Hôpitaux (Verhaeren)

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Les Ailes rouges de la guerreMercure de France (p. 139-145).

HÔPITAUX


I


Ô femmes dont les mains sont belles,
Vous dédiez, par charité,
Leur sûre et tranquille bonté
Au soin quotidien des blessures mortelles.

Ceux dont les traits se sont pâlis
Sous la souffrance coutumière
Les voient agir dans la lumière,
Quand vous venez, au soir tombant, garder leurs lits.


Leur âme en devient résignée,
Si douce en est la vision,
Lorsque vous frôle un lent rayon
Au long des murs où les couches sont alignées.

Le médicament fade et froid
Et même la tasse où se fanent
Les quatre fleurs d’une tisane
Se dore à la clarté qu’y rassemblent vos doigts.

Tout s’embellit et se rehausse ;
Et néanmoins la mort est là
Qui rôde et regarde déjà
À travers les carreaux vers le terrain des fosses.

Ô le tragique et lumineux hôpital blanc
Assis en des jardins dont les rosiers dolents
Confient aux vents qui passent
Les parfums délicats de leurs floraisons lasses,
En quelle heure d’émoi, de crainte et de menace
Vous ai-je visité avec mon cœur tremblant ?


II


Les dalles des couloirs luisaient comme à l’église ;
Un ordre immaculé s’établissait partout ;
Les angles dessinaient leur netteté précise,
Et les murs s’allongeaient et s’enfuyaient jusqu’où ?

Des malades traînaient aux bancs des réfectoires,
Puis en gagnaient le seuil et causaient sous l’auvent ;
Des linges longs étaient plies en des armoires,
Gardant l’odeur encor des prés et des grands vents.

Un Christ aux larges bras, un grand Christ d’espérance
Semblait sortir de l’ombre et planer sur les maux ;
Dans un coin se carraient les tables de souffrance
Et des instruments clairs brillaient sur des plateaux.

Le soleil éveillait ses prismes en des verres ;
Les scalpels attendaient rangés et acérés ;
De tristes corps passaient prostrés sur des civières,
Avec leurs pauvres yeux souffrants et chavirés.


Dans les salles où l’on mourait, des fleurs fragiles
Vers les derniers regards des blessés se tendaient,
À l’heure où s’entouraient de paravents mobiles
Les râles précurseurs que la mort entendait.


III


Ô sainte vision des misères humaines,
Avec quelle angoissante et pathétique ardeur
Comme on étend les plis retombants d’un suaire
Je vous ai descendue à l’entour de mon cœur !

Je vis en votre deuil et je désire y vivre
Pour mieux aimer tous ceux qui sont plus hauts que moi
Par le courage intense et clair qui les enivre
Et par la fin sublime à laquelle ils ont droit.

Qu’ils succombent là-bas sur des champs de bataille,
Ou bien, un soir, sur des lits d’hôpitaux,
Leur grandeur est pareille et la France leur taille
Un semblable linceul en de mêmes drapeaux.

Et puis les endort tous en sa terre éternelle
Et, pour qu’ils soient gardés et les nuits et les jours,
Elle appelle sa sœur, la Gloire, à son secours,
La Gloire ardente, et dont, aussi, les mains sont belles