges illusions M. de Staël, son ambassadeur à Paris, qu’il soupçonnait à la vérité de pactiser avec l’assemblée nationale, lui écrivait le 22 avril 1790


« Les aristocrates ne cessent de parler ici de contre-révolution, tandis que, pour en exécuter une, si elle était possible, il faudrait n’en jamais parler. — M. le prince de Condé paraît décidé à entrer en Alsace. S’il avait une armée puissante et des intelligences combinées dans l’intérieur du royaume, ce projet se pourrait concevoir ; mais si, comme on le dit, il cède uniquement à sa fureur sans avoir rien calculé, le roi sera forcé de le déclarer lèse-nation, d’ordonner à ses troupes de le repousser, et il résultera de cette tentative des attentats dans plusieurs parties du royaume contre des nobles et des prêtres qu’on soupçonnera de participer à sa démarche, Le roi ou plutôt la reine, car le roi ne peut être compté, — semble s’opposer de bonne foi aux desseins de M. le prince de Condé. Les aristocrates que ce prince a autour de lui ne tiennent pas à Louis XVI, mais la royauté, de sorte que le roi et la reine, ces augustes malheureux, sont dans la triste position de ne savoir à qui rallier leurs efforts et leurs intérêts. Leurs amis naturels, ceux qui défendent la monarchie, veulent avec tant d’acharnement le retour de l’ancien régime, qu’il leur importe peu que ce soit le roi actuel ou M. le comte d’Artois ou M. le prince de Condé qui règne, pourvu que la noblesse soit rétablie dans son ancien pouvoir[6]. »


M. de Staël, en parlant ainsi, montrait avec une singulière précision jusqu’à quel excès l’entêtement du parti des princes pouvait les entraîner, et quelles graves raisons Louis XVI et Marie-Antoinette avaient de les craindre. Un autre serviteur de Gustave Ill, le brave et spirituel comte de Stedingk, lui signalait aussi, de Saint-Pétersbourg, les dangers qu’on rencontrerait à se confier au parti extrême de l’émigration; il le faisait avec une rare clairvoyance, et comme un homme qui connaissait à fond, pour l’avoir longtemps pratiquée, notre société française de l’ancien régime. « On s’occupe beaucoup ici, dans le monde diplomatique, de la part que le roi de Suède pourrait vouloir prendre aux affaires de France. J’emploie toute mon adresse à dérouter les curieux. Je crois la circonspection et la prudence d’autant plus nécessaires en cette occasion que le salut de la famille royale et aussi de la France en dépend indubitablement. Autant je désire une contre-révolution, autant une demi-contre-révolution me paraît funeste et contraire au but. Les princes pourraient bien n’agir que pour leur intérêt. On ne dira point ainsi à Aix-la-Chapelle je connais les personnes qui s’y trouvent; elles diront qu’il y a cinquante mille mécontens sur la frontière, et si on leur dit qu’il pourrait bien n’y en avoir que dix mille, elles crieront qu’on est démocrate! En général, j’ai connu que, pour bien gouverner les Français, il ne faut que les modérer. C’est mon attachement pour votre majesté et pour le pays dont elle embrasse la défense qui me dicte ces réflexions[7]. »


Stedingk avait raison et jugeait bien les choses; mais sa dépêche arrivait à Aix-la-Chapelle au moment de cette exaltation du lendemain de Varennes. Gustave était tout entier au dessein de soutenir un brillant renom et de justifier d’ardentes espérances, On va voir par quels plans politiques il crut préparer, de concert avec les alliés que nous lui connaissons désormais, l’anéantissement rêvé de la révolution française.

II.

Le parti des princes triomphait, peu s’en faut, en voyant échouer les entreprises du roi et de la reine. De quoi avaient servi la timide circonspection du baron de Breteuil, les demi-mesures et les intentions conciliatrices presque jusqu’à la connivence avec ces mêmes idées dont il fallait empêcher la contagion? Plus de ménagemens pusillanimes il fallait confier au brillant et hardi de Calonne les négociations avec les cabinets européens, et c’était folie de vouloir capituler avec l’anarchie. On avait besoin de l’appui des différentes cours; en attendant qu’il fût acquis, Gustave III était, par son nom et par ses relations avec le cabinet de Pétersbourg, un allié précieux. Les princes n’en pouvaient souhaiter de plus enthousiaste ni de plus ardent. Loin de se laisser abattre par l’échec de Varennes, excité au contraire, lui aussi et comme piqué au jeu en croyant prendre désormais le premier rôle, Gustave publiait sa rupture avec le gouvernement qui siégeait à Paris. Sa dépêche à M. de Staël, du 27 juin 1791, imprimée dans toutes les feuilles de l’Europe, le désigna, — c’était son vœu, — aux colères révolutionnaires : « ….. Représentant d’un roi qui a eu soin toute sa vie, en protégeant chez ses peuples une juste liberté, de maintenir l’ordre public et la dignité de sa couronne, j’attends de vous que vos démarches seront conformes à ma vie entière, aux sentimens que j’ai fait éclater, à mon caractère connu, à la dignité du trône des Gustave. Cette pièce, fort connue, et qu’on retrouvera dans le recueil des Œuvres de Gustave III, est très digne et très calme; mais vingt jours après le roi de Suède écrit encore à son ambassadeur, et sa lettre, non destinée cette fois à devenir publique, n’en montre que mieux toute son impatience[8].


« 17 juillet 1791. … Rien de plus déplorable que l’espèce de tranquillité qui semble s’établir en France, car une paix stable et la sécurité des propriétés et des personnes sont incompatibles avec la nouvelle constitution et les principes sur lesquels elle est fondée. Parmi ceux qui cherchent à propager ces principes, les démocrates enragés ne sont pas les plus à craindre le but qu’ils se proposent et qu’ils montrent trop ouvertement, ainsi que la violence de leurs moyens; sont trop révoltans et trop odieux pour que l’illusion en leur faveur puisse être de longue durée; mais ceux qui, sous les dehors d’une modération affectée, cachent des desseins non moins dangereux, et cherchent à concilier avec les principes généraux et reconnus de la monarchie les principes qui ont le plus servi à la renverser, ceux-là sont à craindre. D’après mes principes, rien ne serait plus contraire même à mes propres intérêts que toute demande quelconque dont pourrait s’ensuivre un accommodement avec le roi et l’assemblée nationale. Si des circonstances impérieuses ne permettent pas encore d’anéantir l’hydre qui s’est élevée sur les débris du trône, que tout reste dans l’état déplorable où l’assemblée l’a mis. »


Une campagne contre-révolutionnaire était, suivant Gustave Ill, devenue inévitable il aurait voulu s’en réserver à lui seul toute la gloire. Il avait accepté l’alliance des chefs de l’émigration, il est vrai, mais avec la pensée d’être leur protecteur, jamais leur obligé. Il traitait de haut, comme un roi depuis longtemps victorieux, avec le comte de Provence, qui venait d’émigrer à son tour, et avec le comte d’Artois. Tout d’abord il leur donna ses conseils pour la constitution d’un gouvernement régulier et légal à opposer au prétendu gouvernement qui siégeait à Paris un mémoire écrit de sa main et lu par lui dans sa chambre, à Aix-la-Chapelle, le 5 juillet, devant les deux frères et l’évêque d’Arras, émettait l’avis que Monsieur prît immédiatement le titre de régent de France, organisât auprès de lui les plus importans ministères, nommât des agens diplomatiques, et offrît de la sorte soit aux cours étrangères, soit aux Français restés fidèles, une représentation de la monarchie autour de laquelle il leur fût permis de se rallier. Lui-même se hâtait de négocier avec l’impératrice de Russie, soit en son propre nom, soit au nom même des princes, dont il s’était fait donner les pleins pouvoirs, car il comptait que l’assentiment de la tsarine. lui permettrait d’agir comme chef des armées du nord sans avoir besoin. d’attendre les secours des autres souverains, auxquels d’ailleurs on s’adressait aussi.

