HOMÉLIE SUR LA RÉSURRECTION DE LAZARE ET SUR LES SAINTES MARTYRES DOMNINE, BERNICE ET PROSDOCE

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HOMÉLIE SUR LA RÉSURRECTION DE LAZARE ET SUR LES SAINTES MARTYRES DOMNINE, BERNICE ET PROSDOCE.[modifier]

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.[modifier]


Cette homélie, que nous sachions, n’avait pas encore été publiée : nous l’avons transcrite d’après un ancien exemplaire de S. Em le cardinal Ottoboni ; de l’an 1699 ; les fautes y sont nombreuses : n’ayant pas d’autre exemplaire pour nous aider, nous les avons corrigées comme nous avons pu. Ce discours fut prononcé peu de jours après Pâques ; et même, comme le donne à entendre la fin du discours, le jour de la fête des saintes Bernice, Prosdoce et Domnine, leur mère, qui, ainsi que nous l’avons dit en tête de l’homélie précédente, tombe le 15 avril. Ici, Chrysostome ne les nomme pas, mais il les désigne si clairement, qu’il est impossible de ne pas les reconnaître. Il s’agit, en effet, d’une mère et de deux filles qui, pour conserver leur foi et leur pureté, se précipitèrent dans un fleuve après avoir abandonné leur patrie. Chrysostome fait précéder ce discours sur les saintes martyres du complément d’un discours antérieur, où il avait examiné pourquoi Jean était le seul des évangélistes qui eût parlé de la résurrection de Lazare. Après en avoir rappelé la raison, il parle de Lazare assez longtemps avec son style et son genre d’éloquence accoutumé. Du reste, ce sermon parait avoir été improvisé, comme un assez grand nombre d’autres, qui sont de la même brièveté. Pourquoi les évangélistes ne racontent pas tous les mêmes détails. – La résurrection de Lazare faisait croire d’avance à celle de Jésus-Christ. – Il compare la mort et la résurrection de Lazare avec le martyre de sainte Bernice, de sainte Prosdoce et de leur mère. – Le démon, qui avait jadis triomphé d’Eve, est irrité de se voir le jouet des femmes chrétiennes, si courageuses contre la mort.
1. Naguère, mes chers auditeurs, en tressant devant vous la couronne fleurie du printemps, et en inscrivant cette saison de l’année comme sur les tablettes de nos entretiens, nous ne vous montrions pas seulement les feuilles renaissant dans les bocages, l’herbe dans les prairies, et le souffle des vents printaniers se hâtant de tout rappeler à la vie ; nous vous montrions aussi notre nature, ayant reçu à cette même époque les gages de la résurrection ; et en cherchant un sujet approprié à la circonstance, nous avions trouvé la résurrection de Lazare. Mais n’ayant pu tenir notre promesse tout entière, nous avons borné notre discours au premier point : nous nous étions demandé avant tout pourquoi les autres évangélistes ne disent rien de Lazare, et pourquoi saint Jean est le seul qui en parle : nous disions que le Saint-Esprit, pour aller au-devant du soupçon d’imposture, avait permis aux évangélistes de consigner d’une manière conforme et parallèle les miracles du Sauveur, mais qu’il avait voulu aussi que l’un omît un détail, et l’autre un autre, afin de prouver avec évidence que les Évangiles n’avaient pas été écrits par supercherie, ni avec préméditation, ni par quelque plan concerté, ni dans le but de plaire ; et afin que lorsque l’apparence serait en défaut, tout dans les Évangiles témoignât clairement de leur vérité sans apprêt. Mais comme nous avons alors suffisamment établi ce point, examinons toute l’utilité, tout l’à-propos de ce miracle en faveur de Lazare. Le Sauveur, qui avait souvent entretenu ses disciples au sujet de sa passion, les voyait abattus et tremblants à un tel récit ; cette passion prédite leur apparaissait comme un signe de faiblesse plutôt que comme une réalisation des plans de la Providence, et leurs pensées encore tout humaines ne leur laissaient qu’incertitude et frayeur. C’est pourquoi comme le moment de cette passion approchait, comme la croix allait être plantée, il ressuscite Lazare qui venait de mourir, afin d’apprendre par un fait à ses disciples que la croix et la mort ne sont pas des signes de faiblesse, afin de persuader aux assistants qu’il commande à la mort et qu’il appelle l’âme à lui quand elle est dégagée des liens terrestres. Son dessein est de figurer sa mort volontaire, et sans doute il représente par avance dans Lazare sa propre résurrection au bout de trois jours ; par la courte durée de son séjour sous terre, il rassure la pusillanimité de ses disciples ; aux approches du crucifiement, il dissipe leurs craintes d’une manière victorieuse, il leur fait voir que ce qu’il