Hermine Gilquin/XXII

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E. Fasquelle (p. 103-106).
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XXII


Elle fut vite au bas du village, sans trop savoir comment elle avait descendu la pente rapide. Elle prit le chemin à gauche, comme il lui avait été dit, ne vit rien tout d’abord, puis découvrit le mur et le cimetière dans un repli du terrain, à flanc de colline.

La porte, à claire-voie, de bois vermoulu, n’était pas fermée. Elle entra.

C’était un petit cimetière de village, sans monuments, sans caveaux, sans colonnes funéraires. Quelques dalles, çà et là. Quelques autres pierres debout. Presque toutes rongées par le temps, les inscriptions illisibles envahies de mousses microscopiques. Le reste du terrain planté de croix noires à lettres et à larmes blanches, des croix qui s’en allaient à la débandade, penchées en tous sens, pareilles à de petits êtres fantastiques, aux bras étendus, qui trébucheraient et qui imploreraient.

Hermine lut au hasard des noms, des âges, des dates, puis elle parvint à un angle des murailles où étaient amoncelés des débris de croix, des couronnes pourries, des fleurs sèches, qui recouvraient sans doute des ossements et des poussières anonymes. C’était là, probablement, dans ce rebut, dans ce tas de fumier de la Mort, que se trouvait ce qui restait de Jean.

Hermine se laissa aller, mi-agenouillée, mi-assise, contre la muraille qui faisait à peine une ligne d’ombre sous le soleil du matin.

Ce qui restait de Jean ! Elle essaya de se figurer cette funèbre réalité, elle évoqua une tête grimaçante, des orbites vides, des dents serrées et ricanantes. Mais la vision s’effaça d’elle-même, et Hermine ne vit plus que l’air embrasé, et les herbes du cimetière.

Ces herbes folles, qui avaient envahi les pierres, les balustrades et les croix, brûlaient et se tordaient sous la chaleur. Le bourdonnement des insectes emplissait l’atmosphère ardente et dorée. Des abeilles se blottissaient dans le calice des fleurs de mauve. Des mouches de toutes les couleurs passaient et repassaient, à brusques coups d’ailes. Des lézards parurent, se risquèrent tout près d’Hermine immobile. Une belle couleuvre ondula parmi les tombes.

Où était Jean parmi tout cela ? Où flottait le spectre léger de cet enfant dans cette nature qui recommence sans cesse le même travail avec les mêmes aspects, les mêmes formes, à croire que rien n’est changé et ne changera jamais dans l’immense univers.

Hermine se releva, marcha dans l’herbe des morts, environnée du murmure exaspéré des insectes. Du seuil elle regarda encore, emporta avec elle le souvenir de ce jardin bourdonnant sous le ciel bleu.