Nous avons cependant laissé Gustave III en guerre avec Catherine II, ou du moins au milieu de négociations qu’avait ouvertes la paix temporaire de Verela, en juillet 1790, mais qu’il fallait. conduire jusqu’à un traité destiné à fixer la frontière commune de Finlande. On se rappelle que la tsarine avait eu à soutenir les premières hostilités du roi de Suède, suscitées par la ligue anglo-prussienne, dans le temps même où sa guerre contre les Turcs l’occupait elle-même vers le midi. Il est donc facile de comprendre quel double avantage c’était pour elle de voir son turbulent voisin, emporté par sa vive imagination vers les affaires de France, oublier et la guerre contre les Russes et l’importante négociation qui devait fixer sa frontière. Elle se promit de faire bon accueil à tous ses plans contre la révolution française, de gagner du temps en vaines et flatteuses réponses, de profiter de ces délais pour porter les derniers coups aux Turcs, fidèles alliés de Gustave, et au moment qu’elle choisirait, quand elle aurait toutes ses forces sous la main pour imposer sa volonté, de dicter ses conditions au roi de Suède.

Dès le 9 juillet 1790, un mémoire était adressé par Gustave III à l’impératrice, pour lui soumettre un plan d’invasion. Les troupes de l’empereur, fortes de trente à trente-cinq mille hommes, entreraient par la Flandre, douze à quinze mille Suisses pénétreraient par la Franche-Comté, quinze mille Sardes par le Dauphiné, vingt mille Espagnols enfin par les Pyrénées. Les princes de l’empire attaqueraient l’Alsace. Le roi d’Angleterre, pensait-on, resterait neutre, et se dédommagerait sur les Antilles françaises de l’inaction qu’il voudrait bien garder. L’empereur négocierait avec le roi de Prusse pour que celui-ci donnât ses troupes de Westphalie. Entrés en France, les princes assembleraient un champ-de-mai, et Monsieur, après avoir déclaré sa régence devant les pairs, les grands officiers de la couronne, les évêques, etc., promettrait de conserver les anciennes lois du royaume, les droits et privilèges des divers ordres, et le rétablissement des parlemens. A une si grande entreprise il fallait un chef suprême. Le roi de Suède était fier d’un premier suffrage que lui avait accordé à ce sujet l’impératrice. Il fallait que ce chef eût à sa disposition une force suffisante, ne dépendant que de lui, afin que son autorité fût sûrement assise. Déjà Gustave III avait engagé à son service d’habiles généraux, comme le marquis de Bouillé; il offrait en outre seize mille Suédois et demandait six mille Russes, avec d’importans subsides que la France rembourserait après la restauration. Ce corps, embarqué sur des vaisseaux fournis par les deux couronnes de Russie et de Suède, attendrait à Ostende le moment de débarquer, pendant l’automne de 1791, sur les côtes de Normandie. Deux officiers suédois examinaient secrètement tout le bassin de la Seine, du Havre à Paris. Des mémoires rédigés par la noblesse normande elle-même apportaient les informations les plus rassurantes et les plus détaillées. Tout était donc préparé avec soin; le général en chef était prêt on n’attendait plus qu’un envoi de roubles et de soldats russes avec un raisonnable appoint de Cosaques, c’était une recommandation expresse de Gustave III, — pour terrifier les populations françaises. On voit que les plans politiques et militaires ne coûtaient pas à la féconde imagination du roi de Suède; il taillait en plein drap. Nul cependant ne savait mieux que lui la vanité des chiffres et l’incertitude des engagemens qu’il proposait à l’impératrice; mais il espérait l’entraîner par l’apparence de ce concert, se faire donner par elle des secours d’hommes et d’argent effectifs avec le commandement en chef, auquel il tenait par-dessus tout, et qu’il garderait ensuite, quels que fussent les membres et les forces de la coalition européenne. Toute son infatuation du moment se montre dans une curieuse lettre qu’il adressa le lendemain du jour où il avait expédié le précédent mémoire au comte de Stedingk, devenu son négociateur à Saint-Pétersbourg.


« Quoique l’intérêt que je prends à la famille royale de France soit très grand, celui que je prends à la cause publique, à l’intérêt particulier de la Suède et à la cause de tous les rois est plus grand encore. Tout cela tient au rétablissement de la monarchie française, et il peut être égal si c’est Louis XVI, ou Louis XVII, ou Charles X qui occupe ce trône, pourvu qu’il soit relevé, pourvu que le monstre du Manége[9] soit terrassé, et que les principes destructeurs de toute autorité soient détruits avec cette infâme assemblée et le repaire infâme où elle a été créée. Il faut empêcher qu’une nouvelle législature ne confirme, au nom de la nation, une partie des attentats déjà décrétés. Le seul remède à tout cela, c’est le fer et le canon. Il se pourrait qu’à ce moment le roi et la reine fussent en danger; mais ce danger n’équivaut pas à celui de toutes les têtes couronnées, que la révolution française menace. Je suis convaincu d’ailleurs que ce danger pour leurs majestés très chrétiennes n’existe pas, puisque, au moment de l’entrée des troupes étrangères, les factieux seront intéressés à conserver des otages qui pourraient leur servir de rançon. Leur intérêt n’est pas de détruire le roi et le dauphin, car alors Monsieur, qui est libre, serait roi…

« Soyez en garde contre tous les Français qui sont à Pétersbourg. Il y en a de très zélés pour la cause royale, mais qui ont une ardeur exagérée. Il y en a d’autres qui sont les émissaires de la propagande et des démocrates. Ils ne peuvent être dangereux pour vous ni pour l’impératrice; mais il y a une troisième classe, qui se donne le nom de monarchiens, qui veulent bien le gouvernement du roi, mais prétendent établir une espèce de gouvernement métaphysique impossible à soutenir en France, et dont l’établissement (s’il venait à se consolider jamais) serait un exemple encore plus dangereux, et servirait à bouleverser tous les trônes. Ceux-là craignent une contre-révolution dont la suite pourrait remettre les choses dans l’ancien état, et par là empêcher leur gouvernement chimérique. C’est d’eux et de leurs conseils qu’il faut vous garder, car sous le masque de très bons sentimens ils cachent les vues les plus funestes pour le bien général de la restauration de la monarchie, qui ne peut exister sans le rétablissement entier de l’autorité royale. »


Ce n’était malheureusement pas Gustave III lui seul qu’une exaltation imprudente inspirait si mal. Le parti des princes, avec son plan de régence qui révoltait la cour, ne professait pas une autre doctrine M. de Staël nous l’a fort bien marqué. Eux aussi, ils disaient « Peu importe que le roi de France s’appelle désormais Louis XVII ou bien Charles X; périssent Louis XVI et Marie-Antoinette plutôt que le principe de l’ancien régime et de la monarchie absolue » La lettre de Gustave Ill, avec sa haine des monarchiens, c’est-à-dire d’hommes intelligens, honnêtes, dévoués, bien accueillis de Louis XVI lui-même, comme M. de Saint-Priest, M. de Ségur, et, à côté d’eux, La Marck, Mercy, Fersen, pouvait servir de manifeste à ces royalistes si redoutés du roi.

S’il comptait avant tout sur l’appui de Catherine II, Gustave était cependant informé des vrais calculs de l’impératrice par le fidèle Stedingk. Devenu ambassadeur auprès de la tsarine après avoir bravement combattu ses troupes en Finlande, Stedingk était bien placé à Pétersbourg pour observer et juger tout un côté de la contre-révolution. Ses dépêches, toujours vivement écrites, intéressent en même temps par la rectitude des vues qui y sont exprimées et par un sentiment d’affection profonde pour la France, où il avait trouvé jadis, avec son ami Fersen, un si bon accueil, et qu’il ne cessait d’aimer.