accorde à autrui, il lui sera facile de se l’accorder à lui-même ; il calme leurs doutes par des actes, et donnant en quelque sorte une voix aux œuvres qu’il accomplit, il semble leur expliquer ainsi les motifs qui le font agir : « L’humanité que j’ai revêtue, je ne l’ai jamais laissée destituée de la vertu divine ; mais tour à tour comme homme et comme Dieu, tantôt je laisse voir en moi la nature humaine, et tantôt je donne des preuves de ma mission ; j’apprends ainsi aux hommes à attribuer les actes les plus humbles à l’humanité, et à rapporter les plus élevés à la divinité ; par ce mélange d’œuvres si diverses, je fais comprendre l’union de mes deux natures si dissemblables ; je montre en me soumettant librement aux souffrances, que mes souffrances sont volontaires : comme Dieu, j’ai dompté la nature en prolongeant le jeûne jusqu’à quarante jours, mais ensuite j’ai eu faim ; j’ai apaisé, comme Dieu, la mer en furie ; et j’ai été accablé, en ma qualité d’homme ; comme homme j’ai été tenté par le diable, mais comme Dieu, j’ai commandé aux démons et je les ai chassés ; je dois, dans ma nature humaine, souffrir pour les hommes ; mais afin que vous ne puissiez soupçonner que c’est là un effet de faiblesse, je rappelle à la vie, avant de subir moi-même la mort, celui que la mort tenait captif, et après vous avoir annoncé la vertu de ma divinité, j’abolis l’ancienne dette de l’humanité ; après avoir défait vos liens, je m’enchaîne moi-même, et je montre par des faits, que j’ai le pouvoir de quitter mon âme et de la reprendre. » Tel est l’enseignement que le Sauveur nous donne par ses œuvres ; car s’il n’en était pas ainsi, s’il n’eût pas réglé les choses à dessein dans ce miracle en faveur de Lazare, certes il n’eût pas différé si longtemps lorsqu’on vint lui apprendre en chemin la maladie de Lazare ; en effet, l’Évangéliste nous dit : Les sœurs de Lazare envoyèrent dire au Seigneur Voici que celui que vous aimez est malade (Jn. 11,3) ; à cette nouvelle, il eût fait alors comme pour le centenier et la femme Syrophénicienne ; il guérit le fils de l’un et la fille de l’autre avant que ce père et cette mère fussent de retour chez eux ; il eût agi de la même manière avec Marthe lorsqu’elle lui annonça la maladie de son frère. Mais au contraire, il attend exprès que Lazare soit mort, il prolonge son séjour dans le lieu où l’on est venu le trouver, il diffère avec intention son arrivée, afin de montrer sa victoire sur la mort avant le combat livré par la mort ; il tarde même trois jours, pour qu’il soit bien établi que la mort est réelle. C’est en présence des Juifs qu’il ouvre le tombeau, afin de transformer ses persécuteurs en proclamateurs de son miracle ; c’est par la prière et en invoquant son Père qu’il ressuscite Lazare, afin de ne point avoir l’air de se mettre en opposition avec les lois du Créateur. Et voyez un peu l’étrange chose ; il ne dit pas : Lazare, reviens à la vie ; que lui dit-il ? Lazare, viens ici dehors. (Jn. 11,43) C’est pour apprendre aux assistants qu’il est Celui qui appelle les choses qui ne sont point comme si elles étaient ; c’est afin de montrer aux spectateurs qu’il est le Dieu des vivants et non des morts ; il veut profiter dé l’occasion pour prouver ce qu’il y a d’irrésistible dans un ordre de Dieu, et pour rappeler à ceux qui l’entourent Celui qui dit : Que le firmament soit. Que les eaux se réunissent en un seul tout. Que la terre pousse de l’herbe. Que les eaux produisent des reptiles animés. (Gen. 1,6, 9 ; 11, 20) Lazare, viens ici dehors. Un tel miracle avait encore pour but d’augmenter et de fortifier la foi des personnes accourues de toute part : ce linceul et ces bandelettes témoignaient de notre mortalité ; et cette obéissance instantanée, cette crainte dont la nature ne peut se défendre, proclamaient l’autorité du Maître. Lazare, viens ici dehors. À ces mots, ce corps inanimé se redressa, cette chair corrompue reprit ses sens ; ce cadavre obéit, ce prisonnier enchaîné se mit à courir, et cet homme qu’on pleurait bondit plein de vie. Et pourquoi le Sauveur en cette circonstance eut-il recours à un cri ; car l’Évangéliste dit : Ayant ainsi parlé, il cria très-haut : Lazare, viens ici dehors. (Jn. 11,43) Sans doute il voulut, même par sa voix, nous représenter la résurrection à venir ; car il est écrit : La trompette retentira, et les morts ressusciteront. (1Cor. 15,12) J’aurais encore plusieurs choses à dire, mais je me sens rappelé par le sujet qui aujourd’hui s’offre naturellement à nous, et je me vois contraint de passer d’une tombe à une autre.