« Tout le monde s’applique ici, écrit-il de Pétersbourg en juillet 1791, à détourner l’impératrice de donner des secours au roi de France. Le prince Potemkin n’en parle qu’en haussant les épaules. Quant à l’impératrice, il y a des points pour lesquels Dieu le père ne gagnerait rien sur elle. Elle se bornera à bien recevoir les réfugiés français et à se ménager la gloire de la protection. M. de Sombreuil, envoyé ici pour solliciter de l’emploi en faveur de plusieurs personnes de distinction, a été fort bien reçu. Ce jeune homme, rempli de confiance, allait s’en retourner tout joyeux; connaissant les êtres, je l’ai engagé à rester encore quelques jours pour se faire mieux articuler les promesses vagues qu’on lui avait faites. Pour M. de Meilhan, je crois qu’il n’est ici que pour rédiger les ouvrages littéraires de l’impératrice. Les meilleurs alliés sur lesquels votre majesté puisse compter, c’est son génie, son courage et son propre pays… L’impératrice ne se mêlera pas directement des affaires de France; elle répond que la saison est trop avancée, qu’on est trop loin, qu’il faut attendre les réponses des autres cours… Ah! sire, de tous les princes qui portent des couronnes, il y en a bien peu dont les sentimens répondent à leur fortune. Je suis vivement affecté de la tournure que prennent les affaires. Cette pauvre France, cette reine infortunée, mes amis exilés traînant à l’étranger une existence malheureuse, tout cela me navre le cœur! »


Le cabinet de Vienne, quoique particulièrement intéressé par la parenté à défendre la famille royale, n’avait pas donné de meilleure réponse que celui de Pétersbourg. Ce n’est pas toutefois que les deux frères de Marie-Antoinette aient montré d’abord la même attitude. M. d’Escars raconte dans ses mémoires l’étrange accueil de Joseph II quand il lui avait porté, à la fin de 1789, tout le détail des journées du 5 et du 6 octobre. «M. le comte d’Artois, qui m’envoyait, présumait beaucoup trop, dit-il, de la sensibilité dont serait l’empereur à un attentat contre son sang, son beau-frère et son allié. Joseph II parcourut la lettre que je lui apportais avec une froideur qui me consterna; il se mit à épiloguer, révoqua en doute la fidélité des rapports, qu’il traita d’exagérés. — Pourquoi se sont-ils laissé insulter impunément? s’écriait-il. Pourquoi, depuis l’ouverture de l’assemblée, laissent-ils usurper tous les pouvoirs? — Quelque temps après, il me communiqua sa réponse, qui était dans le style d’un référendaire de la diète. Léopold, frère de Joseph et alors grand-duc de Toscane, avait accueilli avec d’autres sentimens la même nouvelle. « Il est inconcevable comment le roi ne s’est pas fait plutôt tuer que de céder, écrivait-il à sa sœur Marie-Christine. Il faut avoir le sang d’eau claire, les nerfs d’étoupe et l’âme de coton![10] » Devenu lui-même empereur en février 1790, il se montra d’abord tout prêt à seconder énergiquement Louis XVI et Marie-Antoinette on l’a vu contenir la folle ardeur des princes avant la tentative de Varennes; il offrait hardiment, au moment où il croyait que cette première tentative de la cour avait réussi, des secours d’argent et d’hommes; lorsqu’il apprit l’arrestation du roi et de la reine, il écrivit à Marie-Christine «Je les vengerai exemplairement.» Léopold toutefois avait l’intelligence des dangers que présentait la contre-révolution; il était souverain prudent, dévoué à ses peuples avant de l’être envers sa propre famille; sa guerre contre les Turcs, qui allait durer jusqu’en août 1791, les avait épuisés. Prêt à secourir Louis XVI alors que Louis XVI s’aidait lui-même, il s’indigna de l’étourderie des princes, prit en défiance leur chevaleresque allié Gustave III, et ne répondit plus que par des ajournemens sans fin aux instances dont le roi de Suède et le comte d’Artois l’obsédaient. En vain l’honnête et fidèle Fersen, sans se laisser abattre par l’échec de Varennes, sans distinguer entre les deux partis du roi et des princes, cherchant uniquement à servir la famille royale, venait proposer des combinaisons diverses; en vain le comte d’Artois se rendait lui-même à Vienne, pour représenter que le temps pressait, qu’il fallait mettre Louis XVI en état de repousser la constitution nouvelle et empêcher à tout prix une nouvelle législature[11] : Léopold déclarait qu’à son gré une décIaration commune engageant toutes les puissances devait précéder tout manifeste des princes, et qu’on n’avait pas encore le consentement de toutes les cours. Tout en permettant aux officiers et soldats français réfugiés dans ses états d’y rester, il ne pouvait permettre à des régimens de s’y former avant que l’entente commune entre les puissances eût permis de faire les principales dispositions militaires. Il déconseillait en outre la déclaration de régence de Monsieur, voulant ainsi réserver à Louis XVI ses droits et sa liberté d’action. D’ailleurs les lettres intimes de Léopold dévoilaient ses vrais sentimens à l’égard des princes et du roi de Suède. « Ne faites rien de ce que les Français vous demanderont, écrivait-il à sa sœur, gouvernante des Pays-Bas, hors des politesses et dîners; mais ni troupes, ni argent. Je plains leur situation; mais ils ne pensent qu’à leurs idées romanesques et à leurs vengeances et intérêts personnels, croient que tout le monde doit se sacrifier pour eux, et sont bien mal entourés, témoin les papiers de M. de Bouillé et de Calonne. On dit le roi de Suède retourné chez lui; tout cela n’est derechef qu’une rodomontade de sa part. »

Gustave III n’avait pas négligé d’écrire aux autres cours. Sa lettre à Carisien, ministre de Suède auprès de Frédéric-Guillaume II, et son mémoire au roi d’Espagne (3 et 16 juillet 91) offrent les variantes curieuses de son thème héroïque. « Je regarde la révolution, mande-t-il au premier, comme le danger le plus imminent pour la tranquillité de l’Europe. Je sens ce danger plus fortement que jamais depuis les affronts faits à la dignité royale dans la personne de Louis XVI. Je crois avoir eu assez de fermeté pour parer les périls qui m’environnaient; mais je ne vous cacherai pas que j’en crains le retour, si l’impunité autorise un si funeste exemple dans un pays qui a été si longtemps en position de donner le ton à l’Europe. » Gustave ne se dissimulait pas d’ailleurs que le roi de Prusse réglerait sa conduite sur celle de l’empereur. Du roi d’Espagne, chef de la maison de Bourbon, il attendait, outre un contingent militaire, une somme de 12 millions de livres pour les premiers six mois de la guerre, s’engageant, sur sa foi de roi et sa parole de gentilhomme, à n’employer ces fonds qu’à l’objet auquel ils étaient destinés la France ne manquerait pas de rembourser à l’échéance les sommes avancées pour son bien. La réponse du roi d’Espagne ne tarda pas elle est datée du 3 août. Les circonstances ne sont plus les mêmes qu’il y a un mois, écrit Charles IV; le roi va être mis en liberté pour accepter ou refuser la constitution; il faut attendre ce moment et soutenir Louis XVI alors, si ses sujets résistent aux modifications qu’il pourrait vouloir. On doit réfléchir d’ailleurs sur les difficultés d’une guerre au milieu d’un peuple enthousiaste pour le nouvel ordre de choses. « Des armées conquérantes, quelles qu’elles soient, n’y pourraient posséder que le terrain qu’elles occuperaient. » De plus, une invasion compromettrait la sécurité du roi de France, Tout cela n’empêche pas le roi d’Espagne de promettre sa coopération et un secours d’argent quand il en jugera le moment nécessaire. Écrites par le même prince qui, au lendemain de Varennes, n’avait pas craint de rappeler la constituante au respect de la dignité et de la liberté de Louis XVI, et qui bientôt après allait se compromettre pour le sauver, ces lignes montrent bien que l’œuvre de la coalition n’était pas encore avancée, et surtout que Gustave III n’était pas fait pour devenir l’Agamemnon de tant de rois. Le seul succès fut d’avoir obtenu la neutralité du roi d’Angleterre; mais Pitt attendait.

En réalité, le projet de coalition s’élaborait avec beaucoup de lenteur sous la conduite de l’empereur d’Autriche et en dehors des négociations entamées directement par Gustave III et les princes. Ce n’était pas œuvre facile de réunir des puissances jalouses entre elles et divisées par de nombreux intérêts; si la Prusse et l’Autriche se rapprochèrent, ce fut en vertu de leur commune convoitise à l’égard de la Pologne, dont elles préparaient déjà le second démembrement. Tous les cabinets étant occupés des affaires de France, l’occasion leur paraissait favorable. Tel fut, à n’en pas douter, le principal objet de l’entrevue de Pillnitz et des six articles secrets signés le 26 août 1791 ; mais tel n’était pas le sens de la fameuse déclaration du 27, véritable défi jeté par les deux souverains à la révolution française en leur nom et au nom de tous les rois de l’Europe. On a voulu nier, surtout en Allemagne, que cette déclaration fût un manifeste, la première pierre de la coalition, le commencement de la longue guerre européenne. — Cette déclaration, a-t-on dit, n’a été qu’une concession arrachée par le comte d’Artois, qui, sans y avoir été invité, était parvenu à prendre part aux dernières conférences. La preuve, c’est que nuls préparatifs ne suivirent, et que, lors de la déclaration de guerre faite à quelque temps de là par la France, le 20 avril 1792, les puissances furent prises au dépourvu. Le jour même où la convention venait d’être signée, Léopold écrivait à son ministre Kaunitz que cet acte n’engageait absolument à rien, et ne contenait que des déclarations générales sans portée.

Il est vrai que Léopold parut surpris de l’effet produit en France par la déclaration de Pillnitz; il en attribua le retentissement aux imprudens commentaires des princes. Il leur écrivit que le roi de Prusse et lui ne l’avaient pas entendue de la sorte, croyant nuisibles toutes prochaines démarches contre la France, et ils tentèrent même, par des commentaires semi-officiels dans les gazettes, de représenter leur manifeste comme nul et non avenu. Vains et puérils efforts pour revenir sur une démarche indiscrète, qui, si elle ne dénonçait pas officiellement la guerre, n’en était pas moins une insulte sanglante à la révolution! Si le roi de Prusse et l’empereur d’Autriche n’avaient pas saisi le vrai sens des paroles que le comte d’Artois et le parti des princes obtenaient d’eux, s’ils avaient cru n’apposer leurs signatures qu’à des « déclarations générales sans portée, cela montre seulement que, dans ce trop célèbre épisode de Pillnitz, la clairvoyance de leur conduite publique égalait la générosité de leur politique secrète. Quant aux princes français, si on veut leur faire honneur ici d’un triomphe, il faut se rappeler que ce triomphe imprudent, sans compter les nouveaux déboires dont il fut l’occasion pour Louis XVI, tourna contre la cause royaliste, puisque la France avertie arma de toutes parts, on sait avec quelle ardeur, et opposa; quelques mois après, ses jeunes conscrits de 1792 à la coalition qui se cherchait et s’interrogeait encore. Les premières victoires que la révolution a remportées sur la frontière, elle les a dues au défi insensé de Pillnitz.

Des différens chefs que s’était donnés le parti de l’émigration extrême, l’un, le comte d’Artois, avait donc tout compromis par sa conduite impolitique, et l’autre, Gustave III, risquait de tomber, par des fautes analogues, dans un entier discrédit. Cependant les illusions de ce dernier, au lieu de s’en diminuer, grandissaient au contraire et l’entraînaient à de nouvelles imprudences, jusqu’au jour où il s’apercevrait avec dépit qu’on ferait sans lui la coalition, ou du moins qu’il lui faudrait renoncer à son beau rêve d’abondans subsides et de commandement suprême. Le peu de compte qu’allait faire de lui le parti du roi, dans ses nouveaux plans après l’échec du parti des princes, pouvait lui faire prévoir cette issue.


III.

Gustave III était rentré dans sa capitale au commencement du mois d’août 1791, le front haut, en homme sur qui reposaient d’autres destinées encore que celles de son royaume. L’activité fiévreuse de son séjour à Aix-la-Chapelle s’était continuée en vue du grand rôle auquel il se destinait. Il avait d’abord renouvelé ses promesses de secours à Louis XVI, qui lui répondit[12] :


« Monsieur mon frère et cousin, je viens de recevoir les lignes dont vous m’avez honoré à l’occasion de votre retour. C’est toujours un grand soulagement d’avoir des preuves d’un sentiment intime comme celui qui m’est rendu par cette lettre. La part, sire, que vous prenez à tout ce qui regarde mon intérêt m’attendrit au plus, et je reconnais à chaque mot l’auguste âme d’un roi que le monde admire, tant pour son cœur magnanime que pour sa sagesse. Je prie votre majesté de croire que je ne suis pas le dernier qui reconnais ces vertus, et que je compte pour le bonheur le plus satisfaisant d’avoir reçu ces nouveaux témoignages de leur existence, monsieur mon frère et cousin, de votre majesté le plus affectionné frère et cousin,

« LOUIS. »

Tout en poursuivant ses négociations à l’étranger, il avait pris un ensemble de mesures intérieures pour protéger ses propres sujets contre l’invasion de l’esprit révolutionnaire interdiction aux gazetiers de tout commentaire ou compte rendu relatif à ce qui se passait en France ; défense aux gens de théâtre et à ceux qui montraient des figures de cire d’aucune exhibition offrant aux regards des Suédois les faits et gestes ou les traits mêmes des démocrates français. Tout entier d’ailleurs à ses projets belliqueux, le roi de Suède priait M. de Pahlen, le représentant de Catherine II à Stockholm, de lui servir d’aide-de-camp-général dans la prochaine croisade. Un régiment de la garde suédoise venant à faire son entrée dans Stockholm par suite d’un changement de garnison, Gustave donna, au milieu de l’étonnement public, un grand appareil à ce très simple incident militaire. Il assigna dans le défilé, auquel il se rendit lui-même, une place à M. de Pahlen, qui commencerait de la sorte, disait-il, ses nouvelles fonctions auprès de lui. Il lui fit remarquer dans cette cérémonie, ajoute un témoin oculaire, la représentation de sa future entrée dans Paris. « On croirait que ce n’est qu’une plaisanterie, ajoute le narrateur, mais cela s’est dit avec un grand sérieux[13]. »

Il est vrai que Gustave III avait autour de lui quelques dangereux conseillers, comme ce baron de Taube, ennemi acharné de la révolution, auquel les émigrés, dit un auteur suédois, avaient promis, pour qu’il jouât ce rôle, une pension annuelle de 80,000 francs après la restauration accomplie. Il y avait aussi M. d’Escars, que l’on retrouve ici en qualité de plénipotentiaire des princes. M. d’Escars, que nous avons quitté à la fin de son agréable excursion à travers les petits états de l’Allemagne pendant l’année 1789, avait continué son personnage de diplomate en disponibilité jusqu’à ce que ses liens avec le comte d’Artois et une évidente sympathie le fissent passer en service actif dans le parti des princes. Il était à Aix-la-Chapelle pendant Varennes il était plus tard à Pillnitz partout spectateur souriant plutôt qu’utile diplomate il voyait, comme il dit dans ses mémoires, la scène extérieure de la révolution « des premières loges. » M. d’Escars était toujours le même. Il faut l’entendre raconter, à la fin de son voyage d’Allemagne, ses plaisirs d’hiver au milieu de l’aimable société viennoise cavalcades le matin au Prater, invitations à dîner, loges le soir à tous les théâtres. « La révolution, dit-il, n’avait pas encore fait brèche à ma fortune. » Soit, mais tandis que M. d’Escars continuait cette douce vie, les pauvres émigrés de Coblentz n’avaient pas un sou et le roturier beau-père de notre aimable baron le bonhomme Laborde, comme l’appelait par amitié Marie-Antoinette, se jetait aux genoux de la reine pour lui faire accepter de grosses sommes d’argent. Il fallut cependant, pour le bien de la cause, quitter la société viennoise et se rendre bien loin vers le nord, dans des pays perdus, à Stockholm. En passant par Berlin, d’Escars évita de voir le prince Henri, le célèbre frère du grand Frédéric, bien qu’il fût lié avec lui et même par une correspondance très active; mais par cette correspondance même d’Escars savait que le prince, admirateur de l’assemblée constituante, n’approuvait pas la conduite de son neveu le roi de Prusse ni celle de l’empereur Léopold. Pour son autre neveu Gustave III, il le regardait comme un « carabin politique, » comme « un Don Quichotte. » De Stralsund vers la capitale du roi Gustave, la traversée était bien longue; mais l’heureux d’Escars rencontra à bord l’escamoteur Jonas, qui le reconnut, et lui fit plusieurs tours pour dissiper l’ennui du voyage. Arrivé le 20 septembre, il trouva le roi de Suède prêt à le recevoir avec plus d’honneurs qu’on n’en témoignait à un ministre ordinaire. Son arrivée portait à trois au lieu d’un le nombre des diplomates représentant la France à la cour de Stockholm le chevalier de Gaussen, depuis longtemps accrédité, n’était plus pour Gustave que l’agent de l’assemblée nationale; M. de Saint-Priest, récemment arrivé de Pétersbourg, était l’agent du roi; M. d’Escars enfin avait produit des pleins pouvoirs signés de Monsieur et du comte d’Artois au lendemain de Pillnitz. Gustave III avait en revanche comme représentans M. de Staël à Paris, Fersen, au moins en missions temporaires, près du baron de Breteuil, ministre de confiance de Louis XVI, et le baron Oxenstierna à Coblentz, auprès des princes. Il y avait ainsi entre la France et chacune des principales cours de l’Europe, de l’une et de l’autre part, un double ou triple service diplomatique, dont les plans se mêlaient et se combattaient tour à tour, complication peu favorable au difficile enfantement de la coalition étrangère, et fidèle image de l’inextricable embarras dit moment.