Aussi bien est-il très opportun de comparer le tombeau de Lazare à celui de nos saintes martyres, et il ne me semble pas sans à-propos que leur mort soit fêtée en quelque sorte auprès du sépulcre de Lazare. C’est un tombeau d’une part et un tombeau de l’autre, mais celui de Lazare en s’ouvrant fait éclater la puissance du Christ, et celui des saintes martyres en se fermant et remplissant son office proclame la grâce de notre Sauveur. Là, c’est un mort qui 's ; élance du tombeau par l’effet d’un pouvoir supérieur à la nature ; ici, ce sont des femmes qui, contrairement à la nature, se précipitent vers le tombeau. D’une part, vous voyez un signe de la puissance divine, de l’autre, vous avez une preuve d’une libre et généreuse volonté ; là, c’est Lazare échappant divinement aux portes de la mort, ici, des femmes qui les envisagent avec assurance ; après la mort de l’un vient sa résurrection, à la mort des autres succède la vie ; d’un côté, la mort se voit violemment arracher sa proie, de l’autre, la mort est publiquement foulée aux pieds ; mais la mort après avoir prêté Lazare à la vie ne tarda pas à le lui reprendre, ou plutôt, comme dit l’Apôtre : Il y eut des femmes à qui leurs morts furent rendus par résurrection (Héb. 11,35), Dieu l’ayant ordonné ainsi ; tandis que celles-ci, cette mère avec ses filles, dont la commémoration nous rassemble en ce jour, se sont élancées d’une vie passagère à une vie sans fin, la mère, pieuse femme qui avait souffert les douleurs de l’enfantement, et ses filles, de jeunes vierges à qui ces mêmes douleurs étaient inconnues ; la mère qui avait sacrifié sa virginité pour donner le jour à des vierges, mère dont les douleurs avaient produit des modèles de chasteté, mère qui, suivant les lois de la nature, avait enfanté des vierges. Un tyran faisait alors partout la guerre aux personnes pieuses, détournant son glaive du carnage des étrangers, il le trempait dans le sang de ses compatriotes ; il persécutait ce Christ qu’il ne pouvait voir, s’imaginant qu’il dépouillerait le pasteur lui-même en s’attaquant à son bercail, il dirigeait ses traits contre le ciel même, et voyait d’un œil d’envie s’agrandir le royaume de Jésus-Christ : ce tyran, voilà quel était le persécuteur, et celles qui avaient à se défendre, c’étaient de timides jeunes filles. On enlevait aux citoyens leurs biens, et les citoyens abandonnaient leur patrie ; des soldats impies entraînaient ces jeunes filles, qui n’avaient de goût que pour la modestie et la vertu, ces brigands voulaient les forcer d’adorer la statue d’un nouveau Nabuchodonosor. (Dan. 3) Mais, comme à Babylone, cette nouvelle triade de martyrs trouva aussi sa fournaise : les liens de leur âme et de leur corps furent dissous, et permirent à leur âme de s’envoler en liberté dans le ciel. Ce même serpent, qui jadis poursuivant Eve dans le paradis avait surpris par la ruse son innocence et sa simplicité, s’aperçut bien cette fois que le fleuve était devenu un bain de purification dont les ondes étaient pénétrées de l’Esprit divin ; il ne poursuivit donc les bienheureuses femmes que jusque-là repoussé par ces eaux auxquelles un feu tout spirituel s’était mêlé, réfléchissant à sa perfidie, il pleura sur le châtiment de ses anciens stratagèmes ; ces femmes autrefois si faciles à tromper et à épouvanter, il les trouvait maintenant fières et audacieuses contre la mort ; ce talon qu’il guettait l’occasion de faire trébucher, il le voyait actuellement bondir de la terre au ciel. Mais nous nous sommes suffisamment arrêtés au panégyrique de ces femmes victorieuses, nous avons partout mêlé au sujet quelque enseignement utile, nous avons rehaussé l’éclat d’un antique tombeau par celui d’un autre plus récent, nous avons rapproché une résurrection miraculeuse d’une mort pleine de courage, nous avons mis sous les yeux de tous, de l’un et de l’autre sexe, des modèles de vertu et de piété, nous vous avons montré une mort illustre et une résurrection digne d’envie, il ne nous reste plus qu’à rendre grâces à Jésus-Christ, qui a l’autorité sur la vie et sur la mort, et à qui appartiennent la gloire et la puissance conjointement avec le Père et avec l’Esprit saint et vivifiant, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.