M. d’Escars, dans le récit de ses impressions en arrivant en Suède, a une façon d’enfant terrible qui se combine singulièrement avec sa fonction d’ambassadeur.


« J’avais laissé, dit-il, les princes et leurs amis dans la persuasion que je trouverais tout d’abord à Stockholm une flotte prête à embarquer une armée bien vêtue, bien armée, et pourvue de toutes les munitions nécessaires à une grande expédition sur les côtes de Normandie ou de Bretagne. Quand je fus à la recherche de tous ces préparatifs, je découvris qu’ils n’existaient que dans la tête du roi: le trésor ne renfermait pas un thaler qui pût y être employé; Gustave III avait compté et comptait encore sur quelques millions qu’il demandait à l’Espagne, et sur les subsides qu’il tirerait de la Russie lorsqu’il aurait rendu positive et durable la paix préliminaire de Verela. Aussi les deux recommandations les plus expresses qu’il débuta par me faire furent de me lier le plus intimement possible avec le comte de Stackelberg et le ministre d’Espagne. — Stackelberg, qui avait été proconsul à Varsovie, où il avait nagé dans les honneurs et les plaisirs, se mourait d’ennui à cette cour. Son fils Gustave était avec lui; il avait été élevé en France, et dans les voyages de Fontainebleau je l’avais fréquemment vu chez mon frère. Stackelberg aimait la bonne chère et n’y connaissait rien. Il me consulta, et je rendis la sienne plus supportable. Quant au ministre d’Espagne, nous fûmes bientôt liés de société: c’était un brave gentilhomme biscaïen, l’honneur en chausses et en pourpoint, prêt à se faire. hacher pour la casa di Borbone. »


On voit que d’Escars n’avait pas perdu son temps. Sa propagande en politique et en cuisine, le dénûment de son héros Gustave III, l’ennui de ce diplomate russe qui redemandait Varsovie pour y nager dans les plaisirs, c’est toute la physionomie de la contre-révolution peinte par l’un de ses plus naïfs adeptes. Il se vante assurément lorsqu’il s’attribue le succès enfin obtenu de la longue négociation ouverte entre la Suède et la Russie depuis la paix de Verela. A l’en croire, c’est lui qui décida Gustave III à traiter à tout prix. « Je lui rédigeai une note vigoureuse, dit-il sachant bien que de jouer un rôle dans les affaires de France était sa marotte, je le peignis à lui-même tel qu’il serait sans l’alliance de la Russie; mais ce qui attaqua sensiblement son amour-propre, ce fut de lui montrer tous les yeux de la Bretagne et de la Normandie fixés sur les côtes, attendant l’arrivée de ses flottes et de sa personne royale!... » M. d’Escars a la mémoire bonne il écrit ces lignes vers 1810, et ce beau mouvement d’éloquence, doit il a été évidemment très satisfait, date du 14 septembre 1791, vingt ans plus tôt. Voici sa note, conservée au ministère des affaires étrangères, à Stockholm; elle a six grandes pages et bien peu d’argumens; mais tout n’est-il pas racheté par cette magnifique péroraison: « Sire, vous êtes invoqué comme l’ange tutélaire de la France, comme le restaurateur du trône, des autels et de l’antique noblesse. Sire, plus de lauriers sont préparés en France à votre front que n’en ont cueilli les Vasa, les Adolphe. Déjà les côtes de Normandie sont couvertes d’yeux ouverts sur l’arrivée de vos flottes!... » Notons-le en passant, ce spécimen du style qu’employait la diplomatie contre-révolutionnaire n’est pas mauvais à recueillir. — Que le parti des princes fût ou non redevable à M. d’Escars de ce succès, il est certain que le traité de Drottningholm, une fois conclu avec la Russie le 19 octobre, donnait à Gustave III plus de liberté, et lui inspirait en même temps, avec l’espoir affermi de l’alliance russe, une nouvelle ardeur. La présence d’un représentant des princes accrédité à sa cour et l’imperturbable confiance de ce représentant ne pouvaient que le fortifier dans l’excès de sa présomption.

Autres étaient cependant les informations et les avis de l’honnête Fersen. De Prague, où il avait été pour presser l’empereur, il mandait à Gustave III, le 21 septembre, le détail de ce qui s’était passé à Pillnitz, la mauvaise conduite du comte d’Artois, la légèreté et les inconséquences de M. de Calonne, qui avaient effrayé le roi de Prusse. « En tout, disait-il, on n’a pas confiance dans les princes, et l’empereur moins qu’un autre. Les intrigues dont leurs entours sont occupés à Coblentz causent ces divisions. Je crois qu’il serait utile que votre majesté ne mît jamais les princes en avant vis-à-vis de l’empereur, car il paraît décidé à agir sans eux, par une ligue des puissances où ils ne seraient qu’auxiliaires. » Il ajoutait « Je crois mon séjour à Coblentz inutile, et je ne m’arrêterai près des princes que pour leur faire ma cour. Votre majesté sait d’ailleurs que je n’y suis pas persona grata; tous les entours seront charmés de me voir partir. Si je puis être utile, c’est à Bruxelles. » Cela veut dire que, dans sa pensée, c’était de Bruxelles que Fersen pouvait renouer avec la famille royale les relations interrompues depuis Varennes. Nous voyons par une lettre de Stedingk à Gustave III, en date du 10 octobre, les efforts qu’avait faits Marie-Antoinette, dès qu’elle n’était plus gardée à vue, pour reprendre ses correspondances au dehors. « Le comte Esterhazy, dit-il, a reçu à Pétersbourg de la reine de France une lettre qui fait le plus grand honneur à son cœur et à son esprit. Elle emploie les premiers momens de sa liberté à s’occuper de ses amis et à les encourager. Elle dit que tout ce qu’elle a fait, elle a été forcée de le faire pour prévenir de plus grandes horreurs. Elle veut qu’on ne s’occupe que du salut de la France et non de sa sûreté personnelle. On voit que l’espoir n’est pas éteint dans son cœur, et que son courage égale son infortune… Elle demande ce qu’est devenu le comte de Fersen elle n’en a eu aucune. nouvelle. L’énergie de Marie-Antoinette allait rendre en effet quelque vie au parti du roi.

Ce peu de liberté qui revenait à la famille royale lui avait été rendu lors de l’affaire de la constitution. Louis XVI avait paru, en acceptant l’acte constitutionnel, malgré les émigrés et les princes, dans la journée du 14 septembre, vouloir tenter de bonne foi une expérience. Le parti constitutionnel qui s’était formé autour de lui avait répété aux souverains étrangers qu’en l’absence de toute menace extérieure le nouveau pacte, observé loyalement, ne pourrait manquer d’être amendé bientôt dans le sens de la monarchie. L’empereur d’Autriche, auprès de qui l’ambassadeur français, le marquis de Noailles, avait été l’interprète de ces vues, sembla les adopter, et le roi de Prusse s’écria, dit-on, en apprenant l’acceptation de Louis XVI « Enfin je vois la paix de l’Europe assurée! » Rien ne permet d’affirmer que les uns et les autres n’aient pas été sincères, au moins un moment. L’Autriche, l’Angleterre et la Prusse firent à la circulaire royale du 19 septembre, qui notifiait l’acceptation, une réponse très pacifique, et témoignèrent même de leurs intentions amicales. La Russie, l’Espagne et la Suède refusèrent au contraire de recevoir un acte que Louis XVI, à leur avis, n’eût pas signé, s’il eût été libre. Voici comment la chose s’était passée à Stockholm. Le chevalier de Gaussen, étant malade, avait envoyé en copie au secrétaire d’état des affaires étrangères, Franc, la lettre de notification du roi, celle qu’il avait écrite à l’assemblée, et le nouvel acte de constitution. Il avait reçu immédiatement cette réponse


« A M. le chevalier de Gaussen, à Stockholm. Le secrétaire d’état de Franc a reçu aujourd’hui (7 octobre), de la part de M. le chevalier de Gaussen, un paquet dont le cachet porte : Mission de France en Suède ; mais comme, vu la captivité du roi de France, on ne connaît pas plus en Suède qu’en Russie de mission de France, le secrétaire d’état, par ordre du roi, a l’honneur de renvoyer ce paquet sans l’ouvrir à M. le chevalier de Gaussen, et de le prévenir en même temps qu’une correspondance ultérieure à ce sujet serait parfaitement superflue. »


Gaussen avait renvoyé à Paris la lettre de notification refusée par Franc; il la reçut de nouveau avec ordre de la présenter une seconde fois, et força enfin le secrétaire d’état à en donner connaissance au roi de Suède. Des souverains qui avaient accepté ou de ceux qui avaient rejeté le message de Louis XVI, lesquels avaient agi conformément aux intentions du roi de France, et pourquoi ne s’en était-il pas expliqué lui-même à l’avance? De telles explications ne vinrent qu’en décembre 1791, alors que Louis XVI se vit acculé à la nécessité imminente de déclarer lui-même la guerre à l’Europe. Le 29 novembre, l’assemblée législative l’avait pressé par un message exprès de faire cesser les réunions d’émigrés que toléraient les électeurs de Trèves et de Mayence. Le même jour, elle rendait un violent décret contre les prêtres non assermentés. Louis XVI fut profondément blessé de cette dernière mesure et y opposa son veto, ainsi qu’à un décret du 9 novembre contre les émigrés; mais, pour faire une concession qui compensât ces refus, il se rendit à l’assemblée le 14 décembre, et déclara qu’il allait adresser aux électeurs d’Allemagne la requête qu’on proposait. Si ces princes n’avaient pas fait droit à sa demande avant le 15 janvier, il déclarerait l’état de guerre. — Louis XVI avait-il donc franchement accepté la constitution en septembre, et pensait-il maintenant à se mettre à la tête de la nation pour attaquer ces mêmes souverains auxquels il demandait hier de le secourir? Se préparait-il à combattre ouvertement ces émigrés dont il venait de refuser la condamnation? Ni l’un ni l’autre. En septembre, Louis XVI s’était laissé aller aux avis des constitutionnels; mais, voyant que, par suite de son acceptation du 14, les cours sur l’appui desquelles il comptait le plus ajournaient, sincèrement ou non, leurs préparatifs de secours, et poussé à bout, désespéré par le décret sur le clergé, il écrivit secrètement aux principaux souverains, dans la journée du 3 décembre, que son acceptation de l’acte constitutionnel n’avait pas été libre, qu’il ne fallait pas en croire sa notification officielle, et que les cours amies ne devaient pas cesser de songer à le secourir; puis il adressa au baron de Breteuil, le lendemain même du jour où il avait été faire à l’assemblée sa déclaration contre les cours étrangères, la lettre suivante, appel direct à l’intervention armée de ces mêmes cours. C’est une page nouvelle dans l’histoire de la contre-révolution[14] :


« Vous avez eu connaissance du message de l’assemblée du 29 novembre. Vous verrez le discours que j’ai fait hier à l’assemblée nationale, et vous jugerez que l’un est une suite nécessaire de l’autre. La cruelle loi contre les émigrans m’avait forcé de faire usage du veto, dont la nécessité a été reconnue par une grande partie de la nation; mais les factieux, qui ne perdent jamais leur point de vue, de chercher à me mettre dans une situation embarrassante, se sont tournés d’un autre côté. Ils ont fait la détestable loi sur les prêtres réfractaires et le message sur les émigrans et les puissances étrangères. J’ai refusé ma sanction au décret sur les prêtres, mais le message sur les émigrans est l’article le plus délicat pour moi et celui où je suis obligé de me prêter le plus aux circonstances, bien résolu pourtant de ne rien faire d’indigne de moi. Dans tout gouvernement établi, si des citoyens s’assemblaient en force et montraient le dessein d’entrer à main armée dans leur pays pour y détruire le gouvernement, et qu’ils fussent favorisés par des puissances étrangères, il ne serait pas possible au chef du gouvernement de souffrir pareille chose, ou il perdrait toute confiance. C’est précisément mon cas. J’ai écrit plusieurs fois (aux princes) en demandant qu’on sépare les rassemblemens, qu’on s’éloigne, qu’on ne donne plus sujet à des inquiétudes qui me forceraient à agir directement contre eux, qu’ils devaient bien m’éviter cette peine cruelle, que, s’ils voulaient agir par la force, ils se perdraient avec ceux qui leur appartiennent et le royaume à la fin de tout, que, pour moi, ils m’ôtaient toute ressource personnelle et me mettaient dans le plus grand danger, à moins de me jeter à corps perdu dans la puissance des factieux, enfin que les puissances avaient tant de sujets de mécontentement qu’il fallait que ce fussent elles qui agissent, et qu’en se tenant en seconde ligne ils ne courraient aucun des dangers que je signalais. C’est avec bien de la peine que j’ai vu qu’ils n’écoutaient pas mes raisons et continuaient la même marche. Quelque mauvais qu’eût été le décret des émigrans, il m’eût été impossible de le refuser, si je n’avais fait en même temps des démarches. pour faire dissiper les rassemblemens… J’ai donc fait aux électeurs des réquisitions que le droit des gens approuve…

« Je ne pense point que cette démarche doive changer rien aux choses pour ma demande de congrès armé. Au contraire j’y vois des raisons de plus la liberté de quelques princes germaniques étant menacée, l’empereur et le roi de Prusse doivent le trouver mauvais, se prêter plus aisément à ce qui a été demandé et par là soutenir les électeurs. Dans ma dernière instruction, je leur ai expliqué bien des raisons par lesquelles les puissances pourraient se mêler de nos affaires: en voilà une bien forte et bien palpable d’ajoutée. Au lieu d’une guerre civile, cela deviendra une guerre politique, et les chances sont bien meilleures. Il faut que vous vous pénétriez bien des raisons de ma conduite que j’ai expliquées ci-dessus, pour en informer les puissances, afin qu’elles soient bien persuadées que ce n’est pas moi qui ai voulu la guerre, mais que, par les circonstances, je ne pouvais pas me conduire autrement, que je recevrai toujours avec plaisir ce qu’elles pourraient faire pour moi.

« Il faut examiner à présent ce qui peut arriver, si les électeurs avaient peur et se soumettaient à dissiper les rassemblemens sans que les puissances eussent parlé. Ce serait, je crois, ce qui pourrait arriver de pis. Comme la démarche m’a été dictée, on m’en saurait peu de gré; les esprits des factieux seraient extrêmement enflés et arrogans; le crédit se remonterait et soutiendrait encore la machine pour quelque temps. D’un autre côté, les émigrans auraient le poignard dans le cœur ; ils se porteraient indubitablement à quelques entreprises désespérées. Ce qui pourrait arriver de plus heureux et où l’on doit diriger tous les soins, c’est que les puissances s’emparent de l’affaire, protègent les électeurs, mais en même temps séparent les émigrans en leur donnant sûreté et protection. Elles pourraient faire tenir ici à peu près ce langage : « Vous avez voulu attaquer le corps germanique, dont nous sommes les protecteurs et les garans, sous prétexte du rassemblement de vos concitoyens, qui vous inquiétait. Nous avons bien voulu faire cesser ce sujet d’inquiétude nous nous chargeons de retenir les émigrans et de faire séparer leurs rassemblemens armés, mais c’est à condition que vous nous donnerez satisfaction sur telle et telle chose, et que vous ayez un gouvernement qui ait une force et une stabilité sur la foi desquelles on puisse compter. Sans cela, nous vous regarderons comme un repaire de brigands et l’écume de l’Europe; »

« Ce langage en imposerait certainement et ferait pâlir les plus hardis. Il me paraît impossible que nous y fussions compromis… Reste la guerre, si elle était inévitable. L’état physique et moral de la France fait qu’il lui est impossible de la soutenir une demi-campagne; mais il faut que j’aie l’air de m’y livrer franchement et comme je l’aurais fait dans des temps précédens. Il y a deux chances pour elle. Il est difficile de croire qu’elle soit heureuse si par hasard cela arrivait, m’étant montré franchement, et la guerre donnant toujours plus de moyens au gouvernement, je peux regagner quelque chose par là; mais cette hypothèse est la moins vraisemblable. Si elle est malheureuse, vous connaissez les Français, comme ils vont vite d’une extrémité à l’autre; ils seraient bientôt aussi abattus qu’ils sont orgueilleux avant, et peut-être ne voudraient-ils laisser aucun reste du nouvel édifice, s’ils voyaient bien qu’il leur a attiré tous les malheurs. Il peut exister une crainte, et sûrement les factieux chercheraient à tourner les esprits de ce côté-là: ce serait de s’en prendre à moi de leurs malheurs, et de me faire soupçonner de les désirer pour regagner la puissance. C’est ma conduite qui doit écarter tous ces soupçons, et surtout de ne rien laisser pénétrer de mes relations avec l’étranger. Il faut que ma conduite soit telle que dans le malheur la nation ne voie de ressource qu’en se jetant dans mes bras… Il faudrait que je pusse servir le royaume en obtenant, par mon entremise, la paix la moins désavantageuse qu’on pourrait. Voilà une bien longue instruction mais j’ai voulu tout prévoir, et on pourra m’indiquer les éclaircissemens qu’on pourrait encore désirer. »


Il a été inévitable d’abréger ici cette lettre du roi, longue et confuse à l’excès dans l’original : on en distinguera mieux son plan. Louis XVI demande que les puissances étrangères, principalement l’Autriche, soutenant les princes électeurs que l’assemblée menace et que d’ailleurs la révolution a privés de leurs possessions en France, répondent, elles aussi, par un langage menaçant, appuyé d’un congrès armé. Louis XVI ne peut pas se dissimuler qu’une telle attitude de la part des souverains ne soit une déclaration de guerre; mais il souhaite la guerre en effet, pourvu qu’elle soit faite par les puissances en leur propre nom et non pas au sien, ni au nom des princes ses frères. Si les Français sont vainqueurs, ce qui est peu probable à ses yeux, il espère profiter en quelque chose d’un succès auquel il aura paru s’associer. S’ils sont battus, il interviendra au bon moment pour leur faire obtenir des conditions moins dures que celles qu’ils devraient attendre; peut-être aussi, avec l’inconstance qui les caractérise, prendront-ils en haine cette révolution, cause de leurs revers et de tant de malheurs, pour se jeter de nouveau dans les bras de la royauté.

Louis XVI est tout entier dans cette curieuse lettre à M. de Breteuil avec sa bonté, car, s’il appelle la guerre étrangère, c’est, comme il le dit sincèrement, parce qu’il croit éviter ainsi la guerre civile, qui lui fait horreur, mais avec son aveuglement, puisqu’il croit pouvoir jouer sans l’extrême péril ce double jeu, puisqu’il estime que ce sera, pour les Autrichiens et les Russes, l’affaire d’une demi-campagne de triompher de cette émeute, puisqu’il imagine enfin que cette nation, dans son malheur, ne cherchera de refuge que dans le sein d’une royauté qui se sera ainsi séparée d’elle. S’il connaissait vraiment le caractère des Français, que n’invoquait-il en son propre nom cette suprême ressource de la guerre étrangère pour entraîner tout un peuple à sa suite, sur la frontière, au nom de la patrie menacée ? Et par quelle fatalité, quand les annales de notre monarchie, celles mêmes de la famille de Bourbon, offrent tant de chefs animés jusqu’à l’excès de l’ardeur militaire, le dernier roi de l’ancienne France a-t-il été si entièrement privé d’une heureuse complicité avec le caractère national?

Fersen ne manquait pas d’informer Gustave III du nouveau plan formé par Louis XVI la précieuse lettre inédite par laquelle il l’instruit nous donne les preuves les plus irrécusables de la part active que Marie-Antoinette y avait prise. « Sire, écrit-il au roi de Suède le 1er janvier 1792, j’ai l’honneur d’envoyer à votre majesté la lettre que la reine m’a chargé de lui faire passer, avec la copie de celle que cette princesse écrit à l’impératrice et à laquelle elle se réfère. » Il s’agit évidemment d’abord d’une lettre analogue à celles du 3 décembre que nous avons citées, et par lesquelles Louis XVI avertissait les puissances de ne pas considérer comme libre son acceptation de l’acte constitutionnel; il s’agit ensuite de la lettre écrite par la reine le même jour, en vue du même objet, à l’impératrice Catherine II. Après avoir développé à nouveau les argumens de la cour, Fersen invoque la lettre de Louis XVI à M. de Breteuil, dont il envoie pareillement copie avec de nouvelles citations de Marie-Antoinette.


« Votre majesté verra par la lettre du roi au baron de Breteuil, que j’ai l’honneur de lui envoyer, les raisons qui l’ont engagé à la démarche contre les électeurs. Le roi en attend un grand avantage, si les princes de l’empire font des réponses fermes et sages, et si les puissances veulent prendre leur parti. La reine me mande à ce sujet « Je pense, comme vous, que le mal seul ne peut pas opérer le bien, et c’est pour cela qu’il faut une force étrangère et extérieure; mais vous croyez que les Français réfléchissent et qu’ils sont capables de suivre un système! Vous leur faites trop d’honneur. En attendant, je crois que nous allons déclarer la guerre, non à une puissance qui aurait des moyens contre nous, — nous sommes trop lâches pour cela, — mais aux électeurs et à quelques princes d’Allemagne dans l’espoir qu’ils ne pourront se défendre. Les imbéciles! ils ne voient pas que, s’ils font telle chose, c’est nous servir, parce qu’enfin il faudra bien, si nous commençons, que toutes les puissances s’en mêlent pour défendre les droits de chacun; mais il faut que les puissances soient bien convaincues que nous ne faisons ici qu’exécuter les volontés des autres, que toutes nos démarches sont forcées, et que dans ce cas la meilleure manière de nous servir est de bien nous tomber sur le corps[15]. »

« D’après cette certitude du désir du roi et de la reine, — reprend Fersen, — et celle où je suis des intentions de votre majesté, j’ai écrit au baron Oxenstierna pour qu’il engage les électeurs à faire une réponse sage, mais ferme, et j’ai l’honneur d’envoyer à votre majesté copie du projet que j’ai fait passer à ce sujet. Pour vous donner, sire, une idée plus précise des sentimens du roi et de la reine, voici quelques passages de la lettre que cette princesse écrit au comte de Mercy « Voici le moment le plus important pour nous. Notre sort va être entièrement entre les mains de l’empereur de lui va dépendre notre existence future. J’espère qu’il se montrera mon frère et le véritable ami et allié du roi, je dis du roi seul, car celui qui servira ses intérêts en ce moment peut aussi sauver la France d’une ruine totale… Il n’a fait aucune réponse à mes lettres, et j’apprends de toutes parts que j’écris lettre sur lettre à Vienne pour le conjurer de ne se point mêler de nos affaires, et que par conséquent il est lié à ne rien faire. J’avoue que toutes ces circonstances auraient bien lieu d’affliger mon cœur, si je n’étais persuadée que cette trame infernale part d’ici. C’est ce qu’il est essentiel d’éclaircir… »


Fersen continue à donner là des extraits assez étendus d’une lettre de la reine à Mercy, qu’on trouvera encore dans le recueil de M. d’Hunolstein. En revanche, nous croyons inédites les graves citations qui suivent :


« Dans une lettre que la reine m’a fait l’honneur de m’écrire, poursuit Fersen, elle me mande « Quel malheur que l’empereur nous ait trahis! S’il nous avait bien servis seulement depuis le mois de septembre, où je lui avais écrit en détail, le congrès aurait pu être établi le mois prochain, et cela aurait été trop heureux, car la crise marche à grands pas ici, et peut-être devancera-t-elle le congrès; alors quel appui aurons-nous? Plus loin, en parlant des factieux avec lesquels elle est obligée de traiter, elle dit : « Quelle joie si je puis un jour leur montrer que je n’ai pas été leur dupe! Il faudra que le baron (de Breteuil) presse de notre part la Russie et l’Espagne. J’espère que nos lettres aux puissances leur montreront nos vrais caractères. Ce que l’on dit de mes lettres à l’empereur est incompréhensible, et je commence à soupçonner qu’on imite mon écriture pour lui écrire; je veux éclaircir ce fait. »


La voilà à son tour, cette malheureuse reine, non pas tout entière, — la grâce qui brillait en elle aux années de bonheur n’a que faire ici en vue de l’abîme, — mais douée d’une énergie et d’une activité viriles qu’tin ne lui soupçonnait pas avant de connaître ces documens de l’année 1791. Ses lettres à Mercy, et en général toutes celles de ses dernières années qu’on a publiées d’après les originaux (autographes on copies) conservés aux archives de Vienne[16], sont à cet égard d’un intérêt inappréciable. Quelques fragmens de ces correspondances, transportés jadis dans nos archives, avaient été rendus publics vers 1835. L’opinion, imparfaitement éclairée alors, n’y aperçut que de nouveaux motifs de condamnation contre Marie-Antoinette. Maintenant que de plus complètes révélations sur cette terrible époque nous ont découvert toutes les fautes de part et d’autre et tous les mérites, devenus plus équitables parce que nous sommes mieux instruits, nous reconnaissons que ce ne sont pas les vrais ennemis de la révolution qui ont été le plus cruellement punis par elle ce sont en définitive les fautes de ceux-là et les fautes de la révolution elle-même qu’ont surtout expiées les plus illustres victimes.

En résumé, nous avons vu la division du parti de la gour après Varennes, l’échec du parti des princes malgré leur apparent triomphe d’un moment à Pillnitz, l’éloignement toujours plus motivé qu’ils inspiraient au parti du roi, puis les embarras, les incertitudes, les résolutions incomplètes et tardives de Louis XVI. Gustave III, bien qu’il partageât les illusions des princes, n’a cessé, il est vrai, d’être recherché, mais comme par habitude, comme pour faire nombre, et non sans une constante défiance de ses liaisons compromettantes. Désormais d’ailleurs les événemens se précipitent. La révolution, qui ne se contient plus au dedans, déborde et arme aux frontières; la coalition va enfin se former après avoir achevé, par le traité de Berlin (7 février), l’œuvre incomplète et maladroite de Pillnitz. Gustave III, témoin intéressé de ces agitations, a repris quelque espoir depuis que la paix d’Yassy (9 janvier), confirmant les préliminaires du 11 août 1791, a entièrement terminé la guerre qui retenait Catherine II occupée contre les Turcs. Pour mieux instruire le roi de Suède de la terrible situation dont l’issue va décider du sort de la France et de l’Europe, Fersen lui adresse encore de Bruxelles, où il suit les événemens avec anxiété, une dépêche émue[17].


« Le triomphe des jacobins est complet; les bonnets rouges sont partout... Jamais le roi et la reine n’ont été dans un plus grand danger. Ils ont pris toutes les mesures possibles; ils ont brûlé et détruit tous leurs papiers ceux qu’ils ont voulu absolument préserver sont en sûreté; ils m’out fait prévenir de ne plus leur écrire, et qu’ils n’oseraient plus avoir aucune correspondance. Voilà, sire, quelle est la position déchirante de la famille de Bourbon. Elle n’a d’appui que les puissances étrangères; toute son espérance se fonde sur leur générosité, et leurs majestés réclament plus vivement que jamais leurs secours. »


La guerre européenne allait répondre enfin à ce dernier appel mais ce n’est pas du roi de Suède qu’il fut entendu. La dépêche de Fersen, datée du 24 mars, ne devait pas même arriver à Gustave III. Après avoir eu le dépit de voir destiné au duc de Brunswick ce commandement général qu’il avait tant ambitionné, Gustave était tombé le 16 mars et avait expiré le 29 sous le coup d’un assassin. Lui qui avait rêvé la double gloire d’étouffer l’esprit d’opposition dans ses états et de vaincre la révolution au dehors, il expiait ses illusions et ses fautes en ouvrant la liste des victimes de ces funèbres années. Le sanglant épisode de sa mort n’était pas sans correspondre, par des relations secrètes qu’il reste à exposer, avec l’anarchie morale de ces temps et avec la tourmente révolutionnaire.


A. GEFFROY.

  1. Voyez, sur la politique de Gustave après son second voyage en France, la Revue du 1er octobre. Voyez aussi, pour l’ensemble de cette série, la Revue du 15 février, 1er mars, 1er avril et 15 juillet 1864, du 15 août et 15 septembre 1865.
  2. C’est M. le marquis de Nadaillac que j’ai à remercier de cette intéressante communication. M. d’Escars avait épousé en secondes noces, en 1798, Mme de Nadaillac, née de La Ferrière, qui jouissait d’un grand crédit, par son esprit distingué, à la cour de Berlin.
  3. Plus tard comte après la mort d’un frère ainé, puis créé duc sous la restauration.
  4. La princesse de Lamballe lui écrivait deux mois plus tard «Sire, voulez-vous bien recevoir les hommages de ma reconnaissance ? M. le baron de Staël, d’après vos ordres, m’a envoyé mes diamans, grâce à vos bontés. Je suis hors de toute inquiétude ils sont arrivés à très bon port. Votre majesté m’a permis de lui en mander la réception. Cette circonstance est trop heureuse pour moi, puisqu’elle me met à position de lui dire combien les bontés qu’elle a bien voulu me témoigner à Aix-la-Chapelle seront à jamais gravées dans mon cœur, et les vœux que je fais de la voir bientôt le régénérateur du bonheur de tous les bons Français. Je suis avec un profond respect, sire, de votre majesté la très humble et très obéissante servante, M. L. T. de Savoye. Ce 29 août 1791, à Aix. (Lettre inédite, au moins en France.)
  5. Je rencontre dans la correspondance de M. de Staël, vers la même époque, une autre sorte d’hommage à Gustave III qui ne laisse pas que d’être inattendu et curieux, L’illustre érudit D’Ansse de Villoison, rappelant qu’il a dédié au roi de Suède son Homère, et qu’il a prophétisé les succès de Gustave dans sa dédicace, composée à Ephèse, demande des lettres de naturalisation qui lui permettent de figurer parmi la noblesse suédoise.
  6. Archives d’Upsal. Collection des papiers de Gustave III.
  7. Archives du ministère des affaires étrangères à Stockholm. Document communiqué par M. le comte de Manderstrôm.
  8. Pièce inédite communiquée par M. le comte de Manderström, aussi bien que la plupart de celles qui vont suivre.
  9. L’assemblée constituante.
  10. Archives de l’archiduc Albert d’Autriche. Voyez le recueil de M. Feuillet de Conches, tome III, page 197.
  11. J’ai sous les yeux, entre un grand nombre de papiers d’état qui montrent combien d’objections fort valables l’empereur invoquait, un intéressant résumé, dressé par Fersen pour Gustave III, et conservé aujourd’hui aux archives du ministère des affaires étrangères de Stockholm sous ce titre Mémoire des princes français à l’empereur, intitulé Points à fixer, et réponses de sa majesté impériale intitulées Communications verbales. On en trouvera toute la substance dans notre récit.
  12. Lettre sans doute inédite, au moins en France.
  13. Dépêche du comte de Reventlow, ministre danois à Stockholm, en date du 20 septembre 1791 ; archives du ministère des affaires étrangères de Copenhague. Je dois en outre la communication d’une copie de la correspondance diplomatique échangée entre M. de Reventlow et le comte de Bernstorff, ministre des affaires étrangères de Danemark, où j’ai fait déjà d’assez nombreux emprunts, à l’obligeante initiative de M. le comte E. de Moltke.
  14. La lettre adressée au roi de Prusse le 3 décembre a été publiée par d’Allonville sous la date de 1790 ; M. de Sybel, dans son Histoire de la Révolution, a démontré que la vraie date était 1791. J’ai sous les yeux la lettre écrite par Louis XVI le même jour au roi d’Espagne ; c’est une pièce importante où les argumens sont développés, et elle est, je pense, inédite; mais je ne puis tout citer. Plus importante encore et tout aussi inédite sans doute est la lettre au baron de Breteuil, qui se trouve copiée de la main de Fersen aux archives des affaires étrangères, à Stockholm. Ce même jour du 3 décembre, Marie-Antoinette se chargea d’écrire dans le même sens à Catherine II. Cette lettre, fort curieuse, été publiée par M. le comte d’Hunolstein; mais c’est une erreur de la croire adressée à l’impératrice d’Autriche. — A ce propos, qu’on me permette de me corriger aussi moi-même : les deux Duport, dont j’ai parlé pages 674 et 675 de la Revue du 1er octobre, se rattachent bien au même parti, mais n’ont pas montré le même caractère. Il faut éviter toute confusion entre eux.
  15. Ces mêmes lignes de Marie-Antoinette figurent dans une lettre au comte de Mercy que M. d’Hunolstein a publiée (6 décembre 1791, 3e édition, page 303).
  16. Voir particulièrement le recueil de M. Feuillet de Conches.
  17. L’original, en chiffres, est au ministère des affaires étrangères, à Stockholm.